Soom T, quelque part entre Cypress Hill et Céline Dion
Interview

Soom T, quelque part entre Cypress Hill et Céline Dion

Après plus de 15 ans de carrière, la rappeuse/chanteuse/toasteuse écossaise vient enfin de sortir son premier album solo, Free As A Bird. On lui a donc soumis un blind test afin d’y voir plus clair parmi ses multiples influences, de Body Count à Céline Dion, en passant par Jésus Christ.

Celle qu’on surnomme la princesse du raggamuffin est née et a grandi à Maryhill, quartier populaire de Glasgow. Quatrième enfant d’une famille d’immigrés indiens qui en compte sept, elle s’est vite rebellée contre une éducation parentale un peu trop stricte. Un parcours à mi-chemin entre Dickens et Bollywood, d’où elle a tiré son amour profond pour la musique, sous toutes ses formes, sur fond d’engagement politique et de conscience sociale. Si Soom T a fini par alléger son blase du titre de MC, elle n’a en rien perdu de son flow aussi speedé que Spud en entretien d’embauche. Si elle s’essaie de plus en plus fréquemment au chant, avec une réelle sensibilité soul, son côté Weegie Wit Attitudes ne disparaît jamais vraiment. Et si elle a gagné ses lettres de noblesse en écumant les sound systems du monde entier, elle choisit aujourd’hui de viser plus large en mélangeant sa signature dub à des accents résolument pop. Plus qu’un virage artistique, une véritable renaissance pour le petit bout de femme forte qui nous accueille dans les bureaux de Chapter Two, division de Wagram qui compte bien la faire passer à l’étage supérieur grâce à Free As A Bird. Au fil des morceaux qu’on lui propose de deviner, elle dévoile une personnalité entière et se montre très loquace comme pour, paradoxalement, mieux masquer sa timidité. On comprend que ses combats d’hier semblent avoir désormais trouvé leur sens dans une nouvelle quête spirituelle. À l’écouter, la furie sans la foi n’est que ruine de l’âme.

Circle Jerks - « Question Authority » (1982)

Soom T : Les Clash ? Les Sex Pistols alors ?

Abcdr Du Son : Ni l’un ni l’autre, il s’agit du groupe californien de punk hardcore Circle Jerks, en l’occurence le morceau “Question Authority”.

S : Ah mais c’est incroyable, mon grand frère avait un groupe qui s’appelait Question Authority justement ! Il aurait reconnu la chanson direct, il collectionne les vinyles de punk rock, ça se trouve c’est de là que venait le nom de son groupe, je le lui demanderai pour en être sûre. Quand j’avais 12, ­13 ans, je squattais en permanence sa chambre pour écouter ses disques. C’est lui qui m’a donné le goût de la musique “anti-­Babylone”, de la musique militante si tu préfères. J’ai grandi dans une famille indienne très soudée et assez traditionnelle, ça n’était pas la norme pour une jeune fille de mon âge d’écouter ce genre de musique. Mais comme mes parents chantaient eux-mêmes à l’occasion, mon père en hindi, ma mère en pendjabi, ils étaient plutôt cools avec ça. La musique d’une façon générale était quelque chose d’important dans ma famille, où les distractions étaient par ailleurs peu nombreuses. Mon grand frère a forgé mon éducation musicale. Il me prêtait des cassettes pour que j’arrête d’écouter la pop de merde diffusée à la radio. Je kiffais, mais sans forcément comprendre ce que j’écoutais. Le premier truc qu’il m’a fait découvrir et qui m’a vraiment interpellée, c’est Cypress Hill, leurs albums Black Sunday et Temples Of Boom. Body Count et Public Enemy aussi. À côté de ça, j’écoutais Nirvana, Rage Against The Machine, Oasis, Björk, etc. J’étais archi fan d’Enya, d’Enigma et même de Céline Dion ! En fait, je n’ai jamais eu de préjugés en matière de musique car, comme ma famille vivait assez repliée sur elle-­même, je n’étais pas trop influencée par les magazines ou la télé, je me fiais uniquement à mon ressenti. Donc oui, je pouvais passer sans problème de Body Count à Céline Dion ! Je dépensais tout mon argent de poche dans les piles de mon walkman. On n’était pas très riche, donc je ne pouvais pas non plus en acheter beaucoup et je les usais jusqu’au bout. Tout ça semble si désuet aujourd’hui, mais je me rappelle de cette boutique un peu bizarre de cassettes vidéos qui vendait les packs de piles les moins chers du quartier : un pound. Donc quand je recevais cinq pounds pour mon anniversaire, ça voulait dire que j’allais pouvoir m’acheter cinq packs de piles ! J’ai passé ma jeunesse à m’approvisionner en piles à la caisse de cette boutique, sans trop me préoccuper des VHS de films porno juste à côté…

