Sidekicks

En 2007, Moar sortait Mes influences. Le projet brillait par sa cohérence, ses boucles chaudes et sa veine purement soulful. Niveau rap, le casting ne laissait d’ailleurs pas de doutes. Pendant que le fondateur de Trad Vibe Records était aux machines, les MCs incarnant le mieux ce hip-hop technique aussi vif que moelleux se passaient le micro. Madjir, Enz, Daz-Ini, ou encore Kohndo avec le remarquable « Ma Définition », avaient tous trouvé dans les productions de Moar un écrin sublimant leurs qualités. Malgré ça, Mes influences était passé relativement inaperçu. Cet anonymat, c’est le pays du Soleil Levant qui l’a brisé. Toujours amateur d’un hip-hop racé, raffiné à proximité de ses fondamentaux, les Japonnais s’était enthousiasmé pour la galette de Moar. Côté français, alors que l’album vient de passer le cap des dix années d’existence, il est temps de se rattraper. Pour ce faire ? Une version entièrement remixée de Mes influences, avec derrière les machines, une cargaison de producteurs ultra-confirmés et partageant avec Moar la même passion pour les boucles soyeuses, les basses grasses et les beats au punch indémodable. Jimmy Jay, Doc TMK (habitué des collaborations avec DJ Suspect), le digger Lord Funk (CF notre interview), DJ Damage, ou encore le jeune Clem Beatz ont tous revisité les influences de Moar à leur sauce. Une saveur à base de samples funk, jazz et soul, ponctuée de scratches et éditée en dématérialisé mais aussi en vinyle. En bref, une belle redéfinition des influences de Moar.

Quand on pense à Bad Boy, le label de Puff Daddy, on pense tout de suite à la dynastie si courte de Notorious B.I.G. qui résonne toujours très fort 21 ans après sa mort. Pourtant, l’histoire du label est parsemée de trajectoires étranges aux disques charnières, aux succès éphémères et aux chutes spectaculaires. Ma$e, The Lox, Shyne, Loon ou même G-Dep, chacun a son arc étrange mais ils sont tous passés après Craig Mack. En effet, Puff veut en faire son premier artiste rap après le lancement de Mary J Blige, on est en 1994 et Sean Combs croit à mort au en ce rappeur déjà presque ancien avec sa gestuelle grandiloquente et ses placements audacieux. Au premier abord, rien n’est simple dans la musique de Craig Mack, tout est en rupture de la musique de l’époque. Easy Mo Bee propose des rythmiques plus lentes et dépouillées, Craig Mack y prend de l’aisance avec une savante alternance entre envolées et silences : Ce premier single, « Flava in ya Ear » est une déflagration en avance sur son temps.

Pourtant Craig n’a rien d’un jeune premier. Il a déjà sorti un disque en 1988 sous le nom d’MC EZ & Troup puis a écumé les scènes avec les plus grands. Roadie de Dj Scratch sur les tournées d’EPMD en 1991, il est connu pour les soirées d’après concerts où ses joutes verbales avec un certain Redman, jeune rookie du moment, marqueront les esprits. Cette énergie dévastatrice reviendra quelques années plus tard aux oreilles de Puff qui veut en faire sa première star, avant de tout miser sur le génie Biggie. Résultat, Project : Funk The World un album réussi qui marche au même pas que Ready to Die lors de sa sortie avec la fameuse campagne B.I.G. Mack, véritable évènement dans le microcosme rap. Mais le tourbillon ne peut être contrôlé, Craig Mack devient un dommage collatéral du vortex B.I.G. qui prend toute la place. Après une communication compliquée et de multiples ratés, Craig quitte Bad Boy et son deuxième album Operation : Get Down sort en 1997 chez un indépendant. Le résultat déçoit malgré de très bons moments mais le ton est aigri. Craig a raté plusieurs trains à une époque où on passe de la vapeur au TGV en quelques mois.

Malgré quelques espoirs au début des années 2000, c’est finalement la traversée du désert qui s’impose. Entre coeur fragile et implication religieuse, Craig Mack n’est plus dans le rap. Jusqu’à sa disparition le 12 mars 2018. Reste un rappeur charismatique et railleur qui a marqué son temps avec des morceaux forts comme « Get Down » et ses remixes ainsi que bien sûr la légende de « Flava in ya ear remix » où chaque mesure est une formule secrète du meilleur du rap de 1994. Son influence est difficile à mesurer mais trouve de nombreuses résurgences dans le rap mêlant facilement hardcore et commercial à la fin des années 90. Une autre étoile filante de Bad Boy qui a marqué la planète rap sur un sprint.

