L’oeil de Greg & Lio
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L’oeil de Greg & Lio

« Qui sont donc ces Greg & Lio crédités à la réalisation ? » C’est la question que tout le monde s’est posé après la mise en ligne du clip de « Or Noir » de Kaaris. Alors qu’ils viennent tout juste de sortir leur dernière vidéo pour Patrice, nous sommes allés à la rencontre de ces deux mecs profondément ambitieux.

Dès que le clip de « Or Noir » a été rendu disponible sur la toile, tout le microcosme rap s’est posé la même question : qui étaient les mystérieux Greg & Lio crédités à la réalisation de ce petit ovni ? La curiosité était encore plus grande après la publication de l’article des Haterz qui décryptait en long et en large une vidéo à plusieurs lectures. Sauf que les deux compères n’en étaient pas à leurs premiers faits d’armes, loin de là. Entre un clip pour Jenifer et des pubs pour Puma, ils s’étaient surtout fait remarquer ces dernières années pour le clip non-officiel de « Niggas in Paris » et celui de « Jimmy » sur le dernier album de Booba. Alors qu’ils viennent tout juste de sortir leur dernier clip pour Patrice, nous avons rencontré ces deux mecs profondément ambitieux.

La rencontre

Lionel : On s’est rencontré à l’ESRA, une école d’audiovisuel. On a fait notre école à Paris mais, à la base, on vient de Strasbourg tous les deux ce qui a créé des liens. D’ailleurs, il y a une anecdote marrante à ce sujet : c’est Bigmoneymakers [NDLR : groupe de rock] qui nous a présenté, quelqu’un qu’on a clippé quelques années après. On était dans la même classe, on avait les mêmes centres d’intérêt, les mêmes influences.

Greg : On n’était pas forcément chaud pour commencer par un court-métrage avec des dialogues. On voulait travailler l’image tout en conservant l’aspect narratif que peut avoir un court-métrage. On est des enfants de tous les travaux de Chris Cunningham ou de Spike Jonze. Ce sont des réalisateurs qui avaient vraiment leur style. J’étais fan des soirées MTV où ils diffusaient des top 100 de clips… Et les 15-20 premiers étaient toujours réalisés par les mêmes mecs ! Les clips, c’est un secteur où tu peux raconter une histoire de manière super originale. C’est comme ça qu’on a fait le clip de Kn1ght. À cette époque, on bossait chacun de notre côté sur des tournages et, à chaque fois, on se disait qu’on aurait fait différemment des gens en place. C’est comme ça qu’on a décidé de travailler ensemble. Philippe Lioret [NDLR : réalisateur de plusieurs films nommés aux César] était venu donner une interview à l’ESRA. Il disait qu’il avait commencé en tant qu’ingénieur du son et que, souvent, les dialogues sonnaient faux dans ses oreilles. C’est en se disant qu’il pourrait faire mieux qu’il s’est décidé à réaliser. Ça m’avait marqué parce que je pense que c’était pareil pour nous.

Influences

L : Il y a un clip qui nous a marqué tous les deux et qui continue de nous influencer dans l’écriture de nos projets. C’est « Smack my bitch up » de Prodigy. Ça se ressent d’ailleurs dans notre clip non-officiel de « Salades, tomates, oignons ».

G : Même quand on fait des playbacks, on ne peut pas s’empêcher de raconter une histoire avec un début, un milieu et une fin. C’est aussi pour ça qu’on garde des velléités de réaliser un court et/ou un long-métrage. Lionel kiffait vraiment Tarantino, moi je kiffais Scorsese à mort et ce sont deux réalisateurs qui sont super influencés par la musique. Les séquences des films de Scorsese que je préfère sont des séquences musicales : Harvey Keitel bourré dans Mean Streets avec « Rubber Biscuit » derrière, la scène dans Les Affranchis où Ray Liotta montre le restaurant à sa meuf avec la musique de The Crystals… Inconsciemment, ces scènes ont dû nous influencer. D’un seul coup, le film prend une autre ampleur et il se passe vraiment quelque chose à l’image.
Ce sont des gens qui nous influencent. Quand on fait le clip de « Jimmy », j’ai en tête le making-of du Labyrinthe de Pan où Guillermo Del Toro casse les couilles à toute son équipe pour que les éléments du décor soient dans une gamme bien précise de couleur… On ne peut pas faire ça à notre échelle mais on a cassé les couilles à la déco pour qu’on s’oriente vers un stylisme très précis, un peu à la The Wire. Le Labyrinthe de Pan est un trucs les plus forts visuellement de ces 20 dernières années, on en parlera encore dans 30 ans… Bien sûr, on n’a pas cette ambition là pour nos clips mais on s’inspire de ce travail. Récemment, un pote m’a dit qu’il avait revu la scène de fin de « Jimmy », qu’il était persuadé qu’il y avait un cut et qu’il a pété un câble quand il s’est rendu compte que c’était un plan-séquence. Quand des gens viennent nous dire ça, on se dit qu’on a gagné.

