Zi
Diamond in the Rough

Zi

Il vit en France et rappe en anglais, revendique avec fierté une triple identité singulière et affiche une ambition débordante. Bienvenue chez Zi.

Abcdrduson : Il y a quelque chose qui m’a frappé lorsque je t’ai écouté pour la première fois : la proximité de ta voix et de ton flow avec ceux d’AZ. J’imagine qu’on te l’a déjà dit…

Zi : [Il éclate de rire] Très souvent ! Même moi ça me surprend… J’adore AZ, c’est vraiment un des rappeurs les plus sous-estimés mais ce n’est vraiment pas quelqu’un que j’ai beaucoup écouté. Les gars que j’ai vraiment saignés sont Tupac ou Eminem et ça m’a vraiment surpris quand on a pointé du doigt cette ressemblance. Après, j’ai réalisé que ça concernait surtout le timbre de voix… Mais il y a pire comme comparaison !

A : Quels sont les premiers disques qui t’ont marqué ?

Z : Je me suis pris ma première claque avec « My name is » de Eminem. J’avais douze ans, j’ai entendu ça à la radio et je me suis demandé qui était ce gars-là. Je suis bilingue donc je comprenais tout ce qu’il disait et il n’y avait pas uniquement sa technique qui m’impressionnait mais ce qu’il disait. C’était différent de tout ce que j’avais entendu. Au départ, j’écoutais du rap comme n’importe quel gamin mais sans en être fan.
Quand Chronic 2001 est sorti, je suis vraiment rentré dans une période où j’étais à fond dans le rap… Et quand j’ai vu le DVD Up In Smoke Tour, c’était foutu. Il fallait que j’écrive ! Pour moi, c’était fou de voir des mecs s’amuser sur une scène, devant 50 000 personnes et de faire kiffer les gens. C’est à ce moment que j’ai essayé de rapper et je n’ai jamais arrêté depuis.
Plus tard, je suis revenu en arrière. J’avais un pote DJ qui m’a vraiment mis dans le Hip-Hop : il me faisait écouter le Wu-Tang, KRS-One, toute la base… C’est là où j’ai commencé à lire des livres sur le Hip-Hop et a vraiment vouloir comprendre comment tout avait débuté. Ensuite, Tupac a été la deuxième claque. Le gars est mort il y a plus de quinze ans mais tu as des mecs jusqu’en en Russie qui se baladent en portant le bandana comme lui ! Parce que le simple fait de porter un bandana ne t’associes pas forcément à Tupac, c’est surtout la façon dont tu le portes.

A : En écoutant tes projets, on a l’impression que tu mets un point d’honneur à faire passer des messages et à parler de ton vécu.

Z : Ce que tu dis est très juste parce que je suis même plus un rappeur qui a envie de dire des choses plutôt qu’un performer. Au début, t’as juste envie de montrer que tu sais rapper, t’as pas de vécu donc tu fais de la performance. Mais quand j’ai étudié les rappeurs que je kiffais, je me suis rendu compte que ceux qui rappaient pour rapper avaient des carrières relativement courtes. C’est de la musique et il faut qu’il y ait une connexion avec les gens. Parfois les gens sont choqués lorsque je dis ça mais je me tue à le répéter : je ne rappe pas pour moi, je rappe vraiment pour les gens.

A : C’est quand même une affirmation assez ambitieuse, surtout à une époque où on a le sentiment que ce discours est presque devenu péjoratif.

Z : Je vois ce que tu veux dire mais il y a une subtilité. Tu parles plutôt du rap conscient ou engagé et, malgré ce que je viens de te dire, ce rap-là ne m’intéresse pas non plus. Il y a une différence entre quelqu’un qui va parler de son vécu et quelqu’un qui est là pour délivrer un pseudo-message politique. Même si tu délivres un message, c’est quelque chose qui reste personnel et tu ne parles pas au nom d’une cause ou d’une communauté. Les gens ont mélangé le fait de délivrer un message avec le fait d’être moralisateur.
Finalement, les gars qui étaient engagés à l’époque te parlaient aussi de leur vécu parce qu’ils étaient vraiment oppressés. Le problème, et je suis aussi tombé dans ce piège, c’est que les gens ont grandi avec ça et se sont presque mis à chercher une oppression imaginaire. Plus j’avance et plus je suis honnête avec moi-même. Je n’ai qu’une seule règle : l’authenticité. Et je pardonne même plus facilement les mecs qui s’inventent des vies de gangster parce que je peux prendre ça comme de l’entertainment que ceux qui font du rap engagé alors qu’ils en sont à des années-lumière. On m’a récemment demandé pourquoi je n’avais pas fait de son sur le Printemps Arabe étant donné que je suis franco-tunisien. En le faisant, j’aurais l’impression de profiter de la misère des autres pour gagner un peu de reconnaissance. Après, il y a des gens qui le font bien et sincèrement… Mais ça se voit tout de suite quand ça n’est pas sincère.

