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La Caution – « Monde libre » (Peines de Maures, 2004)
L’absence de La Caution est le véritable scandale de notre Top 100. Le groupe échoue avec « Thé à la menthe », popularisé par la bande-originale d’Ocean’s Twelve, aux portes du classement. J’en viens presque à regretter que l’Abcdr du Son n’ait pas une pratique plus omar-bonguesque du suffrage universel. Les deux frères noiséens souffrent sans doute d’une image légèrement en marge du rap français. De fait, le tandem ne peut être rattaché à aucun courant qui lui donnerait la visibilité que les deux MCs méritent. Pourtant, La Caution, assurément l’un des groupes de rap les plus importants de la décennie écoulée, a accouché de deux albums qui pourraient légitimement prétendre au titre de classiques. Leur deuxième disque, Peines de maures/Arc en ciel pour daltoniens, plus abouti que le premier, fourmille de candidats au Top. Choisissons-en un au hasard : ce sera « Monde libre ». Hi-Tekk et Nikkfurie s’amusent à semer l’auditeur en jouant avec des changements de rythme sur une production magnétique et vaporeuse. Le Top 20 aurait été mérité. — Simon
Lalcko – « La cage aux lions » ft. Seth Gueko, Despo Rutti et Escobar Macson
Voici du rap qui a pris l’avion. Sur un axe Nord-Sud ou Sud-Nord, qu’importe sinon les papiers… Du rap qui a vu la Terre par le hublot, ses poumons verts et ses fleuves marron, charriant des troncs et des carcasses de chevaux, preuves de l’empreinte de l’homme, partout. Du rap étourdi autant par les éblouissants reflets du soleil sur les nuages que par l’Inquisition au guichet pour le moindre mandat Western Union… Cauchemar de Darwin dans l’occiput, quatre hommes se succèdent à la barre, soulevant à tour de rôle le rideau de perles masquant l’entrée de leurs grottes respectives – gimmick sonore aussi monumental qu’il est discret. Entre ici, Lalcko, le plus gnostique des athées, rap olfactif – magie de l’enfance où le cube Maggi fut pilonné en cadence dans le mortier -, mélancolie tenace de l’enfer perdu…
Entre ici, Seth Gueko, emphase en Marcel, ton indulgence pour les carences des collègues – tu assumes les mêmes, en pire – et ton rôle de zone-tampon entre ta tchatche qui choque et celle d’un Frankenstein nommé K-Pote… Entre ici, Despo Rutti, tes questions existentielles venues d’une planète bien loin d’être autre – « Pourquoi les Zaïrois s’habillent en rouge ? », hein, pourquoi ? -, 1,70 m de détermination et de sciences humaines acquises sur le tas… Entre ici, enfin, Escobar Macson, micro en mode Reverb, qu’une boucle de piano paisible suffit à faire sortir de ses gonds et à déambuler dans les rangs pour distribuer les tartes avec « Mamadou, Karim et Dos Santos »… Le morceau date de janvier 2008, sur le street de Lalcko Diamants de conflit. Il n’est rien de moins que le maillon manquant entre l’œuvre d’Abdelmalek Sayad et les monologues d’Ahmadou Kourouma. Dix ans plus tôt, une telle promesse aurait débouché sur quatre solos disques d’or, minimum. — Anthokadi

Ministère A.M.E.R – « Cours plus vite que les balles » (95200, 1994)
Un des plus gros oubliés de ce top reste le Ministère A.M.E.R. Un seul titre classé. Pourtant son influence sur le rap français pendant plus d’une décennie est complètement indéniable que ce soit musicalement, socialement ou business-ment parlant. Leur vrai classique, c’est 95200. Il aurait à coup sûr passé l’examen du top album sans aucun problème mais peut être manque-t-il du single fédérateur que tout le monde met en avant. Ce côté brûlant, provocateur et dangereux de l’intro à « Brigitte Femme de Flic 2 » proposait une version violente mais non sans humour du rap français. Avec ses productions électriques, le Ministère assure son statut de légende en commençant par le fameux « Cours plus vite que les balles », leur version française du « 100 Miles and Running » de NWA. La guitare funky, le clavier schizophrénique, la détonation d’un flingue en guise de caisse claire, l’urgence des propos, la montée de Passi, la folie de Stomy, le bordel ambiant. Ce titre reste celui que j’entends quand je pense à 95200. Le premier vrai album de caillera qui marquera le début de l’ère du Secteur Ä, des succès à venir de « Viens voir le docteur », « Je zappe et je matte », « Gangster d’amour », « Affaire de famille » ou même « La Playa », de la radio « première sur le rap », des survets Lacoste et des Air Max 90. Un repère d’une époque entière qui a raté le coche du Top 100. — Lecaptainnemo
Sefyu – « Molotov 4 » (Suis-je le gardien de mon frère ?, 2008)
En 2019, quand la mode sera aux t-shirts « Le rap, c’était quand même pas si mal à l’époque où on se plaignait », un rappeur célèbre viendra sans doute dire que Sefyu, c’est de l’antiquité. Sefyu, lui, s’en foutra, car quand il fera sa tournée du grand retour via les Zénith de France, la foule deviendra dingue à chaque fois qu’il entamera son vieux hit de la bonne époque : « Molotov 4 ». Typiquement le genre de morceau indéfendable face aux sceptiques : le texte est incompréhensible, le rappeur n’a pas l’air très sympa, le son pue la testostérone à trois kilomètres… Et pourtant ça défonce. Pourquoi ? Parce que Sefyu y réduit le rap à un réflexe purement viscéral. A mi-chemin entre l’exercice de style tordu et l’hymne hooligan, « Molotov 4 » n’est qu’un vaste mouvement de foule de 3 minutes 53. La notion de gimmick est poussée dans ses derniers retranchements et avec trois onomatopées simplistes, Sefyu réussit à bâtir un refrain ahurissant qui pourrait tuer un épileptique dans la seconde. Monstrueux. — JB
