Nobodylikesbirdie, bird on a wire
Interview

Nobodylikesbirdie, bird on a wire

D’abord identifié comme représentant d’un scam rap à la française, le Lillois nobodylikesbirdie produit depuis plusieurs EPs une musique qui tient finalement plus du dope boy blues. Chez lui, l’expression de sa peine se fait par la description brute de son quotidien, entrecoupée de traits d’esprits et d’astuces pour se frayer un chemin parmi les embûches. Entretien.

et Photographies : Jesse, pour l’Abcdr du Son

L’anthropologue anarchiste David Graeber écrivait, à propos du système capitaliste actuel : “comme dans les jeux vidéo, rien n’est vraiment produit, tout prend corps brusquement, et nous passons bel et bien notre existence à gagner des points et esquiver des individus armés.” C’est exactement ce genre de monde que la musique de nobodylikesbirdie fait surgir. Phase après phase, l’une balayant l’autre, l’auditeur plonge dans un niveau où il faut éviter que les keufs ne vous capturent, où on prend des coups, les rend, où on se relève, point d’expérience après point d’expérience.
Le Lillois a une facilité à comprendre la musique, même s’il ne se prétend pas grand connaisseur. Issu d’une famille d’instrumentistes que rien ne prédestinait à la précarité, il est tombé dans le rap pour des raisons bien précises. Une tragédie suffit à plomber la trajectoire. Au lycée, Birdie passe des orchestres prestigieux aux foyers d’hébergement ; des vacances en famille à la solitude du dealer du coin… Pour raconter cet univers, il adopte un flow qui, du shit talk, n’a que la forme. Non, birdie n’est pas “littéralement né pour raconter de la merde.” Au contraire : de plus en plus, la spontanéité indolente, à moitié fêlée, de son interprétation cache une grande lucidité. Sa musique est parfois marrante, mais truffée des réflexions de celui qui regrette même d’avoir trop de temps pour penser. Trop de temps pour prendre la mesure de la violence permanente, acérée, qui l’entoure, et du gouffre de vulnérabilité qu’il a en lui. D’abord identifié comme représentant de la scène Detroit française, dans The Birdie Tape II, son dernier EP, le rappeur témoigne avec honnêteté de la diversité de ses goûts. Boom-bap, sonorités West Coast des dernières décennies, le lien, c’est ce flow qui essore le rap de la moindre goutte d’enthousiasme, quand bien même elle viendrait de l’agressivité. Sa musique transpire alors l’angoisse et le fatalisme d’un jeune de 2024, c’est-à-dire héritier des atrocités du XXème siècle et – putain de merde – promis à un avenir encore plus sombre. Reste l’engagement politique et le goût de la bonne musique, qui le rendent tout de même tenace, et résolument fier de s’exprimer.


Abcdr du Son : À la séance d’écoute de l’EP, tu nous disais que tu étais fier car tu venais d’une famille de musiciens.

nlb : Oui, c’est culturel dans ma mif. Mes deux parents sont des instrumentistes, ils ont bossé dans des orchestres et ont été profs. Mes grand-parents aussi sont musiciens, et mes arrières grands-parents, pour ceux qu’on connaît, ont tous été artistes. Ma famille est très reliée au monde de la musique classique. Moi, je n’ai jamais réussi à m’y intéresser plus que ça parce que ça ne représentait vraiment pas le monde dans lequel je vivais avec ma mère. Mais c’est quand même hyper important à mes yeux de faire de la musique. C’est à la fois une passion et une forme d’obligation, je me sentirais mal d’être le seul à ne pas en faire.

A : Quand tu dis instrumentistes, c’était quels instruments ?

nlb: Mon père joue du violon, ma mère de l’alto et du piano, ma grand-mère paternelle du violoncelle, celle maternelle joue du piano, j’ai un oncle qui est garagiste maintenant mais qui a appris à jouer du violon ou du violoncelle plus jeune… En y pensant, comme ça, il y a une personne seulement qui ne fait pas de musique dans ma famille.

A : Même si tu dis que tu n’as jamais réussi à t’intéresser à la musique classique, tu l’as quand même étudiée ?

nlb : Je l’ai étudiée, sans jamais réussir à l’apprendre. J’ai fait du solfège. À l’époque où tout le monde faisait ses premiers essais au sport, comme ma mère n’aimait pas le sport, j’ai essayé plein d’instruments différents sans jamais réussir à en apprendre un correctement. J’ai donc fait du chant.

A : Pas de MAO [musique assistée par ordinateur, NDLR] ?

nlb : Non, c’était en 2008, la MAO n’était pas considérée comme de la vraie musique. C’est très élitiste comme milieu. Mes grands-parents ont encore du mal à considérer que je fais de la vraie musique tant que je ne joue pas d’un instrument ou tant que, quand je monte sur scène, ce n’est pas avec un groupe derrière moi. Je ne suis pas du tout d’accord avec eux, mais d’un côté je les comprends. Ma mère est dans des musiques où les compositeurs connaissent leur truc sur le bout des ongles, et là t’as une musique avec des prods de tubes composées par des gamins de quinze ans qui ne savent pas ce que c’est des notes, et des rappeurs qui ne savent pas chanter. Elle considère que ce n’est pas vraiment de la musique.

