Chronique

Danny Brown
Old

Fool's Gold / Warner - 2013

Il a réussi à la faire oublier, et ce n’était pas gagné. Pourtant, la coiffe improbable de Danny Brown est plus qu’un accessoire qui le différencie des autres rappeurs. Elle est même symptomatique de l’état de sa musique. En 2011, à l’époque de XXX, album dézingué mélangeant drogue, sexe, humour noir et ambiances de mauvaise SF, sa mono-mèche était improbable, mais bien dressée. À l’image d’un album outrancier et dissonant dans le paysage rap de l’époque, mais construit intelligemment. Il présentait Danny Brown comme un rappeur survolté et possédé par ses vices dans ses deux premiers tiers, avant de le montrer dépressif, en pleine descente de trip d’Adderall, sur la dernière partie. Deux ans plus tard, la tignasse hirsute de Daniel Sewel serait un cauchemar pour n’importe quel barbershop de Detroit. Cet épi capillaire géant, c’est un peu la forme de Old, son troisième album studio : les deux partent dans tous les sens, mais sont assez singuliers pour souligner la personnalité unique de Brown.

Old. Comme pour XXX, ce titre en trois lettres épouse un triple sens qui donne son ton à l’album. Vieux, parce que certains fans réclament « l’ancien Danny Brown« , celui de ses premières mixtapes où il racontait la misère et la survie dans un Detroit en pleine déchéance. La requête est expédiée dès l’ouverture de l’album et à mi-chemin sur « Dope Song », mais les fantômes de ce passé fait de junkies errants et de tension constante hantent encore par moment d’autres morceaux de l’album. C’est la deuxième facette du titre : vieux, parce que Danny Brown a aujourd’hui trente-deux ans. Un âge qui lui a permis d’accumuler assez d’expérience(s) et de souvenirs pour faire des allers-retours entre les différents moments de sa vie. Celui d’une enfance entre douceur maternelle et âpreté d’une vie sans-le-sou (« 25 Bucks », « Wonderbread »). Ou celui de l’accoutumance à la violence dès le plus jeune âge et ses conséquences sur sa santé mentale (« Torture »). Ces constants flashbacks fonctionnent comme des annotations sur le caractère du Danny Brown de 2013, dont l’orgie perpétuelle et illimitée semble être le seul moteur : consommation de drogues comme des fruits et légumes (MDMA dans « Dip », herbe dans « Kush Coma »), sexe débridé et obscène (« Handstand », « Dope Fiend Rental »). Souvent balancés de sa voix haut-perchée, Danny sait rire et faire rire de ses travers, mais peut aussi se montrer lucide (« Problems in my past haunt my future and the present, escaping from reality got me missing my blessings« ). Assez vieux, donc, pour être à la fois hardcore et reconnaître ses torts.

Vieux, enfin, parce que Danny Brown a empilé assez de rap et de musique pour donner à son album une direction savamment orchestrée, même au milieu de dix-neuf titres aussi écartelés musicalement. Les différentes apparitions de Danny entre XXX et Old, avec Araabmuzik, Party Supplies, SD, Tree ou Evil Nine rendaient difficile toute tentative de deviner à quoi ressemblerait Old. Elles se sont finalement avérées des indications précieuses, car l’album navigue dans plusieurs dimensions – ouvertes, par ailleurs, par de nombreux compositeurs britanniques et canadiens. Paul White ou Oh No livrent dans la première moitié des instrumentaux glaiseux gonflés aux boucles hypnotiques (l’ambiance lugubre sur « Torture » fout autant le cafard que les anecdotes de Danny), puis la face B laisse découvrir une partition épileptique et fluorescente, tendance trap EDM, signée Rustie, A-Trak et Darq E. Freaker. Entre ces deux rives de canyon, Brown fanfaronne comme un funambule sans balancier. Mais si ses pirouettes verbales et sa dextérité au micro impressionnent, il peine en revanche à choisir vers quel côté se diriger. C’est finalement avec SKYWLKR, collaborateur depuis XXX, que Danny parvient peut-être à trouver sur quatre titres des atmosphères au plus près de son identité psychédélique, entre le sample distordu de « Dope Fiend Rental », l’extase électrique de « Dip » et « Kush Coma », et les influences grime de « Dubstep ». Tiraillé entre ces univers multiples, Danny parvient pourtant à tenir son album, grâce à sa personnalité exubérante, ses changements de voix constants (de l’hyperactif au dépressif), et des apparitions de rimeurs calibrés et choisis avec parcimonie : un ScHoolboy Q lubrique, un Ab-Soul malicieux, un Freddie Gibbs incisif.

« Return of the gangster fucked that hipster squeeze the trigger, You got me fucked up I’m a hood ass nigga » (« The Return »)

« Hipster by heart but I can tell you how the streets feel » (« Lonely »)

Rappeur contant sa vie cabossée devenu icône branchouille, Danny Brown parvient à briller sur ses deux facettes, sans toujours réussir à les superposer sur ce troisième album (travers illustré par le tracklist en deux parties). Sa dégaine, ses timbres de voix poly-sons et son éclectisme pourraient faire croire qu’il montre des troubles de la personnalité. Mais grâce à un univers irrationnel et grimaçant, Danny Brown s’avère être au contraire l’une des personnalités les plus troublantes du rap actuel.

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