Zamdane, soleil brûlant
Interview

Zamdane, soleil brûlant

En février dernier, Zamdane publiait SOLSAD : 20 titres sur lesquels le Marseillais appose une identité claire et cohérente. Échange avec le rappeur sur son parcours, des rues de Marrakech aux open mics en France, jusqu’à cet album.

Photographies de Zamdane par withtom pour l’Abcdr du Son
Photographie de Pomme par Lawrence Fafard
Photographie de Thug Dance par Roxane Peyronnenc
Propos de Pomme recueillis par Brice Bossavie

Zamdane dévoilait ses plaies sanguinolentes sur Couleur de ma peine, son premier album, dans le récit d’un vécu déchiré par l’exil et le deuil. Deux ans plus tard, sur SOLSAD, ses blessures sont toujours visibles et douloureuses mais elles ont cicatrisées. Moins à vif, Zamdane peut sans doute plus facilement se regarder dans les yeux pour accepter son passé, comme en paix avec sa douleur.

Au fil des années, le Marseillais a prouvé ses capacités sur de la trap, tout en énergie (« NTM », « GRRR », « MRS » ft. JMK$). Sur SOLSAD, les mélodies lancinantes endossent le rôle de fil rouge. Son interprétation proche du chant prend le dessus, omniprésente. SOLSAD est une balade en douceur, qui côtoie de sombres abysses mélancoliques (« Monstres », « Stylo magique »), nuancées par des moments d’espoirs lumineux et d’ivresse insouciante (« Audi GT », « Youm Wara Youm »). Sa voix monte très haut à certains moments, comme une douleur aiguë (« Million », « Infini »). Avec « Printemps », Zamdane regarde l’espoir porté par la fin de la froideur hivernale, le tout sur des rythmiques house. Dans le morceau « Lalalala », il raconte le bruit des balles sur un air de comptine, tout le paradoxe du rappeur à la chevelure bouclée. Sa singularité permet de ne jamais dévier, malgré la présence de huit invités. Thug Dance, producteur principal de l’album, affine le tout, dans des productions qui s’enchaînent avec cohérence.

Le rappeur qui a grandi au Maroc « vit dans sa tête » (« Lalalala ») et accepte d’en sortir le temps de cette interview. Il revient sur son enfance à Marrakech, l’importance du rap à son arrivée en France, l’influence de ses parents sur sa musique. Et détaille également la conception de SOLSAD, notamment hachée par un grave accident de voiture. Un album à l’image du soleil sur la pochette, entre douleur et rémission, réfléchi et touchant, pour traverser les épreuves du temps.


I. Le Maroc, la rue, et les open mics

Abcdr du Son : Pour commencer par le début, qui parle en ouverture de l’album, dans le morceau « Mouchkila » ?

Zamdane : C’est mon père. Il nous avait rejoints l’été. Son père lui avait laissé des messages vocaux enregistrés dans une cassette. J’ai un papa qui est un peu âgé et du coup il a voulu refaire la même avec moi. Il m’a dit qu’il avait des choses à me dire et il m’a fait enregistrer sa voix au dictaphone. Ça, c’est les dix premières secondes d’un enregistrement de 25-30 minutes. Il voulait me laisser des mots, des souvenirs. J’avais déjà des morceaux à ce moment-là, on travaillait les transitions, et ouvrir l’album sur ça donne un sens qui est fort pour moi.

A : Qu’est-ce qu’il te raconte ?

Z : En darija, il me dit : « Mon père me disait, ‘le pauvre, aucun artisan n’a voulu saboter sa création de ses propres mains’. » C’est une métaphore qui veut dire qu’aucun parent n’a voulu saboter ses enfants. Ça parle des enfants qui ont suivi un mauvais chemin, comme moi. C’est comme s’il me laissait un truc plein de moralité. Pour me dire qu’il a toujours voulu être là et qu’il n’a pas voulu que certaines choses se passent.

A : Tu le vois souvent ?

Z : Bien sûr que je vois souvent mes parents. Je suis un homme de famille. Soit je suis avec mon chien, soit je suis avec mes parents.