A : On disait ça du jazz…

nlb : Bien sûr, et mes parents sont des grands fans de jazz, et surtout de rock. Puisque la musique classique c’était leur taf, ils n’en écoutaient pas à la maison, ça les rendait fous. Moi je leur ai souvent dit : le rap est traité maintenant comme on écoutait du jazz avant. On disait des trucs horribles sur le jazz, que c’était une musique de sauvages, ou pire encore, des trucs que je ne me permettrais pas de dire là. Mais j’ai quand même un peu ce sentiment de pouvoir dire à ma famille : “ok, vous avez tous fait de la musique, vous avez appris à en jouer sans jamais composer quelque chose. Moi je crée. Même si je ne suis pas violoniste, je crée.” Mon père a commencé à composer il y a un an et demi. Après moi. Et avant, quand j’en parlais avec lui, il considérait ça comme un truc de génie. Il est très fort en violon, on peut appeler ça un virtuose, il est reconnu dans le milieu comme étant fort dans le truc. Mais ce n’est pas de la composition, ça, il s’y est mis après moi.

A : Tu penses que ça l’a désinhibé de te voir composer ?

nlb : Je ne sais pas… Peut-être, mais je pense que ça vient surtout de lui. C’est quelqu’un qui aime la musique profondément aussi. C’est aujourd’hui celui qui accepte le plus ce que je fais et s’y intéresse le plus

A : Qu’est-ce qui t’as attiré dans le rap et que tu ne trouvais pas dans la musique classique ?

nlb : J’ai un rapport très compliqué avec la musique classique. Mes vacances, quand j’étais petit, se résumaient à suivre mon père dans ses concerts. J’ai passé vraiment beaucoup de temps, jeune, assis, à regarder mon père jouer une musique dont, en vrai, je me foutais. En même temps c’est un bagage culturel de fou, je suis grave content, mais je n’en écoute jamais. J’ai eu une forme de rejet parce qu’on m’a trop forcé à en faire. Après, j’écoutais la musique de mes parents avant d’écouter du rap, donc j’ai écouté beaucoup de rock. Mais quand j’ai commencé à sortir de chez moi, j’ai compris que le rock et la musique classique, ça ne résonnait pas comme le monde dans lequel je vivais. Tous les parents de mes potes taffaient à l’usine, j’étais dans un endroit de prolos, j’étais de loin celui qui avait le plus de culture légitime. Ma mère avait une bibliothèque remplie à rabord de littérature française, j’ai eu cette chance, mais mes potes n’avaient pas ça. Mon grand pote de l’école primaire était fan de Seth Gueko, un autre de LIM, donc naturellement en traînant avec eux j’ai compris que le rap résonnait mieux dans ce monde que le rock. Et le classique encore moins, c’est vraiment de la musique de bourgeois. Les pauvres au XVIIIe n’écoutaient pas de musique baroque, ils étaient dans la taverne et écoutaient des trucs simples. La musique classique qu’on connaît maintenant, les Mozart et tout ça, c’était des compositeurs qui étaient gardés enfermés chez des nobles, ça leur faisait des commandes… Franchement, cette musique ne me touchait pas. C’était une musique de pouvoir. Non seulement ça décrit un monde qui date de 300 ans, mais en plus c’est un monde qui n’est pas le mien. Dans mon monde, c’était compliqué de ne pas écouter de rap. Puis, je suis de la génération 1999. Dans les années 2000 à la télé il y a Eminem, il y a Jay Z, tu ne peux pas passer à côté.

A : Dans un son, tu parles de Chief Keef et Kaaris, est-ce que c’est tes premières claques rap  ?

nlb : Mes premières claques trap. J’ai commencé en étant un petit con de puriste, vu que je me suis mis à écouter du rap tard par rapport à certaines personnes, 11-12 piges. Il y a plein de gens dont le rap est vraiment la culture de base, qui n’ont écouté que ça dès leur naissance, qui avaient des parents qui écoutent NTM et tout ça. Mes parents n’écoutaient pas de rap, c’est moi qui leur ai fait comprendre que c’était une musique qui valait le coup. Je me suis tapé Temps Mort de Booba, les albums de IAM, de NTM, je me suis tapé MC Solaar parce que c’était le seul que mon père considérait comme un bon rappeur, j’ai beaucoup écouté Nakk Mendosa. La première claque rap que j’ai prise, c’était sur un lecteur mp3 que mon père m’avait offert. J’écoutais la radio et j’enregistrais les sons qui passaient. Un jour, « Boule de Cristal » de Sinik passe ! Voilà, j’étais en mode « le rap boom bap et les gens qui disent les termes » [rire] et pendant un moment quand mes potes écoutaient de la trap je leur disais “ça pue votre truc”. Puis un jour, j’ai écouté Or Noir de Kaaris et je me suis pris le truc dans la gueule.