REPOSE EN PAIX CRAIG MACK

Matt Dike, ce nom est inconnu pour beaucoup. Par contre, celui des Dust Brothers résonne déjà un petit peu plus. Leur plus grand succès public en leur nom propre ? La bande originale de Fight Club. Mais les Dust Brothers, assimilé à un duo plus ou moins électro, étaient avant tout de redoutables producteurs et arrangeurs. Beck, les Hanson (eh oui !), Linkin Park, des remixes pour Urban Dance Squad, et même un album pour Les Rolling Stones, voilà quelques-uns des noms les plus connus avec lesquels John King et Matt Simpson ont travaillé. Mais avant cette galaxie de superstars mondiales, auprès de qui ont-ils fourbi leurs armes ? La scène rap, spécialement californienne. C’était en partenariat avec Matt Dike, fondateur du label Delicious Vinyl, dont le premier hit était une diss-track envers N.W.A. Dike, producteur pour Tone Loc, Young MC, Def Jef, le pionnier de l’hispano-rap Mellow Man Ace, qui travailla plus tard avec Public Enemy, Aerosmith et sortit les disques de The Pharcyde, marquera plus particulièrement l’histoire du rap avec les Dust Brothers lors de la production de Paul’s Boutique des Beastie Boys. Il est notamment celui qui a préparé le délirant « Hey Ladies », facture ultime de l’obsession des trois New Yorkais pour la mise en scène comique de dragueurs lourdingues. Ad Rock raconta ainsi comment lui, Mike D et MCA se figèrent à L.A, après qu’il eut entendu le duo The Dust Brothers jouer leurs sons et ceux de Matt Dike, qu’il décrivit plus tard comme « des boucles de malades, superposées à tel point que cela sonnait comme quatre breakbeats assemblés ensemble ». Une définition plutôt juste de Paul’s Boutique, qui après le décès d’Adam Yauch en 2012, a perdu un autre de ses créateurs. Matt Dike est en effet mort à 56 ans, comme l’a confirmé son label hier. Repose en paix.

Gracy Hopkins mettra le feu à Evreux ce vendredi 16 mars pour l’ultime date de sa tournée. L’artiste francilien qui a la particularité d’officier principalement en anglais partagera l’affiche avec Rouquin, un groupe composé d’artistes rouennais et notamment du rappeur Jean-Baptiste (anciennement appelé UnSaleNoir), un esprit torturé de la scène normande dont l’Abcdr vous a déjà parlé à plusieurs reprises. Ça se passe au Tangram (salle Le Kubb) et on vous conseille fortement d’y passer si vous êtes dans le coin pour vous laisser emporter par l’énergie de Gracy Hopkins dont la réputation sur scène n’est plus à faire, ainsi que pour découvrir l’émotion brute de Rouquin. 2 x 2 places à gagner sur nos pages Facebook et Twitter.

Fin producteur, auteur l’an dernier avec Kyo Itachi et Astronote du solide The Great Red Spot, Azaia veut mettre en avant ces producteurs, qui comme lui, oeuvrent dans l’ombre et dont les noms restent parfois derrière le son. Azaia sort sur son label Brain Connection 1978 un album instrumental, Translating The Zone, qui réunit une liste rutilante et hétérogène d’orfèvres du beat : Dusty of Jazz Liberatorz, Mr Hone, Hugo LX, Dagui, Cris Prolific, Kyo Itachi, Odweeyne, Onra, Yann Kesz, AAyhasis, Walter Mecca, Venom, Parental, Mani Deïz, Astronote, Art Patterns, Dela, et lui-même. Chacun a droit à une piste pour explorer, déployer et démontrer ses talents de metteur en son. L’album Translating The Zone est disponible en écoute sur Bandcamp, proposant également à la vente différents formats, du CD au vinyle.

Alors que le Suprême Nique Ta Mère s’apprête à entamer une tournée anniversaire (la deuxième après celle réalisée en deux temps, entre 2008 et 2010), l’excellente émission Affaires sensibles sur France Inter a réalisé fin janvier un focus sur les déboires de Kool Shen et Joey Starr avec les syndicats policiers. Loin de la hype qui entoure désormais le groupe à chacun de ses retours, le milieu des années 90 était en effet pour NTM (et d’autres groupes de rap français) une période de déboires judiciaires, comme l’illustraient certains éléments fournis dans notre dossier consacré à l’année 1997 du rap français. Fabrice Drouelle et son équipe, avec un art du story telling et un travail de documentation toujours aussi parfaits quels que soient les sujets, reviennent sur ces relations tendues entre le Suprême et les syndicats de la force publique. Un excellent éclairage, doublé d’un travail de vulgarisation sérieux et respectueux (malgré une micro erreur, tout à fait pardonnable, dans l’émission), qui prend le temps d’élargir le sujet à un contexte plus général tout en questionnant son traitement médiatique, à base d’archives « savoureuses. » De son côté, NTM fêtera dès ce jeudi à Bercy ses trente ans et le vingtenaire de leur dernier album. Ils seront entourés par la doublette de luxe DJ Pone et R-Ash, avant de tourner dans plusieurs festivals et salles de France.