A : Comment est-ce que tu te situes par rapport au rap français ? Et au rap tunisien ?

Z : Je n’écoute pas beaucoup de rap tunisien parce que je ne parle pas arabe et j’ai besoin de comprendre ce qu’on me raconte quand j’écoute de la musique. Mais c’est bien que ça existe, on parlait d’engagement tout à l’heure, eux, leur engagement est authentique : ce dont ils parlent, ils le vivent vraiment.
J’ai écouté du rap français mais uniquement parce que je suis rappeur et que je vis en France. Après, je n’ai jamais écouté un album plusieurs fois comme ça a pu être le cas avec des disques cainris. Je pense que c’est parce que ça ne me permet pas de m’évader autant, c’est trop près de moi. Il y a aussi quelque chose que je trouve dommage : il y a des putains de rappeurs en France mais j’ai toujours l’impression d’entendre des imitations de cainris. Hormis des gens comme Grems, je n’ai pas l’impression qu’il y ait des rappeurs français qui aient inventé un style. Arrivés à un certain niveau, je ne comprends pas que les rappeurs français cherchent encore à suivre les américains.

A : Tu vis en France et rappes en anglais, ce qui est une situation assez particulière. Quelle est ton ambition en tant que rappeur ?

Z : Je me sens Hip-Hop à mort, avec tout ce que ça comporte. Pour moi, tu te dois de représenter d’où tu viens. J’ai grandi avec un Bubba Sparxxx qui venait du fin fond de la campagne et qui la représentait à mort. C’est peut-être quelque chose qui se ressent moins aujourd’hui avec des mecs comme A$AP qui pourraient sortir de Houston… Mais mine de rien il représente Harlem. Je ne fais aucune différence entre le rap français et le rap cainri, il y a le rap et c’est tout. Je suis d’ici donc je représente Paris, l’anglais est juste un outil pour moi. Je suis un rappeur français avant tout ! J’ai passé toute ma vie ici, je parle exactement comme les gens d’ici, je ne suis pas allé dans une école privée… Je suis vraiment d’ici. Et je pense être en mesure de faire quelque chose qui n’a jamais été fait. Maintenant, il faut que je me demande comment faire ça ? Comment mettre tout ça en images ? Je ne veux pas montrer uniquement la Tour Eiffel, je suis en constante réflexion là-dessus. Je veux l’amener sans être habillé en bleu-blanc-rouge non plus. C’est un chemin compliqué mais c’est le seul qui m’intéresse. Je suis allé à Bercy au concert Watch The Throne. J’ai vu les gens crier quand Jay Z a brandi le drapeau français. On s’est tous demandé si un rappeur français pourrait faire la même chose. Pour moi, Booba est le gars qui pourrait faire ça… Et ce qui me fait chier, c’est qu’il fait tout l’inverse. Il part à Miami, il dit « Fuck la France »… Je pense être dans la meilleure position pour pouvoir le faire parce que je suis à moitié cainri et je n’ai pas cette admiration française pour les États-Unis. Je n’essaye pas d’être aussi bon que les rappeurs cainris, j’essaye de tous les bouffer ! Pour l’instant, je n’ai pas l’ambition d’aller faire une carrière aux États-Unis et si ça avait été le cas, je serais parti depuis longtemps. Mais en allant là-bas, je serai juste un rappeur parmi tant d’autres. Le but ultime, c’est de représenter Paname, mais je ne veux pas le faire au détriment d’une carrière ici. Je veux avoir un public ici, aussi petit soit-il, qui me donne une légitimité à représenter la ville. Mon objectif, c’est réussir à être tellement bon que les cainris me considèrent comme un égal… Alors que je ne suis même pas d’une autre coast mais d’un autre pays !

A : Tu as déjà sorti un album et quatre EP’s. Quel bilan en tires-tu ?

Z : J’ai sorti le premier album pour tâter le terrain. Je rappais déjà depuis dix ans mais je n’avais jamais rien sorti. Le bilan que je tire c’est que sortir de la musique pour sortir de la musique, ça ne t’emmène nulle part. Il y a tout un processus à avoir derrière : trouver des moyens de se promouvoir, faire des concerts, des clips… Au niveau du disque, et même s’il n’y a pas énormément de monde qui l’a écouté, les gens ont kiffé mais on m’a collé l’étiquette old-school et ça m’a un peu gêné parce que ça n’était pas volontaire. J’ai pris les sons qui me plaisaient sans me poser de questions, je n’étais pas conscient de tout ça au moment de l’album. Il me manquait aussi beaucoup de sons « énervés » et j’essaye d’avoir un meilleur équilibre sur le deuxième qui est en préparation.
J’étais dans un schéma de pensée d’un mec déjà signé et dont n’importe quel projet aurait un minimum d’exposition. C’est pour ça que j’ai fait comme les Mac Miller et ceux de ma génération : sortir un premier projet histoire d’avoir un petit buzz, enchaîner avec des EP’s… Sauf que je n’évolue pas dans ce cadre-là. Il a fallu que je me remette en question et que je m’adapte à la scène française. Si je ne fais pas un truc de fou dès le début, on ne parlera pas de moi ! C’est pour ça que je suis en train de taffer sur un vrai album qui sera super conceptuel. J’ai tout en tête, du teaser à la pochette de l’album. Il ne me manque que les moyens. En tout cas, j’ai hâte de le sortir. Que les gens kiffent ou détestent, c’est sûr et certain que ça va faire parler.