A : Est-ce qu’ils t’ont emmené vers la musique ?

Z : C’est mon père qui m’a fait découvrir la musique. Il a une très bonne culture musicale, un peu à l’ancienne. Il écoute énormément Charles Aznavour, Aretha Franklin, Stevie Wonder, beaucoup de country aussi. Ma mère, c’est plus le côté musique arabe égyptienne.

A : Tu écoutais du rap quand tu étais plus jeune ?

Z : J’écoutais du rap marocain, et des gros titres américains. Quand j’étais petit, internet n’était pas démocratisé au Maroc, en tout cas pas dans le milieu où j’ai grandi. J’ai eu internet à la maison quand j’avais 15 ans. Avant, j’allais au cybercafé et j’écoutais tout ce qui était gros sur YouTube. Et sur MP3, j’avais tout ce qui marchait mondialement et qui arrivait jusqu’au souk de Marrakech.

A : Au Maroc, le rap américain était plus présent que le rap français ?

Z : Nous, on est plus influencés par le côté américain. Ça se ressent au niveau de la jeunesse. Aujourd’hui, la génération de jeunes marocains comme moi ou les plus jeunes, ce sont tous des Marocains des États-Unis. Je ne te parle même pas des bandanas, ça c’est depuis toujours. Quand je suis parti du Maroc, ce n’était pas comme ça. Quand suis rentré, je me suis retrouvé à parler avec des gens qui mélangent l’anglais avec l’arabe, avec le dialecte, tu te dis « ah ouais vous êtes chaud ».

A : Qu’est-ce que tu écoutais en rap marocain ?

Z : Il y avait Nessyou, mon voisin, qui habite à 10 minutes de chez moi. Mais Nessyou, c’est quand j’étais un peu plus grand. J’ai grandi avec H-Kayne, Don Bigg, Muslim, Dizzy Dross. Shayfeen aussi. Madd [le frère de Shobee, ancien membre de Shayfeen, groupe séparé depuis, ndlr], c’est un très bon ami à moi, il habitait à Marrakech, et il passait souvent à la maison. J’ai rencontré Shobee quand je suis descendu au Maroc en novembre dernier. Et Small X, je l’ai rencontré à Marseille, il y a trois ans. Shayfeen c’est quelque chose. J’avais un peu grandi quand ils ont commencé, c’est arrivé à mes oreilles beaucoup plus tard.

« Quand j’ai eu 17-18 ans, je me suis dit : « ça y est, ma vie elle m’appartient un peu ». J’ai voulu briser un peu ces chaînes de pudeur et faire de la musique.  »

A : Ça rappait déjà dans la rue à Marrakech à ton époque ?

Z : Pas du tout. Chez nous, il y a beaucoup de pudeur. Les gens ont honte de tout ce qu’ils font. Tout ce qu’on fait, on le fait caché. Même à notre pote, on ne le dit pas. Nous, on a un truc, ça s’appelle « t9ar ». Ça veut dire la tranquillité de l’esprit, peace of mind. Dès qu’on fait un truc qui sort un peu des sentiers battus, on se cache. Dès qu’on fait un truc un peu illégal, on le cache, parce qu’il ne faut pas mettre la honte sur le visage de nos parents.

A : La drogue était-elle présente dans ta jeunesse ?

Z : Oui, la drogue, c’est autour de nous, c’est nous, c’est nos familles. C’est un fléau. Mais c’est un très beau pays. Ça, c’est juste le dérèglement qu’apporte la misère, les différences fulgurantes entre les catégories de classe. Ce n’est pas que le shit, mais tout ce qu’il y a autour.

A : Est-ce que venir en France t’as permis de te libérer ?

Z : Forcément, tu arrives dans un pays européen, tu prends une gifle au niveau de l’ouverture d’esprit. Ça te donne un peu plus de confiance aussi. Quand tu as 17-18 ans, tu te sens enfin un peu libre. J’ai toujours été très indépendant mais quand j’ai eu cet âge, je me suis dit, ça y est, ma vie elle m’appartient un peu. J’ai voulu briser un peu ces chaînes de pudeur, faire de la musique. C’est surtout lié au fait de grandir, à l’exil, et au besoin de m’exprimer artistiquement, davantage qu’à un pays.