Stomy Bugsy – « J’avance pour ma familia » ft. Hamed Daye, Passi, La Clinique, La Rumeur et Ärsenik (Le Calibre qu’il te faut, 1997)
« J’avance pour ma familia » aurait pu être le compromis ultime pour les votants du Top 100. Fan de rap à texte ? La Rumeur est là. Nostalgique des années lycées ? Passi, Stomy, Ärsenik, comme au bon vieux temps. Afficionados de la West Coast française ? La Clinique est invitée. Que demande le peuple ? Dans Le calibre qu’il te faut, la rupture entre « J’avance pour ma familia » et les dix-huit morceaux qui précédaient était nette, comme si Stomy avait retenu sa haine – ou respecté scrupuleusement son cahier des charges – avant de lâcher la meute. Tous les couplets sont calés sur le même degré d’intensité : Lino est au bord de l’implosion, Hamed Daye sort la punchline de sa vie, Passi aurait besoin d’un exorciste (écoutez les chœurs qui le soutiennent) pendant qu’Hamé et Ekoué rappent comme si on leur avait tendu un micro en plein milieu d’un débat UMP sur l’identité nationale. Le détail qui tue, c’est aussi l’enchaînement de « J’avance pour ma familia » à « Dernier pas dans la Mafia ». L’hilarant sample vocal qui clôt le morceau met un dernier coup de pression avant la reprise immédiate sur l’ambiance fin de règne du face-à-face Stomy/AKH. Preuve de la qualité du séquençage, les deux titres sont quasi-indissociables. — JB
La Cliqua – « Rap Contact » (Arsenal Records Présente Le Vrai Hip-Hop, 1996)
OK, le peuple a parlé, le peuple est souverain, tout ça. Mais peu importe le sens donné aux adjectifs « classique » ou « incontournable », il est difficile de comprendre pourquoi ‘Rap Contact’ peut être absent du classement final. Ce morceau doit finalement avoir une valeur symbolique à mes yeux qu’il n’a pas à ceux des autres. La Cliqua au grand complet, la technique de Rocca, la rage de Raphaël, l’enchaînement Kohndo/Egosyst, la prod brut de décoffrage de Jelahee. Et bien évidemment les scratches, en début et en fin de morceau, sur les mots de Prodigy et Tony Ruffin (Dutchmin). Seul bémol, qui empêche ‘Rap Contact’ de tutoyer la perfection, le couplet assez moyen de Daddy Lord C, leader peu en verve pour l’occasion. Mais cela ne suffit pas à ternir l’impression globale de puissance et de maîtrise, qui s’impose d’elle-même à l’écoute de la plage d’ouverture de la compilation « Arsenal Records Présente Le Vrai Hip-Hop ». Comme si, après ce titre, le Rap français n’avait plus jamais été le même. A noter qu’il y aura deux sequels à ‘Rap Contact’, très efficaces mais n’atteignant par le niveau de l’original. — Kiko
Zoxea – « La ruée vers le roro » ft. Busta Flex (A mon tour de briller, 1999)
Prémices de la potentielle dream-team MCs qu’aurait pu (qu’aurait dû ?) être IV my people, ‘La ruée vers le roro’ est à l’apogée du potentiel des combinaisons accueillant Busta Flex. Comme si un Zoxea virevoltant et survolté ne suffisait pas… Le duo tabasse les notions de performance et compétition avec un maximum de style sur un beat digne d’une entrée dans une arène surchauffée. De toute façon, ‘La ruée vers le roro’ est de ce genre de son qui annonce de la joute de haut niveau, façon « du pain et des jeux ». Alors, tu m’étonnes que « le format qu’ils veulent, on l’a » ! Tellement que même le « A comme habile » passe comme une lettre à la poste. — zo.
La Brigade – « Membre de la brigade » (L’Officiel, 1997)
Avec le recul, on se dit que La Brigade a débuté très fort pour progressivement décliner. Extrait du premier EP éponyme, ‘Membre de la bridage’ s’apparente à une démonstration de force : une série de coups de semonces sur une instru’ en béton armée où les basses ont vocation à exploser les enceintes. Collectif tentaculaire avec le boom-bap New-Yorkais du début des années 90 en intraveineuse, ‘Membre de la brigade’ sert un condensé d’égotrip, une volée de punchlines et un paquet de métaphores guerrières. La Brigade ou le GIGN en intervention spéciale. — Nicobbl
Nessbeal – « Funeste écriture » (La Mélodie des briques, 2006)
Nessbeal se vit comme un mal aimé, un roi sans couronne, dont le succès et la reconnaissance ne sont pas à la hauteur du talent. Ce n’est pas totalement faux. Depuis son divorce avec Booba, il a sorti deux disques de haute tenue qui ne brillent pas franchement par la joie de vivre qu’ils exhalent. Sur le macabre La mélodie des briques, Nessbeal met à nu son corps quasi décharné et son esprit tourmenté, dont la noirceur culmine avec ‘Funeste écriture’, véritable profession de foi d’un rappeur sépulcral. — Simon
Koma – « Et si chacun… » (Le Réveil, 1999)
Triomphe critique quasi unanime auprès des trop rares qui ont pris la peine de vraiment l’écouter l’été de sa sortie, l’album Le réveil de Koma doit sans doute beaucoup à sa première piste, sans doute l’une des meilleures premières pistes de l’histoire des albums de rap en français. L’engagement prophétique de Matoub Lounès, prenant à témoin les spectateurs du Cercle de minuit quelques années avant son assassinat, les extraits de documentaires, le compte à rebours, l’infini spleen qui se dégage de la prod, les scratches de La Rumeur… Et puis ce texte. Poli et bien élevé, le membre de la Scred commence par se présenter à l’auditeur avant le prendre par la main pour l’emmener faire le tour du propriétaire. Problème : les fondations de la maison sont sapées de longue date. Koma le sait, Koma le rappe. Nulle colère ni lassitude dans son propos, juste un très adulte sens du devoir et des responsabilités : « Et si seulement de son côté chacun fournit l’effort, ça ira mieux demain, ça ira mieux dehors« .
