JP Manova : sortir de l’ombre
Présentation

JP Manova : sortir de l’ombre

Avec la sortie de « Longueur d’Onde », JP Manova lance enfin sa carrière en solo. Et si ce sont MC Solaar, Ekoué, Rocé, Daddy Lord C, Flynt et Deen Burbigo qui vous le présentent, c’est probablement que JP est l’un des secrets le mieux gardé du rap français. Du moins jusqu’à maintenant.

C’était au mois de mai. On a reçu un mail de JP Manova, rappeur habitué aux featurings dont les couplets mettent des baffes. Problème : en 16 ans, on peut carrément compter ses apparitions sur les doigts des deux mains (en faisant un effort), et finalement, de JP Manova, hormis qu’il est fort, on ne sait rien. Même pas si le projet qu’il nous annonce sera à la hauteur des saillies de « 1 Pour la Plume version équipe » ou plus récemment d' »Actuel » avec Rocé et « Tombe la Neige » chez Omar & Nodey. Alors pour en savoir plus, on a fait trois choses : on a réclamé des sons, on a rencontré le MC qui se dit enfin prêt à sortir de l’ombre, et on a demandé à son entourage rapologique de le raconter un peu. C’était sur le tournage du clip Longueur d’Onde, qu’on vous dévoile aujourd’hui, et c’est une double introduction au personnage.

JP Manova présenté par… Ekoué, MC Solaar, Rocé, Daddy Lord C, Deen Burbigo et Flynt.

« On baroudait ensemble dans toutes les soirées de Paris, puis en rentrant, on rappait. C’est d’ailleurs JP qui devait faire le refrain de « Le Cuir Usé d’une Valise. »

Ekoué, La Rumeur Photo par David LS Photographie

« JP est un ami, un vrai. C’est un intime, au-delà de la question du rap. On s’est rencontré à la sortie de l’Hopital Éphémère vers 1996, juste après la sortie du Premier Volet [de La Rumeur, NDLR]. On s’est mis à faire le chemin du retour ensemble. On a parlé, il s’est mis à rapper. Et à l’époque j’avais déjà trouvé ça juste ouf. À la base, c’est certainement un des rappeurs de notre génération qui n’a pas eu le succès qu’il mérite, qui est resté planqué. Je ne sais pas pourquoi il est resté bien caché comme ça alors que c’est quelqu’un qui chante, qui compose, qui est ingé-son, qui est cultivé et féru de littérature. Il a un regard intelligent, une vraie façon de voir la musique, mais ça vaut aussi pour la culture, la politique. C’est assez impressionnant. Par exemple, il m’a beaucoup appris sur la Caraïbe, sur les Antilles. Il est hyper érudit sur la question ! Il a un morceau sur Thomas Sankara. Là, tu comprends qu’il est calé, qu’il considère que la question de l’histoire du peuple noir outrepasse quelque-part le cadre Caribéen. Il est sur l’héritage. On est sur le panafricanisme, la caraïbe, mais pas que ! Et à côté de ça, c’est aussi quelqu’un qui peut te déclamer du Brel. J’ai toujours eu des discussions passionnantes avec JP, que ce soit sur de grands auteurs français ou l’histoire. Il est plein de tout ça. Et quand tu vois le niveau de médiocrité dans lequel était le rap dans les années 2000, quand tu vois Skyrock et le niveau dans lequel il fallait évoluer, je comprends que le mec se soit dit : « À quoi bon ? » Nous [La Rumeur, NDLR] à l’époque on était dans un combat. On était contre ça. On crachait sur ce qu’on considérait comme des imposteurs. On était articulé autour de ça. Lui il était au-dessus de tout ça. Il voulait faire de la musique et de la bonne musique. J’allais le voir à Barbès. Il mettait la musique vachement en avant, notamment au studio Salam Alaykoum où il a enregistré plein de petits gars. C’est l’une des raisons pour laquelle on a vraiment eu des échanges et des discussions. Et à côté de ça, on a baroudé, on a fait toutes les soirées de Paris ensemble pendant une période. C’était mon associé. Je l’appelle Ike ! [rires] C’est vraiment un ami. De 19 à 25 ans, on sortait tout le temps. Des bons vivants ! Et on rentrait le soir, on rappait. On a fait des morceaux ensemble. Ils ne sont jamais sortis mais on les a faits. C’est d’ailleurs lui qui devait faire le refrain de « Le Cuir Usé d’une Valise ». Franchement, je ne fais plus de clips, plus de featurings, je me consacre à mes films, à La Rumeur et à mes trucs. Et là tu vois, j’ai traversé tout Paris en métro pour être là. C’est un ami. »

