Le bruit de mon âme : l’avant-première
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Le bruit de mon âme : l’avant-première

Nous avons été conviés à une écoute du deuxième album de Kaaris, qui sortira le 30 mars prochain. Voilà un aperçu de la bête.

L’écoute presse du deuxième album de Kaaris, Le bruit de mon âme avait lieu le jeudi 5 mars, 15 heures, au studio de La Seine, dans le 12e arrondissement de Paris. Officiellement, je suis présent pour le compte du magazine IHH International Hip Hop. Mais quand même, l’Abcdr représente. J’ai joué des pieds et des mains auprès du boss pour pouvoir en être et je vais sûrement cravacher jusqu’à 21 heures ce soir mais tant pis. Rien que pour écouter Kaaris crier « je suis dans le carré bande d’enculés » sur des grosses enceintes, ça vaudra forcément le coup.

Je suis un peu en avance. Je croise Emma – l’attachée de presse – dans la rue et nous sommes les premiers à arriver sur place. Petite frayeur lorsqu’elle se rend compte que l’album n’est ni au studio, ni dans son sac. Est-ce que je vais vraiment retourner au taf la queue entre les jambes ? Heureusement une demoiselle, dont j’ignore la fonction chez Def Jam France, nous l’apportera quelques minutes plus tard. Il est 15 heures pile et Mehdi, qui lui vient pour le compte de l’Abcdr, me rejoint. On discute de l’émission avec Joe Lucazz, d’Ali, de Rocca et plus globalement de ce début d’année incroyablement chargé en sorties rap français. Le temps de voir débarquer quelques têtes plus ou moins connues (Fif de Booska-P, Olivier Cachin sur lequel nous n’aurons, malheureusement, aucun visuel durant cette écoute), que tout le monde se déleste de son smartphone, et le disque était lancé. Tracklisting sur les genoux, cahier Oxford dans les mains.

« Kadirov »

« Back To The Future. » Comme c’était déjà le cas pour son prédécesseur, c’est par ces quatre mots que débute Le bruit de mon âme. L’instrumental est pesant, et l’entrée en matière est impressionnante. Quand j’ai vu « Kadirov » sur le tracklisting, j’ai trouvé ça mignon à dire. « Kadirov ». En fait c’est mignon comme un dirigeant tchétchène, ça porte une kalachnikov et ça arrose sans broncher dans les grandes largeurs. « Ce rap est mon putain de terrain de jeu, Kim Jong II » : le ton est donné, on sait déjà qu’on va s’amuser durant la prochaine heure. À un moment, Kaaris parle d’applaudir avec les fesses. On s’est retenus pour le principe, mais l’envie y était.

« Se-vrak »

« Four »

[Nom, masculin] Appareil faisant subir une chaleur intense aux choses qui sont dedans.

À ce moment-là, j’ignore comment le studio tout entier ne se casse pas la gueule. Le niveau des basses est ha-llu-ci-nant. Ça rappelle le Enta Da Stage des Black Moon. Ça défonce. On connaissait tout l’amour du rappeur de Sevran pour la cuisine mais là, ce morceau est une immense boucherie. Dans le petit guide Michelin du rap, c’est chef Kaaris au fourneau dans un hôtel 270 étoiles. Assertion ultime de la prise de pouvoir (et gros pouf de rire pour nous) : « Si tu veux baiser avec Riskaa, tu dois d’abord sucer un de mes gars ». Je voudrais bien ajouter quelque chose, mais je ne vois pas quoi.

« 80 ZETREI »

« El Chapo » ft. Lacrim

Flow en deux temps, d’abord régulé puis largement accéléré, soutenu par Lacrim venu pousser la chansonnette. Il y beaucoup de références sudistes bien placées chez Kaaris. Après Lil Boosie dans « Binks » : « la beuh me casse la voix comme Yo Gotti. » Ça change des rappeurs français qui ne parlent que de Rick Ross. Sinon, le K double A s’attribue le titre de « plus grand baron de la drogue de tous les temps » (dans la vraie vie affublé à l’honorable Joaquín Guzmán) mais milite quand même contre les contrôles de papiers abusifs (« Jugé à la gueule comme Patrick Dils »). « Fuck Tony fuck Sosa fuck Pablo, vient dire bonjour à El Chapo. » Globalement il nous rappelle, au cas où on l’aurait oublié depuis le morceau précédent, son inattaquable suprématie. On se croirait dans Breaking Bad, saison 5, épisode 7 : « Say my name ». Question : Scarface et Tony Montana seraient-ils enfin passés de mode en 2015 ?

« Zone de transit »

Nouvelle référence américaine et maligne : « chasse les rêves comme Meek Mill », en renvoi à la série des tapes Dreamchasers. Kaaris en a sous la pédale. Avec son instrumental aérien mais pas trop léger quand même, sa voix presque doucereuse, « Zone de transit » est à ranger aux côtés de « Or noir » et de quelques autres dans la catégorie des morceaux cœur d’artichaut. « Tu peux me flatter, je m’ennuie partout ». Quand il cite Fellini, on a un petit pincement au cœur et une grosse pensée pour De Palma. Puis on réalise qu’en fait il y avait une rime pour Tony et Many trente secondes avant. Réponse : peut-être pas.