« J’ai commencé à faire des trucs qu’objectivement je n’aurais pas dû être amené à faire dans ma vie. »

A : Tu parles de cet environnement, de ton capital culturel, et en même temps dans tes sons tu parles beaucoup de situations de précarité graves, de ne pas savoir où manger, où dormir. Est-ce que tu veux en parler, et est-ce que ça a confirmé ton choix d’aller vers le rap ?

nlb : Les quatre premières années de ma vie, mon père était à l’orchestre national de Paris, ma mère aussi je crois. On habitait à Paris, c’était basiquement une vie de classe moyenne aisée. Je ne suis pas né dans la pauvreté, et je n’ai pas évolué dans la pauvreté avant un moment très précis de ma vie. Quand j’étais en cinquième ou en quatrième, ma mère travaillait à l’orchestre national de Lille. Elle a eu des problèmes avec des gens qui travaillent là-bas, donc elle a perdu son travail. Elle a dû faire des tafs bien moins payés, et qui en plus de ça la rendaient foncièrement malheureuse. Elle a travaillé dans un magasin de vaisselle, puis dans un centre d’accueil pour réfugiés, et entre temps elle donnait des cours de violon au black, à des élèves qui n’étaient absolument pas passionnés, pas talentueux. Elle qui est très élitiste de la musique, ça l’énervait énormément. Je la voyais avec ses élèves qui en avaient rien à foutre du violon, elle détestait sa vie. À ce moment-là, naturellement, le niveau de vie a baissé chez moi. J’ai fini par me faire virer du collège privé quand les factures ont commencé à s’accumuler, donc je suis allé dans le public. J’ai senti le niveau de vie baisser, j’ai senti le regard des gens changer. Et comme j’avais eu une scolarité dans le privé avec des gens vachement plus aisés que moi, j’avais clairement de la jalousie. J’avais le seum. Donc j’ai commencé à faire des trucs qu’objectivement je n’aurais pas dû être amené à faire dans ma vie. J’ai commencé à traîner dans des coins qui n’étaient pas les miens pour bosser sur des terrains de beuh, des trucs comme ça. J’ai commencé à vendre de la beuh, à devoir de l’argent, à avoir des problèmes avec des mecs de Roubaix… Au lycée ça a été très perturbateur, puis quand j’ai eu 17 ans ma mère a dit “stop, je ne peux plus m’occuper de toi.” Je fuguais tout le temps, je disparaissais une semaine, je dormais un peu partout… Du coup elle m’a dit “tu bouges, tu vas habiter chez ton père.” Je n’ai pas habité chez mon père parce qu’il m’a mis en internat à Lyon. Là ça a été le moment où je me suis dit “ok, mes deux parents vont plus s’occuper de moi”. Les CPE et les surveillants, j’en avais rien à foutre, donc j’ai fait ma merde pareil dans ce lycée là. J’ai été exclu de ce truc parce que les keufs sont venus perquise ma chambre, que des trucs de con. Je n’ai pas eu mon bac. En sortant du lycée, j’ai essayé de retourner chez mon père qui m’a fait comprendre qu’il n’y avait pas moyen. C’est là que j’ai vécu le plus de précarité de ma vie, après ma majorité. C’est des moments où j’ai vécu à la rue, ou dans des foyers d’hébergement entre deux crackheads, dans des apparts horribles que je pouvais à peine me payer. Je sais ce que c’est de vivre à découvert tous les mois, jusqu’au jour où tu ne peux plus payer ton loyer dès le début du mois, et j’ai fait les bêtises qui vont avec. Je me suis intégré dans des milieux qui n’étaient pas les miens, et on m’a accepté parce que, quand même, je sais faire les choses. Il y a eu une grosse partie de précarité dans ma vie, mais qui je pense a été accentuée par le fait qu’au début, avec ma famille, elle n’était pas du tout précaire.

A : Le rap occupe quelle place pour toi à ce moment-là ?

nlb : C’est toute ma vie en vrai. À partir du moment où j’ai commencé à en faire, c’était le seul truc important pour moi. Je bassinais mes parents avec ça, et ils me disaient “mais qu’est-ce que tu me racontes, tu ne vas pas faire ta vie avec le rap, ça n’existe pas !” Mais à partir du moment où j’ai enregistré mon premier morceau à 15 ans c’était tout ce que je voulais faire. J’écrivais tout le temps, je cherchais des prods tout le temps. Les périodes où j’ai arrêté de rapper, ça me faisait vraiment mal. Je me disais “putain, tu ne rappes plus”, alors que c’était la personne que j’étais. C’est là que j’ai commencé à faire des prods, parce que ça me rendait fou de ne pas créer. Quand j’ai commencé, je m’en foutais d’avoir un beatmaker avec moi, je prenais des type beats et c’était très bien. C’est après, d’être vraiment lâché dans la nature seul qui a fait que j’étais tout le temps hébergé chez des potes. Et comme j’étais musicien, je traînais avec des musiciens, du coup je rappais, je prodais avec eux. Après le confinement, ça a été la période où j’ai le moins créé dans ma vie. J’ai été en couple avec une meuf qui était une giga-créatrice. Je me disais : “putain elle créé, moi non, j’suis un bouffon”. Je m’y suis remis pour ça. Mais comme je n’arrivais plus à écrire de textes, je me suis dis : “quitte à écrire des trucs nuls, écris pas”, et j’ai recommencé à faire du son. Elle kiffait la pop donc j’ai fait pas mal de trucs pop, en même temps j’étais encore un kiffeur de rap donc j’ai fait vlà les prods trap, j’ai fait vlà les prods rage. En vrai, j’ai commencé en faisant des prods rage, je kiffais en faire. Enfin, il y a eu ce moment où j’ai eu à nouveau envie de rapper. J’ai acheté un micro, et j’ai découvert une nouvelle scène de rap : les Serane, les 8Ruki, les Rowjay… Et d’entendre des interviews d’eux où ils disaient qu’ils posaient phrase par phrase, ça m’a fait me rendre compte que tu pouvais être francophone et faire ça. Pour moi c’était un truc d’Américains. Je savais qu’A$ap Rocky le faisait, que Tyler the Creator le faisait, mais pour moi c’était adapté aux langues anglo-saxonnes, pas au français. En les entendant, je me suis dit : “t’arrives plus à écrire alors essaie comme ça.” Au début, c’était pas ouf, je faisais ça sur des ersatz de styles pas très maîtrisés, des sons plug, des sons un peu soft rock, puis je suis vite revenu vers des trucs qui me faisaient kiffer quand j’étais petit, donc des trucs où ça rappe. Je me suis fait un peu connaître dans la scène Detroit française, puis j’ai fini par carrément revenir vers ce que je faisais quand j’étais petit. Je kick, j’essaie d’avoir un bon texte, mais je n’écris plus en amont. Je me mets derrière le micro, une phrase me passe par la tête, je la dis, puis je réfléchis à ce que je peux dire après. Je n’écris jamais plus de quatre mesures. Parfois j’entends une prod de fou et j’ai un flow qui me vient en tête, une phase, et je suis en mode “ok ça c’est trop bien, je ne vais pas enregistrer aujourd’hui mais faut que je le garde”, j’écris quatre phrases, et je sais que j’ai pas besoin de plus, je vais partir seul et ça va bien se passer.

