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La légende raconte que RZA s’était donné cinq ans pour amener le Wu-Tang Clan au sommet. C’était en 1992, à la sortie du maxi Protect Ya Neck. Un an plus tard sortait le classique Enter The Wu-Tang (36 Chambers). Et en 1997, la prophétie se réalisait : Wu-Tang Forever, le deuxième album du groupe, s’écoulait à 4 millions d’exemplaires, le point d’orgue de cinq années de conquêtes.
RZA voyait-il encore plus loin ? Récemment, le cerveau du Wu confiait avoir assuré son équipe qu’ils pourraient même viser la pérennité sur vingt ans. Mythologie de circonstance ou réalité ? Toujours est-il que nous sommes en 2013, Enter The Wu-Tang aura 20 ans demain, et le Wu-Tang est partout. Ou en tout cas, une certaine idée du Wu-Tang. 2013 a été l’année des clins d’œil au folklore shaolin, comme si le symbole Wu-Tang avait progressivement infusé dans l’inconscient collectif du rap et de la pop culture. Le groupe peut bien péricliter, son ombre n’a jamais été aussi nette. La preuve.
RZA dans Pacific Rim
Pacific Rim a l’ADN d’un film Wu-Tang. De la même façon que le Wu téléscope les folklores (rap, kung-fu, mafia…), le cinéaste Guillermo Del Toro a célébré dans ce gros blockbuster deux obsessions d’enfance : les films de monstres japonais et la culture du catch amateur au Mexique. La présence de RZA au générique est donc synchro avec son goût pour les assemblages d’influences et le cinéma de genre. Dans la grande lignée des superproductions-avec-un-morceau-de-rap-à-la-fin, le mentor du Wu rappe un couplet sur la chanson du générique, signée par une certaine Blake Perlman (accessoirement fille de Ron Perlman, acteur fétiche de Del Toro). Rien de bien mémorable, on vous l’accorde, mais cette apparition marque une continuité sympathique pour RZA : comme dans Ghost Dog ou Kill Bill, il semble créer un dialogue entre le Wu-Tang et Hollywood dans tous les films où il passe. — JB
Jay Z et RZA connectent (encore)

Question : parmi les nouveaux amis de Jay Z, qui a écouté Iron Flag ?
La relation entre Jay Z et le Wu-Tang a longtemps relevé de l’entente cordiale. Leur collaboration la plus concrète était restée la signature funeste d’ODB sur le label Roc-A-Fella en 2004, signature initiée par Damon Dash malgré les réticences de Jay Z. Tout arrive : depuis deux ans, la présence de RZA autour de Jay Z est plus apparente que jamais. Grâce à Kanye West, les deux s’étaient déjà croisés lors des sessions My Beautiful Dark Twisted Fantasy et Watch The Throne. Cette année, c’est un clin d’œil rare et explicite que Jay Z a adressé à RZA dans Magna Carta… Holy Grail. A croire que Shawn Carter écoutait Birth of a Prince en boucle avant d’entrer en studio, son premier couplet dans « Heaven » semble être tout droit sorti du bloc-notes de Robert Diggs : « Arm, leg, leg, arm, head – this is God body / Knowledge, wisdom, freedom, understanding, we just want our equality ». Le tout sur un instrumental plus Wu-Tang que le Wu, un sample-de-sample repris au producteur Adrian Younge, très influencé par RZA, qui a réalisé cette l’album Twelve Reasons to Die de Ghostface. « Heaven » fait donc office de mash up complétement improbable : Timbaland aux manettes, Justin Timberlake au refrain, Jay Z qui cite REM… et l’ombre tentaculaire du Wu-Tang sur chaque mesure. — JB
Les hommages de Drake
Depuis So Far Gone et ses hommages répétés à la scène texane en passant par sa déclaration d’amour faite à la Bay Area sur « The Motto », Drake s’est fait comme spécialité de rendre des hommages bien sentis à ses aînés. Nothing Was The Same, troisième album solo du Canadien, le voit lorgner du côté de Staten Island sur l’évident « Wu Tang Forever ». Plutôt romance que menace, le morceau est a priori à des kilomètres des légendaires productions rugueuses et désaccordées de RZA. C’est en fait au sample qu’il faut s’intéresser pour se rendre compte que Noah « 40 » Shebib, producteur du morceau et collaborateur privilégié de Drake, est allé piocher dans la dernière piste du premier CD issu du fameux double album du Wu-Tang, le bien nommé « Wu-Tang Forever ». Souvent jugé en comparaison d’Enter The Wu-Tang (36 chambers), Wu-Tang Forever est au groupe ce que It Was Written est à Nas. Et, à la manière de la deuxième galette de Nasir Jones, le disque est aujourd’hui en train de vivre une deuxième jeunesse. Tant mieux si Drake y est pour quelque chose. — Mehdi
The Man with the Iron Fists

Entre gros nanar et chef d’oeuvre.
Difficile d’avoir un avis franchement tranché sur The Man with the Iron fists, le premier long métrage réalisé par RZA. Accouché dans la douleur, il flirte parfois de près avec l’énorme nanar. Mais il faut prendre un peu de recul, le voir comme un hommage à ces films d’arts martiaux des années soixante-dix, aux sorties des Shaw Brothers et à cette esthétique hongkongaise régulièrement infusée dans la dynastie Wu-Tang Clan. Les personnages, les dialogues et la bande-son regorgent de clins d’œil plus ou moins explicites à cet héritage. Voir et revoir RZA en forgeron vengeur, c’est aussi se reprendre en pleine gueule Bobby Digital, « Shame on a nigga » et les parallèles entre les échecs et le combat au sabre. Forcément, quand on a eu le cerveau bouffé par l’équipée Shaolin, ça ressuscite des souvenirs. On porte du coup un regard à part sur un film pas franchement original… et pourtant tout sauf anodin. — Nicobbl
Danny Brown et le fantôme d’ODB
« Ol’ Dirty Bastard est la plus grande rock star de ces vingt dernières années ». Abcdrduson, 2007.