« Je le croisais près de l’Hôpital Éphémère, puis je l’ai vu réapparaitre avec un morceau super stylé dans Les Liaisons Dangereuses de Gynéco. »

MC Solaar Photo par David LS Photographie

« JP traînait à côté de chez moi, dans le XVIIème vers la Fourche, à l’époque où La Cliqua officiait dans le quartier, un petit peu après l’Hôpital Éphémère [squat d’artistes dans les années 80/90, autour duquel ont gravité de nombreux groupes, dont certains de rap, NDLR]. Il rappait déjà, avec ce style de rap assez psychologique, intelligent, une envie de faire passer un message. On ne se voyait pas régulièrement mais à chaque fois qu’on se croisait, il y avait des choses qui restaient en tête. On s’est recroisés plusieurs fois en soirées hip-hop et je l’ai vu réapparaitre avec un morceau super stylé dans Les Liaisons Dangereuses de Gynéco. J’ai toujours beaucoup de plaisir à le croiser. Pourquoi ? Car c’est d’abord un enfant du rap, mais c’est aussi quelqu’un qui a une grosse culture. Je ne sais pas où il l’a eu, je me demande d’ailleurs encore où est-ce qu’il l’a obtenue. Mais ça a toujours donné des échanges super larges. Tu peux parler avec lui aussi bien de Brel que de la Variété, de jazz, de soul. Il comprend aussi l’anglais. C’est assez curieux, il est vraiment à part. [A propos de la référence à La Concubine de l’Hémoglobine dans le morceau « Longueur d’Onde »] Je ne m’y attendais pas ! Mais c’est un clin d’oeil. JP est quelqu’un qui respecte. Dans les choses que j’entends de lui, je remarque qu’il fait souvent des dédicaces à l’Histoire. Dans un titre, il fait référence à la production de Solo « Clic clic, je n’ai plus de balles » [référence au morceau « Panne Sèche » de Polo sur Hostile Records, NDLR]. Dans un autre, il donne du respect à Rockin’ Squatt. Je pense qu’il respecte l’histoire de cette musique. Je pense que sa facette de beatmaker y est aussi pour beaucoup. Tu sens dans son approche et dans son égo qu’il a ce retrait propre à beaucoup de producteurs. Il parle à d’autres, il communique. Et je pense qu’il y a encore beaucoup d’autres facettes de lui à découvrir. Jusqu’à maintenant, JP a volontairement ne pas voulu aller trop vite. Je crois qu’il est calé dans certaines lectures, notamment Deborienne [néologisme pour parler de Guy Debord, NDLR]. Si je parle de ça, c’est que Guy Debord a beaucoup réfléchi à la société du spectacle. Faut-il l’intégrer ? Comment l’intégrer ? Est-ce qu’on est un pantin ? Etc. Ces questions sont très importantes. Il faut savoir où l’on va. Je pense que JP a cet espèce de truc qui dit : prenons notre temps, essayons de comprendre, ne nous dénaturons pas. Quelque part, avec ses rares apparitions, il a peut-être été un peu un monstre du Loch Ness. Mais il a des fans, il ne leur en a peut-être pas trop donné jusqu’à maintenant, mais je pense que ça ne va que servir sa musique. »

« On s’est rencontrés sur des missions d’intérim. Pour reprendre une de ses phrases : on a toujours pensé au plan B avant de penser au plan A.  »

Rocé Photo par David LS Photographie

« Quand j’ai invité JP sur mon dernier disque, c’était d’abord parce que je suis fan. Mais c’est aussi parce que sur les featurings que je fais sur mes projets, c’est du long terme, c’est à dire que j’aime à penser que je peux réécouter mes disques dix ans après. Rien que le titre et le thème du morceau [« Actuel », NDLR] parle de tout ça. On est conscients de notre âge, on sait qu’on n’est pas la nouvelle vague du rap, mais des MCs on en a vus aussi passer un paquet. Pour beaucoup de gens c’est très dur de se réactualiser, mais en fait, c’est juste la qualité qui te permet de réactualiser. C’est ça être actuel. Les phénomènes de mode ne restent pas.  Et ayant vu un nombre assez important de carrières qui se sont écroulées ou qui ont réussi, parfois les deux, ça permet aussi d’avoir du recul, de mieux appréhender les choses. Ça te donne tout pour créer ta propre maturité, ton propre style, ta propre singularité. JP c’est l’exemple type de ça. Il a quelque chose bien à lui, de solide, du genre qui sait où il va et avec un style unique. Il a réussi à allier fraîcheur et expérience, et s’il n’a pas encore joué sa carte, il a désormais tout ce qu’il faut pour y aller. Alors c’est très bien qu’il arrive. Et puis ce sont des amitiés que je cherche aussi à mettre en avant. On s’est rencontrés sur des missions d’intérim. On a commencé à bosser tous les deux très tôt. Malgré des amitiés communes dans le hip-hop, c’est au taf qu’on s’est vraiment connus en fait. Tu sais, ce n’est pas un secret, tu en croises pas mal des rappeurs en intérim ! La seule différence, c’est que nous on l’a toujours assumé de se servir de nos mains. Pour reprendre une phrase qui est de lui : « on a toujours pensé au plan B avant de penser au plan A. » Nous on est encore là, et on aime encore refaire le rap entre nous. »