II Tone Committee - « Parables of the Quarantine » (1998)

S : Cypress Hill évidemment !

A : Disons que ce sont les Cypress Hill écossais…

S : II Tone Committee ! Mais oui bien sûr, j’ai reconnu dès que le scratch a démarré. Franchement, merci d’avoir choisi un morceau d’eux, ce sont les pionniers du hip-­hop en Écosse et ils m’ont de fait énormément influencée, d’autant qu’effectivement ils s’inspiraient eux-­mêmes de Cypress Hill, la similitude est flagrante dans pas mal de leurs morceaux. Ils viennent des quartiers pauvres de Glasgow et, faute d’avoir eu les moyens à l’époque de diffuser largement leur musique, ils n’ont jamais obtenu la reconnaissance qu’ils méritent, ce qui ne les empêche pas d’être toujours actifs aujourd’hui. L’un des membres principaux du crew, Mistah Bohze, a par exemple sorti un EP il y a quelques mois. La scène rap écossaise reste assez confidentielle, donc on est tous plus ou moins les enfants de II Tone Committee ou de mecs comme Steg G et The Freestyle Master, que ce soit moi et mon ancien groupe Monkeytribe ou bien des rappeurs comme Loki, Gasp, Physiks, etc.

A : À défaut de m’y connaître en rap écossais, il faut que je te raconte une anecdote : c’est en Écosse, où j’étais en colo en juillet 1996, et plus précisément au Virgin Megastore de Glasgow, que j’ai acheté All Eyez On Me

S : Waaaah ! C’est un de mes classiques cet album, 2Pac est vraiment une de mes idoles, c’est l’un des plus grands artistes de tous les temps, si tu veux mon avis. Je n’ai jamais crû que sa mort était liée à son embrouille avec Biggie, pour moi c’est le gouvernement américain qui l’a fait buter, par peur de son leadership, de l’exemple qu’il représentait pour tous les pauvres et les marginaux. Sa philosophie, thug life, c’est ça : rassembler tous les “thugs”, c’est ­à ­dire tous ceux que la société a laissé tomber, autour d’un système d’entraide et de fraternité. Il y a une forme de charité chrétienne là-­dedans, pour moi 2Pac était plus qu’un simple prêcheur du ghetto, c’était un véritable prophète des temps modernes. S’il n’avait pas été assassiné aussi jeune, il serait peut­-être devenu président des États­Unis, qui sait ? Il avait le potentiel pour en tout cas, il n’y a qu’à voir combien sa voix résonne encore 20 ans après.

Gentleman - « Dem Gone » (2002)

S : Rudy Alba ?

A : Non, il n’est pas écossais, mais allemand : c’est Gentleman.