« I’mma die like a rockstar ». Danny Brown, 2011.
Dans un syllogisme foireux, la conclusion pourrait être : « Donc Danny Brown est Ol’Dirty Bastard ». Un rapprochement avec Russell Jones qu’a pourtant fait Brown lui-même sur « ODB », titre perché et finalement écarté de Old pour cause de droits sur le sample. S’il y a un rappeur qui rappelle Dirt McGirt, c’est bien Danny Brown : grimaces, dégaine d’épave sur une plage de cachetons, regard hagard, dentition hasardeuse, description étrange de leurs orgies sexuelles. Macklemore et Drake ont retenu de l’esprit Wu-Tang la débrouille pour fonder un empire ; Danny Brown, d’ODB, la capacité d’injecter dans l’énergie du rap une grosse dose d’absurde. « But in the end I’m just a dirty old man, with a pill in my mouth and my dick in my hand ». Le sale vieux bâtard n’aurait pas mieux postillonné. — Raphaël
RZA et Earl : le père et le fils
Ils n’ont aucun lien de parenté. Pourtant, Earl pourrait être le rejeton de RZA. Au moins son Jon Snow : un bâtard mis à l’écart, loin de tous, et revenu pour mieux récupérer son dû. Même timbre de voix rauque, mêmes affinités pour la boucle crade et brute, même vision sombre et embrumée. Doris, le premier album du sale gosse revenu des îles Samoa sonne comme une confirmation. La confirmation du test de paternité. Et si seul « Molasses » rassemble physiquement le père et le fils (caché), Doris porte le sceau de Prince Rakeem, avec un empilement lugubre et bordélique. Doris, c’est un appartement dévoré par les cafards, éclairé avec une minuscule bougie. Une succursale du Tical de Method Man – entièrement produit par RZA – avec une porte défoncée qui mène vers la trente-septième chambre. — Nicobbl
RZA, citoyen d’honneur britannique
En musique, il y a les collaborations dispensables, les collaborations un peu forcées, les collaborations prévisibles. Et puis, parfois, il y a une collaboration inattendue mais évidente, comme un petit miracle. La rencontre James Blake / RZA appartient à cette catégorie. RZA joue ici à la perfection son rôle d’ambassadeur mondial du Wu, à la croisée des genres et des continents. Lui et Blake n’ont ni le même âge, ni le même parcours, mais ils partagent un point commun : celui de célébrer la soul en la réduisant à une expression brute. Avec son clavier désaccordé et ce sample vocal transformé en cri, « Take A Fall for Me » fait une synthèse du son Wu-Tang tout en restant parfaitement cohérent avec le style James Blake. Si Danny Boyle décidait de faire un remake british de Ghost Dog, il saurait qui appeler pour la bande originale. — JB
RZA et Kid Cudi chassent les abeilles

Kid Cudi, probablement après que RZA lui ait proposé un polo Wu Wear
Indicud, troisième album solo de Kid Cudi, était un disque inégal. Dévoré par son ambition, Cudi ne parvenait pas à aller au bout de ses objectifs et à porter sur ses seules épaules – il a produit la totalité du disque – un projet qui, par ailleurs, ne manquait pas de belles idées. Laisser la part belle à RZA sur « Beez » en était évidemment une. Comme ce que fera Drake (décidément) un peu plus tard avec Jay Z sur « Pound Cake », Kid Cudi laisse deux couplets entiers au fondateur du Wu et n’intervient que pour un bref refrain. RZA, lui, rappe comme s’il était encore Prince Rakeem, avec la fougue et l’insolence d’un jeune rookie qui souhaite conquérir le monde et foutre la merde partout où il passe (« I does what the fuck I wanna do here, I splash that Gucci shit from the shirt to the shoewear »). Il est en tout cas rassurant de constater qu’entre deux projets audiovisuels, Robert Diggs prend le micro avec toujours autant de plaisir quand l’occasion se présente. Et qu’il n’hésite pas, à chaque fois, à brandir bien haut l’étendard du groupe new-yorkais. — Mehdi
Sunset Boulevard (Billy Wilder – 1950)
« Sunset Boulevard » raconte la fameuse histoire de cette actrice sur le déclin. Elle n’est plus aussi belle qu’à sa grande époque, les actrices plus jeunes veulent lui piquer sa place et elle le vit mal. Elle veut revenir dans le circuit mais les studios la traitent comme une antiquité. Le film est connu pour cette réplique : « Très bien, Monsieur DeMille, je suis prête pour mon gros plan« . Tout le monde la connaît ! Je crois que William Holden jouait dans ce film. Et l’actrice, comment s’appelle-t-elle ? Ha oui, Gloria Swanson. Dans ce film, j’ai adoré les costumes. Actuellement, j’essaie de développer pour mes projets un style à la croisée du hip-hop avec le 18e siècle. Des robes Renaissance, des gros bijoux, tous ces trucs… Dans « Sunset Boulevard », Gloria Swanson porte de vrais œuvres d’art sur son corps, chaque pièce est incroyable, y compris chez les hommes. J’ai adoré. Faudrait que je prenne le temps de le revoir à l’occasion.
Les Oiseaux (Alfred Hitchcock – 1963)
Les animaux et les insectes peuvent prendre le dessus sur nous à tout moment ! J’adore la nature choquante d’Hitchcock. Cette façon qu’il a de filmer les oiseaux avant qu’ils fondent sur la ville. J’ai toujours été attaché à ce film car il a été tourné dans la baie de Bodega, à côté de San Francisco. Moi qui vient du nord de la Californie, ça m’inspirait toujours de voir que des grands films avaient été tourné dans ce coin. Ma mère et moi, nous allions souvent à Bodega Bay pour faire du camping, là où des scènes du film avait été tournées.