« Niggas in Paris »

L : On venait de faire le clip de Jenifer, on avait fait celui de Yohann Malory juste avant et on recevait de plus en plus d’appels d’offres pour des clips. C’était souvent pour des artistes qu’on n’écoutait pas et on n’était pas à l’aise là-dedans. On arrive à cette période où l’album commun de Jay Z et Kanye est annoncé, il n’y a qu’un tracklist de disponible et on se dit qu’il faudrait faire un autre clip non-officiel après celui de « Salades, tomates, oignons ». Dès que je vois la tracklist, je dis à Greg qu’il faut faire le clip de « Niggas in Paris ». On a écrit énormément de scénarios et ça a pris beaucoup de temps. Justement, au fil des concerts, le morceau a commencé à devenir un énorme tube. Quand on s’arrête enfin sur un scénario, un pote nous envoie la news comme quoi le clip officiel va sortir d’ici trois jours. Forcément, on est dégoûté… Le clip est finalement sorti et on a été rassuré parce qu’il n’avait rien à voir avec ce qu’on avait en tête.
Quand on a eu l’idée des géants, on nous a dit que les Rolling Stones l’avaient déjà fait avec « Love is Strong » et, du coup, c’est un clip qu’on a un peu étudié avant de passer à l’action. Depuis longtemps, on voulait faire quelque chose sur le jour et la nuit et on s’est dit qu’un personnage représenterait le jour et l’autre la nuit.

G : Pendant le passage à l’Hôtel de Ville, il y a aussi une grosse référence à L’Empire des Lumières de Magritte. C’est un des seuls peintres qu’on a en commun. Ensuite, il a fallu trouver des acteurs… D’ailleurs, je crois que l’annonce pour le casting est encore en ligne sur le net ! On avait demandé aux candidats de regarder plusieurs clips de Jay Z et Kanye avant le casting et il y a vraiment eu une évidence pour les deux qui ont été sélectionnés. Sans que ça ressemble parfaitement, il y avait le même type d’énergie. On a pris un mec super balaise pour interpréter Jay Z alors que Jay Z commence à avoir un peu de ventre… Mais, justement, le fait qu’il soit balaise collait bien avec l’idée du clip.
C’était aussi une époque où je redécouvrais pas mal Big L et on se disait que ce serait bien de rendre un hommage aux rappeurs disparus. D’où le fait qu’on voit des images de rappeurs morts défiler sur le mur du Panthéon… Et c’était parfait parce que ça donnait vraiment le sentiment que les Ricains débarquaient à Paris et s’appropriaient la ville. D’ailleurs, on a reçu des mails de fous à cause de ça. On connait tous le signe de Jay Z, celui du Roc qui s’apparente au triangle des Illuminati. Comme on aperçoit Tupac dans le clip, qui se faisait surnommer Killuminati, il y a des gens qui ont dit « ah mais putain, ils sont contents que Tupac soit mort ! » Les mecs vont super loin. Je ne les lis plus et les supprime directement mais, encore aujourd’hui, je reçois environ trois à quatre mails par jours de notifications qui m’indiquent que des mecs ont commenté la vidéo en mettant « Illuminati » à telle minute du clip.