S : Au risque de décevoir ceux qui me suivent, je dois t’avouer que je ne connaissais pas grand chose en reggae avant de commencer à fréquenter des sound systems il y a une dizaine d’années. Je me limitais aux trucs les plus connus : Bob Marley évidemment, Junior Reid, Shaggy, UB40, Jimmy Cliff, Lee Scratch Perry, etc. En fait, j’ai rencontré la plupart des artistes reggae cultes en partageant la scène avec eux lors de sound systems, sans avoir jamais écouté leur musique au préalable. Je pense à Mad Professor ou Ken Boothe par exemple. Je me suis toujours considérée comme une MC hip-hop avant tout, j’ai commencé à écrire des poèmes vers 9­ ou 10 ans et à rapper vers 14­ ou 15, en m’inspirant de rappeuses comme Queen Latifah ou Lauryn Hill. J’ai certes débuté dans un groupe punk, mais je rappais déjà dedans. J’ai dû passer deux bonnes années à me cailler dans le garage non chauffé du père de mon pote chez qui on répétait, lui s’excitant sur sa guitare électrique et moi braillant dans un micro. Vers 17-­18 ans, je me suis mise à hoster des soirées en boîtes de nuit, je me faisais rémunérer en bières gratuites, j’étais censée chauffer la foule pendant les DJ sets, y compris quand ils balançaient les pires trucs commerciaux, peu importe, c’était vraiment juste un prétexte pour m’aguerrir au micro, sur scène, face à un public. Un soir, alors que The Orb était programmé, on m’a laissée rapper deux ou trois morceaux, ça a plu à Alex Paterson qui m’a demandé si je voulais poser sur l’album Bicycles & Tricycles qu’il préparait et c’est comme ça que je me suis retrouvée sur le morceau “Aftermath”. Cette collaboration m’a ouvert les portes de la scène électro.

A.R. Rahman - « ­Ghanan Ghanan » (2001)

S : C’est la musique du film Lagaan, non ?

A : Exact.

S : Enfant, j’ai évidemment baignée dans la musique indienne que mes parents écoutaient en boucle et dans les films Bollywood que mon père récupérait en VHS. Mon grand­-père maternel était un prêtre sikh, mon grand­-père paternel un prêtre brahmane. Sans surprise, mes parents sont des gens très pieux et ils m’ont transmis une forme de spiritualité par le biais de la musique. Ceux qui trouvent que je chante bien devraient écouter ma mère, elle a une voix incroyable, il faut que j’enregistre un morceau avec elle un jour ! Le syncrétisme inhérent à la culture indienne explique sans doute en partie pourquoi j’aime à ce point mélanger différents styles musicaux. C’est dans mes gènes, après tout. Mais honnêtement, je me sens davantage écossaise qu’indienne, il n’y a qu’à écouter mon accent ! À 12 ans, mon père a fait déménager notre famille à New Delhi, dont il est originaire, car il craignait que le mode de vie occidental pervertisse ses filles. Mais il s’est vite rendu compte qu’on était déjà occidentalisé, que le choc culturel était trop grand pour nous, et quand l’une de mes petites soeurs est tombée assez gravement malade, il s’est résigné à ce qu’on retourne vivre à Glasgow. Je me sens chez moi en Écosse, mais l’hospitalité indienne me manque, les gens y sont tellement plus chaleureux qu’en Europe, c’est incomparable. Ici, j’ai parfois l’impression d’être incomprise, solitaire, alors que là-­bas pas du tout. Je suppose qu’il est impossible d’échapper totalement à ses racines.

Tori Amos - ­ »Losing My Religion » (1995)

S : C’est marrant, parce que je ne les ai pas cités tout à l’heure, mais j’ai aussi grandi en écoutant beaucoup R.E.M. et Tori Amos. C’est une chanson qui résonne en moi, d’une certaine manière, moi qui suis born again christian. Je préfère parler de doctrine du Christ plutôt que de christianisme, car j’envisage la foi du point de vue de l’expérience personnelle, pas du point de vue de la religion. Tout ce que je fais, à commencer par ma musique, est une conséquence directe de ma foi et de ma relation au Christ. La musique est le meilleur échappatoire que j’ai trouvé pour combattre les souffrances que j’ai endurées et les épreuves que j’ai traversées. Tous les morceaux de mon album font écho aux enseignements que j’ai puisés dans la Bible. Le fait qu’on est sa propre croix, mais qu’il faut rester debout malgré les fardeaux qu’on porte. “Take A Walk”, par exemple, renvoie à la nécessité de déceler la vérité dans la forêt de mensonges qui nous entoure. Si tu penses que ma vie n’est que strass et paillettes parce que je fais de la musique, tu te trompes. Peu de gens auraient pu encaisser tous les coups que j’ai pris. Le morceau invite l’auditeur à voir cette triste réalité à travers mes yeux. Sans la musique et sans l’appel du Christ, je te le dis très honnêtement : je me serais suicidée depuis longtemps. Grâce à ma musique, j’essaie désormais de répandre le message d’amour et de paix du Christ. Ça ne signifie pas que je suis exemplaire, loin de là même. Mais contrairement à la plupart des gens, aveuglés par leur rancoeur et leur amertume, j’ai conscience de mes péchés et de mes contradictions, ce qui me permet de Lui demander son pardon, comme j’apprends à pardonner ceux qui me font du mal.