Lolita (Stanley Kubrick – 1962)
J’aime « Lolita » pour les tabous qui entourent cette histoire : un vieil homme obsédé par une nymphette adolescente loue une chambre dans la propriété de sa mère pour se rapprocher d’elle. Et il va jusqu’à se marier avec la mère pour s’en rapprocher encore plus de la fille. C’est tellement tordu. Les enjeux dramatiques sont très forts, l’histoire prend plusieurs tournants vraiment réussis. Il faut voir le personnage de James Mason qui lutte avec cette ado au moment où elle commence à chercher son indépendance. Elle est très ingénieuse. C’est une manipulatrice qui prend son pied en jouant avec lui et son obsession. Je suis une grande fan de James Mason. Tout ce qu’il a pu faire à cette époque a retenu mon attention.
Fenêtre sur Cour (Alfred Hitchcock – 1954)
C’est l’histoire du type qui assiste à un meurtre depuis sa fenêtre. Ce n’est pas un film en noir et blanc – et Dieu sait que j’aime le noir et blanc – mais j’ai surtout accroché aux dialogues et au scénario. Il n’y a pas un élément particulier que j’aime dans ce film, mais si c’est un ton truc, tu passeras un bon moment en le regardant.
Pas de printemps pour Marnie (Alfred Hitchcock – 1964)
Je suis fan d’Alfred Hitchcock. Il a un œil remarquable et j’aime le frisson qui se dégage de ses films. Dans « Pas de printemps pour Marnie », Sean Connery joue le rôle principal. C’est un type important, chef d’entreprise, très riche. La fille, quant à elle, elle est un peu psychotique sur les bords. Elle passe d’un homme à l’autre pour leur voler leur argent. Sean Connery tombe amoureux d’elle. En gros, il lui dit « Tu vas devenir ma femme, tu auras beaucoup d’argent, tu vivras la belle vie car je vais prendre soin de toi comme un petit oiseau« . C’est quelque chose que j’adore dans les films de cette époque : les hommes et les femmes jouent chacun des rôles bien définis. Ça doit être la romantique en moi qui veut croire que les hommes puissent être capables de tenir leurs responsabilités. Ils sont des gardiens, c’est leur mission et ils la prennent très au sérieux. Les femmes jouent des rôles cousus de fil blanc, et je pense que j’aime ce film car la fille va systématiquement à l’opposé de ça. Elle, c’est un vrai cas psychiatrique. Je ne glorifie pas cet aspect-là, elle a franchement un grain. Mais j’ai adoré le mystère et le suspense qui entourent leur relation, et la façon dont ils jouent l’un avec l’autre.
Les cérémonies crématoires sont rarement joyeuses. Particulièrement quand elles viennent mettre un terme à une dynastie marquante. Attendu avec un mélange de curiosité et d’inquiétude, le cinquième album du collectif new-yorkais le plus influent des années quatre-vingt dix concède finalement peu de place aux alternatives et à l’interprétation. Passé quelques écoutes, il laisse tomber brutalement et sans équivoque un couperet qu’on savait tristement proche. 8 Diagrams ou la froide confirmation de la fin.
Alors évidemment, RZA, bien entouré pour l’occasion, n’est pas devenu brutalement un piètre producteur et les huit membres actifs du groupe d’obscurs seconds couteaux (exception faite de U-God, qui l’a finalement toujours été). 8 Diagrams n’est pas non plus le pire album de l’année écoulée ; on y retrouve quand même par instants quelques motifs de réjouissances. Method Man y rappelle qu’il n’est pas encore tout à fait cuit, Ghostface se fait rare mais reste tranchant à chacune de ses apparitions, et RZA, toujours charismatique micro en main, envoie aussi quelques productions loin d’être dégueulasses (‘Weak spot’, ‘The heart gently weeps’, ‘Windmill’). Mais quand on a atteint, défini et dépassé les sommets, on entretient une toute autre attente. Les miettes ne suffisent plus.
Il manque indéniablement beaucoup de choses à cet album pour rallumer la mèche et ressusciter la flamme perdue. A commencer par un minimum d’unité et d’émulation. Les sérieuses dissensions internes, querelles d’égo, et autres excès d’individualismes relayés publiquement depuis plusieurs mois, transparaissent tout au long de cette cinquième galette un peu moisie. Les arrangements, musicaux et humains, de RZA ne peuvent de toute façon tout corriger.
Des abeilles tueuses, aux extraits de films d’arts martiaux, affiliés habituels (Cappadonna, Streetlife), et autres gros samples de soul – ‘Nautilus’ (Bob James) sur ‘Take it back’, ‘There’s a riot goin’ on’ (Sly and the family stone) sur ‘Windwill’ – on retrouve bien quelques unes des références qui ont fait l’identité du Wu. Clin d’œil ultime à ces références, la participation posthume d’Ol’ Dirty sur un ’16th chamber’ sorti d’outre-tombe.
Mais le manque d’alchimie domine un ensemble qui se traine sur la longueur, plombé de surcroit par une surabondance de (mauvais) refrains chantés. En somme, les têtes de proue du Wu-Tang Clan ont, individuellement, de la réserve. C’est bien collectivement que le groupe ne fait plus front.
8 Diagrams n’est pas seulement un pétard mouillé hors de son époque. Il fait également état de l’érosion du temps tout en rappelant combien il peut être difficile de tourner définitivement la page. Il s’agit probablement du dernier album du Wu-Tang, et c’est finalement mieux comme ça.
Raz-de-marée sonore déboulant au début des années quatre-vingt dix, la constellation des étoiles Shaolin gravitant autour de RZA s’est lentement- mais très sûrement- éteinte ; jusqu’à devenir aujourd’hui, à quelques exceptions près, aussi insipide qu’un discours de François Hollande. Oui, l’heure est grave. Mais si la fin de règne a été annoncée, validée et confirmée depuis belle lurette, on n’évacue pas un tel traumatisme aussi facilement (un esthète avisé me souffle également qu’on ne s’achète pas non plus une BM’ en livrant des pizzas). Comme guidée par des repères générationnels pas forcement rationnels, la pupille de l’auditeur fanatique continue néanmoins à s’agiter, parfois discrètement, à l’évocation d’une nouvelle sortie frappée du sceau Wu-Tang Clan. Ouvrons l’œil, donc, et le bon (le mauvais c’est déjà fait).
