La Native Tongue de Que Rock
Interview

La Native Tongue de Que Rock

Que Rock est un Amérindien. Ce que les occidentaux ont appelé le Nouveau Monde est sa terre. Rencontre avec un rappeur qui a utilisé le hip-hop pour survivre au-delà de ses traditions tout en les perpétuant.

Photographie : Justin Morris

Que Rock est membre des Premières Nations, fait partie du groupe Anishinaabe et de la tribu Objiwé. Il fait également partie de l’une des premières générations à avoir grandi avec le hip-hop, que ce soit le rap ou avec son crew de danseurs les Mighty Zulu Kings. Alors que le Canada fête ses 150 ans et que beaucoup se demandent s’il y a matière à célébrer cet anniversaire compte tenu du traitement des populations autochtones, L’Abcdr du Son a rencontré Que Rock pour parler de sa culture, de ces cultures qui se côtoient, s’opposent, parfois se nourrissent l’une de l’autre, et du rapport entre ses traditions et son rap.


Abcdr du Son : Quand as-tu commencé à rapper et qu’est-ce qui t’a fait commencer?

Que Rock : Le hip hop a eu une grosse influence dans ma vie depuis le début, depuis environ 1985, 1986. J’avais 6 ans, j’ai entendu du hip-hop, j’en ai vu dans des films.  Le premier film dont je me rappelle c’est Flashdance.  Il y avait le Rock Steady Crew dans l’intro. Mr Freeze se démarquait avec son parapluie. Et presque immédiatement après cette découverte, j’ai essayé de faire tout ce qui était lié au hip-hop. Les sapes, le rap, la danse, deejaying et aussi le graffiti. Au début pour la danse, c’était plus de la funk, avec le popping qui venait de la West Coast. Mon frère était dans un concours de talent au lycée. Il faisait des routines avec ses potes dans mon salon pour se préparer et j’ai assisté à tout ça. J’ai toujours gravité autour de cela. J’ai commencé à rapper vers 14 ans. Les potes avec qui je traînais étaient tous de bons rappeurs. J’étais le plus mauvais du crew. Ma mission était de devenir meilleur qu’eux.

A : Vivais-tu en réserve à ce moment?

Q.R : Je suis né dans ma réserve Nippissing First Nation au nord de l’Ontario en 1980. Ma mère et moi avons quitté la réserve en 1987. La première ville que j’ai vue était New York. Ma mère était travailleuse sociale, défenseuse des droits de l’Homme et défenseuse des droits de la Femme. Elle a eu un boulot à New York, c’était censé être temporaire. Je suis venu avec elle et j’ai fait la connaissance de cette ville et j’en suis tombé amoureux. À partir de là, j’avais une bonne idée de ce qu’était le hip-hop.  C’était également ma rencontre avec la culture occidentale. Quand je suis sorti de ma réserve, j’étais différent des autres mais cette culture hip-hop était accueillante. Quand je rentrais dans le cercle, que j’entendais les drums, les beats, quand j’allais dans les parcs, les gens m’acceptaient. Alors qu’en dehors de cela, je n’étais pas accepté.

A : Comment l’expliques-tu ?

Q.R : La façon dont je vivais en réserve était très traditionnelle. Ma façon de vivre est toujours traditionnelle. Je suis toujours les enseignements, apprentissages, et approches de mes ancêtres. Ma mère et mon père étaient tous deux guérisseurs, j’ai grandi avec ces valeurs, je parle mon langage Anishinaabe. Je l’ai appris avant l’anglais. Tout était nouveau et différent quand j’ai quitté ma réserve. Je ne comprenais pas ce qui m’entourait, je n’avais jamais vu de feu de signalisation par exemple. Je connaissais les autoroutes mais je n’avais jamais vu de routes pavées dans une ville ou village. J’étais très isolé dans cette réserve. Notre mode de vie est aussi matriarcal. Les femmes dans notre communauté sont des leaders et les hommes des guerriers. Leur rôle en tant que guerrier est très différent du sens occidental. Nos guerriers ne peuvent pas tuer, nos guerriers sacrifient leur vie pour en sauver, nos guerriers sont des chasseurs, des grass-dancer. J’ai grandi avec tout cet enseignement et me suis retrouvé propulsé dans la culture occidentale sans la comprendre. Je pensais qu’il fallait être bon avec les gens et j’ai appris que c’était vu comme une faiblesse quand tu vis dans une ville. Toutes mes approches et valeurs étaient exploitées. J’ai appris tout ça à mes dépens.

