R.A the Rugged Man, perdant mais tueur

R.A the Rugged Man navigue dans les tréfonds du rap américain et new-yorkais depuis trente ans. Trois décenies faites de pointillées mais pourtant légendaires, au point qu’il se dit que Biggie aurait déclaré, en ayant celui qui se faisait d’abord appeler Crustified Dibbs à ses côtés : « je pensais être le plus dingue de ce jeu, mais en fait non, il y a R.A. » The Rugged Man, c’est ce mec qui a planté un deal à 1.8 millions de dollars avec J.I.V.E, qui crache sur Rawkus auquel il considérait juste vendre des morceaux et a vu Def Jam refuser qu’il soit en featuring sur un album de Method Man. C’est ce rappeur parfois trop démonstratif, qui est considéré comme l’un des plus grands débits de l’histoire, aux côtés de monstres comme Twista, Eminem, Tech N9ne ou Busta Rhymes. C’est ce MC fan de films d’horreur et de cinéma, qui écrit pour plusieurs médias américains, tout en jouant des rôles scatophiles dans ses propres clips ou ceux des affreux du super groupe Smut Peddlers. C’est un sens de l’humour particulier, du genre qui crible lamentablement son propre cerveau de balles de 9mm, s’éclate à recopier un clip de Myley Cyrus, ou fait passer le verso de la pochette du dernier French Montana (avec lequel il cultive une ressemblance physique frappante) pour la tracklist de son nouveau disque. Ce sont deux albums solos seulement en près de trente ans de carrière, ultra considérés par certains, jugés trop expansifs et exubérants par d’autres. Mais c’est l’un de ces rappeurs rares qui, en plus de ne jamais faire les choses à moitié et avoir les idées bien arrêtées sur ce qu’est le rap, se repère à chaque fois qu’il ouvre la bouche ou apparaît à l’écran. Pour son dernier clip en date, ça n’a pas loupé, et pour une fois jusqu’en France. The Rugged Man y est déguisé en Tekashi 6ix9ine. Forcément, dans une époque de troll rap dont R.A pourrait aisément être le maître de tous, ça se remarque. Mais contrairement à ce que ses images laissent croire, « Legendary loser » est aussi un titre autobiographique, un egotrip lucide, moqueur et critique. Et à tous ceux qui pensent que les excès créatifs de Crustified Gibbs l’amènent parfois vers le mauvais goût, qu’ils notent que la production est signée par Psycho Les des Beatnuts. Tout sauf un manque d’élégance. À confirmer en ce premier semestre, avec l’album All my Heroes are Dead, dont « Legendary Loser » est la carte de visite. R.A est peut-être un perdant, mais il les enterre tous.