Membre de la cellule de producteurs Wu Elements– en compagnie de Mathematics, 4th Disciple et True Master- depuis ‘Blowgun’, pièce rapportée isolée à Detroit, Bronze Nazareth n’est ni excentrique ni excessivement volubile. A défaut d’être un phénomène de foire, il est à l’origine de(s) deux coups de semonce mémorables sur Birth of a prince, ‘A day to god is 1000 years’ et ‘The birth’ semblant célébrer la naissance d’un prince qui n’était pas celui qu’on attendait. Egalement sur le pétard mouillé Wu-Tang meets the indie culture, et acteur, avec bien moins de réussite, Bronze Nazareth entend franchir aujourd’hui une nouvelle étape avec son premier album solo The Great Migration.
Lecture. Les premiers tours de sillons confirment d’emblée nos attentes. Sans surprise, Bronze Nazareth récite la partition du producteur/MC affilié au grand Pope Bobby Digital. Mêmes envolées de Soul, mêmes abeilles tueuses, même imagerie empruntée aux arts martiaux, et même équilibre entre spiritualité et spontanéité. Il pousse même le mimétisme à revisiter certains hymnes du Wu-Tang, dont le fameux ‘C.R.E.A.M.’ sur le posse-cut de seconds couteaux ‘$ (a.k.a Cash Rule)’. Si ses inspirations lorgnent clairement vers les standards du genre, souffrant du coup de la comparaison, elles ne manquent pas d’agiter par instants notre électrocardiogramme. Difficile de ne pas détacher ‘Hear what I say’, ‘The Pain’ ou encore ‘$ (a.k.a Cash Rule)’ qui tirent indéniablement l’ensemble vers le haut.
Habité par une approche d’artisan, à contre courant des multinationales du rap, Nazareth sait déjà qu’il n’aura ni cinq micros dans The Source, ni une place confortable dans la rotation de Hot 97 (‘Hear what I say’). Et il le proclame non sans un certain humour sur ‘Hear what I say’: « I’m so underground I play beats on the bones of Medgar Evers » ou « I’ll probably never be as big as Slim Shady or Jay-Z, even though I write vivid like I’m Homer the Greek« . Plein centre. Habile manipulateur du sampler, Bronze Nazareth s’avère bien moins brillant micro en main. Mais à défaut de convaincre pleinement, il réussit à planter son lot de banderilles et ce tout particulièrement lorsqu’il injecte du sens dans ses samples.
Sans réinventer la roue ni même égaler les quelques monolithes des années quatre vingt-dix, ce premier essai réussit par instants à ressusciter les plus belles heures d’une époque aujourd’hui lointaine. Un peu juste pour transformer le bronze en platine ou en or, mais bien assez pour hanter nos oreilles pendant un bon moment.
« Sur le papier, cela n’avait l’air de rien… Une pulsation, basson, cor de basset, un bandonéon rouillé qui miaule. Et soudain, haut perché, un hautbois – une seule note, flottant comme suspendue, jusqu’à ce qu’une clarinette vienne la reprendre et l’adoucir en une phrase de pur délice… C’était une musique exceptionnelle, empreinte d’une telle tension, d’un tel inépuisable désir, qu’il me semblait entendre la voix de Dieu« .
Cette tirade, extraite du film Amadeus de Milos Forman (1984), est attribuée à un compositeur contemporain de Wolfgang Amadeus Mozart, impuissant face au génie de son jeune rival… Pour qui s’est un jour imprégné de ce film, cette tirade est la première qui vient à l’esprit à l’écoute de ‘The birth’, pénultième morceau extrait de Birth of a Prince, de RZA. Certes, les ingrédients musicaux ont considérablement évolué depuis le siècle de Mozart – le synthétique supplantant peu à peu l’organique – mais l’impression d’assister à un miracle demeure la même… Miracle Wu-Tang, tout d’abord, inédit depuis l’indépassable ‘Rainy Dayz’ (1995) où, à la voix caverneuse de Blue Raspberry répondait une symphonie antédiluvienne mêlant orage menaçant, chant funèbre, croassements sinistres et extraits du film The Killer de John Woo (1989), symphonie sur laquelle Ghostface Killah puis Raekwon n’avaient plus qu’à déposer leurs couplets – vénéneux, forcément vénéneux -, l’ensemble s’achevant sur une pluie bienfaitrice longtemps attendue… Miracle Wu-Tang, encore, parce que cette boucle d’anthologie est produite par Bronze Nazareth, fils spirituel de celui qui se fait aujourd’hui appeler le Prince Ruler Zig-zag-zig Allah (« Arm-Leg-Leg-Arm-Head »). Mais surtout miracle RZA, enfin, tant le destin de ce dernier semble marqué du sceau de la prophétie de l’oracle.
Le titre Birth of a Prince n’est aucunement anodin. Il est la résultante de quinze années étonnantes, qui peuvent se découper par cycles de cinq.
Premier cycle de cinq années : 1988-1993. Impliqué dans une fusillade, le jeune Robert Diggs Jr. échappe par miracle – il est le premier surpris, parce qu’il se sait coupable – à une lourde peine de prison. Il vit son acquittement comme une seconde chance, qu’il ne laissera pas passer. Visionnaire, il consacre ces cinq années à poser les jalons d’un vaste plan de conquête du monde depuis son quartier-général de Staten Island, NYC, qu’il rebaptise Shaolin.
Le plan élaboré, débute alors le deuxième cycle de cinq années. 1993-1998 : Robert Diggs Jr. est devenu RZA, a.k.a. Prince Rakeem Zig-zag-zig Allah. Il est le cerveau, le Wolfgang Amadeus, le gourou du Wu-Tang Clan, mystérieuse entité d’une dizaine de MC new-yorkais alliant vécu asphaltique et passion commune pour les films d’arts martiaux underground. Leur rap martial étonne, bétonne et détonne. Alternant savamment opus collectifs et projets plus personnels, les autoproclamées « abeilles tueuses » quadrillent la planète. C’est là le deuxième miracle de RZA.