A : Et tu crois que c’était propre à New York ou ça aurait été la même chose au Canada?

Q.R : C’était la même chose au Canada où je retournais régulièrement. Ma famille était toujours ici. Ma mère voyageait beaucoup à cause de son taf et j’ai fait le tour du Canada et des States. New York n’était pas un lieu permanent pour nous, juste l’endroit de ma première rencontre avec  la culture occidentale. Ma mère travaillait constamment avec des familles Natives dans des situations difficiles, notamment avec beaucoup de personnes incarcérées. Le but était de les aider en leur fournissant des compétences, des outils et des ressources qui leur permettraient de se réintégrer dans la société et de redevenir productifs. Donc j’ai beaucoup bougé avec ma mère, apprenant ma culture à ses côtés. Partout au Canada, j’ai pris le racisme de plein fouet, particulièrement de la part de personnes qui possèdent des terres. Dans les zones où nous étions, ces propriétaires étaient envieux de nos terres. Ils ne veulent pas qu’on soit là et ils ne s’en cachent pas.

A : C’est toujours la même chose aujourd’hui?

Q.R : Toujours… J’invite souvent des amis dans ma réserve pour des pow-wows, des amis qui peuvent venir de l’étranger et j’essaie d’être le plus hospitalier possible. Je les invite pour ces pow-wows qui ont lieu toutes les semaines en septembre. Et ils me disent tous qu’ils sont mal à l’aise dès qu’ils sortent de la réserve. Les réserves sont souvent proches de petites villes où il y a beaucoup de gens ignorants et racistes. C’est indéniable et très direct. C’est pour ça que je vis dans une ville, pour ne pas avoir à faire face à ce genre de racisme. Je me sens mieux en ville.

A : Et quand tu as commencé à rapper tu voulais déjà parler des problèmes ou tu voulais juste rapper, faire de la musique ?

Q.R : C’est marrant quand j’ai commencé, je voulais faire du Gangsta Rap. Je voulais me prendre pour un gangster mais je ne pouvais pas le faire à cause de ma morale et ma conscience. Mon enseignement m’interdit de parler de cette façon. C’est marrant mais des fois, je me dis que si je n’avais pas eu ça, j’aurais pu percer. Mais parce que j’ai cette estime pour ma culture, c’est impossible pour moi de rapper des choses négatives. Je peux parler des problèmes qui touchent ma communauté mais j’essaie toujours de créer un message fidèle à mes enseignements. Le premier vrai texte que j’ai écrit, je l’ai écrit pour mon fils que j’ai eu à 17 ans, j’étais un père célibataire. Je ne savais pas que je pouvais écrire, je ne faisais que du freestyle. Je me suis rendu compte que mes textes écrits étaient bien mieux que mes freestyles. Mais c’était que sur des faces B. J’ai commencé ensuite à traîner avec des producteurs quand j’ai déménagé à Toronto en 1997. On a commencé ce crew appelé DDT avec mon pote Deadly Mike. Son frère nous faisait des beats. J’ai aussi fait ce son « The  Wolf Clan » qui s’est démarqué avec un pote de New York, Zulu Gremlin. J’ai fait de la musique continuellement depuis ce son.

A : Comment était-ce perçu par ta communauté ? Est-ce que le hip-hop était présent en réserve ?