A : Le rap c’était aussi un moyen de se faire des potes ?

Z : Bien sûr, le rap au début, quand tu passes par la grande porte, celle des open mics, de rapper n’importe où dehors, ça te permet de rencontrer des gens. C’est la porte de l’aventure. Quand tu passes par là, tu rencontres énormément de gens, et c’est trop bien. Ça m’a permis de me sentir moins seul aussi. Au début, tu n’as pas de connaissances, tu n’as pas de repères. Tu es dans un pays où tu n’as aucune fondation. Si demain j’ai un problème, qui est là pour moi ? Personne ici n’est proche géographiquement.

A : Tu te souviens de la première fois où tu as pris le micro en open mics ?

Z : Je n’avais pas froid aux yeux. Aujourd’hui, j’ai beaucoup plus peur qu’hier. Avant, je t’assure que la peur ne faisait pas partie de mon vocabulaire. J’étais tout le temps excité, tout le temps enjoué, je vivais vraiment une aventure. Aujourd’hui toujours, mais ce n’est plus pareil, je réfléchis beaucoup plus.

A : Tu n’avais pas l’appréhension de chanter tes propres textes ?

Z : Non, je n’ai jamais eu peur. Je ne veux juste pas décevoir mes parents, ma famille, c’est tout.

A : Est-ce que c’est parfois compliqué de se livrer en studio, d’ouvrir son cœur devant des gens, comme sur le dernier album ?

Z : Non, pas du tout. Ce serait compliqué si mes potes ne me connaissaient pas, et si la musique n’était pas bonne. Mes potes, c’est ma famille. On est une extension les uns des autres. Et on n’est pas les potes les plus tranquilles dans leurs têtes, on a tous des problèmes.

A : Dans « Ma réalité », morceau de ta série Affamé, tu dis être avec « des arabes aux têtes cassées dans une voiture allemande ». Vos souffrances vous unissent ?

Z : C’est un truc qui nous unis, bien sûr, mais il n’y a pas que ça. On ne se voit pas pour souffrir. On est fous dans nos têtes, on rigole tarpin, on fait hella, même si on le fait beaucoup moins qu’avant. Mais il y a énormément de choses qui nous unissent, comme le sens de la famille, la loyauté. Tu t’approches d’un, il y en a quinze qui sortent de l’ombre.

A : Comme tu es très entouré, est-ce que tu as l’impression de faire partie d’un groupe plus que d’être un rappeur solo ?

Z : Je ne suis pas solo. Moi, on est deux. Je ne vais pas développer là-dessus. Ça ne veut pas dire que quelqu’un écrit pour moi, mais je vis pour deux. Et autour de moi, ça constitue ma famille, une énergie. On fait les choses ensemble, le plus souvent possible. Les victoires, on les fête ensemble. Les défaites, on en parle ensemble.

II. Solsad

A : Pour revenir sur l’album, quand est-ce que tu l’as enregistré ?

Z : Le plus ancien morceau date de deux ans.

A : Tu as été victime d’un accident de voiture en mai dernier, qui a retardé l’album, c’est ça ?

Z : C’est ça, il a tout retardé. À la base, on devait peut-être le sortir en juin.

A : Est-ce que ça a aussi modifié son contenu ?

Z : Ça a demandé du temps pour commencer à récupérer, et ça a changé l’état d’esprit aussi. J’ai enregistré le morceau “Million” quand j’étais en fauteuil, défoncé sous médicaments. Forcément, c’est une autre musique que tu proposes. C’est une reconnexion à la réalité. La façon dont j’étais dans ma tête à ce moment-là, c’est à l’image de SOLSAD. C’est-à-dire très calme, beaucoup de recul.

A : Dans l’album, tu sembles accepter ta situation. De la colère aurait pu ressortir aussi.

Z : Il y en a pas mal de la colère quand même. J’étais très en colère. Je suis un homme avec beaucoup de dignité, de fierté. Me voir diminuer comme ça, je ne le souhaite même pas à mon pire ennemi.