1998-2003 : à son tour RZA tente l’aventure solo. Cependant, fin stratège, il prend soin auparavant de faire courir le bruit d’un monumental album solo en gestation. Le foetus s’intitule The Cure, et ne verra le jour qu’une fois que lui, Robert Diggs Jr., en aura fini avec les démons qui l’habitent. Pour ce faire, il sort ses deux projets solos sous le pseudo de Bobby Digital, Bobby émergeant sous Robert, Digital sous Diggs… Bobby Digital-le-terrien incarne tout le côté hédoniste, matérialiste et lubrique que RZA-l’aérien (qui se fait aussi appeler Rzarector, les jours de grand beau temps, ou encore The Abbott, les soirs d’orage) refoule… Parallèlement à cette cure psychanalytique de schizophrène assumé, et tandis que l’aventure Wu-Tang continue, RZA poursuit son destin miraculeux : il signe en quelques jours la B.O. du lévitatif Ghost Dog, The Way of The Samuraï de Jim Jarmusch (1999), qui lui vaut une pluie de louanges dépassant largement le cadre de la communauté hip-hop ; forme de jeunes producteurs au « son Wu-Tang« , faisant d’eux des disciples loyaux et inventifs (cf. l’instru de folie de Allah Mathematics sur ‘Fam (members only’, en 2002) ; entame un tour d’Europe du rap dont il revient avec un projet démiurgique, The world according to RZA, premier volet d’une série devant le conduire à terme aux quatre coins de la planète.
C’est au sortir de ce troisième cycle que paraît Birth of a Prince. Enregistré en catimini entre juin et septembre 2003 – alors que RZA était attendu du côté de chez Quentin Tarantino -, annoncé seulement quinze jours avant sa sortie, cet album de seize titres paraît à maints égards augurer d’une nouvelle ère. En effet, outre un changement de maison de disques, il s’agit d’abord du premier projet solo que Robert Diggs Jr. signe sous son nom de RZA ; ensuite, c’est la première fois que les lyrics apparaissent dans un livret du Wu, ce qui peut être interprété comme une volonté de transmission, de compréhension ; enfin, la liste de remerciements en fin de livret a quelque chose de testamentaire et d’oecuménique – y sont mentionnés, entre autres, Dr. Dre, les magazines Source et XXL, ainsi qu’un certain Sifu Shi Yam Ming, remercié pour lui avoir « révélé l’approche martiale de (ses) principes mentaux« … Le tout indépendamment du fait que The Cure y soit à nouveau annoncé comme étant imminent.
Dès l’ouverture de l’album, le ton est donné. Une voix soul inocule, une minute durant, une énergie positive similaire à celle que Louis Armstrong dégageait avec son ‘What a wonderful world’ : « You know how I feel… Sun in the sky (…) It’s a new day, it’s a new life… « … La naissance du Prince va bien nous être narrée. Il faudra cependant s’armer de patience, car il est très vite visible que RZA n’en a pas encore tout à fait terminé avec son turbulent alter-égo Bobby Digital. Celui-ci vient d’ailleurs brutalement coller un bâillon à la voix soul du début, dégager à coups de batte de base-ball les chaises, tables et ronds-de-cuir qui entravent ses mouvements épileptiques pour venir mettre le feu à la piste en un ‘Bob n’I’ diaboliquement efficace produit par José « Choco » Reynoso, qui résonne comme un lointain écho au fameux ‘B.O.B.B.Y.’ qui ouvrait le Bobby Digital in Stereo de 1998, de faux-airs de ‘Protect Ya Neck (The jump off)’ (2000) en plus.
Dans la liste de remerciements qui clôt le livret joint au disque apparaît également le nom du cinéaste John Woo… Rien d’étonnant, tant il y a du Castor Troy en RZA-Bobby durant les premiers tracks de l’album, véritable succession de volte-faces. Depuis l’atmosphère starskyethutchienne de ‘The Grunge’ – ou, au passage, deux producteurs bien connus se font littéralement tagger leur jet privé avec un assassin « Y’all floss like y’all was Jay Z’s and Puffies » -, qui n’est pas sans rappeler le sauvage ‘In the hood’ (2001), jusqu’aux plus dispensables ‘Drink, smoke + fcuk’ ou ‘Fast cars’, produit par Truemaster. Dans ce dernier titre, Ghostface Killah effectue d’ailleurs une prestation très en deçà de ses récents faits d’armes.
A sa décharge, il convient de mentionner que le tueur au visage fantôme était peut-être encore sous le choc du pillage pur et simple du concept de son oedipien ‘All that I got is you’ (1996) par son mentor et ami dans ‘Grits’ (featuring Masta Killa, toujours impeccable). Le Wu-Tang Clan a ses codes, et ces codes sont parfois bien mystérieux. Le copier-coller en ferait-il partie ? Jugez plutôt… En 1996, Ghost se souvenait avec émotion de son enfance : « Four in the bed, two at the foot, two at the head. I didn’t like to sleep with Jon-Jon he peed the bed. Seven o’clock, pluckin roaches out the cereal box ; some shared the same spoon, watchin saturday cartoons« . Que dit RZA en 2003 ? « Four seeds to a bed, eight seeds to a room. Afternoon cartoons, we was fightin’ for the spoon« … Les voies du Wu sont définitivement impénétrables… Toujours est-il que le ‘Grits’ de RZA n’atteint pas l’incandescence déchirante de l’ode filiale de Ghost. Peut-être est-ce là le prix à payer pour la seule véritable faute de goût de l’album.