« Trap »

Sûrement blasé de voir les deux-tiers du rap français se mettre à entonner la musique des États du Sud (« Dès que je fais une sieste, tu fais de la trap »), Kaaris décide d’enterrer le débat une bonne fois pour toutes. Ce qui va sûrement lui valoir de devenir le nouveau point Godwin du rap (« Je suis pas sur le son, ça parle de moi dans les commentaires »). Il lâche en lousedé un « je défouraille comme Tony. » Putain, c’est donc pas encore fini cette histoire.

« Crystal » ft. Future

« Tripoli »

Derrière la production évidemment pesante, il y a une espèce de petite mélodie guillerette qui vient (un peu) égayer l’ensemble. Kaaris parle grosso-modo de « malaxer de la C, même frelatée la bazarder » et de buter tout le monde. Du coup sur cet instrumental, ça a l’air de l’amuser encore plus que d’habitude. « Sabre laser à l’échographie », « La putain de ta grand-mère » : la famille est au complet, la prestation est boobaesque.

« Magnum »

NB : Tony et Many sont de retour, again. Les mecs sont indestructibles. Mais comme la phase est cool, ça va, on pardonne.

« Vie sauvage » ft. 13 Block

Là, on tient un truc intéressant. Si la prestation des 13 Block n’a rien d’incroyable en soi, les mecs sont tellement échauffés et leur rythme tellement effréné que Kaaris se sent obligé d’augmenter le level. Du coup, il est encore plus énervé que d’habitude (c’est à dire très létal). Il faut dire que la production de Therapy, bestiale, aux accents limite punk, appelle clairement à la sauvagerie. Pendant ce temps les MC’s, eux, « pissent le sang dans les toilettes des dames ». A part ça, Kaaris n’a que de l’amour pour Lefa de la Sexion d’Assaut et le montre via deux déclarations enflammées : « J’préfère mourir plutôt qu’un homme me touche la bite » et « J’préfère avoir du sang sur les mains plutôt que du sperme sur la langue. »

« Le bruit de mon âme »

« Les oiseaux »

Je ne retiens pas grand-chose de ce morceau, somme toute assez dispensable à l’ensemble. La production ne décolle pas vraiment, et sur le coup j’ai un peu de mal à comprendre cette histoire d’oiseaux. Kaaris y livre tout de même l’une des phrases les plus humaines du disque : « Seul le souvenir ou le regard de la daronne peut me faire verser des larmes. » Un peu moins décent, il « encule le prix Goncourt et le Renaudot ». On repense alors à une phrase de « Kadirov » : « Je maîtrise la langue de Molière mieux que maître Capello. » Kaaris serait-il en quête de la reconnaissance de son écriture ? Une chose est sûre, il va l’arracher, pas la mendier.

« Mentalité cailleras »

D’une manière globale, on remarque que Kaaris élargie sa palette sur cet album et tente beaucoup de choses en terme de flow, d’accélération, de chant. Ici, l’instrumental file comme une balle de Famas. Et Kaaris rappe vite, très vite. Ce n’est pas facile de tout suivre. Il est de nouveau très énervé. Il troque sa grosse queue de loup-garou contre une grosse queue de canasson. On mise sur une grosse queue de baleine bleue pour le troisième album.

« Comme Gucci Mane »

« Voyageur » ft. Blacko

On ne va pas se mentir : dès le départ, on était un peu fébrile à l’idée d’en arriver à cette seizième piste. Il se trouve que le morceau passe plutôt bien. Un peu comme « Zone de transit », l’instrumental a quelque chose de planant et le refrain de Blacko, au final, s’insère assez adroitement dans l’ensemble. Il a aussi le mérite de redonner un peu d’humanité à Kaaris (« Je ne suis qu’un homme »), qu’on avait fini par prendre pour une bête sanguinaire mi-homme mi-hyène.

« Situation » ft. Ixzo & Solo le Mythe

Comme pour « Vie Sauvage », on remarque une nouvelle fois que les prestations enragées de Ixzo et Solo le Mythe poussent Kaaris à gonfler son verbe et ses pecs jusqu’à se faire sauter le t-shirt. Ça donne envie de le mettre à côté de Casey, juste pour voir ce qu’il se passe. Pour le reste c’est un festival de références, pleines d’amour et de bon goût, où il est notamment question d’une virée sur Namek avec Végéta, de kidnapper RoboCop et de tiraillement intérieur (« Les Dents de la Mer ou la chatte à ta mère, je sais pas ce qui me fait le plus flipper »).

