DJ Premier
Interview

DJ Premier

Que faire de dix minutes d’interview avec un pan entier de l’Histoire du hip-hop ? C’est l’équation à laquelle nous avons été confrontés fin septembre lors de la venue de Preemo himself à Paris. Notre plan : lui soumettre, au hasard, une poignée d’albums auxquels il a participé. Et espérer qu’il joue le jeu. Miracle : nos 10 petites minutes se sont transformées en une série d’anecdotes que nous ne sommes pas prêts d’oublier. Jugez vous-mêmes.

et

The Lox – We Are the Streets 2000

Je suis fan de The Lox. Je me souviens quand Mary J. Blige m’a parlé d’eux pour la première fois. C’était vraiment à leurs débuts, car c’est elle qui leur a permis de décrocher un contrat. Ils viennent du même quartier [NDLR : Yonkers, à New York], elle les aidait à démarcher en racontant à tout le monde qu’ils déchiraient. C’est arrivé aux oreilles de Puffy qui les a intégrés à Bad Boy Records. Nous, on était toujours fans. Quand je travaillais avec BIG sur l’album Life After Death, on passait notre temps en studio ensemble. Il y avait moi, Biggie, Styles, Sheek, Jadakiss, Lil’ Kim, tous dans le studio Daddy’s House à traîner et taper la discute. C’était quand on bossait sur ‘Kick in the door’ avec Biggie. En ce temps-là, le groupe ne faisait même pas partie de l’effectif Bad Boy. Être amené à bosser avec eux sur le premier album, ça a donc été forcément un « oui » automatique. J’étais le seul producteur invité en dehors de Swizz Beatz. Hé ouais, c’était pour la rue que j’étais là ! C’est ce que je représente.

Limp Bizkit – Significant Other 2007

Mon ancien manager m’a appelé pour me demander de travailler avec Limp Bizkit. J’avais déjà entendu parler d’eux à l’époque où ils avaient remixé ‘Faith’ de George Michael. J’avais vu le clip et j’avais bien aimé la manière dont ils avaient tourné ça à la sauce rock. Après ça, j’ai entendu dire qu’ils préparaient un nouvel album. Method Man était annoncé dessus. Mon manager me demandait carrément à quel moment j’allais me mettre à bosser avec eux. Moi je lui ai répondu « Fred Durst ne sait pas rapper ! » Ça aurait pu bousiller ma réputation de bosser avec lui. Mais il a insisté : « Method Man sera aussi sur l’album, tu ne veux pas au moins rencontrer le mec ?« . Finalement, Fred Durst est passé au D&D Studios. Il m’a fait genre « Mec, je sais que tu ne veux pas travailler avec moi car je ne rappe pas terrible et tu as raison, mais ça fait longtemps que j’étudie ta musique. J’ai même tes mixtapes Tape Kingz ». « Tu connais les Tape Kingz ? », je lui réponds, parce que c’était quand même un pur truc de rue, vraiment underground. Et lui me cite ‘Heads over wheels’, un morceau avec G-Dep. Moi : « Putain, tu connais G-Dep ?! ». Du coup je lui ai dit « Tu sais quoi ? On le fait. »

J’ai accepté de bosser avec lui car il avait mentionné des choses que je ne soupçonnais pas venant de lui. J’ai enregistré ses prises de voix en m’efforçant d’en tirer le meilleur parti. Ses prises n’étaient pas dingues mais on a fini par y arriver. Ensuite Method Man a posé sa partie. D’ailleurs à l’origine, l’instrumental était réalisé par Lethal. Le sample était déjà présent. En gros, j’ai pris ce sample en rejouant la partie qui fait « Du-du-du-dum ». Je l’ai trafiqué différemment, en ajoutant mes drums et mes scratchs. C’était vraiment un remix à partir d’une version de travail. Si tu regardes le vynile 12 pouces, tu verras qu’ils ont mis le mauvais instrumental, cette première version. Les drums sont bizarrement trop bas, par accident ils ont oublié d’intégrer les miens. Au final, l’album est devenu leur plus gros succès, ils ont du en vendre 5 millions d’exemplaires. Grâce à ça, mon pote Vic Black et moi avons pu aller sur le tournage du clip. On s’est saoulé au Hennessy sur le plateau. Et en prime, Limp Bizkit m’a demandé d’animer leur soirée pyjama à la Playboy Mansion. Mon pote Headquarterz, paix à son âme, nous avait accompagné et s’est fait jeté par deux fois !  Il y a du beau monde, des mecs comme Leonardo DiCaprio et tout… Et moi, je passais du Ghostface ! Les mecs m’avaient demandé de rester 100% hip-hop. Il y avait des pin-ups Playboy dans tous les coins, et on a les photos pour le prouver ! C’est un bon souvenir. Je n’aurai sans doute jamais l’occasion d’être invité à nouveau à la Playboy Mansion, mais j’ai pu rencontrer Hugh Hefner ! J’ai fait des photos avec lui, il faisait genre [prenant une voix nasillarde] « Thank God for ‘Nookie’ ! » [rires].