Q.R : Non je crois que j’étais le seul à rapper. Des membres de ma famille et autres personnes de la communauté m’ont sermonné parce que j’étais impliqué dans le hip-hop. C’est quelque chose qu’ils ne connaissaient pas. Ils pensaient qu’à cause de cela je n’étais plus fier de ma culture. Alors qu’ils écoutaient tous du rock ! Mes sœurs et mon frère écoutaient du heavy metal, Black Sabbath. De mon côté, j’aimais bien Ozzie, ses drummers étaient cools et m’impressionnaient mais mon truc c’était le hip-hop. Je savais que ça me correspondait. Mais les gens ont eu du mal à l’accepter, c’est sûr. Ma famille l’a finalement accepté quand j’avais à peu près 25 ans. J’ai fait un gros évènement Redbull et je me suis fait beaucoup d’argent. J’ai donné presque la moitié à ma famille, payé des loyers, acheté de la bouffe. Ils ont enfin compris que c’était quelque chose de positif, que je ne perdais pas mon temps.

A : Tu crois qu’ils ne l’acceptaient pas, plus parce qu’ils considéraient que tu perdais ton temps ou parce que ça ne correspondait pas à ta culture ?

Q.R : Les deux. Ils ne comprenaient pas le hip-hop et pensaient que je voulais être quelqu’un d’autre, qui ne voulait pas faire partie de notre culture, pas suivre les traditions. On a déjà nos propres danses, on a les pow-wows, on a des drummers qui sont comme des DJs, des conteurs qui sont comme des rappeurs, on a des peintres qui peignent sur la roche similaires à des graffeurs. On est le Original Hip Hop !  Je suis aussi un Grass-dancer, je peins aussi des peintures traditionnelles Anishinaabe woodland style, je participe aux cérémonies traditionnelles. Je suis toujours Native mais je sais que si j’habite dans une ville, pour m’intégrer, je dois faire du hip-hop. Sinon je ne peux pas être moi-même, je ne peux pas être Anishinaabe car cela n’existe pas dans la culture occidentale. La culture occidentale l’absorberait. Donc pour survivre, je fais du hip-hop.

« Partout au Canada, j’ai pris le racisme de plein fouet, particulièrement de la part de personnes qui possèdent des terres. »

A : Et tu as toujours rappé en anglais?

Q.R : Oui. Je n’ai jamais essayé de faire des rimes en Anishinaabe. Je ne pense plus instinctivement en Anishinaabe. Je comprends quand ma famille parle mais j’ai un peu perdu. C’est une façon de penser et de parler très différente. Il y a beaucoup de silences. Les mots partent et viennent mais c’est un tout autre rythme.

A : Et tu essayais d’intégrer des éléments de musique traditionnelle dans ton rap?

Q.R : Je n’étais pas producteur. Quand j’étais jeune, mes potes voulaient vraiment que j’évite d’utiliser ou d’exploiter ma culture. Ils me disaient : « be a great MC, not a Native MC ». Ça m’a aidé à comprendre le hip-hop et à ne pas être isolé, « regardez-moi je suis le rappeur Native » alors que je suis impliqué dans quelque chose de multiculturel. Je voulais juste montrer de quoi j’étais capable. Je voulais que les gens jugent mon talent avant de me juger moi. Au fur et à mesure que je progressais, j’ai commencé à intégrer des choses comme des percussions de pow-wow dans ma musique mais c’est venu plus tard.  J’ai fait un son qui s’appelle « Ghost Dance » en 2012, et depuis, moi et mon crew avons pris une nouvelle direction en intégrant des éléments de ma culture. Pour la vidéo, nous sommes allés dans ma réserve pour filmer le pow-wow. La chanson elle-même est au sujet de cette cérémonie et de cette histoire sombre pour les gens de ma communauté. Le Ghost Dancing était une cérémonie donnée pour les guérisseurs après les massacres génocidaires organisés par les colons. C’était une façon de restaurer notre culture, de la ramener à la vie. Notre communauté souffrait de pertes immenses, de la dépopulation. Ils faisaient des piles avec les Natives tués comme ils le faisaient avec les bisons. Le gouvernement canadien a toujours galéré pour respecter les traités et doit aussi beaucoup d’argent pour les achats des terres. Quand la compagnie Husdson Bay a vendu les terres au Canada, ils ont fait ça également au nom des populations autochtones mais sans qu’elles soient concertées. On souffre d’une pauvreté extrême, plus que n’importe quelle communauté en Amérique du Nord,  il n’y pas de doute à ce sujet. Le taux de suicide chez les ados est alarmant. Il y a des groupe d’ados qui se réunissent pour des suicides collectifs. Il y a beaucoup de problèmes très graves au sein de ma communauté. Nous avons été chassés, isolés, incarcérés. Nous représentons 30% de la population en prison alors que nous sommes que 3% de la population globale.

