Chronique

Psykick Lyrikah
Des lumières sous la pluie

Idwet - 2004

« Au crépuscule vivait le silence, ils l’ont tué à coup de crosses d’une violence si dense que même la nuit s’est tue pendant trente jours, et l’habitude pris le dessus comme toujours… »

Chronique d’une descente annoncée. Plongée en apnée dans un univers bruyant et oppressant, le long des boulevards de l’uniformité urbaine. C’est là où nous emmène ce disque, qui s’applique avec minutie à scruter la ville et l’âme de ses habitants. Débusquer la faiblesse pour mieux révéler les traces d’humanité. Des lumières sous la pluie, une descente dans la ville afin de remonter vers la vie. Assurément doués pour illustrer leurs pensées, Arm et Mr Teddybear tissent une atmosphère imagée à partir de quelques sons sur lesquels se greffent deux ou trois lettres rouge sang. Le duo, en provenance de Rennes, dresse ainsi un tableau qui glace la rétine à mesure que les titres s’enchaînent.

« C’est un bloc de pierres paisibles où quelques milles récifs s’entrechoquent et se résignent. C’est un bloc de haine abrasive où certains sèment le rêve pendant que d’autres hésitent. »

La première écoute laisse pourtant un goût étrange, le sentiment de rester extérieur à l’ambiance dépeinte – d’y être insensible. Fort heureusement, cette impression de froideur inhospitalière s’estompe rapidement. Petit à petit, la cadence imposée par la voix presque sentencieuse du rappeur Arm se brouille jusqu’à devenir floue, imprévisible. Son flow se mélange finalement à la musique pour ne former plus qu’un. Perdant alors de son hermétisme, la complainte laisse percer sa tragique beauté par touches diffuses, sous un jour moins monolithique (« Ce sont mes flèches, telles qu’elles sont, drapées de rêche et de belles plaies que nos rêves font« ). Il ne reste alors qu’à se laisser emporter dans cet abîme de textes empreints d’une rare profondeur. L’écriture très littéraire, renforcée par de nombreuses références implicites, se laisse doucement apprivoiser par ailleurs, tout en réservant quelques passages d’anthologies. Loin des punchlines qui font la sève de certains rap, ces formules s’inscrivent ici dans le récit et contribuent à construire un bloc cohérent et abouti. Au final, la diction régulière d’Arm devient en quelque sorte le poumon du disque. Un poumon qui insuffle un air salvateur à l’ambiance viciée de la ville qu’il décrit.

Par delà ce souffle étrange et robuste, les productions – assurées dans leur majorité par Mr Teddybear – font office de réverbère : elles cherchent à éclairer les zones d’ombres de cette ville sombre et vaporeuse, à faire naître quelques lumières sous la pluie des cœurs solitaires de ses habitants. Plus encore que l’architecture urbaine, c’est en effet le morcellement humain inhérent aux villes, conquises par les foules, qui est mis en exergue dans cet album. L’intensité n’en est que plus touchante. Les peurs, les doutes ou les envies y tiennent une place non négligeable, révélée par des instrus aux thèmes lancinants. La superposition de sonorités pesantes y est contrebalancée de façon subtile : quelques notes de pianos délaissent par endroit leur charge lugubre pour embrasser la clarté, tandis que la guitare d’Olivier Mellano délivre une série d’accords organiques sur plusieurs morceaux. Enfin, les scratchs de Robert le Magnifique – autre invité du disque, avec Abstrackt Keal Agram – achèvent d’insuffler la vie au sein de ce monde écorché, cet univers lacéré.

Une telle ambiance ne pouvait qu’encourager à l’introspection. Pour autant, l’ambition de ce retour sur soi n’est pas de favoriser un repli individualiste. Au contraire, ce disque engage à ne pas renoncer devant les murs de l’isolement qui se dressent face à l’homme errant. Alternant plages instrumentales et morceaux rappés, les deux protagonistes se répondent en écho au sein de la sphère qu’ils ont créé. Ils échangent et partagent ainsi des signes de vie qui gagnent peu à peu devant un désert urbain gorgé d’illusions. « Que vos jacteurs ne craignent pas nos petites voix insignifiantes mais parfois gênantes – et j’aime ça. » L’imprécation scandée par Arm prend alors toute sa valeur : plutôt que de dégainer un « flingue au chargeur plein d’illusion« , la confrontation avec ce monde hostile passe par le dévoilement de ses propres cicatrices – la mise à nu de la déchirure.

« Courage et patience, l’arche est faible et sous l’absence qu’elle absorbe elle cédera. »

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