« Jimmy »

G : On avait été mis en relation avec Booba après « Salades, tomates, oignons » parce qu’on voulait le rendre officiel. C’est après le clip de « Niggas in Paris » que Booba est revenu à la charge. Par contre, on ne sait absolument pas pourquoi il nous a appelé précisément pour « Jimmy ». Si ça n’avait tenu qu’à moi, on aurait fait « Kalash » ! En tout cas, on s’est approprié le son depuis.
Au départ, ce qu’on avait en tête c’est que, quand Jimmy braque la station service par exemple, la caméra serait juste passée devant Booba en train de rapper sans forcément le calculer. Il devait apparaître dans chaque séquence sur le trajet de Jimmy comme s’il était une sorte de narrateur invisible. Finalement, c’est une idée qu’on a utilisée sur le clip de Patrice qui sortira prochainement. Comme Booba n’a pas pu être là, on a eu l’idée de faire apparaître le titre de ses albums. Il fallait qu’il y ait sa patte. On a cherché à transformer cette contrainte en atout. En tout cas, ça n’est pas compliqué de travailler avec Booba. Plein de rappeurs nous ont contacté pour des clips en nous disant exactement ce qu’ils voulaient. On leur répondait immédiatement que ça ne nous intéressait pas de travailler comme ça. C’est pas une question de prétention, c’est juste qu’on ne sait pas travailler sur commande comme ça. On avait travaillé comme ça sur le clip de Jenifer et, au final, c’est un des clips qui nous ressemble le moins parce qu’on a essayé de faire plaisir. Quand tu essayes de faire plaisir à tout le monde, ton produit devient impersonnel et tu ne plais plus à personne. C’est un clip qu’on a filmé enfermé dans un studio et, ça aussi, ça ne nous ressemble pas. On veut vraiment que notre travail s’inscrive dans le réel. Quand on sortira le clip de Patrice, je pense que notre patte se sentira vraiment, on aura une vraie quadrilogie de clips cohérents avec « Niggas in Paris », « Jimmy » et « Or Noir ».
D’ailleurs, par rapport au premier scénario envoyé, il n’y a qu’un élément qu’il a changé. Initialement, quand Jimmy bouscule un policier au début, on voulait qu’il ait une lame avec laquelle il blesse le policier pour pouvoir s’enfuir et, dans l’idée, c’était ce policier qui tuerait Jimmy à la fin. Booba nous a dit : « Jimmy vient d’arriver du Sénégal, il peut pas direct schlasser un keuf… Vous voulez dire que les Sénégalais sont tous violents ? » [Rire] On s’est dit que sa remarque sur le couteau était juste et on ne l’a pas mis dans le clip. C’était plus compliqué de travailler avec Jenifer qu’avec Booba parce que ça n’était pas notre univers mais surtout parce qu’il y avait tout le label derrière. Il y avait un énorme cahier des charges, tout le monde avait son mot à dire, il fallait que ce soit accessible… Alors que Booba nous avait dit « envoyez-moi un pitch et on en reparle ». On adore The Wire, on a voulu faire un clip à la The Wire… On se disait que Booba ne pouvait pas détester notre scénario. On n’a pas dit à Booba : « il y a un mec qui arrive avec un fusil », on lui a dit : « il y a un mec qui arrive avec un fusil et une gabardine, à la Omar. » On savait que ça allait lui parler. Avec Jenifer, il fallait que ce soit coloré, il fallait qu’il y ait de la danse… Je pense que si elle nous rappelait aujourd’hui, ça se passerait aussi différemment. On a plus d’expérience et on serait plus en mesure d’imposer nos idées.

L : Il y a des gens autour de Booba mais il reste le vrai décisionnaire.

« Or Noir »