Onze ans plus tard, un fameux débat sur l’identité nationale gagnerait à méditer de A à Z les trois minutes de ce morceau, ainsi que l’interview de Saïd Taghmaoui dans le So Foot n°71 de décembre 2009 : « Là-bas [aux USA], non seulement c’est moins tendu, mais ils ont le génie de l’immigration, ils se servent de la double culture comme d’une force. Quand Oscar de la Hoya monte sur le ring avec les drapeaux américain et mexicain, on dit qu’il est fier de ses origines et pas autre chose. Ici, on nous demande de choisir : soit tu es marocain, soit tu es français. « La France, tu l’aimes ou tu la quittes. » C’est limite du fascisme. Comment imaginer un arbre sans racines, comment renier nos origines ? » Et si chacun… — Anthokadi
Tout Simplement Noir – « A propos de tass » (Dans Paris nocturne, 1995)
Avec un Ministère A.M.E.R amoindri, TSN est le second groupe influencé ‘West Coast’ à ne pas avoir passé l’étape du TOP 100. Pourtant en 1995 avec leur album « Dans Paris nocturne », la bombe noire explose à base de tranches de vies sexuelles, festives et pro-black. Beaucoup d’humour potache et de décontraction funky qui manquent cruellement au rap actuel. Les interludes sont mythiques et chaque morceau apporte une ambiance et un univers détaillé sans se prendre la tête. Malheureusement catalogué rap à l’eau en pleine prise de conscience totalitaire, TSN n’a jamais vraiment récupéré l’estime qui lui était due. J’ai hésité avec ‘Je suis F…’ mais un track aussi provocateur et festif qu’ ‘A propos de Tass’, avec son refrain addictif, méritait vraiment une place. En fait, j’ai toujours préféré les meufs à la fonce-dé eheh. — Lecaptainnemo
Less du Neuf – « L’étranger » (Le temps d’une vie, 2001)
Bon, Kimto n’est pas tout à fait l’équivalent français de Busta Rhymes, mais en même temps, il y a des morceaux qui ne demandent pas une technique affolante, mais simplement le mot juste. Et dans « L’Étranger », la moitié de Less du Neuf n’a pas grand chose à envier au Akhenaton de Métèque et mat : comme Chill, il réussit à mêler fresque historique et narration intime avec une égale réussite. Et puis il y a la prod’ incroyable d’Ol’ Tenzano, de loin la meilleure de l’album Le temps d’une vie. Temps fort : L’arrivée du sample de mariachis à 0’56 juste après que Vasquez ait lâché le dévastateur « … mais c’est pas le tiers-monde, non, parce qu’on est blanc. » Un moment plus fort que des albums entiers. — JB

Fabe – « Quand j’serai grand » (Détournement de son, 1998)
Fabe, c’est le rappeur « de proximité » par excellence, celui qui va trouver les mots justes à mettre sur des sentiments de la vie de tous les jours, et parvenir à marquer profondément toute une génération d’auditeurs par ce biais. D’ailleurs, quand il outrepassera ce rôle de chroniqueur du quotidien, les résultats seront parfois assez décevants. On pense à la phase malheureuse sur la Joconde de « Lentement Mais Sûrement » ou aux défonçages de portes ouvertes récurrents dans son dernier album. Mais dans ‘Quand j’serai Grand’, Fabe est plus pertinent qu’impertinent, et au sommet de son art. Les étés de « ceux qui partent pas« , papa et maman qui triment toute l’année pour passer quinze jours « ailleurs », la grisaille déprimante, les gosses qui jouent au foot et les voisins qui pestent. Le tableau est trop fidèle à la réalité pour échapper aux frissons. La prod jazzy sert les propos de Befa de façon idéale. Ou comment clore un album de la meilleure des façons. Quitte à achever sa carrière prématurément, Fabe aurait dû finir là-dessus. — Kiko
« 11’30 contre les lois racistes » (1997)
1997 : Epoque d’activité fournie pour Cercle Rouge, qui, sur des morceaux fleuves réunissant la crème du rap français, tirait à feu nourri une rhétorique politisée au chargeur plein de douilles marxistes. Violons crépusculaires et caisse claire tendue chers à White & Spirit portent une guest-list taille patron, même si il était et est toujours possible d’y voir de grands absents. Aujourd’hui pourtant, plus d’un participant à ces 11’30 minutes est rangé dans la catégorie des « MCs disparus ». Peu importe, ça enchaîne sec, Brigitte Bardot comme Vitrolles auront eu le sort qu’ils méritent, et même si la dénonciation aime le sens du raccourci, elle reste aiguisée… Et avec le recul à double-tranchant. Le couperet de la mise au point flirte souvent avec la tentante lame de la démagogie. Peut-être pour ça que le concept de morceau fleuve aux allures de grande communion engagée a été repris à la pelle jusqu’à atteindre son paroxysme avec l’uppercut de 2002. C’est en tout cas ici qu’il est né. Un titre souvent imité mais jamais égalé ou en des termes bien moins glorieux, le dilemme de l’original et de la copie. — zo.
Moar & Kohndo – « Ma définition »
‘Ma définition’ c’est le morceau nostalgique et rassurant par excellence. Celui qui arrache toujours un sourire. Un rappel jouissif des fondamentaux : une instru’ bien ficelée, un DJ habile et un MC charismatique baignés par les valeurs idéalistes du Hip-Hop. Sorti sur un projet confidentiel – « Mes influences » de DJ Moar – ‘Ma définition’ aurait mérité une plus forte exposition ; à l’image de KOH dont la carrière solo recèle de vrais coups d’éclats passés sous silence. — Nicobbl
Baloji – « Hôtel Impala » (Hotel Impala, 2008)
Certes, Baloji n’est pas tout à fait Français. Il est même complètement Belge – chacun ses tares. Mais après tout, la Wallonie n’est-elle pas destinée à devenir française une fois que le royaume aura fini d’imploser ? Plus sérieusement, chacun aura compris qu’il fallait lire « francophone » derrière l’expression figée « rap français ». Ce qui de toute façon ne changeait pas grand-chose compte tenu de la rareté des productions qui nous arrivent de la « francophonie ». Que connaît-on du rap belge, si ce n’est Benny B, James Deano et Starflam ? Baloji, anciennement MC Balo, est justement issu du groupe liégeois qu’il a quitté en 2004 par lassitude. Parti à la recherche des morceaux épars de son identité fracassée, il livre quatre ans plus tard l’un des albums les plus émouvants du rap francophones. Baloji résume dans ‘Hôtel Impala’, le morceau éponyme, son itinéraire, de la Belgique au Congo. — Simon
ATK – « L’affaire Hot-Dog » (Heptagone, 1997)
C’est d’abord l’une de ces prods dont « putain-mais-l’air-me-dit-grave-quelque-chose » – en fait, le générique de la série télévisée « Arabesque », Jessica Fletcher et sa face mi-WASP, mi-chouette hulotte à boucles d’oreilles dorées… C’est ensuite la surprenante outro loufoque d’un album pourtant élevé au rang de culte pour l’esprit de gravité et de désenchantement qui le traversait – illustrant ainsi toute la frontière de nuances qui sépare l’homme du monolithe. C’est enfin la preuve, si besoin était et via les inspaves Cyanure et Freko (Légadulabo), qu’il est possible de rapper crédible tout en cultivant l’échappée belle. « One two-two, what time is it ? Quatre heures vingt-huit, plus que deux minutes avant le goûter et Cyan’ Freko sont dégoûtés…« , ça c’est de l’intro d’outro canine ! — Anthokadi