A : Aujourd’hui, tu as encore des séquelles ?

Z : J’ai encore la jambe cassée, mais on ne craint rien, on est Marocain.

A : Ton album compte de nombreux feats, 8 au total (Pomme, Josman, So la lune, Kekra, Niska, Sofiane Pamart, Zaho et Tif), comment les as-tu choisis ? Et est-ce que c’était compliqué de garder la ligne directrice de l’album avec autant d’invités ?

Z : Je les ai choisis par rapport à qui je trouve intéressants, qui m’inspire et que j’aime écouter. Ce que j’aime beaucoup, c’est que chacun des artistes invités est un emblème de ce qu’il représente. C’était le plus important pour moi. Et c’est vrai que si on réfléchit, c’est peut-être difficile à faire. Mais après c’est de la musique. Plus on va dans d’autres sens, mieux c’est.

A : Comment s’est faite la connexion avec Pomme (« Le grand cirque »), qui paraît assez éloignée de ta propre musique ?

Z : On n’est pas si éloignés que ça finalement. C’est l’industrie dans laquelle on évolue qui nous sépare, mais au final Pomme et moi on se rejoint sur énormément de points. Déjà, je suis très sensible à la cause animale, et le hasard a fait que j’ai découvert Pomme sur le morceau qu’elle a fait pour les bélugas (« à perte de vue »), où elle chantait sur une image 3D d’un béluga, et le refrain dit : « Si je savais comment sauver les géants. » J’ai pris une gifle. J’adore ce qu’elle dégage à travers sa musique, l’âme de cette personne. C’est pour ça que j’écoute de la musique.

A : Thug Dance nous a dit qu’elle était venue avec son propre instrument. C’est plus facile de bosser avec une musicienne en studio ?

Z : C’est vraiment trop bien. J’étais choqué. Tout a un charme. Quand tu vois Pomme avec son instrument, c’est un moment unique. Autant que quand tu vois Josman se mettre dans son coin et écrire de manière super méthodique, que tu vois So La Lune ou Kekra faire leur session, que tu vois comment TIF et son équipe travaillent. Tout peut être admirable. C’est ça qui est lourd. Mais c’est vrai qu’avec Pomme, c’était un moment hors du temps.

A : Avec So La Lune (« Boboalam »), est-ce que certaines similitudes vous ont rassemblé ?

Z : Totalement. C’est quelqu’un que j’écoute. Pas assez, je pourrais toujours l’écouter plus. Je ne suis pas très auditeur “on repeat”, surtout pour des morceaux avec des paroles. J’écoute plutôt de la musique d’ascenseur, des belles compositions symphoniques, orchestrales.

A : C’est comme ça que tu trouves des idées de sample ?

Z : Ça peut en faire partie, sinon je cherche beaucoup sur YouTube. Ou alors, de manière très instinctive, quand j’écoute une musique quelque part, une pub, une série. Et , et après je peux passer six heures dans l’OST de la série à trouver la musique.

A : Et comment est-ce que tu trouves trouves-tu tes textes ?

Z : J’écris beaucoup au studio, 90 % du temps. Je ne prépare rien, je vais au studio et je découvre. Sinon, je m’inspire beaucoup en dehors. Je regarde des trucs, j’écoute des trucs, je vais à la nature.

A : Quel regard portes-tu sur ton premier album, Couleur de ma peine ?

Z : C’était un essai brut. C’était un grand bordel. Il y a nombre de sons qui ont été faits dont la direction c’était un essai brut, très sincère, mais brut. Contrairement à SOLSAD qui est à un autre niveau de cohérence.

A : Est-ce qu’aujourd’hui tu dirais que tu as trouvé ton son, ta formule ?

Z : Qu’est-ce que ça veut dire trouver sa formule ? Ça peut être tellement de trucs. Le plus important pour moi, c’est uniquement la cohérence. Je peux me diversifier, je peux faire énormément de choses. Le plus important pour moi, c’est de faire parvenir l’œuvre à la personne, pour qu’elle se la prenne. C’est ça l’enjeu. Tu ne peux pas dire : « La musique de Zamdane c’est ça. » Je n’ai rien inventé. J’essaie d’être un maximum honnête, un maximum minutieux, et de donner un maximum de moi, de qualité. C’est ça ma musique.