A : Dans l’intro de The Birdie Tale tu dis “j’fais pas du shit talk, c’est que des faits.” ça décrit bien ta manière de rapper : la nonchalance et la forme ressemblent à du shit talk, mais on sent que t’es capable de justifier chaque chose que t’affirmes.

nlb : Ça c’est sûr. Il n’y a aucun embellissement dans ma musique, pas de mensonge, pas d’invention. C’est pour ça que j’ai toujours rejeté le terme “shit talk”, même si respect à tous mes français qui en font, ils ont du courage. Quand je vois encore des gens faire des posts sur moi sur Twitter en mode “le rappeur lillois qui nous fait de la Detroit, du scam rap et du shit talk” je me dis : vous n’avez pas écouté la musique.

A : Il y a quand même un point commun avec un shit talker comme Rio Da Yung OG, c’est le rapport à l’écriture dont tu parlais tout à l’heure. Quand t’écoutes du Rio, t’as l’impression que le micro est ouvert dans la pièce, qu’il parle seulement, et que ça donne des morceaux. Tu ne l’imagines pas sur son téléphone en train de lire des lyrics.

nlb : Il y a très peu d’Américains qui font ça. On n’a pas du tout le même rapport au texte qu’en France. Après, les A$ap Rocky, les Tyler, ils écrivaient, mais derrière le micro c’est pas : “j’arrive et je kick mon 16 du début à la fin one shot.” En France, on a vachement ce côté là où si t’es pas capable de faire ça, tu n’es pas un vrai rappeur. D’un côté je suis d’accord, mais d’un autre côté c’est trop long. Je l’ai fait, tu fais 15 prises, 16 prises, peut-être 30. Le pourcentage de chance pour que chaque phase soit exactement comme tu veux est trop faible, moi j’ai la flemme. Je préfère faire du phrase par phrase direct. Ça me laisse plus de maîtrise sur le placement, si je dois recommencer je recommence une phrase et pas tout le truc. Et bien sûr ça ouvre des possibilités nouvelles. Ça permet de couper des flows plus facilement, d’avoir une meilleure idée d’où va le son. C’est plus spontané. J’aime bien que ma musique ne soit pas une musique de studio hyper réfléchie. La musique que j’écoute est très spontanée, je n’écoute pas Travis et des trucs comme ça. Il y avait une grosse guerre entre mes amis et moi à l’époque d’Astro World que je trouvais grave surcôté parce que je considère que c’est vlà de la musique d’ingé, et que si tu veux dire bravo à Travis faut aller chercher le nom des quarante gars qui ont bossé sur l’album aussi. Pour le coup, pour mon projet, il n’y a pas ça. Après je ne suis pas Travis, mais ça reste important que la majorité de ma musique, ce soit moi. Je n’ai pas besoin d’être avec quarante mecs en studio pour que ce soit bien, et si un jour ma musique a une plus grande résonance, j’espère que je serai toujours capable de me poser solo dans mon salon et faire du début à la fin la prod, le texte, et que ce soit bien sans avoir besoin de quatre mille ingés. Pour moi ça c’est un peu la mort de l’individualité dans la musique.

A : Ça rejoint ce côté spontané dont tu parlais.

nlb : Carrément, c’est ce côté où ça crache, c’est des gens qui font pas de musique de base, t’es dans ta chambre tu peux enregistrer un album même si t’as jamais pris de cours de solfège. Pour moi c’est l’égalitarisme musical. C’est comme l’Auto-Tune. L’Auto-Tune c’est une super belle invention, parce que ça permet à des gens qui n’ont jamais pris de cours de chant dans leur vie, qui n’ont pas cette éducation, de donner vie aux belles mélodies qu’ils ont en tête. Ça met fin à une forme d’élitisme qu’il peut y avoir dans la musique. Parce que pour apprendre à chanter, ça coûte cher ! Tout le monde n’a pas le temps de prendre des cours de chant, ou de penser à mettre ses enfants dans des cours de chants. Sans Auto-Tune, PNL n’auraient pas fait la musique qu’ils ont fait.