Fat Joe – The Elephant in a room 2008

Je connais Joe depuis des années. Je l’ai rencontré par l’intermédiaire de Showbiz et Lord Finesse. C’est une affaire de famille, le DITC, alors il peut appeler quand il veut… En plus, il m’a fait signer un deal mortel chez Atlantic Records via Terror Squad. Je sais que l’album n’a jamais vu le jour mais Joe n’a jamais rien remis en question. C’est le seul mec à m’avoir jamais accordé un deal avec une major où, dans le cas où ils voudraient se séparer de lui mais souhaiteraient me garder seul, mon contrat serait automatiquement dénoncé. Qui d’autre te filerait un contrat pareil ? Si jamais ils avaient voulu me garder à la place de Joe, ça aurait été genre « C’est bon, on t’a filé ta thune« . Mais non : s’il se fait virer, je me barre avec lui. Et ça, c’est un deal qui défonce.

Nas – I am… 1998

I am…, c’est l’album avec ‘Nas is like’, c’est ça ? Et ‘New York State of Mind pt. 2’ aussi, ouais. Le bon truc avec celui-là, c’est que, parmi tous les albums de Nas, je n’avais jamais obtenu de single, et j’en avais toujours voulu un. Je voulais que ‘New York State of Mind’ soit un single. Je voulais que ‘Represent’ soit un single. ‘I gave you power’ avait bien failli devenir un single et être clippé, mais c’est tombé pile au moment où ils ont commencé à ôter les flingues des vidéos. Nas n’a pas pu trouver le moyen de tourner le clip de sorte que ça puisse fonctionner à l’image. En ce temps-là, il n’y avait pas YouTube, sinon on aurait quand même fait le clip. Nas a donc du changer d’avis. Mais quand il a fait l’album I am…, il m’a dit « Yo, tu as le premier single, je vais tourner le clip à Queensbridge, juste à l’endroit où j’ai grandi. Il y a quelqu’un d’autre qui y habite maintenant mais il nous a donné l’autorisation de filmer« . Donc on est tous allé à Queensbridge, on a tourné le clip avec tout ce monde et c’était dans la boîte. De toute ma carrière, c’est l’un de mes morceaux préférés.

Charlie Baltimore – Cold as Ice 1999

Je l’ai rencontré avec Biggie à Daddy’s House. Lui et moi on faisait une pause, et je me rappelle qu’elle était assise sur ses genoux, toute occupée à l’embrasser dans le cou. Il faisait « Yo, elle c’est ma nouvelle meuf« . Alors moi : « Ha ouais ?« . « Ouais, elle s’appelle Charlie Baltimore et en plus elle sait rapper ! » Moi : « Ha ouais… ». Tout ce qu’elle avait, c’était qu’elle était sexy, avec ses petits tatouages sur les jambes, tous ces trucs-là… En gros l’histoire c’est ça, elle a fini par me faire écouter ce qu’elle faisait. Vu qu’à l’époque tout le monde roulait avec Biggie, voilà un peu comment la connexion s’est faite.

Cee-Lo Green… is the Soul Machine 2004

Cee-Lo est passé me voir en studio car il était de passage à New York. Je le connaissais depuis longtemps car j’allais souvent à Atlanta à l’époque. Je connaissais Dallas Austin du temps où il était propriétaire de Rowdy Records, on avait bossé ensemble pour l’un de ses groupes, deux petits gamins qui s’appelaient… [il cherche, puis son manager lui glisse le nom] Illegal, voilà. Une fois, j’étais allé voir un showcase de Goodie Mob. J’étais un fan de Cee-Lo et de l’ensemble du groupe : Khujo, Gipp, tous. Mais j’avais remarqué le talent de Cee-Lo en tant que rappeur et chanteur. Quand il est venu me voir à New York, j’avais un sample qui tournait et il m’a dit « Fais juste tourner ce truc en boucle, ne mets même pas de beat par-dessus, je veux que toutes les parties soient assemblées ensemble« . C’est ce que j’ai fait, et il est rentré chez lui avec le son. Il a travaillé les pistes de son côté. Sur la version de l’album, ils ont ajouté tout un tas de trucs que je n’avais pas incorporé au départ. Ça m’a foutu en rogne qu’il fasse un truc pareil. Aujourd’hui, on est en bons termes mais quand il s’agit de ma musique, je ne me laisse pas faire. Et là, ça ne sonnait pas comme ce que j’avais fait au départ. J’ai la version mixée sans tous ces trucs en plus. Mais bon, au final, le message est passé et il n’y a pas de mauvais sang entre nous. Cee-Lo a même enregistré un titre pour Forbid, l’un des artistes de la Gangstarr Foundation. Le morceau s’appelle ‘How I feel’. Il a tellement d’émotion, il s’est vraiment donné à fond. Il a aussi posé des voix pour Da Ranjahz – le morceau s’appelle ‘Inspiration’. En fait ça me revient : il était à New York pour faire ce titre-là, et c’est comme ça que la connexion a eu lieu pour notre morceau.