« JP c’est aussi un boxeur, et quand t’es un boxeur tu peux tout faire. On ne boxe pas avec les mots mais avec ses poings. Par contre, on se défend avec les mots. »

Daddy Lord C Photo par Nicolas Verny

« JP c’est un bon kicker, et c’est un vrai. Il a toujours été honnête, sincère. C’est un mec de la street mais qui a toujours su rester lui-même. Pourtant il pourrait se la raconter, il connaît le ter-ter, il connaît du monde, la preuve il me connaît. C’est un vrai frère, je connais son entourage familial, c’est un bon mari. C’est un bon mec. Tu sais quoi ? Quand tu fais du rap, c’est pour le peuple. Alors tu ne peux pas changer. Si ça marche :  tant mieux. Mais tu le fais d’abord pour le peuple. C’est une musique disponible pour tout le monde. Moi j’essaie d’être accessible à tout le monde. Je remplis des salles mais ce n’est pas pour ça que je suis devenu inaccessible. JP représente tout ça. Et en plus il écrit bien, son rap est intelligent. On a besoin du rap bête et méchant, parce qu’il en faut aussi, mais le rap de Djeep, c’est du rap intelligent et c’est important. J’espère que les gens écouteront bien ses paroles. En plus, JP c’est aussi un boxeur, on s’est même entraînés ensemble, et quand t’es un boxeur tu peux tout faire. Le pera c’est pareil. On ne boxe pas avec les mots mais avec ses poings. Par contre, on se défend avec les mots, avec son attitude et son devenir. Il y en a beaucoup qui ont des mots mais ça ne suit pas derrière. Le sportif complet, c’est celui qui a tout, qui a la vista, le style, la performance. Pour moi, le MC c’est pareil, c’est celui qui a tout : l’attitude, le style, le sérieux, savoir répondre quand il faut, savoir traîner avec qu’il faut, avec les bons, même avec les mauvais, et rester soi-même. Pas quelqu’un qu’on peut influencer. Tu vois ce que je veux dire ? JP il a tout ça. Après nous on fait du rap, on n’est pas des curés, ni des prêtres. Mais il faut toucher la vérité. La vérité, rien que la vérité. »

« Quand j’ai vu ses dizaines de morceaux mixés et prêts, je l’ai insulté. Mais qu’est-ce qui t’arrive d’avoir des morceaux comme ça et de ne pas les sortir ? »

