Hommage

Décès de Lionel D

Au gré des interviews menées par l’Abcdr depuis vingt ans, il y a des références qui reviennent inlassablement. Parmi elles, il y a une émission radio : le Deenastyle. Dans l’histoire du rap français, le programme de Radio Nova est, aux côtés de quelques radios locales, le tout premier espace radiophonique à diffuser du rap. Dee Nasty y officie aux platines, Lionel D y est le Maître de Cérémonie. Pour beaucoup de gamins des années quatre-vingt, l’émission est une porte d’entrée sur le rap et la culture hip-hop. Pour les pionniers du mouvement, elle est un rendez-vous incontournable. Qu’ils soient collégiens ou jeunes rappeurs, nombreux sont ceux derrière leur poste à en enregistrer chaque épisode sur K7. Au moment où il suffit de déverrouiller son téléphone pour entendre du rap, ça n’a peut-être l’air d’être rien. Mais la réalité est celle-là : Dee Nasty et Lionel D étaient les premiers grands éclaireurs de cette musique. DJ Duke, Cyanure, Rocca, DJ Scribe, Odas, tous ont un moment ou un autre mentionné dans les colonnes de l’Abcdr comment le Deenastyle avait, d’une façon ou d’une autre, participé à crédibiliser la possibilité de faire du rap en français pour eux. C’est donc avec une triste nostalgie que toute une génération a appris le décès de Lionel D. Le premier MC français à officier en direct sur les ondes est parti soudainement dans la nuit du lundi 24 au mardi 25 février, dans l’anonymat d’un hôpital londonien. Il laisse à ceux qui l’ont côtoyé le souvenir d’une personne humble, généreuse, et peut-être même trop gentille pour un rap français qui mettait tout juste les pieds dans l’industrie et perdait sa naïveté. Maitre Madj se souvient d’un « MC qui a tant fait pour le développement de la culture Hip-Hop en France (…), animé par ce souci de pousser les gens pour lesquels il avait un tant soit peu d’estime. » Sear de Get Busy déplore « la malédiction des pionniers » pour quelqu’un « qui avait tant œuvré pour cette musique depuis le début des années 1980, pour finalement se retrouver petit à petit sur la touche ». Si les disques qu’il a sortis au tournant des années 1990 n’ont pas rencontré un franc-succès et que Lionel D a trop vite été jugé has-been, c’est pourtant grâce à l’émission qu’il avait construit avec Dee Nasty que de nombreux auditeurs ont entendu pour la première fois des rappeurs qui allaient devenir des légendes. Alors qu’aucun d’entre-eux n’avaient encore sorti d’album, MC Solaar, NTM, Assassin, Stomy Bugsy ou IAM, tous ont rappé sous l’égide du MC du Deenastyle. L’héritage de Lionel D c’est finalement ça : la magie de l’éphémère, celle des freestyles, des micros ouverts, de la scène et de la radio. Un paradoxe précieux, que l’Histoire, trop attachée aux moments de grâce discographique, n’a pas assez reconnu. Alors pourvu que l’appel de Dee Nasty, son frère de son, soit entendu. Dignement.