A : Tu chantes beaucoup sur SOLSAD, comment as-tu découvert que tu pouvais faire ça, en plus du rap ?

Z : En allant au studio régulièrement, tu essaies des choses. Grâce à Moustapha aussi, Lwind de son nom d’artiste. C’est mon mentor au Maroc, un de mes meilleurs amis. Il m’a beaucoup appris au studio. Je le voyais faire, j’étais impressionné par sa technique, sa façon d’écrire et d’exprimer sa musique. Il m’a beaucoup aidé à m’améliorer.

A : Est-ce que tu as pris des cours de chant ?

Z : Je suis encore un peu trop ghetto pour prendre des cours de chant, mais un jour pourquoi pas. Je ne me considère pas encore comme un chanteur, pas du tout même.

A : Quel est le morceau que tu préfères sur SOLSAD ?

Z : C’est « Fleurs », un son de rupture.

A : Ce n’est pas douloureux pour toi ?

Z : Ce n’est pas thérapeutique, mais ça fait plus de bien que de mal de le libérer.

« Le but de SOLSAD, c’était de créer une expérience d’écoute complète. Je ne jugeais pas les morceau en tant que tel mais à la façon dont ils s’enchaînaient.  »

A : Dans « Million », tu dis : « Ma mère c’est ma reine. Elle m’aime pour qui je suis ». C’est compliqué de trouver cet amour sincère-là à cause de la notoriété ?

Z : Je ne cherche pas spécialement de nouvelles personnes pour m’aimer. J’ai déjà mon entourage, les gens que je connais, c’est vraiment très suffisant. C’est vrai que c’est normal de se méfier, avoir plus de mal à faire confiance et questionner les intentions des nouvelles personnes qui rentrent dans ta vie. Parce que tu te dis que c’est trop facile, qu’ils n’ont pas été là quand tu as souffert, etc.

A : Comment vis-tu le fait d’être connu ?  

Z : C’est que de l’amour. Je ne peux pas dire que c’est kiffant d’être connu, à choisir j’aurais préféré rester anonyme. L’anonymat, c’est le luxe aujourd’hui. Mais j’accepte toujours les photos et je parle toujours avec les gens qui m’arrêtent. C’est une récompense de mon travail aussi.

A : Tu as une communauté de fans derrière toi, est-ce que tu réalises à quel point tu impactes la vie de certaines personnes ?

Z : Je n’arrive pas à réaliser. Je ne suis pas dans la vie des gens donc je ne sais pas ce que ça veut dire de l’impacter, mais j’essaye de comprendre comment ils le vivent eux. C’est difficile de ressentir un sentiment de satisfaction quand ta musique fait du bien à quelqu’un qui va mal.

A : Il y a une différence entre les morceaux de ta série Affamé et l’album. Comment tu conçois ces morceaux lancés un par un ?

Z : Toute ma musique, c’est un test que j’envoie sans réfléchir. Vraiment. Quand je vais au studio je ne réfléchis pas, sinon ce n’est pas pur. Je réfléchis après, sur comment je mets en image, quel jour je le sors, etc. Au studio je me laisse porter, chaque session est un test.

A : Certains Affamé sont des morceaux importants de ta carrière, est-ce que tu n’avais pas peur de griller des cartouches pour un album ?

Z : Ça c’est le genre de questions que je me pose. Ça nous l’a fait avec « Athéna ». On se disait : « Ce morceau pourrait être un morceau d’album. » C’est Thug Dance qui m’a enlevé cette réflexion de ma tête, parce qu’il a plus d’expérience que nous. Ce n’est pas notre grand frère, c’est plutôt comme notre frère mais plus grand. On l’écoutait beaucoup, surtout au début où on ne savait pas trop ce qu’on faisait. Il me disait : « D’expérience, à chaque fois que j’ai vu quelqu’un avoir un morceau qu’il kiffe, il fallait qu’il le sorte directement. » Depuis ce jour-là, je ne me suis jamais posé la question. Je dois donner mon maximum pendant la saison des Affamé. 

