Chronique

Nas
I Am…

Columbia Records - 1999

Il y a des albums dont on préfèrerait ne pas parler. On les évite, on fait semblant de ne pas les voir mais ces salauds vous reviennent toujours dans les pattes. Alors ils vous fixent avec leurs grands yeux humides et leurs têtes de chiens battus, l’air de dire : « Pourquoi tu m’esquives ? Je pue ?« . Eh bien oui, tu pues, mais allons-y quand même puisque c’est ce que tu veux.

I am… de Nas, donc. Sorti deux ans après le semi-échec commercial et musical de The Firm, ce troisième solo du rappeur de Queensbridge devait à l’origine être un double album ; Nas préféra finalement le scinder en deux, se réservant la sortie du second LP, Nastradamus, pour la fin de la même année 1999. C’est aussi pour lui l’occasion d’enfiler son deuxième déguisement. Après avoir été simplement lui-même (ou ce qu’on souhaiterait qu’il soit) le temps d’un classique intemporel et d’un bon second album, Nas s’était pris au jeu du rappeur-mafioso avec mandolines, costards et cigares. Le voilà à présent pharaon. Il muera plus tard en prédicateur visionnaire, puis très humblement en fils de Dieu.

Mettons les choses au clair : I am… est le plus mauvais disque de Nasir Jones. Pas un disque complètement pourri, Nas étant, dixit un journaliste de feu Radikal, trop talentueux pour cela, mais une œuvre faisant malgré tout tache dans sa discographie. Qu’y a-t-il donc de si honteux dans ce joli boîtier en plastique ? (Presque) Rien de véritablement scandaleux mais pléthore de titres plats et convenus, recyclages de concepts aussi originaux qu’un nanar de Charles Bronson – c’est dire. Pour être tout à fait honnête, seuls trois morceaux, quatre ou cinq en étant large, sauvent cet album d’une revente immédiate au Cash Converters du coin.

L’écoute de I am…, c’est avant tout l’histoire d’une longue traversée du désert ponctuée de coups d’éclat géniaux (deux pour être précis : ‘N.Y. state of mind pt.2’ et ‘Nas is like’ produits par DJ Premier) et de sursauts d’orgueil salvateurs (‘Small World’, ‘Big Things’ et, dans une moindre mesure, ‘Money is my bitch’ et ‘Undying Love’). Le reste n’est malheureusement qu’avalanche de plans plus ou moins foireux, avec une gestion des refrains particulièrement désastreuse.

Tout avait pourtant bien commencé avec le successeur du ‘N.Y. state of mind’ d’Illmatic, toujours produit par un Primo au top, Nas lâchant un texte dans la droite lignée de ses esquisses new-yorkaises classiques le mettant en scène dans les rues de QB (« I’m at the gamblin’ spot, my hands on a knot, New York Yankee cap cover my eyes, stand in one spot… »). Mais dès ‘Hate me now’ l’auditeur commence à douter. Illustrant parfaitement la situation de Nas à la fin des années 90, oeuvre d’un artiste coincé entre la rue et les charts sans trop savoir sur quel pied danser – entre ‘Nas is Like’ et ‘Dr. Knockboot’, ‘N.Y. State of Mind’ et ‘Money is my bitch’ – ce morceau prend, au regard de sa carrière, une résonance particulière : il définit complètement le personnage, qui semble traîner son premier album comme un bagnard traînerait son boulet. Avec ‘Hate me now’ Nas entend se libérer des critiques et des reproches : se sentant victime d’incompréhension, ce morceau est celui d’une explosion. Malheureusement, la forme choisie dessert le propos : trop de grandiloquence (le clip christique, le refrain de Puff Daddy, l’instru…) rendent le morceau agaçant. Le reste confirme ces premiers doutes : hommage ennuyeux et convenu (‘We will survive’), chant de révolte entre deux coupes de champagne (‘Ghetto Prisoners’), morceau club gavant (‘You won’t see me tonight’), protest-song de studio (‘I want to talk to you’), variante rap de ‘La bite à Dudule’ des fins de banquets (‘Dr. Knockboot’)… DMX a beau japper de tout son cœur sur ‘Life is what you make it’, il n’arrange rien.

C’est donc dans un état de consternation compréhensible, bien qu’adouci par un ‘Big Things’ courageux joliment produit par Alvin West, que Mr. DJ Premier vient cueillir l’auditeur. On ne prendra pas un gros risque en affirmant qu’il sauve l’album en deux prods, tirant par la même occasion Nas de sa torpeur. Dès le kick inaugural de ‘Nas is like’ le sourire revient. Tous les ingrédients chers au maître new-yorkais sont là : samples ciselés, beat fracassant, refrain scratché nerveusement. Nas se lance alors dans un de ces egotrips cosmiques enflammés dont il a le secret, et signe la tuerie que l’on connaît.

Après cet heureux intermède, l’album s’écoule sur le même faux-rythme qu’il avait commencé : un ‘K.I.SS.I.N.G’ guimauvesque gluant, un ‘Money is my Bitch’ porté par un bon beat et un rap énergique mais plombé par sa thématique matérialiste peu imaginative et un ‘Undying Love’ sympathique, voire même très bon, concluant I am… de manière symbolique et significative puisqu’en partie gâché par un pauvre refrain chanté. Mais c’est là pinailler ; quand on a subi les pistes 6 à 11 et malgré tout passé l’épreuve, on ne s’arrête plus à ce genre de détails.

Les fameux fans de la première heure avaient crié à l’hérésie à l’écoute de certains titres de It was written. Le projet The Firm n’avait pas vraiment de quoi les rassurer. Leurs appréhensions quant au contenu de I am… sont justifiées : à quelques exceptions près, prods et raps semblent creux et
insipides ; par euphémisme, disons que ce disque n’est pas terrible. Étrangement, en 1999, Nas paraît embourbé dans son succès et sa notoriété, ne parvenant pas à s’arracher pour donner le meilleur de lui-même et emporter ainsi l’adhésion de la « base » et du grand public, au contraire d’un autre MC new-yorkais, originaire de Marcy et alors en pleine ascension.

Indéniablement décevant, I am… conserve malgré cela un intérêt non négligeable : celui d’avoir valeur de borne, de jalon sur l’ensemble de la carrière de Nas ; un intérêt historique en somme. Le temps des fines esquisses et des premiers succès passé, le MC s’attaque alors aux gros tubes. Rêvant sans doute son troisième album comme le blockbuster satisfaisant tout le monde, il ne réalise au final qu’un disque hésitant et pataud, qui paraît trébucher sans cesse.

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1 commentaire

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  • Beber,

    Yo Man,je lis ton article avec stupeur,car je suis un fan de Nas et ça m écorche de lire ton pseudo commentaire virulent,lol
    Je trouve bien qu il ne soit pas parfaitement abouti cet album mais c quand même une grosse tuerie,cites moi un album excepté un Busta « Genesis » ou un Dre « 2001 »,que tu peux écouter de but en blanc sans qu il y est un titre « nase ».sachant que Dre est pas seul sur cet album…
    Ce n’ est pas son meilleur opus mais loin d être le pire du hip-hop à l’ ancienne comme j appel ça.
    J’ai aussi « the firm » et c est aussi du bon son,je comprends pas ton antipathique comment sur Nas et ces deux albums..
    Réécoute les deux nouveaux,je y écris en écoutant kissing et franchement c est de « la bombe bébé »
    Tchuss