A : Tu as une rime à ce sujet : « we used to fill the lands, now we fill the prisons ».

Q.R : Il y a juste à regarder les statistiques de Stat Canada. J’ai fait partie de cette stat. Je fais presque partie de toutes les stats qui touchent ma communauté. Incarcération, parent à un jeune âge et j’aurais pu également mourir jeune. Il y a également beaucoup de problèmes de santé et le gouvernement ne fait rien pour améliorer cela.

A : Ça ne va pas mieux depuis Trudeau ?

Q.R : Rien n’a changé. Ils mettent des pansements sur nos plaies mais rien sur le long terme. Les médias parlent peu de nos problèmes. Juste pour avoir des canaux d’irrigation, pour trouver des solutions pour s’assurer que les réserves aient accès à l’eau, c’est compliqué. Les réserves sont souvent à l’écart et le financement et la communication sont inexistants.  Pour que mon chef obtienne un rendez-vous avec quelqu’un du gouvernement, ça peut prendre un an. Il y a tellement d’obstacles avant de voir quelqu’un en face à face. Il n’ y a toujours pas de rapport sur les disparitions et meurtres des femmes autochtones. [Une vague de meurtres dont les victimes sont des femmes amérindiennes touche le Canada depuis plusieurs années, notamment le long d’une route qui porte désormais le funeste long de Route des larmes, NDLR] Nous savons qui nous tue. On sait que c’est la police. La RCMP [Royal Canadian Mounted Police, NDLR] nous a toujours tués. Il y a ce truc qui s’appelle Starlight Tours. Ça sonne comme quelque chose de positif quand t’entends « starlight tours » mais je vais t’expliquer ce que c’est. La police trouve un Native bourré, vraiment bourré, titubant. Ils le mettent à l’arrière de la voiture et conduisent jusqu’à la sortie de la ville, en général près d’une autoroute. Et tout ça se passe en Alberta, Manitoba et Saskatchewan, les régions les plus importantes en terme de concentration autochtone. Ils déshabillent la personne jusqu’à qu’elle soit en sous-vêtement ou complètement nue et la dépose au bord de la route. Le tout sous -40 degrés. Presque personne ne s’en sort. La plupart sont retrouvés mort, le rapport indiquant que la mort est due à l’alcool, ils rajoutent que la personne est connue pour des troubles mentaux… ils trouvent quelque chose. C’est arrivé à la mère d’un ami, deux fois. Elle a survécu la première, pas la deuxième. La mère d’un autre ami s’est faite brutalisée plusieurs fois par la police. Ça s’est passé à Edmonton où c’est le pire. Tu ne me croirais pas si je te disais tout ce qui nous arrive. La violence dont nous sommes victimes ne s’est jamais arrêtée. Avant la RCMP, il y avait les Indian agents. Les Indian agents sont devenues la RCMP. Leur boulot était de nous contrôler, et ça l’est toujours. À la base, les gens pensaient qu’ils étaient là pour contrôler les Rocheuses mais pourquoi sont-ils aussi présents autour des réserves ? Il y a plus de RCMP autour des réserves que des frontières. Ma grand-mère avait besoin d’une lettre pour faire ses courses en ville. Sans cette lettre, elle pouvait être arrêtée. Chaque personne qui la croisait demandait à voir cette note. Et il la connaissait, il connaissait son nom. Ma grand-mère disait toujours qu’elle ne comprenait pas comment ils pouvaient être si polis et si méchants à la fois. C’était non-stop. Ma mère a été placée dans une école résidentielle dans le cadre de l’assimilation. Elle a réussi à faire en sorte que je n’y aille pas. J’ai été chanceux. Beaucoup de personnes de ma famille ont été placées dans ses maisons de redressement. Elles n’avaient rien fait de mal.

