Odas, la malchance du débutant
Interview

Odas, la malchance du débutant

Odas était l’un des rappeurs du groupe Les Débutants, révélé par le projet Censure Connexion sorti il y a tout juste vingt ans. MC tenace qui formait un talentueux binôme avec Vers, il ne compte pourtant pas plus de cinq morceaux recensés à son actif. Pourquoi ? La vie est parfois faite de mauvais concours de circonstances. En la matière, Odas se pose là. Entretien avec un rappeur qui voulait mettre Troyes sur la carte du pe-ra.

Punk et rap à Troyes 1985 – 1995

Je suis aujourd’hui un quadragénaire. Passé le milieu des années 80, j’ai une dizaine d’années et je traîne dehors avec des punks. C’est jeune, je sais. [Sourire] Comme je traînais avec eux, j’écoutais leur musique. Un soir, à une fête de la musique, il y a un DJ alors très très connu en France : José Mahut. C’est un mec qui a fait bander tous les DJ de France à l’époque, il a d’ailleurs une dédicace dans un album de Dee Nasty, il y apparaît aussi en photos [José apparaît effectivement en bas à droite de l’inlay du vinyle de l’album éponyme de Dee Nasty sorti en 1991, NDLR], Cut Killer l’a aussi connu je crois. Malheureusement, il était malade et est décédé dans les années qui ont suivi. Quand je vois ce mec-là, je prends une claque. Ce jour-là, il était avec un danseur, Ned, qui était de Troyes et qui avait vraiment un niveau au-dessus des autres, je crois même qu’il a été champion du monde de breakdance par la suite. [Il est vraisemblablement question ici du Grand concours de breakdance de Troyes, organisé en 1986 ou 1987 et organisé par les WBB, le crew de Ned, NDLR] Ned dansait devant lui, il faisait des trucs de fou. Moi j’ai quelque chose comme onze ans, je ne sais pas qui j’ai en face de moi, mais je prends une grosse claque. Je me mets à m’intéresser à tout ça. Je découvre les groupes de rap américain dont les disques arrivent jusqu’en France : Afrika Bambaataa, Grandmaster Flash, Run DMC, Public Enemy. Des gens qui voient que ça m’intéresse me ramènent des cassettes des Deenastyle. Bref, c’est un peu le même parcours que tous les gens de ma génération. Puis arrive les premiers disques de rap français. C’est la chanson « La formule secrète » qui sera ma première claque en français. Je trouvais ça déjà super cool d’entendre les mecs freestyler chez Dee Nasty, les écouter raconter leur vie, leurs idées. Mais la chanson d’Assassin, ça a vraiment été quelque chose. On était très tournés New York avant, quand il n’y avait pas encore de disques de rap français. Mais pouvoir comprendre les textes me plaisait à mort et j’ai tout de suite accroché au rap en français. Même si j’adore la dynamique américaine, il me manquait un truc en ne comprenant pas les paroles. Même en punk, j’aimais écouter Ludwig Von 88 ou Gogol 1er plus que certains trucs américains.

Dès l’âge de treize ou quatorze ans, je commence à écrire. Mais évidemment, on a le même problème que la plupart des gamins qui veulent rapper à l’époque : on n’a pas de DJ. José Mahut était déjà décédé, on cherchait comme des galériens ne serait-ce que quelqu’un avec une platine et des faces B. En remontant les connaissances de José Mahut, j’ai rencontré Kool-Jazz. Il avait dix ans de plus que nous, aujourd’hui il doit être grand-père. [Rires] Dans des concerts, on rencontre des gens. Lors d’un concert d’IAM on rencontre un groupe qui s’appelait TPM, avant de changer plusieurs fois de nom jusqu’à s’appeler La Preuve du pacte. Ils ont changé trois fois de nom. [Rires] À La Chapelle Saint-Luc, [quartier de l’agglomération Troyenne, NDLR] ils avaient un local pour répéter. Grâce à eux, on a pu aussi en profiter. J’avais un groupe avec Vers, qui fera plus tard lui aussi parti des Débutants. On s’appelait Incontinence vocale. Avec nous il y avait aussi Small Lion. Dans la vraie vie, c’était un ami et collègue qui faisait agent de prévention et qui dans le groupe toastait façon raggamuffin. À côté à Troyes, il y avait un événement annuel : le Zoulou Dance. [Festival associatif dédié au hip-hop et fondé par Arthur Badié en 1991, NDLR] On a milité plusieurs fois pour que le nom soit changé, mais sans succès. [Sourire] Arthur, l’organisateur de Zoulou Dance s’est mis à nous manager, si on peut utiliser ce terme car nous étions en plein apprentissage.