Soul Choc – « Garde ça pour toi » (Dangers EP, 1997)
Le Bastion, ça a toujours été un coup de coeur pour moi. Ils viennent de l’Ouest sauvage, ils ont des styles inconnus, des noms improbables (Chewbacca!), des ambiances nouvelles, une vraie alternative à l’axe Paris-Marseille de l’époque. Avec une créativité débordante et des univers parallèles, ce posse nébuleux et vraiment impressionnant a marqué mes années rap français. Soul Choc est le groupe le plus solide tiré de ce microcosme. Basé à Angers, Junior Neka et Prince d’Arabee ont vraiment eu un impact important sur le milieu rap provincial, montrant à tous qu’il était possible de créer un label indépendant, de sortir des albums avec un univers propre. Prince d’Arabee a surtout marqué par son flow acerbe, affûté comme un couteau et ses punchlines efficaces. Après « Nouveau Syndrôme » en 1997, c’est surtout leur EP « Dangers » qui a tourné, tourné et retourné sur nos platines. ‘Garde ça pour toi’ est tiré de cet EP, un morceau basique de rap qui n’a pas pris une ride, une prod vraiment originale pour l’époque, du flow tout terrain et un refrain qui reste en tête. La province, oubliée du TOP 100, avait Soul Choc comme excellent porte-drapeaux. Je les aurais mis sans problème dans mon top 20 avec ce titre, sûrement affectif. — Lecaptainnemo
D.Abuz System – « Les crew s’braquent » ft. J.Mi Sissoko (L’Invincible Armada, 1997)
Pour une raison que j’ignore, j’ai l’impression que même le public rap le plus nostalgique a un peu éclipsé Abuz de ses souvenirs. Quelque part, tant mieux. Je préfère l’imaginer reconverti en en patron-satyre d’un club échangiste quelque part dans les Vosges plutôt que le voir courir le circuit des vétérans sur le retour. On doit à D.Abuz System, son duo avec Mysta D, quelques unes des grandes heures de ce fameux « âge d’or » du rap français. Vers 1996-1997, ils auront été à l’épicentre de tous les mouvements naissants du rap hexagonal (les compilations L’invincible armada et Guet-apens en tête). Je ne sais pas si ça vaut vraiment le coup de le mentionner, mais Abuz a aussi réussi quelque chose qui, aujourd’hui, s’apparenterait à un mini-exploit : transcender les questions de couleur de peau. Abuz n’a jamais été un rappeur blanc, il était simplement un rappeur. Dommage qu’il n’ait jamais eu l’occasion de sortir son album lubrique et exprimer une bonne fois pour toutes sa vraie nature, car son côté contendant / pervers était à la fois drolatique et très percutant. Vous en doutez encore ? Ne m’obligez pas à ressortir sa punchline sur Dave et les idées larges. — JB
Assassin – « L’Undaground S’Exprime Chapitre I » ft. Kabal, Ekoué, Daddy Lord C, Rocca, Sté Strausz et Stomy Bugsy (Shoota Babylone, 1996)
A l’instar de ’11’30 Contre Le Racisme’ ou ’16’30 Contre La Censure’, ‘L’Undergroud S’Exprime’ et ses différents chapitres ont peut-être pâti de leur format XXL au moment des votes. Pourtant la proportion de rappeurs de haute volée présents sur le premier volet a rarement été égalée en vingt ans de Rap français. Jugez plutôt : en plus de Squat interviennent Stomy Bugsy, Sté, Daddy Lord C, Rocca, Ekoué, Djamal et D’. Un casting all-star, et une mise en musique forcément à la hauteur, puisque signée par un Doctor L époque « L’Homicide Volontaire ». L’ambiance est donc crépusculaire, et les MCs, dont la plupart étaient en début de carrière à l’époque, sortent leurs phases les plus percutantes, pour huit minutes de bonheur. Les chapitres suivants de ‘L’Underground S’Exprime’ seront un peu moins réussis, mais brasseront tout de même du beau monde (on pense aux 2 Bal, à Doudou Masta ou encore Mystik). — Kiko

Psykick Lyrikah – « La Sphère » (Des lumières sous la pluie, 2003)
Quelques notes de piano fortement appuyées et légèrement saturées, des scratches comme une vie qu’on rembobine, voilà pour l’ouverture. Puis Arm… Arm qui sonde les tréfonds de son âme, transforme un œil lucide sur ses propres erreurs et faiblesses en séance d’auto-flagellation, plane en rase-motte au-dessus d’un passé terre-à-terre qu’il transforme en tourments vertigineux. ‘La sphère’ est le son de celui qui ne trouve pas le sommeil, qui ne cesse de se retourner sur son existence en utilisant le ciel en guise de draps. — zo.
Sté Strausz – « Née Gangsta » (Sté Real, 1995)
Injustice absolue : ‘Née Gangsta’ devait être dans le Top 100. A peine sortie de l’adolescence, Sté rappait alors avec des couilles, du Gin et du jus de fruits dans un gobelet en plastique et une influence G-Funk-sur-Seine et Gangsta ultra-assumée. ‘Née Gangsta’ c’est la retranscription hexagonale et décomplexée d’une réalité cainri. Une retranscription franchement bandante. — Nicobbl
Polo – « Panne sèche » (L 432, 1997)
Il y a des rappeurs comme ça qui traversent le paysage du rap français sans s’arrêter. Certains, comme East, sont excusés. La disparition d’autres MCs, à commencer par Polo, est plus étonnante. Le rappeur n’a laissé qu’un maxi, dont les deux morceaux pourraient aisément figurer dans le Top 100. Ils ont d’ailleurs été tous les deux repris sur les deux principales compilations des années 1990, L432 et Hostile. Notre préférence va vers le suicidaire ‘Panne sèche’, dans la mesure où le titre annonce la retraite précoce de Polo et résonne a posteriori comme râle de désespoir sur trois couplets : « Clic clic, je n’ai plus de balle. J’ai vidé mon chargeur, je me sens mal. » La production ascétique et menaçante, dans la veine Dj Sekienne, souligne idéalement le propos. — Simon
Saïan Supa Crew – « Polices » (X-Raisons, 2001)
« C’n’était qu’un cache-cache dans une crèche. C’est pas comme si on était à quatre casés dans une caisse volée… » Geyser d’énergie pure dopée à la Juvamine, les flows du Saïan ont quelque chose de ces vagues qui déferlent sur les flancs du Rocher de la Vierge à Biarritz, aux tempêtes d’équinoxe. Irrépressibles et assourdissants, dantesques et effrayants… Injustement boudée par une partie du public rap – alors que sa démarche se situe pourtant au cœur de la devise du mouvement, « Peace, love, unity and having fun » – l’œuvre du Saïan avant implosion apparaît avec le recul bien plus ambitieuse que sa devanture cartoonesque pouvait le laisser accroire. En témoigne ce morceau, ‘Polices’, passage obligé de tout MC qui se respecte et pourtant ici molesté, compacté, passé à tabac, gardé à vue et libéré sans caution comme un Rott sans muselière.