Ms. Dynamite - « Put Him Out » (2002)

S : Ms. Dynamite ! Encore une autre de mes principales influences.

A : J’imagine qu’on doit te comparer souvent à M.I.A., pourtant ton univers me rappelle davantage celui de Ms. Dynamite.

S : Je suis ravie que tu le soulignes, merci, tu peux devenir mon pote ! Ceux qui me comparent à M.I.A. le font majoritairement en raison de nos origines proches [NDLR : M.I.A. est d’origine sri-lankaise], c’est limite raciste. Alors que si tu écoutes ses textes, sa philosophie, on n’a juste rien à voir. Tandis que Ms. Dynamite et moi on vient du même oeuf. Je me sens beaucoup plus proche de l’activisme et de l’énergie de Ms. Dynamite que de ceux de M.I.A. Mais avant Ms. Dynamite, mes modèles anglais évoluaient plutôt dans un registre purement R&B, Beverley Knight et Michelle Gayle notamment. Le contenu militant de mes chansons ne va pas à l’encontre d’une recherche mélodique. Je trouve même que ce côté feel good music que j’ai voulu développer dans mon album permet à mon propos de toucher plus facilement les auditeurs. L’alternance de chant et de rap permet en outre de le délivrer différemment. Au final, créativité et simplicité sont mes maîtres­-mots.

The Beatles - « Free As A Bird » (1995)

S : Bien vu, mais le titre de mon album n’est pas une référence à la chanson des Beatles… J’ai utilisé la métaphore de l’oiseau libre pour désigner l’esprit qui doit se détacher des choses négatives en ce bas monde, la force invisible qui doit nous pousser vers l’avant. Le vent peut faire couler un bateau et pourtant il est invisible à l’œil humain. Je bosse actuellement sur mon deuxième album, car je tiens à respecter mon engagement vis-à-­vis de mon label. Mais au fond de moi, j’ai envie de fuir l’industrie du disque. Je suis arrivée à un point où je ne supporte plus les tournées, la promo, l’hypocrisie, les mondanités, tout ce qui entoure la musique. Je n’arrêterai jamais d’en faire, mais je veux la faire et la partager librement. L’oiseau, c’est moi. En même temps, je suis très heureuse et fière d’avoir sorti cet album. Toute ma vie, j’ai souhaité en arriver là et, paradoxalement, au moment où j’y arrive, mes priorités ont changé. Aujourd’hui, j’ai envie de devenir nonne, de me retirer dans un couvent pour étudier la Bible et enregistrer des albums de gospel. En attendant, je vis dans une chaumière isolée, au milieu des montagnes et de la forêt, près du Loch Lomond, sans réseau téléphonique ni connexion Internet, loin de la folie de Babylone.

A : Tu me fais me sentir coupable de t’extirper de ton ermitage pour cette interview…

S : [rires] Pas de problème, ça fait partie des obligations professionnelles auxquelles je me plie volontiers car je sais qu’après je peux rejoindre ma cachette secrète pour entrer en communion avec la nature et Jésus Christ.

A : Et qu’est-­ce que tu écoutes à ce moment-­là ?

S : “Jesus I’ll Never Forget” de Sam Cooke & The Soul Stirrers.

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