A : On a seulement évoqué ta triple identité. Est-ce que tu peux en dire davantage ?

Z : Ma mère est de Houston et mon père est Tunisien. Ils se sont rencontrés à Paris quand mon père est monté pour ses études. Finalement, ma plus longue période passée aux États-Unis correspondait à 3-4 mois quand j’étais au lycée. Ma mère, qui a toujours aimé voyagé, m’avait encouragé à faire ça et j’ai fait un trimestre là-bas. C’était une bonne expérience et ça m’a ouvert les yeux. Je pense que si je vois les choses comme je les vois aujourd’hui, c’est parce que j’ai eu la chance de voyager. En fait, j’habite dans le 91 mais je dis représenter Paris. Pourquoi ? Parce que, quand je suis aux États-Unis, je dis que je viens de Paris, pas du 91 [Sourire]. J’ai cette vision un peu globale des choses.
Les gens vont penser que je suis super mégalo mais je pense que c’est mon côté cainri, je n’ai pas de limites dans le rêve où l’ambition que je me fixe. En tout cas, je me dis que, si je réussis, je pourrai montrer qu’il n’y a pas de limite. Ok, j’ai un petit avantage parce que je suis bilingue mais tu peux venir de n’importe où et réussir ! Je suis attaché au côté « tout est possible » et c’est là que réside la force des Américains.

A : Est-ce que tu te sens isolé dans le rap aujourd’hui ?

Z : J’ai longtemps travaillé comme le scientifique reclus dans son laboratoire qui ne sortirait qu’une fois le produit fini. Après, ce qui est vrai c’est que je ne connais personne dans le milieu du rap, je ne maîtrise pas les démarches nécessaires… Je suis en train d’apprendre. Par exemple, je ne fais pas encore de scènes alors que c’est une chose à laquelle je tiens beaucoup.
J’ai aussi perdu beaucoup de temps à cause de gens sur lesquels j’ai compté. Le problème, c’est mon ambition. J’ai du mal à trouver des gens qui vont partager mon enthousiasme. Je suis dans une optique où, si nécessaire, je peux rapper pendant 24 heures, je m’en fous. Tout le monde n’a pas aussi faim que ça.
Ceci dit, j’adorerais faire des featurings avec des rappeurs français, plus encore qu’avec des cainris. Parce que je suis d’ici et que ça peut apporter quelque chose. Quand je vois Booba qui crache des fortunes pour des Rick Ross ou T-Pain qui ne sont pas à 100%, je ne vois pas l’intérêt. J’aime vraiment le rap français et si je viens poser avec un rappeur français, c’est pour améliorer le morceau et apporter une vraie touche. Aujourd’hui, même les beatmakers avec qui je bosse ne sont pas français. À chaque fois, ce sont des instrus que je vais prendre sur Internet à des Allemands, des Estoniens etc. Dès que j’ai tendu la main à des beatmakers français, ils n’ont pas été réceptifs. Peut-être que je ne m’y suis pas pris correctement mais j’ai l’impression que mon délire déstabilise beaucoup. Je peux comprendre que tu n’aies pas envie de faire un morceau avec quelqu’un que tu ne connais pas mais, moi, je suis dans une approche business. Si tu es bon, je veux bosser avec toi, même si ça se fait par mail. Je ne veux pas mettre d’obstacle à la bonne musique ! Si j’entends un putain d’instru et qu’on me demande une somme mirobolante pour l’avoir, je vais me débrouiller pour trouver l’argent. Certains m’ont même demandé pourquoi est-ce que je ne bossais pas avec des beatmakers proches qui ne me feraient pas payer leurs instrus. Je ne vais pas poser sur une prod que je n’aime pas simplement parce que je peux l’avoir gratuitement. Mon but, c’est faire du putain de son. En tout cas, je regarde les Nemir, les A2H, les Joke et j’ai envie de faire partie de cette scène-là. D’ailleurs, mon rêve, ce serait de faire un projet « Paris is my city », avec tous les artistes d’Ile-de-France que je kiffe. Je pense qu’il y a les talents pour faire ça en ce moment. J’ai conscience que ce discours peut surprendre mais je ne veux pas que la confiance et l’ambition dont je fais preuve soient confondues avec de l’arrogance ou de la prétention. Les objectifs sont élevés mais je pense que, si c’est bien amené, tout est possible.

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