Mille détails irisent la prod, mille autres modulent les flows de Féniksi, Leeroy, Sir Samuel, Sly the Mic Buddah, Specta et Vicelow. L’un des rares groupes, l’un des rares albums, l’un des rares morceaux à pouvoir s’enorgueillir d’être écouté cent fois sans être compris. Parce qu’il y a toujours un moment où les jambes, d’elles-mêmes, se font la malle ; toujours un moment où les pieds, d’eux-mêmes, s’en vont danser ; toujours un moment où les orteils relaient l’oreille… Toujours, toujours, toujours. — Anthokadi
Triptik – « Panam Remix » (TR-303, 2003)
Autre section complètement perdue dans les limbes du TOP : le renouveau indépendant du début des années 2000. Que ce soit La Caution, TTC, Svinkels, le Klub des loosers ou des 7, Sept ou D’oz, aucun des groupes qui ont tant fait parler le web de 2000 à 2005 n’a passé l’étape de classicisme. La faute à quoi ? Un problème d’image ? ‘Pas vraiment du rap’ ? Le gros absent pour moi avec La Caution qui sera sûrement cité plus tard, c’est Triptik. En 2000, lorsque Cut Killer passait et repassait les maxis de ces trois petits nouveaux dans le Bumrush, tout le monde hochait la tête. Les sons de Drixxxé étaient super violents et les flows de Dabaaz et Black Boul apportaient vraiment quelque chose de frais à une époque où le rap français commençait à tourner de l’oeil. Complètement immergé dans la culture DJ en pleine explosion à ce moment là, le groupe sait s’entourer avec une logique de maxis imparables qui finira par ce fameux ‘Panam Remix’ et son accordéon entêtant. Véritable hymne backpack de la capitale, ce morceau est vraiment la marque d’un passé pas si lointain où le rap indépendant voulait dire quelque chose. ‘Panam remix’ fut finalement le point d’orgue de leur album « TR-303 », complètement incompris du public alors qu’il reste à ce jour le plus musical et le plus complet avec une créativité gorgée de références excellentes. Il est vraiment dommage que sur 100 titres, aucun ne leur rende justice. — Lecaptainnemo
Alliance Ethnik – « Respect » (Simple et Funky, 1995)
En 1997, quand la FF a sorti « La furie et la foi », j’ai eu un petit pincement au cœur quand Sat a parlé de « ces putains d’simples et funky » (une rime qui, quelque part, a signé la mort du rap « cool » et l’avènement du rap « rue » sur les ondes). C’est une vieille rengaine du rap français : fais un tube honnête, carré, et tu peux être sûr que dans les six mois, trois ou quatre rappeurs vont te tailler en pièce, juste par principe. C’était déjà le cas quand Express D tapait sur Ménélik (qui avait plutôt bien répliqué dans les 16’30), ça l’est aussi quand James Deano se fait égratigner par Nessbeal. À ce jeu, Alliance Ethnik a particulièrement morflé, jusqu’à devenir, plus encore que Solaar, le symbole du rap niais. Pourquoi ? Pour rien, ou pas grand chose. Le délit de sourire, sans doute. « Respect » était pourtant un morceau irrésistible et real hip-hop jusqu’à l’os : combien de rappeurs français ont cité Illmatic sur une production G-Funk ? Dans « Respect », K-Mel déborde de bon esprit et livre une performance hyper-ludique. Le refrain, chanté par Vinia Mojica, égérie de la Native Tongue, fait de ce hit de l’année 1995 l’un des meilleurs crossover Rn’B du rap français, mais aussi l’une des meilleures collaborations France/US. Ironie de l’histoire : aujourd’hui, dans les commentaires autour de « Respect » sur YouTube, on peut lire des compliments du genre « c’est vraiment la GRANDE classe cette époque ». Mieux vaut tard que jamais ? — JB

Les 3 Coups – « Check La Devise » ft. Doc TMC (Check La Devise, 1995)
Le Ménage à 3, c’est un peu le crew maudit du Rap français. Tous les connaisseurs s’accordent sur le fait qu’il disposait de qualités uniques, qui auraient dû en faire un collectif majeur du genre. Pourtant, cette reconnaissance ne s’est jamais traduite commercialement. De plus, même au moment de citer les blazes des équipes historiques du Rap hexagonal, on pensera à Time Bomb, à La Cliqua ou à la Mafia K’1 Fry, avant de citer le MA3. La carrière chaotique de certaines de ses grandes figures (Lion S, Doc TMC) n’est sans doute pas étrangère à ce constat, n’ayant pas permis au MA3 d’être régulièrement présent dans l’actualité et de devenir un household name. Restent les pièces majeures de sa discographie : « 3x Plus Efficace », bien sûr, la mixtape de Cut Killer spéciale MA3, et le maxi des 3 Coups, « Check La Devise ». Ce dernier a constitué la seule sortie des 3 Coups, avant que Lion S n’ait à subir un exil forcé dans son pays d’origine. Trois titres, et autant de grands moments, parmi lesquels ‘Check La Devise’ se détache sensiblement. Comme cadre, une triste boucle de piano et un refrain lapidaire de Doc TMC (« Me gusta ma devise de caillera alors basta !« ). On ne saura jamais ce qu’il s’est passé dans la tête de Lion S au moment d’écrire son texte (si tant est qu’il l’a écrit). Toujours est-il qu’il commence par s’exprimer dans un mélange de français et d’espagnol, langue qu’il ne maîtrise visiblement pas plus que ça. On évite de peu le grand n’importe quoi, on ne pige pas grand chose, mais le mélange fait son effet : à la fin du couplet, on se sent obligé de réécouter. Et oui, il dit effectivement « Vacos locos pour tous mes freros negros« . Le morceau est représentatif du MA3 : sombre, hardcore, mais aussi loufoque et complètement décalé par moment. Une certaine science du bordel, mise au service d’une énergie incroyable et rarement égalée. — Kiko
Svinkels – « C-Real Killer » (Tapis rouge, 1999)
Derrière ses rimes au premier abord faiblardes à la dégaine oscillant entre clodo, punk à chien et jeune routard qui s’est perdu dans les bouges les plus infâmes comme les hippies ne re-décollaient plus jamais de Katmandou, ‘C-Real Killer’ (version Munich « Oktoberfest » 1999) est à l’image d’un disque magistralement débridé. Jeux de mots à triples lectures, humour qui déborde du gosier, productions flinguées à l’activité cérébrale titubante, les Svinkels ont pondu en un album quelques hymnes qui « représentent tous ceux qui utilisent leur cervelle à la détruire ». Le résultat ? Une communion aussi festive que malsaine, avec le yin et la yang de la décadence qui trinquent sur un tapis rouge constellé de trous de boulettes, buvards, capotes et autres glaviots et taches de vomi. Ce n’est pas le moral qui est fond des chaussettes, mais le foie. — zo.