Censure connexion, Les Débutants se lancent 1995 – 1999

On répétait dans cette MJC, à côté d’un local de boxe. Il y avait DJ Defwa, La Preuve du pacte, en fait le peu de gens qui faisaient sérieusement du rap à Troyes… Moi j’étais en duo avec Vers qui venait justement de La Chapelle Saint-Luc. En partant en vacances, il rencontre Ridan. Oui, celui qui fait de la variété française aujourd’hui, c’est le même. [Rires] Ridan est de la région parisienne. Vers me le présente et je n’accroche pas trop, je n’ai pas grand-chose à lui dire. Artistiquement, on était à l’opposé, il était déjà très tourné business. Il nous présente Elias et Leechar, DJ Sample et par l’intermédiaire d’Elias, on rencontre également DJ Kore, qui n’a pas encore trop de notoriété à l’époque mais qui était censé devenir notre DJ. Ensemble on forme Les Débutants. Finalement, on est un groupe basé sur deux villes et formé de deux duos : d’un côté, Vers et moi qui venons de Troyes et rappons ensemble. De l’autre Elias et Leechar qui sont de la région parisienne et rappent ensemble. Ridan rappe aussi, et c’est lui qui fait le liant entre nous. Il avait des idées en tête, voulait faire des trucs.

Avec Vers, nous rappions beaucoup mais nous étions toujours en galère de beatmakers. On rappait sur des faces B. Ridan arrive à nous booker une première séance studio, avec tout le groupe. Avant d’y aller, on écoute les productions de DJ Sample.  Avec Vers, dès qu’on entend la production avec le sample d’Aznavour [qui servira pour le titre « Première Couche » et qui  sample sans détours « Qui » de Charles Aznavour, NDLR], on fait des saltos arrières. On la prend. Ridan nous amène à Saint-Denis dans un studio. C’est la première fois de ma vie où je pose sur un instru composé et c’est aussi la première fois de ma vie que je pose en studio. Jusque là, je n’avais rappé que sur des Faces B. Elias, Leechar et Ridan enregistrent une dizaine de titres, nous un seul. C’est « Première couche » sur ce fameux sample de « Qui ».  En réalité, Les Débutants c’était plus un collectif, on fonctionnait par binômes.

Les Débutants (Vers & Odas) - « Première Couche »

Ridan a envoyé les maquettes à des maisons de disques. Momo de Big Cheese Records écoute la dizaine de titres et dit à Ridan : « le morceau « Première couche » là, j’adore. Ce que je te propose c’est qu’on fasse un maxi avec ce titre. Réalisez-en un autre pour l’accompagner et je vous suis. » À vrai dire, je me dis que si ce n’avait pas été notre titre à moi et Vers qui avait été retenu, je pense que Ridan nous aurait envoyé aux oubliettes. Mais comme finalement, le ticket pour faire un maxi venait de nous… De son côté Ridan est malin, il connaissait un peu de monde et il y avait eu les histoires de censure avec NTM et le Ministère AMER. Ça a dû faire tilt dans sa tête et lui vient cette idée de faire un grand freestyle sur le thème de la censure, qui était en plein dans l’actualité du rap français. On retourne écouter des instrus chez DJ Sample, on choisit celle de « Censure connexion » et on invite un tas de rappeurs à venir poser avec nous sur ce thème.

Pour Vers et moi, c’est assez fou de rencontrer tous ces rappeurs. Ce n’est pas qu’on était impressionnés, on avait fait des premières parties à Troyes pour Sleo ou Ideal J. Mais ce n’est pas parce que tu rappes en première partie d’un artiste que celui-ci te connaît. D’ailleurs, Vers et moi n’avions jamais croisé un seul des artistes sollicités sur « Censure Connexion » hormis Fabe. Je l’avais rencontré quelques années plus tôt alors qu’il faisait la première partie de Sens Unik à Troyes. Avant le concert, il y avait eu un showcase de Sens Unik et Carlos avait demandé si des gens dans le public voulaient prendre le micro. Je suis un petit merdeux de quinze ans à ce moment-là et je suis le seul con à lever la main. Je suis monté sur la petite scène et ai rappé avec lui. Lors du concert, il me voit en train de gesticuler comme un dingue au premier rang et me fait monter à nouveau sur scène pour freestyler. Fabe était aussi là pour ce freestyle et je crois qu’il avait été étonné par le petit gamin de quinze ans que j’étais puisque quand je l’ai revu lors de « Censure Connexion », il s’en souvenait.