A: Sans ingé son non plus… [rires]

nlb : Ouais, et encore il y a vachement moins de gens derrière que sur des trucs comme Travis.

A : Sur ces histoires de spontanéité, j’en parlais avec un rappeur marseillais, qui me disait qu’il enregistrait aussi phrase par phrase pour pouvoir mieux contrôler l’effet de la punchline, mais que le souci, c’était pour les concerts.

nlb : Ah oui, c’est un travail supplémentaire. En effet, vu qu’au moment où j’ai terminé d’enregistrer le son, le texte je ne le connais pas et je ne sais pas le rapper, ça veut dire qu’après, je dois m’entraîner dessus, l’écrire, et faire un choix parce qu’il y a des sons qui sont très bons mais que je ne peux pas rapper correctement. C’est de la recherche, c’est de l’erreur, mais le retour que j’ai globalement c’est que sur scène c’est quand même bien ce que je fais. Mais c’est sûr que j’avais peur de ça, qu’il y a plein de moments où je dois manger des phrases, où je dois oublier des mots. Il y a des couplets que je rappe en enlevant les onomatopées, parce que c’est ce qui fait que je peux le rapper en entier. Et du coup, le couplet sonne complètement différemment. Le deuxième couplet de “Dans la marge”, je ponctue absolument chaque phrase avec “bitch”, il n’est rappable que si j’enlève les “bitch”. Du coup j’ai appris à rapper le texte comme ça.

A : Sinon t’as pas le souffle…

nlb : C’est même pas que j’ai pas le souffle, c’est que ça s’emboîte, faudrait que je trouve le moyen de dire deux mots en même temps… [rires]

A : Ou un backeur.

nlb : Ouais, ou un backeur qui connaît le truc. Mais moi j’ai envie de rapper mes textes ! Quand je vois des gens sur Twitter qui disent : “ouais, les rappeurs qui ne savent pas rapper leurs textes vous êtes pas des vrais rappeurs”, je me dis “ouais ils ont un peu raison en vrai, ça fait chier…”. Il y en a que je peux rapper, mais pas tous. Demain si je dois faire un Grünt, je sais quels textes je vais sortir, et ceux que je ne vais pas sortir. Je n’ai plus cette espèce de bibliothèque de 16 mesures que j’avais dans la tête quand j’avais 16 piges. Je pouvais freestyler trente minutes sur un truc, j’avais tous mes 16 dans ma tête et de toute façon je les écrivais tous pour pouvoir les rapper. Maintenant je m’en fous, si je dois manger trois mots je vais les faire et tant pis… C’est vachement plus important pour moi le morceau que la performance freestyle que je pourrais faire derrière. C’est cool de pouvoir faire des freestyles, c’est quand même mieux de faire de la bonne musique. Si faire de la bonne musique implique que les textes soient plus durs à rapper, c’est tout, ils seront plus durs à rapper, c’est pas grave.

« L’Auto-Tune c’est une super belle invention, parce que ça permet à des gens qui n’ont jamais pris de cours de chant dans leur vie de donner vie aux belles mélodies qu’ils ont en tête.  »

A : Quel est ton rapport à SoundCloud ? Il n’a pas été trop écrémé, on trouve encore beaucoup d’anciens sons sur ton profil.

nlb : Non, je ne veux rien supprimer. Je kiffe le fait de me dire que les gens peuvent trouver des sons anciens. Si tu recules suffisamment, tu peux même trouver des sons très spéciaux que j’ai faits avec un pote à moi avant le Covid, tu peux trouver des morceaux house, je ne vais jamais les enlever, c’est ma musique…

A : Il y a même une sorte de morceau shoegaze/rock…

nlb : Ouais, “25$ l’entrée t’es fou ou quoi ?! je reste devant je tise.” [rires] C’est hyper réel, j’étais à une soirée, c’était 25 euros, j’ai dit t’es fou je reste devant je termine la bouteille de vin. Ce son je l’ai réécouté il y a 2-3 jours et je me disais que j’allais le rééditer, parce que le mix n’est pas très bien, le son pourrait être mieux. Justement, ça me permet de revenir sur des trucs à l’ancienne, de récupérer des idées. Ce n’est pas parce que ça n’a pas marché à l’ancienne parce que je n’avais pas eu la chance d’avoir l’exposition que j’ai eue sur Twitter, que ça ne marcherait pas si je la ressortais maintenant. Maintenant, je suis dans une position où les gens vont écouter ce que je vais sortir, et c’est grave cool. C’est important pour moi de ne pas supprimer les traces.