Busta Flex – « Le Zedou » (L 432, 1997)
Trop de flow, trop de musicalité, trop de technique : Busta est l’un grands oubliés du top 100. Et peu importe si ses textes n’étaient pas toujours au niveau, Flex alignait alors 95% du rap français. Reprenez son premier album, il met toujours à l’amende les rappeurs échappés de première L : avec une plume mais aucun style. ‘Le zedou’, lui, combine brillamment les deux. — Nicobbl
Sinik – « Artiste triste » (Artiste triste, 2002)
Est-ce du snobisme ou de l’amnésie ? Toujours est-il que les électeurs n’ont pas jugé nécessaires de faire entrer Sinik dans le Top 100. Il faut dire que ses dernières sorties ont fait oublier que l’Essonnien a été au début des années 2000 un grand espoir du rap français, notamment grâce à ‘Artiste triste…’. Sinik y dissèque sur une ligne de piano ultra classique ses viscères torturés. Le morceau ne se distingue certainement pas par son originalité, mais par la sincérité qu’il dégage, à telle enseigne que le MC parvient à entraîner l’auditeur le plus euphorique dans sa dépression. Depuis, Sinik a beaucoup radoté sans jamais égaler l’épure originelle. — Simon
MC Jean Gab’1 – « Une journée sans fin » (Ma vie, 2003)
Un jour, il faudra rendre grâce à Less du Neuf d’avoir entièrement ghostwrité Ma vie, de MC Jean Gab’1. Car une chose est d’avoir vécu à soi seul mille journées plus intenses qu’une seule de Jack Bauer, autre chose est de savoir les raconter. « Une journée sans fin », c’est La petite maison dans la zermi de Thierry Pelletier, la crête punk en moins, en tout cas en apparence. Chronique hallucinée d’une existence où le sale teint banque autant que le pâlot, les critères se situant au niveau du casier judiciaire, de la case de départ dans le grand Monopoly de la vie et du taux de lestage des dés. Mi 25ème heure sous amphets, mi 24 heures avant la nuit en parachute ascensionnel percé, il y a du « Kim » d’Eminem et de l’ »Epoque formidable » de Gérard Jugnot – bref, du Dupontel – dans le désespoir qui transpire de ce crescendo en forme de dégringolade à la Sisyphe. — Anthokadi
Aelpéacha – « 1X 2X 3X » (J’arrive jamais, 2004)
Là on est carrément dans le coup de coeur. Aelpéacha était dans mon TOP 20 avec le morceau qui l’a sorti de l’anonymat. Le son ‘West Coast’ à la française a alors vraiment trouvé son maître, une production digne des plus grands et un flow laid back qui colle parfaitement. Depuis plus de dix ans, en solo ou au sein du CSRD, Alpha développe vraiment un univers à part dans le rap français, au sein d’un microcosme complet d’artistes passionnés et vraiment doués, rescapés de l’air Secteur Ä comme Driver ou Papillon de la Clinique mais aussi les Sales Blancs ou 421. Malheureusement réduit à l’état de cliché alors qu’elle démontre à chaque projet sa pertinence, cette scène se devait d’être représentée dans ce TOP, même si elle peut paraître complètement exclue des médias et des playlists des auditeurs non avertis. Soutenu par Olivier Cachin et tous les amateurs de G-Funk, Aelpéacha est l’ambassadeur parfait, encore plus pertinent en 2009. Faites lui une place ! — Lecaptainnemo
Ideal J – « Show Bizness » ft. Yézi L’Escroc, Manu Key, Rim’K et Rohff (Original MC’s Sur Une Mission, 1996)
A l’époque, la Mafia K’1 Fry n’existait pas encore en tant que telle, mais beaucoup de ses cadres étaient déjà là. Rim-K, Manu Key, Rohff et bien évidemment Kery James répondent en effet présents sur ce posse cut anthologique. Pas de fioritures dans la prod : une grosse ligne de basse, un break de batterie qui tape, et le tour est joué. Pas de chichis non plus dans les textes : les mafieux du 94 sont en mode « sourcils froncés », et se relaient sur le beat pour lâcher leurs punchlines fracassantes. Un morceau « Plus hardcore qu’un film de Marc Dorcel« , brut et sans concessions, parfaitement à l’image de tout l’album « Original MC’s Sur Une Mission ». — Kiko
Haroun & Mokless – « Bouteille de gaz » (Bouteille de gaz, 1999)
Il y a des morceaux comme ça qui reviennent inlassablement dans l’actualité. Des morceaux signés par ceux dont on parle mais qu’on ne laisse jamais parler, des titres qui mettent des mots sur quelque chose que tout le monde ne peut pas ressentir. Ce qui n’empêche pas que ses phases âpres, sa rancœur, son ironie dans le maniement des symboles interpellent, font mouche, car ils sont un témoignage aussi précieux que dérangeant tant il vient du fond du cœur. C’est ce qu’il se passe sur cette production de Haroun, où l’aigre nonchalance se transforme en brûlot explosif. Les blessures deviennent d’âcres punchlines. ‘Bouteille de gaz’, ou quand les stigmatisés stigmatisent. — zo.

Booba – « Couleur ébène » (Ouest Side, 2006)
Avec quatorze morceaux dans le top 100, en solo ou avec Lunatic, Booba est le rappeur le plus plébiscité par les votants. Ils ont quand même réussi à passer à côté de ‘Couleur ébène’, son meilleur titre toutes époques confondues. Booba y surfe avec une grâce folle sur une production pourtant piégeuse de DJ Mehdi. Le morceau, construit sur un rythme binaire, fait éclater la dualité d’un Booba bifrons, tour à tour farceur et inquiétant, à la limite de la schizophrénie. La précarité de l’existence dite avec des mots simples (« Un jour tu vis, un jour, tu meurs« ) contribue probablement à expliquer sa poursuite pathologique du lucre et du stupre. Pour l’occasion, Booba recycle dans son refrain (« Couleur ébène, douleur et peine« ) une allitération de son ancien complice Ali, sur ‘Les vrais savent’. — Simon
Soklak – « After L » (1977, 2006)
Le spleen, c’est ce morceau. C’est Soklak qui se lève de son transat’ et t’explique la vie, en regardant l’horizon et ce méchant nuage de pluie qui approche. Ce sont les bulles dans ce verre de champagne qui n’ont plus aucun goût, ce pétard qui n’anesthésie plus rien, ces jolies fesses qui passent mais qui n’inspirent plus que des élans misanthropes et misogynes. « Quelques grammes de tristesse dans ce monde de putes » ? La déception altère le discernement… Ou l’aiguise. Tout est question de point de vue. Le dégoût n’a en tout cas jamais été aussi bien raconté.
7 Corrompus – « Les alcooliques »
Parmi les enseignements qu’on retirera de ce top 100, il y a cette tendance à l’uniformisation. Cette confirmation que les coups de cœur personnels sont finalement très partagés. Alors, voilà un morceau personnel associé à un paquet de souvenirs. ‘Les alcooliques’ comme ‘Mon cerveau larcène’ ou ‘Ne tire pas de balles à blanc’ fait partie des hauts faits des 7 corrompus, une équipée obscure échappé de Seine et Marne. Un des hymnes du banc des philosophes, de ces nuits passées à s’arracher le cerveau. Alors, versons un peu de bière au sol : pour les absents. « Glou glou glou : le nom de ma maladie« . — Nicobbl
Benny B – « Vous êtes fous ! »
On reconnaît un classique non pas à sa qualité intrinsèque mais à l’empreinte qu’il a laissé dans les esprits. Assurément, ‘Vous êtes fous !’, vendu à près de 500 000 exemplaires, est l’un des morceaux les plus connus du répertoire du rap francophone et devrait à ce titre tenir le haut du panier. Chacun garde en mémoire le refrain entêtant du rappeur belge. Dans la même veine, on pourrait citer Manau, qui a en plus le mérite d’avoir rafler une victoire de la musique, ou le cagoulé Fatal Bazooka. Comme quoi les électeurs ont aussi su faire preuve de discernement. — Simon
Quelques jours après l’entretien que Sinik nous a accordé, nous l’avons recroisé et en avons profité pour discuter un peu football. De sa passion pour le PSG à la polémique sur la qualification de la France pour le mondial, quelques échanges teintés de souvenirs footballistiques en commun. Une bonne occasion pour se remémorer quelques joueurs et matchs, parfois cultes, parfois bien tristes. Regards croisés sur un sport aux souvenirs toujours un peu teintés d’émotions.