Les enregistrements se font sur quelques jours et dans une super ambiance au studio Chauve Souris à Ivry. Toutes les connexions avaient été assurées par Ridan, Leechar et Elias qui avaient déjà un petit réseau en étant sur Paris. DJ Sample connaissait aussi du monde. Nous on avait voulu ramener des gens de Troyes, on nous a dit non. [Rires] Comme on vivait un rêve de gosse, on n’a pas insisté. Avec Vers, on devient très potes avec Freko et Cyanure d’ATK. Ce sont vraiment des gars que j’ai adorés. Je ressemble peut-être plus à Freko et Vers à Cyanure, et ça a collé. Je m’entendais bien avec les gens de la Mafia K’1 Fry qui venaient souvent à Troyes, on a même participé au clip de « Maintenant ou jamais » de Différent Teep. Avec Defwa, nous étions montés au stade de Bonneuil-sur-Marne pour le tournage. Malheureusement, pour « Censure Connexion », ça n’avait pas pu se faire avec les gars du 94. Honnêtement, je ne sais plus pour quelle raison.

En décembre 98, le projet sort en vinyle. Aznavour avait donné son autorisation pour qu’on utilise le sample de « Qui ». Big Cheese lui a demandé et il a accordé l’autorisation sans scrupules. Je sais qu’il a écouté le titre avant d’autoriser qu’on l’exploite. Bon on n’est pas les seuls à l’avoir samplé, mais on l’a fait avant Dre. [Rires] Lors de la sortie, les ventes du maxi prennent tout de suite. On a vendu vingt mille exemplaires en deux mois sans promo, sans rien. Pour nous c’était hyper motivant et pour Big Cheese Records c’était une aubaine, car ils étaient en plein marasme financier, chose qu’on ignorait lorsqu’on a signé avec eux. Je n’étais pas en première ligne dans la vie du projet, mais Momo avait déjà des dollars dans les pupilles en se disant : « putain, je vais sauver la boite grâce à ce disque ! » Et alors qu’on commençait à vouloir presser de nouveaux exemplaires Momo nous a dit que Jean-François Richet, qui préparait 16’30 contre la Censure, avait fait pression sur notre distributeur pour que le disque ne soit pas soutenu s’il devait être à nouveau pressé. Je n’ai jamais vu Richet ou Cercle Rouge le dire mais je pense que c’est vrai car pourquoi Momo aurait renoncé à continuer à exploiter un disque qui remettait d’aplomb les finances de son label ? Concord, qui distribuait le disque, a rompu le contrat avec Big Cheese. Je crois d’ailleurs qu’eux aussi avaient quelques soucis financiers. Une autre version dit que si on a atterri chez Concord, c’est que Pias qui devait distribuer d’abord le projet s’est finalement défilé en voyant le projet 16’30 contre la censure arriver ? C’est possible, c’est vieux tout ça, c’est dur d’être précis, mais en tous cas il y avait eu un vrai soucis avec la sortie de 16’30 contre la censure quelques semaines après la notre. Quoi qu’il en soit, ce sont de toute façon les années où l’économie de la musique commence à avoir ses premières secousses, avant le séisme des années 2000 où plein de labels se casseront la gueule et où les majors enchaîneront les fusions et acquisitions. Au lieu de rebondir directement, on se met à travailler sur quelques projets. De mon côté, en voyant Censure Connexion s’arrêter en pleine ascension, je comprends qu’il faut qu’on soit autonomes, qu’on gère notre business nous-mêmes. Si ce n’est pas toi qui t’en occupes, tu vas te faire piner. Je vois en plus toutes les maisons de disques se péter la gueule. Alors je commence à réfléchir à créer ma structure, ce que je ferai un peu plus tard avec Audace Musique et avec laquelle je ferai 30 rappeurs pour dépénaliser. C’est aussi un moment où avec Ridan, ça ne va plus du tout. On voit qu’il se fout de notre gueule lors de deux projets où il nous implique et dans lequel on s’investit vraiment, notamment un qui devait s’appeler Chroniques d’Alger.