A : Dans “Rx Birdie” tu dis “J’ai déjà vu le train passer, y’a pas moyen que je loupe le coche.” Est-ce que tu as cette impression d’un retard à combler, et est-ce que c’est ce qui fait que tu t’es intéressé très vite aux tendances récentes ? Ou est-ce que tu évoques plutôt une forme de revanche ?

nlb : J’aime bien écouter les trucs un peu moins connus, j’aime bien écouter la musique avant qu’elle passe dans la grande machine. Ensuite, des trains, j’en ai vu passer plein. Lille c’est une petite ville, tous les gens qui en sont sortis et qui ont réussi ces dernières années, je les connais. 22 piges, j’étais en hess, en dépression, j’avais pas de tals, j’étais à l’hôpital psychiatrique et je voyais des mecs avec qui j’ai commencé à rapper qui signaient, qui faisaient des cent mille vues, des trucs comme ça. Je suis un humain et je ressens de la jalousie comme tout le monde. Donc ouais, j’en ai vu plein des trains passer sous mon nez. J’ai commencé à rapper avec mes meilleurs potes de l’ORL crew au début quand j’avais 15 piges, eux ils ont vu le train passer, ça n’a pas fonctionné pour eux comme ça aurait dû, voilà. J’ai 25 piges, on a commencé à entendre parler de ma musique à 23 ans. Je n’ai pas la même place que des petits qui commencent à rapper à 15 piges, à 17 ils commencent à percer et à 18 ils ont leurs premiers rendez-vous avec des maisons de disques. J’ai conscience que dans 5-10 ans je ne serai plus un produit aussi marketable.

A : Tu penses que la jeunesse est encore un élément important pour marketer le rap ?

nlb : Suffit de regarder Twitter. On en voit des tweets de fans de rap : « bla bla t’as 30 ans tu fais ça…, t’as 25 ans t’es sous perfusion de manager tu fais ça, donne de la force aux petits bla bla. » Moi j’ai envie de leur dire « baisez vos mères, on rappe mieux que vous, on rappe depuis plus longtemps que vous, on a eu des vies compliquées qui ont fait qu’on n’a pas pris le truc au sérieux et qu’on commence tard, mais maintenant on est là. » J’ai vu plein de potes réussir, boum, d’un coup, et j’en vois encore. Naturellement, ça te fait te poser des questions : pourquoi ça arrive à mes potes et pas à moi ? Alors qu’on a commencé ensemble, que parfois ils se sont inspirés de moi, que je me suis inspiré d’eux… Quand en plus ta vie elle pue… Le truc c’est que moi je ne réussissais même pas ma vie, donc forcément après je sortais mon tél et je voyais des mecs avec qui j’étais pote avant qui ne me calculaient plus…Faut être le Dalaï Lama pour pas avoir le seum. [rire] C’est des sentiments sur lesquels il faut travailler aussi, parce que la jalousie ce n’est pas un bon moteur.


A : Vu la réception de The Birdie Tale II, ça devrait aller maintenant…

nlb : J’ai eu un gros succès d’estime. Le succès commercial est pas fou malade, il y a plein de gens qui font plus de chiffres que moi, mais le succès d’estime est réel. Il y a plein de gens à qui je donne beaucoup de crédit qui sont venus me dm. Que des gens qu’on kiffe nous valident, nous invitent chez eux, sans avoir besoin de rien leur dire, pour moi c’est limite mieux que de faire plus de chiffres.

Zaïko [son manager et ami, NDLR] : En termes de retours positifs on a vraiment senti un seuil. Et même s’il est modeste, en termes de nombre d’auditeurs c’est bon aussi.

nlb : Oui on a fait trois fois le démarrage du projet précédent. Grove Street Baby avait fait 5000 écoutes première journée, là 15 000, le projet était à 100 000 écoutes en moins d’un mois. Quand je dis que ce n’est pas un succès commercial de fou, c’est que tant que ça ne me permettra pas de me dégager un smic chaque mois, je considérerai que ce n’est pas un succès. C’est important que je gagne ma vie avec : c’est ma passion, je veux que ce soit mon métier.

« On peut dire qu’on n’aime pas le fait qu’on fasse les mecs de Memphis ou de Detroit, mais t’as plus le droit de dire que Lille est une mauvaise ville de rap.  »

A : Sur The Birdie Tale II, il y a un truc beaucoup plus personnel. On a l’impression d’avoir affaire à ton style à toi, et moins à quelqu’un qui s’insère dans une tendance.

nlb : C’est ce que j’ai essayé de faire. C’était important pour moi de me démarquer de la nouvelle vague Detroit/West Coast française pour ne pas être enfermé là-dedans. Même à l’époque où on m’écoutait juste pour la Detroit, je faisais toujours des sons différents, mais je ne les sortais pas parce que je me disais que ce n’était pas ce que les gens voulaient. Pour Grove Street Baby c’était l’été, je faisais plein de sons West Coast, mais c’est vachement moins représentatif de ma palette musicale que The Birdie Tale II. Pour ce dernier projet, j’ai vraiment mis les derniers sons que j’avais faits sur les derniers mois sans trop réfléchir.