Premier souvenir de supporter
« Dans un stade, c’était un PSG – Auxerre. Il y avait encore Joël Bats et Bruno Martini dans les buts ! Sinon, il y a le match PSG – Real, mythique, avec le but de Kombouaré dans les arrêts de jeu. Le PSG – Steaua Bucarest m’a bien marqué aussi, même si c’était plus tard. Il fallait gagner au moins 4 – 0, on avait perdu à l’aller suite à l’entrée de Fournier alors qu’il n’était pas sur la feuille de match. C’est le genre de match qui a solidifié ma foi naissante de supporter. »
Le regard de l’Abcdr :
Entre 1993 et 1997, le PSG a atteint 5 fois les demi-finales de Coupe d’Europe. Cette statistique record, partagée avec le Real Madrid, illustre bien l’aura dont a pu bénéficier le club, et l’angoisse qui plane sur ses contre-performances en ce début de XXIème siècle. Le but de Kombouaré avait cruellement éliminé le Real des quarts de finale de la coupe de l’UEFA, alors que les madrilènes pensaient tenir les prolongations grâce à leur but marqué à l’extérieur. Une délivrance pour les 45 000 spectateurs dans l’enceinte de la porte de St Cloud. Quant au match retour contre le Steaua Bucarest, il reste lui aussi dans les mémoires. Battu sur tapis vert suite à une bévue administrative dont seul le club a le secret, le PSG effacera les roumains aux portes de la Champions League grâce à un match de battants mené par l’un des plus beaux effectifs que le PSG ait connu. Florian Maurice avait encore de vrais genoux et était le Benzema de l’époque. Leonardo avait offert un festival de passes décisives. Raï avait une fois de plus démontré toute sa classe, et Marco Simone, fraichement arrivé, n’en revenait pas lui-même. Quant au Parc, il n’a rarement autant joué son rôle de 12ème homme.
Plus grosse déception de supporter
« Il y en a eu quelques unes ! [rires] La plus récente est le PSG – Marseille de l’an dernier. Si on gagnait on était quasiment premier et on poussait Marseille dans les profondeurs. Au final on a perdu et ça a été le début d’une mauvaise série pour nous alors que l’OM s’est relancé. »
Le regard de l’Abcdr :
Le classico français, crée de toutes pièces au début des années 90, n’a plus la saveur d’antan. Entre un PSG qui tombe malade chaque hiver et un O.M qui multiplie les frasques (comme faire jouer son équipe de CFA au Parc), ces matchs à « hauts-risques » selon les préfectures de police concernées sont souvent aussi âpres que verouillés. L’emballage médiatique n’y peut rien. Pourtant, l’an dernier, les hommes d’Eric Gerets étaient venus se venger d’une humiliante défaite concédée quelques mois plus tôt au Vélodrome. Au Parc, Brandao a eu une illumination technique, Zenden a fait son Houdini sur les objets publicitaires, et la rencontre s’est avérée être l’un des tournants de la saison. Le match a préfiguré des difficultés du PSG à finir dans les places européennes pendant qu’il a permis à Marseille de rester jusqu’au bout dans la course au titre.
Dans la peau et les pieds d’un joueur
« George Weah. Il avait tout : technique, fort, humain, respectueux. Un très grand joueur. D’ailleurs, ce qui s’est passé lors de son départ, je crois que c’est la seule fois où j’ai eu honte d’être supporter de Paris. Un mec qui a autant fait pour ton club, tu ne peux pas lui faire des choses comme ça. C’était irrespectueux, raciste en plus, ça m’avait choqué à l’époque. C’est une page pas glorieuse. »
Le regard de l’Abcdr :
À ce jour, Weah reste le seul Africain à avoir été honoré du ballon d’or. Son arrivée dans le football européen a débuté par un passage à Monaco, sanctionné d’une finale perdue de la regrettée Coupe des Coupes, trophée européen cher au PSG, que M. George rejoindra pour trois ans. Il a marqué le Parc des Princes par sa puissance et sa technique, avant de quitter le club dans une ambiance nauséabonde, des supporters ingrats et imbéciles digérant mal son départ pour le grand Milan. Cela n’enlévera en rien la splendeur du libérien, qui fera le bonheur de San Siro comme il avait fait celui du Parc, avec notamment un but qui n’a rien à envier au célèbre run de Maradonna lors du mondial 1986.

Le joueur détesté
« Fiorèse ! Le mec va où on lui dit d’aller, n’a pas d’identité, quand il est à Paris c’est le meilleur club du monde, puis quand il va à Marseille, c’est aussi le meilleur club du monde. Ce genre de joueur, qui retourne sa veste, qui fait un peu sa salope, qui n’est pas en phase avec lui-même et n’a pas de respect pour le maillot qu’il porte, ça ne me plait pas ! »
Le regard de l’Abcdr :
Encore plus détesté par les parisiens que son pote Fred Dehu, Fiorese a dû sa carrière à quelques matchs réussis (dont une saison pleine au PSG en 2004, 11 passes décisives) et à un opportunisme latent. Prenant les surfaces de répération pour une piscine (« Plus proche de Franck Esposito que de Georges Weah » dixit footmercato.net), sa réputation sulfureuse encadra une carrière faites de chichis et de transferts aux allures de non-sens. Honni par les supporters de toutes les villes de France, même ceux des clubs où il a joué (parlez en aussi bien à la porte de St Cloud que la Cannebière), il a terminé sa carrière à Troyes, qui s’est vu releguer en National.
Plutôt Colleter ou plutôt Llacer ?