V.A - « Freestyle Censure Connexion »

Audace musique et dépénalisation du cannabis 2000 – 2004

Les Chroniques d’Alger, c’est l’histoire des Débutants qui descendent à Marseille et rencontrent Imhotep. [Rires] Le feeling passait bien avec lui, il aimait bien ce qu’on faisait et Ridan arrive à l’embobiner je ne sais pas comment. Imhotep nous dit : « je vous mets du matos à disposition, vous montez un studio chez mon frère Luc à Bagnolet, Ridan tu pilotes le projet parce que je n’ai pas le temps de m’en occuper, je fais juste les sons. Ce projet, il s’appellera Les Chroniques d’Alger et ce sera la suite des Chroniques de Mars. » Évidemment, on est comme des dingues ! [Rires] On déménage le matériel que nous prête Imhotep chez son frère Luc et on fait tous les travaux nous mêmes : on pose les cloisons, on construit la cabine, bref, tous Les Débutants s’investissent chez Luc. Le projet commence, dessus, des gens comme Assia ou Cheb Mami sont prévus, tous les Algériens ou gens d’origine Algérienne pour qui ça faisait sens d’y être étaient prévus, des rappeurs d’Algérie, de France, c’était un truc de dingue. Une dizaine de titres sont enregistrés. Mais Ridan, parce que c’est plus fort que lui, a piné Imhotep. Je ne sais pas comment, mais il l’a fait. Et il le fait en plus au moment où lui-même signe en solo en maison de disques. Lui qui nous disait « ne vous inquiétez pas, je m’occupe de tout » tirait au final la couverture à lui, dans son coin. La carte Imhotep, les sons enregistrés pour Les Chroniques d’Alger, ceux des Débutants jamais sortis, tout ça il s’en est servi dans son coin pour son ambition personnelle. Il a fait son truc à lui et nous, on a vu tout se casser la gueule. Avec nous, il y avait aussi DJ Kore, qui était déjà très actif, travaillait déjà avec la Scred. C’était l’ami d’enfance d’Elias, qui l’avait ramené dans le groupe. C’est d’ailleurs Elias qui a appris à Kore les bases d’un sampler de ce que je sais. Kore s’est pris la tête avec Ridan, moi aussi, j’ai failli… Non, je n’ai pas failli, je l’ai attrapé, heureusement que les autres étaient là avec moi. C’est la dernière fois que je l’ai vu. On se reverrait maintenant, on est des adultes, il n’y aurait plus d’animosité mais à l’époque, c’était vraiment chaud. C’est à ce moment-là que j’ai décidé avec Elias, Leechar et Vers de monter Audace Musique.

Mehdi Macinissa - « Alger Bomb City »

Quand on monte Audace Musique, l’idée c’est de réaliser enfin un album des Débutants. Mais je me dis que c’est peut-être un peu casse-gueule de commencer par ça. Alors pour lancer la structure, j’en arrive à la conclusion que la meilleure manière de capitaliser, de se faire une trésorerie et de faire connaître le label, c’est de faire un projet avec un thème fort et des invités, un peu comme l’était Censure Connexion. Je décide de faire une compilation sur le thème de la dépénalisation du cannabis. Ce sera 30 rappeurs pour dépénaliser. C’est un projet qui nous tient à cœur, on est entouré de rappeurs qui donnent plus de lumière au disque, et après tout, si Censure Connexion s’est rapidement vendu à vingt mille exemplaires, pourquoi 30 rappeurs pour dépénaliser ferait un mauvais chiffre ? Ce projet visait vraiment à concrétiser le label pour faire ensuite l’album des Débutants.