« Quand je rime, tout part de mes sept Grandfather teachings : l’amour, l’humilité, le respect, la sagesse, le courage, la vérité et l’honnêteté.  »

A : Sur le morceau « Pass the Torch », tu évoques Marcus Garvey et Bob Marley. Vois-tu des points communs entre leurs combats et ce dont tu nous parles ?

Q.R : Marcus Garvey est un remarquable leader et j’aimerais encourager des Natives à devenir des leaders tel qu’il l’était, aussi efficaces que lui. J’essaie aussi de promouvoir quelque chose de sain et positif via ma musique, ça c’est pour le côté Bob Marley. J’essaie de mettre en relation ces deux côtés.

A : Est-ce que tu souhaites intégrer de la spiritualité dans ta musique ?

Q.R : Ce que je fais est spirituel, quand je rappe c’est spirituel. J’ai l’impression de faire quelque chose qui est traditionnel et qui me guérit. Et quand je rime, tout part de mon esprit, tout part de mes Seven Grandfather teachings. Ce sont l’amour, l’humilité, le respect, la sagesse, le courage, la vérité et l’honnêteté. C’est comme ça que je me traite et que je traite les autres. C’est avec cela que ça commence,  de mon esprit vers ma tête afin que je puisse prendre des décisions. De mon esprit vers mon corps et ensuite mes émotions. Mes émotions donnent des retours à mon esprit afin de le renforcer et de renforcer mes valeurs. Donc j’utilise la spiritualité dans ma musique. J’utilise l’énergie et les émotions dans ma musique.

A : Est-ce que tu pourrais collaborer avec un artiste qui est à l’opposé de tes valeurs ? Par exemple quelqu’un de très matérialiste… Exemple extrême : Disons, P.Diddy vient te voir pour faire un nouveau Bugatti Boys avec Rick Ross… Meufs, voitures de sport, billets partout… Tu fais quoi?

Q.R : [Rires] Je me suis trop protégé par rapport à ça et en grandissant je me suis rendu compte que ça me faisait plus de mal qu’autre chose. J’ai saboté pas mal d’opportunités. Si on me propose ce genre de trucs, du moment que ça ne compromet pas mon intégrité, c’est cool. S’ils me disent « reste toi-même », j’y vais. Si c’est pour exploiter ma culture, mentir, exagérer ou faire des trucs bizarres, pas question. Je ne pourrais pas le faire. J’utilise ma musique comme guérison, pas pour autre chose.

A : Est-ce que tu te considères comme un storyteller ?

Q.R : Je suis de l’ancienne génération donc les lyrics sont importants. Très influencé par New York, mon hip-hop reflète ça. Quand je rappe, j’essaie d’honorer les traditions et ce n’est pas toujours du storytelling. Des fois, c’est juste pour le fun et que les gens s’amusent.

A : Tu dis dans un morceau que c’est à ton tour d’avoir le bâton de parole. Qu’est-ce que cela implique ? Ça représente le Mic j’imagine ?

Q.R : Exactement. Les autres MCs l’ont eu, ils ont eu leurs chances. Maintenant je l’ai et ne le lâche plus. C’est aussi ma façon de dire aux autres MCs qui veulent le récupérer, je suis prêt, à tout moment, « I’m ready to rock ». C’est mon but, d’être à mon top à tout moment, d’être toujours affûté. Le bâton de parole est censé bouger dans le cercle mais les gens le gardaient trop longtemps et faisaient n’importe quoi avec. Je vais le garder jusqu’à ce que le cercle soit prêt à nouveau, et je le rendrai ensuite.

A : Tu penses que c’est obligatoire d’utiliser des formes plus modernes comme le rap pour toucher les jeunes génération dans ta communauté ?