G : L’équipe de Kaaris nous a contacté après avoir uniquement vu « Jimmy », ils n’avaient même pas vu le clip de « Niggas in Paris ». Ils nous ont fixé un rendez-vous pour qu’on leur décrive la manière dont on imaginait le clip. Ce qu’on voit à l’image, c’est à 80% ce qu’on avait en tête et ce dont on avait discuté pendant cette première réunion. On voulait que ce soit sombre, qu’il pleuve du pétrole, on avait l’idée de la caméra qui tourne… On a toujours aimé les effets avec les caméras qui tournent et ça collait parfaitement au geste de Kaaris. Kaaris et Therapy nous ont écouté et ont validé nos idées. Kaaris nous avait dit un truc : « j’m’en bats les couilles de ce que vous faites mais je veux que les gens chialent à la fin ! » C’est aussi pour ça qu’on a écrit une sorte de tragédie.
Il y a pas mal de références à La Haine dans le clip et je pense que c’est un des films que j’ai le plus regardé. Casino, Les Affranchis et La Haine, ce sont les films que je regardais en boucle quand j’étais ado. D’ailleurs, même si on fait ouvertement référence au film de Kassovitz dans le clip, on ne l’a pas revu pour l’occasion. On l’a fait en se basant uniquement sur nos souvenirs.

L : Kaaris avait des idées en tête pour ce clip, notamment une avec sa dépouille qui serait renvoyée en Côte d’Ivoire. On en a discuté mais il n’a rien imposé en tout cas. Il nous a vraiment fait confiance. En tout cas, c’est beaucoup plus simple de travailler avec des gens dont tu apprécies la musique. Booba et Kaaris se sont bien trouvés parce qu’ils développent un univers super riche au travers de leurs écritures et ça nous inspire beaucoup. Il y a beaucoup de références dans ce clip et c’est quelque chose qu’on inclue naturellement. On adore redécouvrir des détails dans des films, des clins d’oeil. On n’a pas envie que les spectateurs soient passifs devant nos clips. On aime bien inclure des petits « jeux ». On avait commencé sur le clip de Don Rimini avec toutes les images salaces. Sur le Net, les gens ont commencé à le remarquer, à faire des captures d’écran des images salaces… On trouvait ça cool que les spectateurs soient actifs. Et puis, on adore mettre des clins d’oeil : les lunettes de la fille en mode Lolita dans « Niggas in Paris » par exemple.

Derniers coups de coeurs

G : En 2013, on a apprécié le travail de Henry Scholfield. C’est le mec qui a réalisé « Tous les mêmes » de Stromae et « Your drums your love » de AlunaGeorge. C’est pas forcément notre délire mais il est très fort. Il travaille beaucoup avec des danseurs et on a retrouvé dans ses clips des idées qu’on avait depuis super longtemps mais qu’on n’avait encore jamais concrétisées. Il y a eu aussi « No games » de Rick Ross et Future. Dedans, il y a plein de trucs qu’on kiffe : une voiture qui brûle, un espèce de truc symétrique derrière lui avec les armes… Après, il y a des plans un peu pétés mais on s’est dit que c’est un peu le clip qu’on ferait si on décidait de baisser notre slip et que Rick Ross nous donnait beaucoup d’argent et nous disant « il faut qu’on voit des meufs et mon ventre » [Rire].

L : En 2013, je retiens aussi Drake avec « Started from the bottom ». Le plan avec la neige au début, c’est mortel. Sinon, il y a eu « Formidable » de Stromae. Techniquement, il n’y a rien mais le concept est fou. Il y a eu une vraie réflexion en amont. L’idée marketing derrière est géniale et c’est un défi pour plus tard : associer une belle idée marketing à un clip de qualité.

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3 commentaires

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  • […] nous faire bouder le plaisir de visionner ce clip encore réalisé de main de maître par le duo Greg & Lio à qui l'on doit entre autre le clip de "Basique". Flanqué de son alter égo prépubère, Orel […]

  • […] l’excellente interview de l’Abcdrduson à lire pour en savoir plus sur les réalisateurs Greg & […]

  • KadA,

    Excellente interview. C’est la première interview qu’on trouve d’eux sur le net ? Ils sont assez discret, on aimerait toujours en savoir plus. Par exemple le prix du clip « jimmy » ou « or noir », le nombre de jours de tournage, s’ils ont prévu d’autres clip pour booba ? Surtout une question me brûle les lèvres : vu qu’ils ont fait apparaître le nom de chaque albums de booba dans l’ordre dans « jimmy », est-ce que le « 7 » sur le t-shirt du jeune jimmy à la fin (3’25 ») annonce le titre du prochain album ? Et que veut dire « MTCE » toujours avec le « 7 » (1’10 ») sur le tableau électrique ?