박혜진 Park Hye Jin, house rap fait maison

La solitude urbaine, le télétravail et le divertissement en streaming à portée de main ont bousculé les habitudes d’écoutes de millions de personnes à travers le monde, lesquelles trouvent aujourd’hui davantage de réconfort dans des playlists et des mixs sans fins d’ambient, de jazz ou de deep-house, que dans des morceaux refrain-couplet-refrain par essence trop bavards pour remplir l’espace sans prendre toute la place. Le hip-hop, avec ses boucles et ses textures souvent minimalistes, a participé à sa manière à habituer l’oreille du public à ce rythme musical plus lent et méditatif, faussement « fonctionnel », sur lequel le flow, de paroles ou de pensées, peut vagabonder. C’est en tout cas le chemin pris par 박혜진 Park Hye Jin, qui enfant se prend de passion pour les clips de hip-hop à la télévision coréenne, avant de s’orienter vers le Djing et la musique de club au sortir de l’adolescence. Tout s’accélère en 2019 avec un premier EP de house, If U Want It : tournée des plus grands clubs et festivals, signature sur le mythique label Ninja Tune, collaborations avec Clams Casino et Galcher Lustwerk puis sortie d’un premier album Before I Die, plus orienté techno. Si le son à la fois ample et minimaliste de Hye Jin semble grandir et s’affiner en temps réel d’un morceau à l’autre, il reste souvent imprégné de ses solides influences rap, trap ou boom-bap, qu’on retrouve aussi bien dans ses choix de production que dans sa manière de poser sa voix.

Un peu plus de deux ans plus tard, la productrice sud-coréenne semble repartir de zéro. Sail the Seven Seas, album sorti sans promo et en totale indépendance, ressemble à un retour aux sources personnel, une capsule émotionnelle pour une artiste à l’aube de la trentaine, qu’on devine secouée par de nombreux questionnements existentiels. Le dancefloor est toujours le coeur de sa musique, mais plus petit et chaleureux, plus propice à l’intimité. Un cadre qui permet à Hye Jin d’embrasser plus que jamais le hip-hop qu’elle affectionne et de l’intégrer pleinement à la house dansante qu’elle maitrise. Dès l’intro, sur le transparent « Brooklyn Babe », où l’artiste rappe sans complexe dans sa langue maternelle sur une boucle dont la mélancolie et le flegme urbain évoqueront à tout auditeur de rap des souvenirs précis. A l’autre bout de l’album, « California » fait de même avec le son G-Funk, que Hye Jin s’approprie avec la nonchalance nécessaire. De titre en titre, l’artiste alterne entre anglais et coréen pour confier l’ennui métaphysique qui la tenaille (« Win »), le déracinement, inévitable prix à payer d’une vie d’errance choisie (« Foreigner ») ou la fierté d’être asiatique et coréenne, fierté qu’elle n’a commencé à ressentir qu’une fois en occident (« Proud of me »). Dépouillés, toujours soigneusement adaptés aux rythmes qui les accompagne, ses textes nous rappellent que le rap, par-delà les formes et les écoles, reste l’une des meilleures façons de dire les choses et de revendiquer l’espace autour de soi. Lorsque le média Mixmag lui demande d’imaginer devoir faire un choix entre la production, le djing et les autres casquettes qu’elle porte, 박혜진 Park Hye Jin ne fait pas de mystère : « Quand mon corps réagit à un rythme, tout semble s’imbriquer naturellement. Je choisirai le rap. »