Q.R : Ça marche pour moi, et si ça peut toucher d’autres personnes, c’est cool. Je rappe aussi pour moi, même si c’est censé être plus pour les autres. Tous les messages que je peux donner passent mieux sous cette forme. Personne ne veut s’asseoir dans une classe, inconfortable et écouter quelqu’un qui les sermonne. Les gens veulent apprendre sans en avoir l’impression. Ils apprécient d’avantage quand ils réalisent. Le hip-hop peut permettre cela, une sorte de camouflage. Tu ne saisis pas tout de suite la positivité mais réalise ensuite le bien que ça te fait. La civilisation occidentale ne donne pas beaucoup de façon de s’exprimer et le hip-hop permet cela. Ça rassemble aussi les gens. Je le sais, j’ai voyagé partout dans le monde, en France, j’ai été au festival de Cannes deux fois, partout en Asie, en Angleterre. On est en train de parler, dans cette salle il y a deux b-boys, un venant d’Italie et un autre d’Edmonton. On est ici, ensemble, grâce à cette culture commune.

« Personne ne veut s’asseoir dans une classe, inconfortable et écouter quelqu’un qui les sermonne. Les gens veulent apprendre sans en avoir l’impression. »

A : Tu as dit dans un article sur Noisey que tu voulais enseigner ta culture grâce au rap. Est-ce que tu as peur que ta culture se perde ?

Q.R : Je vais te donner deux réponses. Ma culture ne peut pas disparaître parce que ma culture est cette terre. Les humains peuvent disparaître. Mon père dit, et tu peux l’entendre sur mon album, qu’en grandissant, au début, ils ne connaissaient pas nos coutumes, puis il en est devenu fier. La culture sera toujours là, mais nous, en tant qu’humains pouvons disparaître. Nous allons disparaître, car on nous tue. Quand j’étais petit, je me demandais toujours : « pourquoi nous, pourquoi ils nous traitent de cette façon ? » J’ai commencé à comprendre que tout le monde est au courant de ce qui se passe mais tout le monde l’ignore ou les gens ont peur de montrer leur support. Ils ne voudraient pas être traités de cette façon. J’essaie de ne pas mourir. Je sais qui je suis, je connais mon esprit. Je connais tout de mes clans, tout de me famille, mais  je me sens souvent comme un phoque, je flotte sur la glace et il n’ y a que des putain d’orques autour de moi. Dès qu’ils me voient, ils vont me bouffer. Il faut que je me cache, que je sois dans l’ombre. Je suis chanceux, la chance est de mon côté, ça n’a pas été le cas pour la plupart de ma famille. C’est fucked up comment des frères et sœurs sont morts. C’est vraiment fucked up. Je n’exagère pas. Je connais les stats. C’est arrivé à ma famille. J’ai posé des questions à ma famille. Je voulais savoir. Pourquoi ils restent si calmes ? Le nombre d’histoires d’abus, de violence que j’ai entendu m’a choqué. J’ai 37 ans et ça fait 37 ans que je vis comme ça, sachant que je suis Native et que j’ai grandi dans une guerre entre le gouvernement canadien et mon peuple. Ça ne s’est pas arrêté. On ne se bat pas, on essaie juste de vivre. Le hip-hop m’a sauvé, sans ça je ne serais pas là. Je ne serais pas sorti de ma réserve, ma mère aurait vu un autre de ses enfants mort.

A : Ton rap est traditionnel. C’est du boom bap, les morceaux comprennent des scratches, ce qui est plutôt rare de nos jours… Est-ce que tu penses qu’il y a une connexion entre le fait que tu fasses du rap « traditionnel » et le respect des traditions dans ta culture et ton éducation?

Q.R : Absolument. Le respect est un élément essentiel des 7 Grandfather teachings. Ca comprend le respect des anciens. J’ai commencé à rapper auprès de gens plus vieux que moi. Je les respectais beaucoup. Quand j’ai commencé à rencontrer ces gens, le Rock Steady Crew, les membres de la Zulu Nation et d’autres à New York, ils ne m’aimaient pas au début. Ils me voyaient comme faible car j’étais trop gentil. Ils ont pris ma gentillesse pour une faiblesse. J’ai dû leur montrer que je pouvais être dur pour qu’ils me respectent. J’ai appris à savoir quand utiliser ma culture et quand ne pas l’utiliser. Même si je ne peux jamais la mettre de côté à 100 %. C’est ce que je suis. Continuer à suivre les traditions est très important pour moi.