On enregistre la plupart des morceaux à Bagnolet, chez le frère d’Imhotep là où on avait monté un studio pour faire Les Chroniques d’Alger. Je fais une première connerie, je m’embrouille avec Kore. Kore, qui était vraiment d’accord pour être le DJ des Débutants et qui traîne avec nous depuis un moment, devait scratcher sur 30 rappeurs pour dépénaliser mais aussi mixer le projet à la façon d’une mixtape. Je voulais que tout s’enchaîne. Quand les morceaux, produits par Elias, sont finis, Kore commence à travailler sur le mix. Quelques semaines se passent et Elias vient me voir et me dit : « écoute, je viens de m’embrouiller avec Kore, il tarde pour le mix, je sens qu’il va nous mettre un plan galère. » Elias et Kore sont vraiment des amis d’enfance, leurs parents se connaissent, déjeunent ensemble, bref, pour moi ils se connaissent par cœur. Au départ, je dis à Elias que Kore a commencé à bosser sur le mix, qu’on s’est engagés, que le lâcher est quelque chose qui ne se fait pas. Elias ne le sent pas et me dit d’appeler Kore : « tu verras, il se fout de ta gueule. » J’appelle Kore et là il me fait écouter des bouts de son mix par téléphone et franchement ça tuait, c’était atomique ! Je demande à Kore de me dire dans combien de temps il pense finir tout ça. Elias, moi et tous Les Débutants, on n’en pouvait plus d’attendre, on était impatients comme des gosses en fait, on a déjà perdu beaucoup de temps, quatre années se sont écoulées depuis Censure connexion. Kore, lui, était déjà super carré, un gros bosseur. Il me rappelle qu’il est un peu perfectionniste – dans son cas, c’est une qualité – et ajoute que dans une semaine ce sera bon, nous aurons le projet mixé et finalisé. Une semaine plus tard, je n’ai toujours rien reçu. Elias me dit « lâche l’affaire, on prend DJ H2 qui va nous faire ça dans le week-end. » On n’arrivait pas à attendre, on était tellement impatients que ça sorte que j’ai suivi les arguments d’Elias. On a planté Kore par pure impatience. Évidemment, il l’a très mal pris et il a eu raison : avec Elias, on a vraiment été des petits merdeux impatients. On a trahi celui qui devenait enfin notre DJ et qui en plus était le DJ qu’on voulait et qui avait un talent incroyable, sa carrière le prouve. Il nous a dit d’aller nous faire foutre. Je m’en suis voulu toute ma vie, artistiquement en plus, ça collait entre lui et moi. Mais ça n’empêche pas le disque de sortir.

Pour la sortie du projet, j’avais peut-être trop poussé le concept jusqu’au bout, car j’avais mis une vraie feuille de chanvre dans chaque boîtier CD. Le truc sort dans les FNAC. Deux mille exemplaires se vendent en une semaine et en indé, sans promo ni rien. C’est un bon démarrage ! Mais un gamin qui avait acheté le disque à la FNAC de Noisy-le-Grand rentre chez lui ouvre le boîtier du CD et décide de fumer la feuille de chanvre qu’on avait laissée à l’intérieur. Son père le choppe en flag’ en train de fumer. Le gamin se prend une branlée et son père lui demandait : « où tu as eu ça ? » Le gamin, il répondait la vérité : « À la FNAC ». Mais comment voulais-tu que son père le croit ? [Rires] « Tu te fous de ma gueule ? » Paf ! [Rires] Et le gamin insiste, il a raison d’ailleurs, il dit la vérité ! [Rires] Alors à chaque fois : paf ! Le daron a mis plusieurs minutes à commencer à prendre son fils au sérieux. Il s’est rendu à la FNAC, a cherché le CD dans les rayons et quand il l’a eu entre les mains, il n’a pu que constater que son fils disait la vérité. [Hilare] Il a tapé un scandale, un vrai, et il pouvait se le permettre : il était officier de police, assez gradé, je ne sais plus s’il était commandant ou commissaire, mais un truc du genre. Il a fait venir le directeur du magasin, qui évidemment n’était au courant de rien. C’est remonté direct à mon distributeur qui m’a complètement lâché. [Rires] Il m’a dit : « je ne distribue plus rien et les albums qui sont encore dans les bacs, il faut mettre un autocollant dessus. » Heureusement, on en avait vendu assez pour amortir le truc. Mais ça a été retiré des rayons.