A : The Birdie Tale I était très varié. Déjà, sur Grove Street Baby on sent une direction plus affirmée avec le côté GTA San Andreas et le style West Coast. Est-ce qu’à partir de ce projet tu sens que le processus de conception change ?

nlb : Quand j’enregistre des sons je ne le fais jamais en pensant à un projet. Pour Birdie Tale II, j’étais en voiture avec mon graphiste, je lui dis que j’aimerais l’appeler Resevoir dawg’z, je suis rentré et j’ai commencé à faire un tri des sons que j’avais et que je voulais bien mettre dedans. Même pour Grove Street Baby je me suis rendu compte que j’avais pas mal de titres West Coast, donc j’ai fait le son « San Andreas. »

A: C’est sur celui-là qu’il y a NDO Runway. Vous l’avez fait en pensant au thème en amont ?

nlb: Runway et moi on est dans les mêmes délires à ce niveau-là. Je voulais qu’on fasse un son ensemble parce qu’on était déjà bien connectés, c’est un bon de fou et on s’entend super bien. Donc je voulais qu’on fasse un son limite cliché sur nos influences : le theme song de San Andreas avec une méga basse dessus… c’est limite marrant. Mais ça reste hyper spontané, là je ne sais pas ce qu’est la suite. Il y a un truc prévu avec Milkshakevf [beatmaker qui a notamment travaillé avec ThaHomey et 8Ruki, ndlr] mais pour mes projets solos à moi j’en sais rien. Ça pourrait être un truc complètement différent, ou The Birdie Tale III. Je fais du son, faire de la musique c’est mon mode de vie, j’essaie d’en faire un peu tous les jours. Le format projet me convient bien. Je fonctionne mieux comme ça qu’en sortant des sons solos. Je suis content de ça, je trouve ça cool de pouvoir présenter beaucoup de musique, d’avoir plein de retours. J’ai de la chance, en général quand je sors un projet il n’y a pas de son qui stand out. Le son le plus écouté est le premier, ensuite ils ont tous le même taux d’écoute. À part « Rx Birdie » qu’on a hypé comme il fallait, en plus en plein dans le moment où le Twitter français était à fond sur Rx Papi, c’était marrant.

A : Sur ce son il y a une prod qui rappelle Top$ide, est-ce que tu as prévu de faire d’autres sons dans ce style ?

nlb : Sur le projet il y a « WTSM » qui est un peu dans ce délire, la snare un peu décalée, très aiguë qui casse bien l’oreille, avec peu d’éléments derrière, un synthé, tu claques un accord et tu laisses tourner. Mais en ce moment je prends énormément de plaisir à faire les trucs de base qui me font kiffer dans le rap : sample, boom bap et je kick dessus. C’est là que je réfléchis le moins, alors que sur des sons traps je passe beaucoup de temps à overthink en me demandant si je n’ai pas trop de texte, si ça ne manque pas de bounce, etc. Sur de la Detroit ou du boom bap, sur des bpm 100 où j’ai la place de dire ce que je veux, je peux enregistrer des sons de quatre minutes, c’est ma zone de confort.

A : Tu parlais de vos références en commun avec NDO Runway, tu pensais à quoi ?

nlb : Musicalement, bien sûr, avec la West Coast, puis le cinéma. Pas trop le côté film d’horreur par contre, contrairement à lui.

A : En parlant de cinéma, tu fais plusieurs références à Tarantino : Reservoir Dogs, mais aussi la BO de Kill Bill dans « Mode de vie ».

nlb : Je ne suis pas un grand cinéphile. Je dirais même que je ne suis pas un grand musicophile. Je n’ai pas une culture de fou. J’ai tendance à écouter ce que j’aime, je dig un peu, mais pas beaucoup. C’est pareil pour le ciné. J’ai une culture basique, je kiffe Tarantino, Pulp Fiction, je ne suis pas dans les trucs très deep. Mais c’est quand même important pour moi, parce que c’est des trucs que mon papa m’a fait voir quand j’étais petit. Les American Gangster, Glory… ça occupe ma musique pas mal.

A : Quand je disais que j’ai l’impression que, derrière l’apparence shit talk de ton flow, tu pourrais justifier tout ce que tu dis, je pensais au fait que tu racontes des trucs qui te sont vraiment arrivés, mais aussi au côté politique.

nlb : Je suis politisé en vrai. Déjà, parce que je viens d’une famille qui n’est pas du tout uniformisée politiquement. Donc c’est nécessaire : j’ai commencé à ne pas être d’accord avec certaines personnes de ma famille et dans ce cas, il faut être capable d’expliquer pourquoi tu n’es pas d’accord avec des gens qui ont vingt ans de plus que toi. J’ai dû me politiser jeune, d’abord autour des questions de lutte des classes. Ce n’est que récemment que j’ai commencé à m’intéresser à l’intersectionnalité, au mouvement des luttes LGBT, féministes… J’ai lu le Manifeste du parti communiste de Marx très jeune. Je me suis considéré comme marxiste pendant très longtemps.

A : Oui, ça se voit, « hustler capitaliste mais je serai toujours du côté des prolétaires »