Au chapitre expérimental, RZA poursuit ici encore ses excursions extra-new-yorkaises, avec un son gras et festif très West Coast sur ‘We pop’ (featuring Division et Dirt Mc Girt, a.k.a. ce bon vieux Ol’Dirty Bastard) produit par Megahertz et qui s’inscrit dans la lignée de ses récentes collaborations avec les Black Knights sur le Killa Beez vol. 2 (2002)… L’influence Timbaland se fait quant à elle ressentir sur le ‘You’ll never know’ (featuring Cilvaringz), véritable déclaration d’amour au mouvement hip-hop. Plus étonnant – mais déjà entrevu sur le ‘Today’s Mathematics’ des Gravediggaz (2002) -, la distillation d’un son très « console Sega Megadrive » (big-up aux claviers Bontempi !) sur l’une des perles de ‘The drop off’, qui voit – M.L.F. s’abstenir – la femelle gémir sous le Bobby, et le Bobby, de joie, enchaîner avec un couplet de folie… La façon dont RZA-Bobby cale sa voix sur le beat au début du second couplet devrait définitivement clouer le bec à ses derniers détracteurs. Il reproduit ici une technique martiale qu’il avait déjà utilisée sur ‘Glocko-pop’ (2001), technique consistant à rebondir sur les mots comme le pied d’un moine Shaolin rebondit sur le visage de ses adversaires… Pour l’anecdote, les Saïan Supa Crew-addicts ne manqueront pas ici de relever l’influence de la construction de leur morceau ‘Polices’ (2001), que RZA n’aura certainement pas manqué de ramener dans ses valises à la suite de leur fructueuse collaboration…
S’agissant du New-York intra-muros, nul ne pourra affirmer que Birth of a Prince est un disque loin du béton. Tous les bruits de la ville sont là en effet : des crissements de pneus au rotor d’hélico, des sirènes bleutées au métro aérien, des klaxons aux sifflets des agents de la circulation, des rafales d’Uzi aux gémissements de la voisine, de la sonnerie du téléphone au vomissement furtif entendu sur ‘Chi Kung’… ‘Chi Kung’, justement. Avec ‘Koto Chotan’ (contraction de Koto, sorte de guitare traditionnelle japonaise, et de Chotan, qui est le mode d’enseignement le plus connu du karaté), ‘Chi Kung’ est l’un des deux morceaux au titre se référant ouvertement aux arts martiaux : le Chi-Kung chinois est la version interne du Kung-Fu, par laquelle le pratiquant tend à maîtriser les flux d’énergie qui l’habitent, le traversent et parfois le consument. C’est surtout l’une des plus belles réussites de l’album, en dépit d’un thème auto-destructeur, sorte de ‘Passe-passe le oinj’ transposé à Shaolin. Sur une production tout droit tirée de la scène-du-boss-de-fin-de-tout-bon-film-de-savate-qui-se-respecte et signée Barracuda – production au-dessus de laquelle plane l’ombre de ‘I can’t go to sleep’ (2000), notamment dans les interstices -, RZA y reprend sa vieille recette de la voix cassée, oubliée depuis l’’Outro’ du second album des Gravediggaz (1997). Beretta 9, Featherz et surtout Cilvaringz, décidément bien en cour, viennent lui prêter main forte, comme au bon vieux temps d’’Holocaust (Silkworm)’ (1998). Le tout forme un magma à la consistance étrange, ambigüe. Envoûtante.
Envoûtant, l’album le devient à un degré rarement atteint à partir de ‘A day to God is 1.000 years’, produit par le décidément très prometteur Bronze Nazareth… Alliant flûte caressante, sample d’une voix féminine délicatement accéléré jusqu’à obtenir un quasi-miaulement (« I wanna stay with you forever… »), ainsi qu’un bref clin d’oeil à Gwladys Knight & The Pips – catapultant l’auditeur dix ans en arrière, à l’époque veloutée de ‘Can it be all so simple’ -, RZA y enfile sa toge de grand Pope, expédie Bobby Digital au confessionnal le temps de grimper tout en haut de sa chaire fétiche, et d’entonner sa prêche miraculeuse. Il s’agit de loin du plus beau texte de l’album, le plus inspiré depuis ‘Sunshower’ et ‘Twelve Jewelz’ (1997) à l’image de sa conclusion : « Trust me, son, it’s dear in between your ears, a day to God is a thousand years. Men walk around with a thousand fears. The truest joy of love bring a thousand tears. In the world of desire there’s a thousand snares« …
En fin connaisseur des écrits de Sun Tzu et de Lao Tseu (« Si les Fleuves et les Océans sont rois des Cent Rivières, c’est parce qu’ils savent se tenir en dessous d’eux« , disait l’auteur du Tao Te King), RZA accorde un dernier bon de sortie à Bobby Digital, le temps d’un volontairement léger ‘Cherry Range’, qui sent bon l’antichambre, la salle d’attente, le ‘Basic Instructions Before Living Earth 2003’ et semble répondre ton pour ton au très doux ‘Wherever I go’ – ce dernier track recelant un morceau caché dont la mélodie rappelle furieusement les premières notes du ‘Pull bleu-marine’ d’Isabelle Adjani… Il est temps alors de clore « Birth of a Prince » par deux morceaux appelés à être recouverts par les neiges éternelles tant ils surplombent tout ce qui sort actuellement : ‘The birth (broken hearts)’ et ‘See the joy’.
Outre l’instru quasi-séminale de Bronze Nazareth, ‘The birth (broken hearts)’ sonne comme l’achèvement d’une trilogie entamée en 1997 avec feu Poetic et Fruikwan des Gravediggaz sur le dantesque ‘The night the earth cried’, et prolongée en 2000 aux côtés de Ghostface Killah et Junior Reid avec le sergioleonien ‘Jah world’… Dès l’interlude qui ouvre le morceau, RZA assène : « Don’t call me Bobby no more, man. My name is Prince Rakeem« . En deux phrases, c’est un pan entier de l’histoire du rap qui vient de basculer.