Termanology – Politics as Usual 2008

Term’ est un bon pote. Un gamin de Lawrence, Massachussets, près de Boston. Ce gosse, il ne rappe pas à moitié. Il aime le hip-hop du fond du cœur, il ne rigole pas avec la rime et à chaque fois que j’entends l’un de ses nouveaux morceaux, je vois qu’il n’arrête pas de progresser. C’est Static Selektah qui m’avait branché sur lui il y a pas mal de temps. Il n’arrêtait pas de me lancer des dédicaces. Quand je l’ai rencontré, il s’est révélé être exactement fidèle ce qu’il disait être : un MC doué et concentré sur ses affaires. Je respecte ça, c’est un vrai gars.

Jeru the Damaja – The Sun Rises in the East 1994

Jeru, c’est la Gangstarr Foundation, donc bosser avec lui était l’évidence même. Il a été présent dès les prémices de Gangstarr. En ce temps-là Forbid était là, il y avait aussi Lil’ Dap et Melacchi the Nut Cracker de Group Home, Shug qui sortait de prison, et Jeru faisait déjà partie du décor. Après le carton qu’avait été ‘Come clean’, on savait qu’on était obligé de faire de l’album un classique. Et on y est carrément arrivé. Je me souviens que Biggie nous disait « Les mecs, si jamais vous décidez de faire un clip pour ‘Brooklyn took it’, laissez-moi me poser juste à côté de vous, rien que pour flamber devant la caméra et prendre l’air DUR ! » Je n’oublierai jamais la fois où Biggie m’a vu à l’angle de Fulton Street et Washington Avenue. Il a traversé et m’a dit « Qu’est-ce que je dois faire pour faire ma thune car toi tu y arrives grave !« . Je roulais dans une BMW Midnight Blue 525, avec un levier de vitesses, la transmission manuelle et un intérieur boisé en cuir blanc. La totale, personne ne pouvait tester. Moi et Jeru, on roulait dans le quartier, et Biggie nous avait littéralement couru après ! Puff et lui commençaient tout juste à ce moment-là. Il n’avait pu me payer que 5000$ pour faire ‘Unbelievable’ et ça a fini par être mon premier single disque d’or. Mais il a pu me payer en bonne et due forme sur Life After Death. Dommage qu’il ne soit plus parmi nous aujourd’hui, mais sa musique reste.

Screwball – Y2K The Album 2000

Oh, wow… Ce disque là ! [montrant Blaq Poet, assis à côté de lui] Tu vois, ce mec juste là, j’en suis fan depuis 1986, quand il bossait avec Noel Rockwell sur ‘Beat you down’. Il a été le premier à avoir les couilles de répondre à KRS-One et Boogie Down Production après ‘The Bridge is Over’. Je n’ai jamais entendu quelqu’un d’autre avoir le culot qu’il a eu pour dire ce qu’il a dit. En voyant ça, j’ai pensé « Wouah, il n’a pas peur ce mec !« . En ce temps-là, on pensait que BDP étaient des intouchables. « Mon Dieu, tu oses t’attaquer à eux ?! » Mais lui, il se foutait de leur manquer de respect. Alors de ça à ‘PHD’ avec Hot Day jusqu’à Screwball – une pensée à KL qui nous a quittés – c’était obligé qu’on se lance ensemble sur son album solo. J’ai toujours admiré Poet, c’est pour ça qu’il m’accompagne aujourd’hui. Je suis un fan, et j’ai la chance en tant que fan de sortir son album ! C’est un rêve qui devient réalité. J’ai l’impression d’avoir gagné un concours : « Sors un disque avec l’artiste que tu aimes« . Et pour moi, cet artiste, c’est Poet. Janvier 2009, The Blaqprint !

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