A : L’album a d’ailleurs été largement co-produit et réalisé par Thug Dance [producteur de rap marseillais, issue du duo electro Amine Edge & Dance, ndlr] avec qui tu travailles depuis plusieurs années. Est-ce qu’il t’a aidé à trouver ta musique ? Et est-ce qu’il t’a apporté des sonorités house, étant lui-même ancien DJ spécialisé dans ce genre ?

Z : Bien sûr. Il m’accompagne depuis 2020. On s’est rencontrés à Marseille, grâce à mon ancien DJ, Younès. On a commencé à faire de la trap ensemble. Dance, c’est la trap. Il n’y a que sur SOLSAD qu’on a fait de la house et des rythmiques dansantes, sur « Printemps » et sur « Lalalala ». Et aussi sur le dernier couplet de « Flouka », dans l’album précédent.

A : Comment avez-vous choisi la tracklist pour SOLSAD ?

Z : Le but, c’était de créer une expérience d’écoute complète, compacte et cohérente. Je ne jugeais pas le morceau en tant que tel mais la façon dont dix titres s’enchaînaient. À aucun moment je ne me suis dit qu’un morceau était indispensable. J’ai enlevé des morceaux que j’aimais vraiment beaucoup, pour remplacer par d’autres que j’aimais moins mais qui rentraient mieux dans l’ensemble. Le plus important, ce n’était pas qu’un track sorte du lot, mais que tu aies envie de réécouter les dix.

A : Pourquoi faire deux disques ? Et quelle est la signification des deux pochettes ?

Z : La ligne de réflexion, c’est SOLSAD, un soleil qui a deux visages. C’est de là qu’est partie l’idée de tout scinder en deux, deux disques, deux Olympia. Le soleil, c’est celui qui éclaire et fait vivre tout ce qui est loin de lui, et qui brûle tout ce qui se rapproche de lui. Il fait pousser des champs de fleurs et des forêts, en même temps qu’il apporte la sécheresse, qu’il brûle ta peau d’un cancer. C’est tout, c’est l’être humain, l’artiste aussi, qui fait du bien à énormément de gens. Mais quand on se rapproche de lui, c’est différent.  

III. Voir tous les paysages

A : Sur « Printemps », tu dis : « Ça fait deux mois que je crois en moi ». Tu as l’air plus serein personnellement, plus en phase avec toi-même. Est-ce que c’est un album où tu te sens mieux, par rapport à Couleur de ma peine ?

Z : Oui, vraiment. J’ai beaucoup travaillé, dans des conditions qui n’étaient pas évidentes. Je n’ai rien lâché, et pendant longtemps, j’ai douté. J’ai décidé de travailler sur moi pour être serein, pour apprendre à être fier de moi, visualiser du positif à la place du pessimisme. Avant, j’étais toujours en mode « ça, ça ne va pas marcher, etc. » Je n’aime plus trop ça. Je préfère me regarder dans les yeux et me dire : « C’est bien frérot, tu as travaillé, tu vas avoir ce que tu mérites. » Je te parle au plan personnel, ça englobe la musique et la personne que je suis en train de devenir.

A : Je t’ai vu en concert en 2021, et tu portais déjà un discours sur l’importance de croire en soi. C’est quelque chose que tu véhiculais tout en travaillant dessus ?

Z : On est toujours plus fort pour aider les autres que pour s’aider soi-même. L’appliquer à soi, c’est plus difficile. Mais des fois, ça fait du bien d’entendre quelqu’un le dire, comme moi ça m’a fait du bien d’entendre des gens le dire. J’essaye de reproduire ce qui m’a fait du bien.

A : Est-ce que la musique t’aide à te dire que tu es en train de réussir ta vie ?

Z : Bien sûr, grâce à Dieu, la musique, le travail qu’on fournit, les gens qui nous soutiennent.

A : Tu aurais fait quoi sans le rap ?