A : Est-ce que tu peux nous expliquer le concept de « Firekeeper », « pass the torch » et de cette référence constante au feu ?

Q.R : Le feu est un signal visuel très fort. Le feu c’est aussi quelque chose qui est en toi. C’est ton esprit. Ce que j’essaie de faire est de garder cet esprit en vie et de partager l’éducation que j’ai reçue de mes ancêtres. Ce que j’essaie de faire est de rendre cette éducation attractive pour les jeunes générations et les gens en dehors de ma communauté. La faire entendre d’une autre façon qui peut-être résonne davantage pour eux.

A : Il y a également l’image du loup qui revient…

Q.R : Mon esprit a toujours été le loup. J’ai été réincarné plusieurs fois sous forme humaine mais ma forme originelle est le loup. Pas un loup des bois, ou un loup gris, je fais partie du cercle des loups noirs. La responsabilité des loups est le salut et la préservation des terres. J’utilise beaucoup cette référence car tout mon enseignement vient de là. J’ai appris cela via des cérémonies spirituelles. J’ai appris à communiquer avec le monde spirituel, à comprendre les symboles, et aussi à comprendre ma propre personnalité. Ça m’a permis de comprendre comme je fonctionne et de me contrôler. Toute cette éducation vient de mon clan. Ma mère m’a également fourni un enseignement de son point de vue de guérisseuse. Elle m’a appris à être spirituel afin d’accepter tous ces enseignements.

A : Écris-tu également pour ne pas oublier qui tu es ?

Q.R : Ce n’est pas vraiment pour ne pas oublier qui je suis, mais pour écrire mon propre journal. Pour capturer un moment ou un état d’esprit à une période précise. J’écris pour moi. J’adore rapper ! J’écoute tout le temps ma propre musique. Je ne suis pas orgueilleux, imbu, je n’ai pas d’ego mais j’aime mon style de rap. J’aime le style de mon crew, notre approche, notre vision d’ensemble. On ne fait pas seulement que du rap. On a des talents différents touchant au hip-hop. Je touche aux quatre domaines. J’aime aussi être impliqué dans l’organisation de soirées, rassembler les gens autour du hip-hop. Je kiffe être sur scène aussi.

A : Est-ce que tu as été inspiré par ce que Tribe Called Red avait créé avec leur Electric pow-wow ?

Q.R : Oui, ils organisaient ces soirées pour les gens de notre communauté, et les gens d’en dehors aussi. L’idée c’était de créer un espace sécurisé, sans alcool, pour s’amuser, voir des gens. DJ NDN de Tribe Called Red est mon cousin, on est de la même réserve. Son succès est sûrement l’une des choses les plus importantes qui soit sortie de ma réserve. Tout le monde veut le supporter d’une manière ou d’une autre car il n’ y a pas beaucoup de choses dont on peut se réjouir. Voir ce qu’il fait avec son groupe est tellement positif, tout le monde est derrière lui. Je suis derrière lui. C’est un super héros pour moi, et pour notre communauté. Il a déjoué tous les pronostics. Je croyais que j’étais le seul! Je veux commencer à bosser avec 2oolman. [Producteur de Tribe Called Red, NDLR] Il travaille déjà avec pas mal d’artistes avec qui je traîne. Mon pote David Strickland « Gordo », un producteur de légende ici, est le pont entre moi et tous ces artistes Native. J’ai ouvert une galerie récemment et ai consacré moins de temps à la musique mais il est temps de revenir ! Je n’ai pas prévu de m’arrêter. Je ne le fais pas pour le succès. Tant que les gens me donnent des beats, je continuerai à rapper.