« Il découpe le quotidien en petites phrases poétiques et déconstruit la ville lumière avec un calme tranchant », voici quelques uns des mots écrits ici-même fin janvier pour décrire « Classe », premier extrait du futur album de C.Sen. Une description qui siérait toujours aussi bien aux deux nouveaux titres que le MC et graffiteur du dix-huitième arrondissement a dévoilé ces quinze derniers jours. Alors plutôt que de craquer et de se répéter comme un disque rayé, ces lignes affirmeront que Keno semble définitivement être la trouvaille de ce début d’année côté beatmaking. Et elles confirmeront aussi ce que déclame Le C.Sen dans « La Vraie, la belle » : oui, sa tête est bel et bien un véritable coffre-fort tant les associations d’idées mélangent ici l’art de la photographie de rue et celui du haïku qu’aiment se construire ceux qui pratiquent les balades nocturnes en solitaire dans Paris. Deux titres vertigineux, qui ne « ressemblent à personne comme deux gouttes d’or », pour un futur disque vraisemblablement bien nommé : Vertiges. Probablement le futur fil d’Ariane des nuits de ce printemps 2018, celui qui guide les funambules.

« Je te vois marcher sur mes pas, comme si un malheur ne suffisait pas… » En première ligne du Dezordr, ruelle pleine de vie à l’ombre des boulevards codifiés du rap français, La Main Gauche a dévoilé fin 2017 un second EP, Ni le même, ni un autre, trois ans après avoir dépeint les silences et bruits étouffés Derrière les Palissades. Le titre éponyme de ce nouvel essai a été mis en images il y a quelques semaines et il est justement à l’image de l’univers de La Main Gauche : pauvre en artifices, riche en idées et en visages. En attendant le dixième volume des Dezord Session qui s’annonce unique dans sa diversité. Pour ceux qui portent et tombent le masque…

Il est l’abatteur préféré de L’Abcdr, et il revient, cinq ans après son EP Bûcheron. Sauf que cette fois, il a troqué ses techniques de survie et ses prophéties d’exode pour trancher le monde des algorithmes avec sa hache. Zippo se battra désormais contre les robots, pendant quinze pistes. Et si le titre de cet album semble digne d’un roman de science-fiction de littérature jeunesse, c’est bien l’âge adulte que découpera le Z. Celui dont se pare l’économie numérique. Celui qui infiltre le quotidien, les rues, les soirées, la politique, les relations amicales ou amoureuses et même la bouffe, bref, tout. Google en est le premier extrait. Sortie ce vendredi 9 mars pour ce disque qui multipliera les exercices de style tout en über démantelant tous les hypers-codes.

L’épicerie coréenne de Prince Waly et Fiasko Proximo cristallise leur rêve américain. Elle est ce repère, relevant presque de l’image d’Épinal, comme le motel, le car-wash ou le bowling peuvent l’être pour d’autres. C’est dans l’épicerie coréenne que Big Budha Cheez a décelé l’incarnation archétypale de ce qu’est leur Amérique, fantasmée, projetée et esthétisée ; ceci explique le nom de leur dernier album en date, disponible depuis deux semaines. Le disque s’inscrit dans la lignée de L’Heure des Loups, dans le sens où les deux Montreuillois développent toujours un son rétro et un univers anachronique. Mais se ressent aussi dans Épicerie Coréenne l’impact de Junior, l’excursion de Prince Waly sur un EP avec Myth Syzer en 2016. Car c’est bien lui qui porte vocalement le projet, quand son binôme se fait lui plus discret au micro, préférant se concentrer sur la production et les arrangements -un choix courageux et apprécié, tant l’écart de niveau en terme de emceeing a pu être fort par le passé. Fiasko et Waly semble avoir parfait leurs idées, et un équilibre certain régit ce très bel album, sur lequel l’Abcdr ne manquera pas de revenir à froid, lorsque le temps aura fait son travail, comme la police de Brainerd, Minnesota.