Z : Je ne sais pas. Je n’avais pas d’idée. J’aurais sûrement fait un boulot manuel. J’aurais fait une formation. Je n’ai pas l’esprit entrepreneurial. J’aurais fait serveur, éboueur ou peu importe. Et après, je serais rentré chez moi et j’aurais écrit des petits trucs. En ce moment, j’aime beaucoup le dessin. Quand je dessine, on dirait que je le fais avec mon orteil gauche , mais j’aime beaucoup tout ce qui permet de s’exprimer.

« Je suis fils de guide touristique. Mon père était un narrateur, un conteur, et je me rends compte que c’est quelque chose que j’ai beaucoup pris de lui. »

A : Tu as grandi au Maroc, avec le darija. Est-ce que c’est plus compliqué d’exprimer tes émotions en français, qui n’est pas ta langue maternelle ?

Z : Le français n’est pas ma langue maternelle, mais c’est une très belle langue, poétique. Et j’ai appris à parler le français avec des jolis mots. Je suis fils de guide touristique. Mon père enjolivait beaucoup les histoires, c’était un narrateur, un conteur, et je me rends compte que c’est quelque chose que j’ai beaucoup pris de lui. Ça a beaucoup déteint sur ma façon d’écrire, peut-être pas de parler mais sur ma façon d’interpréter la musique. J’ai toujours voulu faire de la musique qui est grande, parce que j’ai grandi avec de la grande musique.

A : En darija, c’est plus simple pour toi d’exprimer tes émotions ?

Z : C’est plus simple parce qu’en darija, tu as des images que personne d’autre au monde ne comprend. Laisse tomber le nombre de choses que tu peux expliquer, le nombre de manières, le nombre de mots et d’images que tu peux utiliser. Le darija laisse vraiment le libre arbitre à l’interprétation. Mais je pense que la langue française est très poétique et riche, avec un charme différent.

A : Dans ta Grünt sortie en février, tu dis : « J’écris si bien parce que j’vis des horreurs. » Est-ce que c’est de là que viennent tes facultés d’écriture ?

Z : Je pense que tout part d’une base, d’un point de départ. J’ai ouvert les yeux dans un très beau pays, mais dans un décor qui n’était pas tout beau, tout joli. Vu que mon père était guide touristique, très jeune j’étais au contact de gens qui venaient d’autres cultures, d’Europe, d’Amérique, des Japonais, de toutes les nationalités. Ça m’a permis de comparer ma situation et la leur. Depuis que je suis petit, j’ai ce truc, j’ai vu autre chose. J’ai conscientisé très tôt qu’autre chose, c’était peut-être mieux que moi. C’est ça le point de départ de mon écriture. Tout ce que je pensais normal autour de moi, ce n’était pas forcément normal ailleurs dans le monde, comme les enfants qui se droguent, les bêtises qu’on fait.

A : Tu accompagnais ton père dans les visites ?

Z : Oui, le plus souvent possible. Pas dans les voyages parce qu’il faisait des circuits sur tout le Maroc. Mais dans le souk, c’était moi. Souvent il me les laissait, je les emmenais faire le marché moi-même.

A : Dans « Printemps », tu dis : « J’espère qu’il y a un endroit sur cette Terre où je pourrais refaire ma vie ». Est-ce que tu as trouvé cet endroit ?

Z : Moi, j’aime toujours chercher ailleurs. Je suis convaincu qu’on peut avoir un destin n’importe où. Si tu décides demain de faire tes affaires et d’emménager en Nouvelle-Zélande, il y a un destin qui t’attends là-bas. Je pense que tu peux toujours refaire ta vie ailleurs. Toute ma vie, je serai à la recherche d’un nouvel endroit.

A : Tu n’es pas attaché à Marseille ?

Z : Je n’ai plus aucune attache nulle part. Tu nais sur cette planète, c’est pour en faire le tour. J’aimerais trop avoir le luxe de passer six mois ici, six mois ici, dans des endroits où je ne comprends pas la langue, où je ne connais personne. C’est ça la vraie richesse.

A : Est-ce que c’est ça la suite pour toi ?

Z : J’aimerais beaucoup.

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