« On n’avait pas de chef ou de coiffe, on s’est juste adaptés. C’était une réaction à ce dont la culture occidentale avait besoin pour communiquer avec nous. »

A : Je me demandais comment illustrer cet article, j’essayais de le visualiser. Il y avait cette photo avec une coiffe je crois. Je pensais l’utiliser pour le côté romantique mais je me disais  : « est-ce que c’est trop cliché ? Est-ce que c’est vraiment lui ? » Qu’est-ce que tu penses de ça?

Q.R : Je ne porte pas de coiffe. Les danseurs de pow-wow portent ce qu’on appelle un roach. Ce roach est accompagné de deux plumes, des plumes d’aigle. Tu as dû me voir avec ça. Il y a ce dessin que m’a fait mon pote Deadly Mike pour une mixtape. J’y suis avec une coiffe, une bombe de peinture à la main et il y a un loup derrière. C’est vraiment cool mais je n’en porte pas en vrai ! Je vais te raconter quelque chose que peu de gens savent. Quand les occidentaux sont arrivés, les Natives n’avaient pas le droit de tuer un humain. Si tu prenais la vie d’un humain, tu risquais de perdre toute connexion avec l’esprit de ta famille, et de devenir une âme perdue et d’être coincé ici. Donc les Natives était une cible facile car il n’ y avait pas de réponse. Par la suite, les Natives se sont mis à combattre, nos guerriers se mettaient à tuer. Les responsables des armées ont demandé à parler à nos leaders. Mais les leaders n’étaient pas sur le front, ce sont les femmes et elles étaient au village. Les chefs des armées nous ont montré leurs décorations, leurs badges. Ils ont essayé d’expliquer aux Natives qu’ils cherchaient à comprendre qui étaient les personnes, les guerriers avec lesquels ils devaient parler. Les Natives sont rentrés, ont parlé aux femmes qui ont choisi les leaders. Elles ont choisi de leur remettre une coiffe, chaque plume représentant un accomplissement. Dans ma communauté, quand tu fais quelque chose de positif et d’important, la plus haute récompense est une plume d’aigle. On s’est juste adaptés. On n’avait pas de chef ou de coiffe, c’était une réaction à ce dont la culture occidentale avait besoin pour communiquer avec nous. Tu dois mériter chaque plume. Il y a aussi une autre façon de recevoir une plume, c’est d’en trouver une sur ton chemin. Ça veut dire qu’elle est là pour toi. Pour les femmes, les coiffes sont faites de plumes de dindons sauvages. C’est aussi pour elles, un signe qui montre qu’elles sont les leaders. Nous avons un système de clans dont tous nos enseignements viennent qui s’appellent le Grandmother Clan System. Il y a treize Grandmother clans, treize lunes par an.  Tout est connecté à la Nature et à l’univers. Nos grands-mères sont les leaders de notre communauté. Ce sont elles qui prennent les décisions comme partir en guerre ou partir. Ça a toujours été comme ça.

A : Tu peux nous dire quelques mots sur le morceau « Rez Life » qui est sorti récemment ?

Q.R : Ce morceau sera sur un projet de David Strickand qui va s’appeler Spirit of hip-hop. Ce son a été fait en réaction à Canada 150. [Référence aux célébrations du cent cinquantenaire du Canada, NDLR] On m’y retrouve avec d’autres artistes Native : Drezus, Violent Ground, Joey Stylez et Hellnback. Il n’ y aura pas que des Natives sur ce projet, il y a des très gros noms mais je n’ai pas le droit d’en parler !

A : Pour conclure, on a pas mal parlé de comment tu utilises le rap et le hip-hop en général pour parler de ta culture, je sais que tu as des enfants, est-ce que tu t’es servi de cela avec eux également ?

Q.R : Absolument. Ils ont vraiment grandi avec cela. Ils m’ont toujours vu écrire, rapper, danser, faire du graff. En parallèle, ils ont reçu les enseignements traditionnels. Nos traditions sont fortes et se suffisent à elles-mêmes mais le hip-hop les a sûrement aidés à s’accepter, à être forts et fiers de leurs origines et cultures. Comme pour moi, ça les aide également à s’intégrer dans le contexte de la culture occidentale.

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