Balayant les siècles, inventant des métaphores alibabesques (« As a life can be slowed down 20 frames per second seen through Panavision, the inner light inside my mind’s shines expands the prism« ), RZA appuie une nouvelle fois sur la conscience de l’Occident, lui renvoyant au visage un demi-millénaire d’inconséquences, inconséquences qui lui reviennent dans les gencives aujourd’hui. « Modern-day Flinstone », RZA s’affirme le fruit de cette histoire – en décodé : tous les chemins mènent à RZA. Il le dit haut et clair: « No man could stop my flow, because I know what I speak, and I speak what I know« . Et va même jusqu’à le chanter, en un couplet poignant : « What becomes of a broken family, dreams are crushed and there’s no more family… Ever since my birth I’ve had no one to care »
Ayant planté sa Wu-Tang sword à équidistance de notre tête et de notre coeur, RZA nous l’enfonce jusqu’à la garde avec un inouï ‘See the joy’. Jamais encore il n’était allé aussi loin dans l’introspection… Salvador Dali disait que ses souvenirs remontaient jusqu’à l’époque où il était dans le ventre de sa mère. RZA le prend au mot, et chante le parcours du spermatozoïde qui féconda l’ovule maternel, accompagné pour la première fois par un authentique orchestre. Il chante ce combat, en tire une morale – « Life is the struggle » (et non « life is a struggle« , la nuance est de taille), et clôt l’ensemble par sa venue au monde sur un chant de félicité : « See the joy of life beginning… Oh, sweet joy, a brand new baby’s born« …
L’album se clôt sur ces mots. La fin de l’album rejoint le chant d’ouverture. C’est simple, sobre, zen. Et en même temps incroyablement fouillé. Nous en restons là, pantelants. Conscients d’avoir eu l’immense privilège de pénétrer l’une des oeuvres artistiques les plus complexes de l’année 2003. Un disque qui ne s’adresse ni à l’oreille droite, ni à l’oreille gauche. Un disque qui atteint directement l’oreille interne, celle qui conditionne l’équilibre. Un disque labyrinthique, abyssal, lynchien. Un « unorthodox paradox« , pour reprendre les mots qu’utilisait le même Prince six ans plus tôt – époque chrysalide -, dans le sculptural ‘Dangerous Mindz’, des Gravediggaz.
Parfois pompeur, parfois pompeux… Parfois vénal, parfois génial… Parfois futal, parfois futile… Parfois utile, parfois brutal… Parfois mi-racoleur, parfois miraculeux… Parfois Yin, parfois Yang… Parfois Zig, parfois Zag… Parfois Docteur Zig-zag-zig, parfois Mister Digital… « Sur le papier, cela n’avait l’air de rien… Une pulsation, basson, cor de basset, un bandonéon rouillé qui miaule. Et soudain, haut perché, un hautbois – une seule note, flottant comme suspendue, jusqu’à ce qu’une clarinette vienne la reprendre et l’adoucir en une phrase de pur délice… C’était une musique exceptionnelle, empreinte d’une telle tension, d’un tel inépuisable désir, qu’il me semblait entendre la voix de Dieu« .
…ou la naissance d’un Prince.
2001. Entre les errements divers de Method Man, l’incarcération prolongée du sale vieux bâtard Russell Jones et le catastrophique deuxième volet Bobby Digital, la sortie d' »Iron Flag », à peine un an après le mitigé The W, avait de quoi laisser sceptique. Le mauvais ‘Uzi (Pinky Ring)’ disponible avant en maxi semblait même annoncer le naufrage du navire de Staten Island.
Mais si le Wu-Tang Clan a été ses dernières années atteint par le virus de la surproduction, il n’en reste pas moins un collectif immensément talentueux, souvent imité, jamais égalé. Rza, tête pensante et baromètre du groupe, produit huit des treize morceaux de cet opus, alternant, à l’image de l’album, passages brillants (‘In the hood’, ‘The W’) et d’autres plus obscurs, (‘Soul Power’, ‘Uzi)’. Il est soutenu dans son œuvre par le fidèle Mathematics, auteur de l’excellent ‘Rules’, Trumaster pour le très efficace ‘Y’all been warned’, Nick Loftin et le duo Poke & Tone, respectivement auteurs de ‘One of these days’ et ‘Back in the game’ (deux morceaux plutôt décevants.)
Musicalement cohérent, Iron Flag ne s’avère pas pour autant monocorde. Au carrefour des émotions et des atmosphères, entre colère, apaisement et pure provocation, il dévoile différentes facettes du groupe tout en offrant finalement peu de surprises. L’influence Soul, propre aux productions estampillées Wu-Tang Clan, est une nouvelle fois présente, et les passages chantés étonnamment fréquents. Ron Isley, icône Soul dès le début des années 1960, (et membre des fameux Isley Brothers) se charge notamment du refrain de ‘Back in the game’.
Apparemment désireux de ne pas répéter les erreurs passées, le collectif de Staten Island s’est appliqué à réduire à la portion congrue le nombre d’invités. Exit les Snoop Doggy Dogg, Nas et autres Busta Rhymes dont les apparitions respectives sur The W avaient peu convaincu et plutôt nuies à la cohérence d’un album particulièrement inégal. Le mythique Flavor Flav’ est donc cette fois-ci le seul MC invité ; le temps d’un ‘Soul Power’ à la fois brut et tout à fait convaincant.
En terme d’emceeing, Genius, Method Man et Ghostface Killah alternent tout au long de cet album le bon et le moins bon. Désormais tête de file d’un collectif historique, Tony Starks, le tueur à la tête de fantôme, y déroule un phrasé parfois larmoyant absolument fascinant et unique. Si Raekwon s’avère particulièrement discret, il est justement suppléé par un Masta Killa décidément brillant. Véritable mosaïque de styles aux influences (relativement) communes, le collectif mené par son chef de file Rza rappelle par moments, et non sans une certaine nostalgie, un passé récent. Mention spéciale au tueur au visage de fantôme Tony Starks pour cette rime tombée en pleine actualité « Who the fuck knocked our buildings down ? Who the man behind the World Trade massacres step up now. » L’avenir répondra à cette question brûlante…
Si Iron Flag n’a rien à voir avec le mythique Enter the Wu-tang ; les temps ont changé, les acteurs et les enjeux aussi; ce nouvel opus s’inscrit dignement dans la lignée de la dynastie du groupe New-Yorkais. Un album efficace à défaut d’être surprenant. Wu-Tang saga continues…
Remedy, le nom était jusque là principalement lié à la compilation The Swarm. L’originaire de la grosse pomme s’était en effet fait remarquer sur cette compilation rassemblant les divers affiliés de la grande famille du Wu Tang Clan. Il avait fourni à cette occasion assurément l’un des meilleurs morceaux de l’album, en l’occurrence ‘Never Again’, titre que l’on retrouve ici et sur lequel on reviendra. Plus de deux ans après, et un quasi silence total Remedy revient avec cet album 13 titres. Avant de se lancer tête baissée dans la présentation de cet opus, présentons un peu plus cet MC jusque là assez discret. Tout d’abord, et ça vous le savez puisque vous êtes bien informés, Remedy vient de Staten Island. Avec un petit peu de recherche on apprend même qu’il a fréquenté le Drop High School où sont passés entre autres Raekwon et Method Man. Autre détail qui n’en est pas un, Remedy est blanc et de confession juive (ce sont des choses qui arrivent.) Une précision importante puisque ces particularités sont aussi deux thèmes sur lesquels notre ami revient régulièrement. Attention tout de même à ne pas tirer de conclusions un peu hâtives. Remedy ne fait pas partie de cette masse de rappeurs blancs récemment débarqués qui ne jurent que par le porno, les insultes et l’égotrip (vous voyez de qui je veux parler).