« Ah Llacer ! [rires] C’est assez bizarre ces mecs, des fois tu te demandes comment ce genre de gars est arrivé dans le foot. Ce sont des bourrins, qui sont là pour faire le ménage plus que pour faire le jeu. Je n’aime pas trop ce genre de joueurs, parce que si il suffisait d’être hargneux et de ne pas lâcher le morceau pour être footballeur, on serait nombreux à y être arrivés. Ca ne sert plus à rien aujourd’hui si tu ne compenses pas derrière avec de la technique. Bon, Llacer avait mis un but de malade des 30 mètres, en reprise, je ne sais pas ce qu’il avait mangé. A Marseille ils en avaient un comme ça aussi : Hamada Jambay. Le mec était super mauvais mais a mis deux missiles de trente mètres. »
Le regard de l’Abcdr :
Si il est vrai que personne ne s’est encore remis du but de Cisco, moment de grâce d’un joueur qui semblait concevoir un match comme une bagarre dans un bar pour le dernier verre, nous devons remercier Sinik de tout coeur : Hamada Jambay était complètement sorti de nos esprits. Extraterrestre du football, nous n’avons pas pu résister au plaisir de vous offrir ses fameux buts en vidéo.

Luis Fernandez ou Artur Jorge ?
« Ah largement Luis Fernandez ! C’est une bonne tête, je le connais un peu. Et puis il représente un peu ce qu’il manque au PSG : des caractères forts, des grandes gueules qui savent où elles vont. C’était autant une star que certains de ses joueurs. Aujourd’hui, tout le monde est dans le rang, tout le monde est gentil, et des mecs forts en caractère comme lui, ça manque un peu. Kombouaré à ce petit truc aussi, mais pour l’instant, en terme de résultat, ce n’est pas l’Amérique. »
Le regard de l’Abcdr :
Le moins que l’on puisse dire, c’est que Luis Fernandez est un sacré personnage. A cheval entre le monde médiatique et le football, celui qui fut des glorieuse équipées françaises de 1984 et 1986 en tant que joueur, est un coach qui attise les contreverses. Parfois aussi incompréhensibles qu’un Roger Lemerre (cf vidéo), il reste le serpent de mer du PSG. Les résultats de son premier passage sur le banc de touche parisien, lors de l’âge d’or du club entre 1994 et 1996, l’ont hissé haut dans le coeur des supporters de la capitale.
Plutôt Rai ou plutôt Ronnie ?
« C’est dur ça ! Mais je dirais Rai car il a vraiment marqué le club dans la durée. Ronnie a fait des trucs magnifiques et il s’est bien amusé en boite, mais c’était plus éphémère. »
Le regard de l’Abcdr :
Assurément, Rai est au PSG ce que fut Juninho à Lyon ces dernières saisons. Mais en plus d’être doté d’un sens du ballon propre aux brésiliens (regardez la célèbre « Madjer » sur la vidéo ci-dessus), Raï avait une véritable vision du jeu et une classe rarement vue en Ligue 1, sur comme en dehors du terrain. Souriant, humble, généreux, ce n’est pas seulement le Parc des Princes que le meneur de jeu a illuminé durant 5 saisons, mais la France entière.

Cantona ou Ginola ?
« Cantona. C’est incomparable. L’un était un bon joueur, l’autre est une légende. Tu vas à Manchester, ils vendent encore ses t-shirts, chantent toujours la Marseillaise. »
Le regard de l’Abcdr :
Bon, soyons sincères, il nous arrive d’avoir des questions complètement cons. Celle-ci en est une preuve. Franchement, peu importe l’avis sur Ginola, quel amateur de football n’aurait pas répondu Cantona ? Probablement aucun. Tout a été dit sur Eric THE King, et même retiré des terrains, la légende continue à s’auto-alimenter à base de déclarations situées entre Didier l’embrouille et André Breton. Cantona a été l’un des premiers footballeurs contemporains a aussi bien gérer son image (qui ne se souvient pas de ce fabuleux spot publicitaire). Quant à nous, on s’en souviendra : « Cantona rien à dire, on ferme sa gueule ».
Plutôt Ruiz ou Saccomano ?
« Mmmh, Saccomano. Il a une bonhomie ce gars, tu as l’impression de le connaître. Et puis sa manière de crier, ses montées sur les aïgus [rires]. Quand il va partir, il va laisser un vide. »
Le regard de l’Abcdr :
Saccomano est au commentaire sportif ce qu’est… ce qu’est… Saccomano est unique et incomparable en fait. Parfois populiste, souvent polémiste, celui qui a exercé 30 ans sur Europe 1, dont un temps en duo avec l’excellent Pierre-Louis Basse, a traumatisé des générations d’auditeurs. La station avait repris ses meilleurs commentaires pour en faire un générique culte, dont le célèbre « Titi Camarra ! Titi ! Titiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii » (prolongez jusqu’à l’essouflement) reste dans toutes les mémoires. Malheureusement, internet n’a pas gardé traces de beaucoup de ces passages.
Le football à la radio
« Je kiffe mais c’est épuisant. Quand tu es supporter et que tu suis un match à la radio, tu as tout le temps peur. Les mecs crient pour une passe au milieu du terrain, ils sont super enthousiastes, et faut savoir discerner quand ce qu’ils décrivent est vraiment chaud ou pas. Il y en a qui tempèrent plus que d’autres, mais tu t’en remets aux paroles. Tu n’as que ça ! Si le mec veut te faire peur, il peut ! »
Le regard de l’Abcdr :
Le foot à la radio est effectivement une expérience à part. Et ce média a plusieurs particularités : il sait s’accomoder d’un match soporifique, bénéficie d’un formidable réseaux de correspondants locaux généralement très pointus et très bien informés, draine énormément de journalistes et consultants de qualité, et surtout manie les multiplex à merveille. Si un grand match se doit d’être vu de ses propres yeux, c’est probablement la radio qui donne le plus de frissons, excepté le stade bien sûr.
La main d’Henry et la main de dieu
« Il n’y a aucun rapport. Ce n’est pas du tout pareil, ce n’est pas la même action, l’un c’est un but, l’autre un contrôle, c’est incomparable. Mais c’était évident que cette expression allait ressortir, les habitués de foot le voyait venir à des kilomètres. Le geste de Thierry Henry je pense que c’est un mauvais réflexe. Il a présenté ses excuses. C’est une main qu’il a fait, il n’a tué personne. Il faut se détendre et il ne faut pas oublier que c’est le meilleur buteur de l’équipe de France, qu’on lui doit beaucoup. Et ceux qui disent qu’il devait se dénoncer à l’arbitre ne savent pas de quoi ils parlent. Tu en vois beaucoup des joueurs qui viennent réclamer un carton ou l’annulation d’un but ? »
Le regard de l’Abcdr :
Inutile d’en faire des tonnes et des tonnes, tellement un convoi de semi-remorques est déjà passé sur le sujet. De toute façon, c’est bien connu, l’insécurité frappe toujours au premier poteau, et la manie de la vidéosurveillance trépigne d’impatience sur les bancs de touches des terrains de football. Il reste cependant intéressant de vivre de l’intérieur le point de vue des Irlandais.
Domenech, la main d’Henry ou la main d’Estelle ?
« Je ne sais pas mais moi je lui mettrais bien ma main dans la gueule ! »
Le regard de l’Abcdr :
Jeu de mains, jeu de vilains !