Deen Burbigo Photo par Pilou Guetta & Nicolas Verny

« Pour moi, JP, c’est d’abord une rencontre en tant qu’auditeur. Je l’ai découvert sur Explicit Dixhuit. Son morceau m’avait énormément marqué. Il alliait style, voix et discours au delà de l’égotrip ou du life style. Et là où vraiment je me suis dit « oh putain, le mec est vraiment fort », c’est sur « 1 Pour la Plume Version Équipe » dans l’album de Flynt. Là, je me suis dit : ce mec, je l’entends deux fois dans ma vie, deux fois il me baffe. Puis la connexion s’est faite par DJ Blaiz, qui prépare Appelle-moi MC 2. JP nous accueilli chez lui et on a préparé le morceau pour le projet. Quand il a ouvert son disque dur et que j’ai vu à l’intérieur les dizaines de morceaux mixés et prêts je l’ai insulté. « Mais qu’est-ce qui t’arrive d’avoir des morceaux comme ça et de ne pas les sortir ? » Je n’aime pas parler de consommation, mais on est dans une ère où on consomme de la musique. Même si tu veux arriver avec un classique intemporel, il faut une mise en marche. Si tu n’amènes pas de la matière, ça ne marchera pas. C’est un peu comme quand tu es au bord d’une piscine et que tu tournes autour pendant trois heures parce que tu trouves que l’eau est trop froide. Si tu ne te jettes pas, il ne va rien se passer ! Alors là, ce n’est que du positif que JP se jette enfin à l’eau. Dès que tu commences un peu à diffuser tes morceaux, tes clips, à faire de la scène, tu y prends goût en plus. Même si l’émulation est microscopique, à partir du moment où tu sais que tu es écouté, tu guettes, tu veux en redonner, il y a une addiction qui se crée. Tu veux booster le truc. Et vu comme il est productif, maintenant qu’il se décide à sortir ses morceaux, je pense qu’il va se prendre au jeu. Et pour moi, c’est comme quand je me retrouve sur les tournées Can I Kick It, à backer Cassidy sur « Retour aux Pyramides », à tourner avec Triptik, Rocca. C’est une vision des choses que l’on partage. On a l’envie de faire de la musique, de ne pas chercher à faire ce que tout le monde fait, et moi j’ai évidemment quelque chose à apprendre de toutes ses rencontres. Et que JP ne soit pas encore trop coté, ça ne change rien, au contraire. Pour moi c’est un artiste qui restera intemporel. On n’est pas tous au même endroit sur la frise chronologique du rap, mais on s’y retrouve quand même. »

« C’est lui qui a enregistré les voix de mon second maxi Comme sur un Playground. Tu vois ça date ! »

Flynt Photo par Philippe Dinh

« JP avait enregistré les voix de mon second maxi Comme sur un Playground. Tu vois ça date ! Je pense qu’il y a peu de gens qui sortent un premier album de rap à son âge mais il faut dire qu’il a quand même un « background » dans le rap et dans la musique en général, il ne vient pas d’arriver. Il connaît du monde et il a de l’expérience en tant qu’MC et en tant qu’ingénieur aussi. Il n’y a pas d’âge pour sortir un album de rap. Je pense que le rap n’est pas une musique exclusivement réservée aux jeunes, ce n’est pas qu’une musique de jeunes pour moi. Si ton rap correspond à ton âge, c’est l’essentiel. C’est maintenant qu’on va voir si les oldtimers peuvent tenir la route. Moi je me verrai bien encore faire des albums à 40, 50 ans et même après. Djeep, je me suis quand même souvent demandé ce qui se passait dans sa tête pour attendre aussi longtemps. Est-ce qu’il a eu peur d’y aller, est-ce qu’il n’était pas prêt ? Est-ce qu’il est trop perfectionniste ? Je me souviens de morceaux qu’il m’avait fait écouter il y a plus de dix ans. C’était vraiment bien. Bien tourné, bien écrit. Alors je suis content pour lui que son disque soit prêt, que ça aboutisse. Il faut qu’il récolte les fruits du travail qu’il fournit depuis des années et qu’il puisse vivre ce que la musique réserve de bien. Je lui ai souvent dit : « vas-y sors tes morceaux, faut que les gens t’entendent ». Il y a plein de choses qui rentrent en compte pour réussir à sortir un album de rap : la stratégie, le temps, l’argent, l’organisation, la productivité, l’entourage, les connexions et même la chance, entre autres. Mais pour les mecs comme nous, de là où on part, c’est la qualité de nos morceaux qui fait la différence. Il a beaucoup de cartes en main, donc il n’y a pas de raisons qu’il ne rencontre pas son public même si on ne sait jamais exactement comment une sortie va se passer, tu ne maîtrises jamais tout. Pour moi, son approche a toujours été un peu mystérieuse, il a du talent et il le garde trop pour lui. Paradoxalement, il n’y a pas eu à le convaincre lorsqu’on a collaboré ensemble sur « 1 Pour la Plume Version Équipe » et pour Explicit Dixhuit aussi. JP a une véritable aisance pour écrire enfin c’est comme ça que je le vois. Écrire ça a l’air simple pour lui. Même si il n’a pas sorti d’album, c’est quelqu’un qui est productif et pour moi qui suis peu productif en écriture je ne comprenais pas pourquoi il ne sortait pas ses morceaux. Ce qui est fort dans son rap c’est qu’il vise juste, c’est bien écrit. Quand il aborde un thème, il déroule et c’est toujours bien amené. Il est de ceux qui dégagent une facilité, alors que les choses simples restent souvent les plus dures à réaliser. Alors je lui souhaite bonne route et j’ai hâte de découvrir l’ensemble de l’œuvre. »

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