Coté production, Remedy s’est chargé de l’ensemble du travail à la seule exception du dernier morceau ‘Warning’, l’œuvre de 4th Disciple. Une semi-surprise au vu de son peu d’expérience à la production. Au chapitre des collaborations, on a plutôt le droit aux seconds couteaux de la famille Shaolinienne. Solomon Childs, Cappadonna et Rza le temps d’un couplet. Aucun doute les têtes d’affiches sont restées à la maison. Mais peu importe, l’intérêt de cet album est ailleurs.
‘Education’ ouvre le bal. Dans un style assez surprenant ce morceau sample allègrement ‘The Wall’ de Pink Floyd en empruntant même le refrain. Les Children of the World, version américaine des petits chanteurs à la croix de bois reprennent en coeur le refrain pseudo-révolutionnaire »We don’t no need no education, we don’t need no thought control, what we need is information, teach us, leave those kids alone« . Le plagiat est si évident et frappant qu’il donne au morceau un goût assez fade, à mi-chemin entre le réchauffé et le complètement cramé. Une impression que le couplet de Rza ne parvient pas à effacer. Et puis il faut le dire on préfère quand même Rza à la production.
Remedy calme ses ardeurs sur ‘Fallen Angels’. Le natif de Staten Island ne s’enfonce pas dans le piège de l’égotrip argumenté par des insultes en série. Assurément plus réfléchi, Remedy évite aussi ce débat stérile de la lutte contre les soit-disant faux. Un pseudo combat qui sert plus souvent à combler un manque cruel d’imagination. Sans donner de leçon, il s’exprime avec sincérité et maturité : « to the fake Mcs that swear they could rap, for all those cats that love to talk yak, for all those white kids that wanna be black, love is still love, ya’ll, I got your back« .
Il sait ce qu’il est, et aussi ce qu’il n’est pas. Bien conscient de ça, Remedy s’attelle à contourner les clichés qu’ils soient raciaux ou religieux. On prête ainsi une oreille attentive aux paroles de ‘Whiteboy’ (plus qu’à la composition musicale, assez lassante). On passera très vite fait sur ‘U don’t care’. Un essai R&B dont on ce serait bien passé. Au rayon des morceaux assez fades on classera aussi ‘Hip Hop Music’, un autre ode au Hip-Hop. La production assez sombre est plutôt monocorde, et ce n’est pas le refrain des Children of the World qui sauve l’affaire.
Si le thème de ‘Girlfriend’ n’a rien de novateur, la production est particulièrement soignée. Elle est aussi soutenue par des MCs bien en rythmes et inspirés. Cappadonna rappelle à cette occasion qu’il peut-être un rappeur hors pair. Il tranche le beat et joue avec les sonorités »Baby my love is still strong,on some King Kong ding-dong (…) sellin ya gold, sellin ya soul, you crossed out, and crossed over, girlfriend, what you did was wrong. » On croirait retrouver le Cappadonna d’Ironman.
On retrouve avec un plaisir non-dissimulé ‘Never again’, qui figurait sur déjà sur la compilation The Swarm sorti il y a trois ans. Comme certains autres MCs, Remedy exprime son Judaïsme à travers ses morceaux. Sur ce titre au sujet quasi unique, Remedy nous fait partager sa vision de l’Holocauste. Une chronique brute mais réaliste de l’horreur du génocide pratiqué lors de la seconde guerre. Le refrain est à lui seul particulièrement évocateur : »Never again shall we march like sheep to the slaughter, never again leave our sons and daughters, stripped of our culture, robbed of our name, never again, raped of our freedom and thrown into the flames. »
Le morceau n’a pas vieilli, et on a toujours affaire à l’un des textes les mieux écrits de ces dernières années. Je ne résiste pas à vous en replacer un petit extrait « No hope for a remedy, nothing to believe, moving targets who walk with the star in their sleeve, forever marked wit a number, tattooed to your body, late night, eyes closed, clutched to my shotty« . Si je vous précise que l’instru est à la hauteur de l’inspiration de Remedy, vous comprendrez encore mieux pourquoi ce morceau mérite l’appellation de classique.
Au titre des grandes satisfactions on citera aussi le dernier titre ‘Warning’. La seule production de 4th Disciple sur cet opus est une incontestable réussite. Un beat claquant sur lequel Clocka impressionne par son aisance. Poussé par une vague d’enthousiasme j’irais jusqu’à le comparer au Ghost Face, période Wu-Tang Forever. Une comparaison peut-être flatteuse mais vu sa performance il y a fort à parier qu’on entende reparler de Clocka. Bref une véritable tuerie musicale qui vous ferait passer Verdun pour un vulgaire échange de billes.
Voilà c’est fini, il paraît qu’une conclusion s’impose. Si on occulte quelques morceaux un peu fade, The Genuine Article est un bon album. Il mérite en tout cas une place de choix au sein des innombrables sorties des affiliés du Wu. Now you know.