« Le temps »

« Je sors de Jumanji avec du Givenchy. » L’album avait très bien démarré, il finit sur un véritable morceau de bravoure. Avec son atmosphère de fin du monde, ses claquements emphatiques, ses sons de cloches sentencieuses, « Le temps » est une conclusion parfaite, à la fois sauvage et solennelle. J’ai d’ailleurs été tellement pris dedans que je n’ai pas noté grand-chose et que je n’ai rien d’autre à dire dessus. « Le temps c’est de l’argent, met de la coke dans ton sablier. »

Verdict

Puisque je dois rapidement retourner au bureau avant de me faire flageller par mon patron, les échanges avec les autres journalistes tourneront court. Pour faire simple, j’ai l’impression qu’on ressort tous de la salle comme on serait ressorti d’un match de boxe avec Yvan Drago : mis à mal par la cruauté et la barbarie sans limite de la machine de guerre qui se trouve en face de nous, mais quand même content d’être venus.

Avec Mehdi, on a le temps d’échanger un peu dans le métro avant de se quitter à République. On se dit que c’était le feu. Il y a des longueurs, des morceaux dispensables, des répétitions. Mais c’était le feu. Parce que Kaaris rappe foutrement bien, que Therapy (semble t-il à l’origine d’au moins 90% de la production) fait un quasi sans faute, et que la démesure de l’ensemble est quand même extrêmement jouissive. On est notamment d’accord sur deux choses. Un : « Four » défouraille comme Tony sévèrement. Deux : l’album est sauvage, brut(al) et va, encore, faire couler le sang, l’urine et l’encre par litrons. Rendez-vous le 30 mars pour écouter Le bruit de mon âme ou la cacophonie du concassement.

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8 commentaires

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  • Lefti,

    De manière générale, j’ai beaucoup de respect pour les artistes et les journalistes qui font leur taf. Comme dit l’adage les goûts et couleurs ne se discutent pas et ne sont pas sujets à débat mais tout de même… .
    J’ai du mal à saisir comment l’on peut encenser un tel album et qui plus est un tel personnage. Si nous essayons d’être objectif à l’écoute des paroles on est en droit de se dire, mince c’est sacrement répétitif, cela parle et reparle toujours des même choses avec les même rimes placées de manière différentes, avec des pseudo « punchline » (ce mot est devenu tellement à la mode) mais le tout reste vide de sens.
    Quand, je cite, que la phase la plus humaine de l’album s’avère être: « Seul le souvenir ou le regard de la daronne peut me faire verser des larmes. » on est à nouveau en droit de se dire et bien cela promet… .
    Vraiment, j’ai du mal à comprendre tout cet engouement autour de ceci et plus généralement autour de ce « rap » qui est plus un dérivé au son qui nous a vu grandir.
    Mon commentaire risque de passer pour celui de quelqu’un qui n’accepte pas d’évoluer avec son temps mais objectivement dans le paysage français il y a tellement de meilleurs choses qui mériteraient tellement vos éloges et bien non on retrouve Kaaris porter au rang de génie avec un album qui est exactement à l’image de ce que les majors réclament…

  • Xtombtz,

    Ça manque quand même cruellement d’originalité et je préfère l’original à la copie. Même les clips sont pompés sur Booba au niveau prise de vue, mimiques,… sauf sont mouvement de tête un peu chelou. Bref de ce que j’ai écouté j’ai trouvé ça mauvais. Il dit être dans le rap depuis l’époque Atari, encore un qui s’invente un parcours parce qu’il a posé 3 fois en 10 ans. De la poudre aux yeux. le seul point positif est de voir un rappeur avec un maillot de l’Equipe de France 🙂

  • hugra,

    rick ross a imposé le port de la barbe. le reste c’est b2O v2012, même certaines phases. on voit plein de copies depuis 15ans, c’est marqué sur votre site. d’accord, l’original est en fin de cycle mais vous faites pitié à porter ce type aux nues juste parce qu’il joue le jeu d’un autre comme si WWE et rap game c’est la meme. comme dit B.HO  » Quand il y en a un, ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes »

  • Joe,

    Ce n’est pas du tout un reproche mais juste pour préciser que Therapy n’est pas une personne mais un duo.
    On peut les comparer aux Neptunes dans le sens ou il y a un leader (Mehdi alias 2093 dans le role de Pharrell) et un travailleur de l’ombre (Chichi alias 2031 dans celui de Chad).
    Merci pour l’article et les impressions en tout cas !

  • David²,

    Pour répondre à ta question, j’ai choisi de ne pas commenter les singles par souci de concision, et aussi parce qu’on a déjà parlé d’eux dans divers sidekicks. Concrètement, ils s’insèrent bien dans l’ensemble (même 80 ZETREI que je trouve assez faible). Après non, tous les morceaux ne sont pas meilleurs que les extraits. Il y a de vrais moments de bravoure, et aussi des moments plus quelconques (même si ça ne se voit pas forcément dans la description titre par titre). Mais l’impression globale est très bonne. Voilà pour les précisions.

  • vins,

    Super article, hâte d’écouter l’album !

  • Axel,

    « Le temps c’est de l’argent met de la coke dans mon sablier » C’est pas à quelques mots prêt ce que dit Booba dans RTC ?

  • CacaPartout,

    Bonjour, pourquoi n’avez vous pas commenté les single, afin que l’on puisse situer les autres titres. Car d’après votre article, tous les morceaux semblent bien meilleur que les extraits. Ce qui serait assez surprenant, puisque d’habitude, la promotion d’un album se fait avec les bastos. Merci d’avance !