V.A - « 30 rappeurs pour dépénaliser »

IV My People, deux ans trop tard 2004 – 2006

J’ai pris une vraie claque morale même si j’avais récupéré mes billes avec la première semaine de vente. Entre Censure Connexion, Les Chroniques d’Alger, perdre Kore et là voir mon projet retiré des rayons, ça fait quand même une belle succession de galères. Alors tu t’interroges. [Rires] Est-ce que j’ai un mauvais karma ? Est-ce que quelqu’un m’a jeté un sort dans la musique ? Est-ce que ce n’est pas le destin qui me dit que la musique ce n’est pas pour moi, que si ça marche je vais devenir un méga trou du cul prétentieux et donc qu’il me protège en faisant tout foirer ? [Rires] Au même moment, j’ai en plus des problèmes familiaux. Pourtant, je ne lâche pas la musique. Un an après avoir fait 30 rappeurs pour dépénaliser, Princess Aniès qui y avait participé m’appelle. Elle était vraiment devenue une copine. Avec Haroun, elle fait partie de ceux qui m’ont hébergé ou qui ont assuré quand je montais sur Paris sans aucun plan ni thunes. Haroun lui, il a même fait fort, il est resté avec moi dormir dehors dans un square à Barbès un soir où je n’avais pas de lieu pour dormir et alors que lui ne vivait plus à Barbès mais en banlieue. Quand Aniès me rappelle, elle est signée chez IV My People et me dit : « il faut que je te présente Secundo. Je vous connais tous les deux, je sais que le feeling va passer. Il a kiffé ton flow et il a des productions pour toi. » Moi je suis évidemment trop chaud, je n’ai personne pour me faire des sons à ce moment-là ! On se rencontre, on envisage de faire un maxi Odas/Secundo. On bosse dur, il vient à Troyes pour bosser, moi je me retrouve dans le studio de IV My People à Puteaux, je suis avec eux en fait. Je croise Kool Shen deux fois, on discute un peu. Sauf que patatra, tous les projets IV My People sont mis en stand-by. Je me retrouve en file d’attente, Secundo pousse pour que mon tour vienne mais entre temps, IV My People n’existe plus. [Rires] Là encore une fois, tu t’interroges ! [Hilare] Ça a été la claque de trop, ça m’a achevé définitivement. À côté, comme le rap ne décollait pas, j’avais monté une boite de vêtements avec une boutique à Troyes. Mais tout m’a tellement cassé les couilles que j’ai coupé les ponts. J’ai vendu la boîte, laissé tomber le milieu du rap et suis parti m’installer en Vendée, à Noirmoutier, avec ma fille. C’était il y a un peu plus de dix ans.

Aujourd’hui, tout va bien. J’ai construit ma vie. J’ai monté une société, levé des fonds puis l’ai revendue. Ça m’a permis de faire plein d’autres trucs que je n’aurais sûrement pas fait si j’avais continué à courir après le rap. J’ai une vie agréable, je bosse et j’ai une bonne situation, je suis le dernier à plaindre. Ce que j’ai vécu dans la musique m’a sûrement rendu plus lucide en tant qu’entrepreneur, m’a donné une force aussi. Grâce à ça, j’avais déjà des armes. Quant à la musique, j’ai recommencé à en faire seulement l’an dernier. Le rap, c’était inenvisageable. Je n’adhère pas à la trap, je n’ai pas les codes. Quant à faire du rap engagé ou militant ? Avec la vie que j’ai aujourd’hui, c’est inimaginable, le décalage serait bien trop grand. Alors comme je viens du punk, que j’ai toujours aimé le hardcore, le skatecore et que comme tout n’était pas clivé comme ça l’a été plus tard lorsque j’ai découvert le rap, j’ai toujours gardé cette culture. Avec des musiciens de la région, j’ai monté un groupe de fusion qui s’appelle Rue de la Forge. On est en train d’enregistrer un EP. J’y rappe sur un mélange de fusion, de métal et de hardcore. Pour les musiciens, c’est la première fois qu’ils bossent avec un rappeur. On s’éclate, sans prétentions mais en faisant ça de la façon la plus professionnelle possible. On est en plein enregistrement pour le moment. Ce qui m’a donné envie de refaire ça, c’est les Prophets of Rage ou Rise Up de Cypress Hill qui est un disque super efficace. C’est un défouloir pour moi en fait. Et surtout c’est une musique faite pour le live, qui est ma plus grande frustration. Je n’en ai pas fait assez malgré les quelques belles premières parties que j’ai pu réaliser adolescent à Troyes. Contrairement au rap, jouer de la musique en live est quelque chose qu’il me reste à combler. J’espère le faire avec Rue de la Forge.

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