nlb : C’est très important que la lutte des classes reste dans ma musique : les riches sont au-dessus de nous, ils nous baisent, c’est eux l’ennemi. C’est la base. C’est pour ça que je suis hyper énervé par cette nouvelle tendance dans le rap, où ça fait des sons « engagés » où en fait ça tire juste sur les gays… Mais les gars, est-ce que vous pensez vraiment que vous vous mettez en danger en faisant ça ? Il y a des milliardaires qui nous oppressent, nous exploitent, font de l’évasion fiscale de malade mental, et le problème c’est les gays ? Les mecs sont complètement débiles. Être signé chez Bolloré ça leur a détruit le crâne. Bon ça le mettez pas. [rire] Enfin si mettez-le, j’en ai rien à foutre. En plus, j’appartiens à cette génération où on s’est détachés de ça : quand j’étais jeune je disais « ouais Kery nous fait chier, laisse-moi écouter Cheu-b frère, m’embête pas… » Avec du recul, je me suis dit… avec ça, toute une génération de rap a laissé l’engagement de côté. Du coup, on se retrouve avec des auditeurs qui n’ont pas de boussole. Les gars ont des idées à droite voire complètement à l’extrême-droite, et ils écoutent du rap, ils ne comprennent même pas en quoi la musique qu’ils écoutent n’est juste pas pour eux. On ne peut pas leur en vouloir, c’est nous qui n’avons pas fait le taf. C’est moi, dans mes premières années de rap, qui, par exemple, décide de complètement mettre de côté l’aspect conscient, pour juste flex et faire de la trap, raconter que je vends, et voilà. Puis j’ai eu une prise de conscience : faut qu’on ouvre nos gueules, surtout quand on a de la matière pour le faire – et je suis considère que j’en ai. Et faut ouvrir sa gueule un peu plus qu’en disant “ouais, fuck l’extrême-droite ». Faut être capable de citer des blases, capable de dire que Bernard Arnault est un immense fils de pute. Les rappeurs ont plus de facilité à dire « ouais les trans arrivent dans les écoles pour dire à nos enfants de changer de sexe », alors que ça n’existe pas, qu’à l’ouvrir sur des trucs bien réels comme les milliardaires qui nous oppressent… Voire même, ils auront plutôt tendance à dire que c’est normal, en mode t’es milliardaire, tu l’as mérité parce que t’as travaillé. Enfin bref, ils sont perdus. Après, je ne suis pas pour qu’on fasse que des sons conscients, à la Kery James des années 2010 tout ça, mais juste : essayer de garder un discours politique. Mon gars, si ton but c’est de voter Emmanuel Macron ou Marine Le Pen, tu n’es pas à ta place. Quand on voit des gens dans les commentaires TikTok « oui moi je kiffe Bardella et j’écoute Houdi et Luther”… Luther et Houdi, ça doit les faire chier de fou ! Je me dis que j’en ai sûrement dans ma communauté, des gens comme ça, qui écoutent ce que je fais mais qui au fond ne sont pas d’accord avec moi…

A: Mais tu vas rapper « ma génération va devoir se coltiner Bardella » et la phase d’après sur Jean-Marie Le Pen… Un jeune fan de Bardella, comme il y en a dans le public de Luther et Houdi, il se mange un stop quand même.

nlb : J’espère. Je ne les ai pas rencontrés, mais j’espère qu’il y en a qui entendent ça et se disent, ok, ce n’est pas de la musique pour moi. Parce qu’en effet, je fais de la musique de gauche. ça c’est clair et net. Même si je veux devenir riche ! Être de gauche, ce n’est pas vouloir rester dans sa merde. On sait très bien qu’on ne va pas réussir tout de suite à mettre en place une société communiste. Donc le jour où je serai millionnaire je paierai mes impôts. [rires]

« Il faut qu’on garde à tout prix le droit de dire dans des morceaux, sur des putains de fichier mp3, qu’on n’aime pas la police. »

A : Tu fais référence à la scène rap de Flint, par exemple quand tu parles de Fives, Michigan. À Lille, on sent l’influence de plusieurs scènes locales américaines : Detroit, la West Coast, et peut-être plus encore Memphis avec des 2c, Tali, Gapman, Dafliky etc. Comment t’expliques que ces influences assez spécifiques aient particulièrement touché une ville comme Lille ?

nlb : Je ne peux que faire des hypothèses, mais Detroit est une des villes les plus pauvres des USA, et l’agglomération de Lille une des plus pauvres en France. Roubaix par exemple, c’est une ville marquée par une grosse précarité. Donc je pense que c’est normal que dans le nord, les mouvements les plus populaires de cette espèce de nouvelle vague US qui arrive ici, ce soit les trucs les plus orientés pain music. [pour en savoir plus : https://www.lavoixdunord.fr/1345923/art … eur-ville, ndlr] Parce que la Detroit, c’est de la pain music. Même si ce n’est pas la pain music de Lil Baby, c’est de la pain music. Quand j’écoute « Last Day Out » de rio da yung og, je ressens une lourdeur dans le son… le mec fait un morceau entier pour raconter qu’il va devoir se turn down lui-même à la police, qu’il va faire de la prison, alors qu’il est au sommet à ce moment-là… C’est là où tu te dis non, ce n’est pas que du shit talk, c’est de la pain music, c’est de la musique de mecs qu’habitent dans des endroits ghetto, qu’ont des vies ghetto sa mère donc qui sont juste obligés d’en parler. Dans le nord, tout le monde est pauvre. Les Noirs sont pauvres, les Arabes sont pauvres, les Polonais sont pauvres, on est tous pauvres. Il y a quelques riches dans des quartiers de Roubaix, quelques riches dans des quartiers de Lille, mais… Donc ça ne m’étonne pas que les sons sortis soient un peu durs. 2c et Tali, ce ne sont pas des gars qui ont nécessairement eu une vie facile. Moi non plus, je n’ai pas eu nécessairement une vie facile. Dans le nord, on a ce côté doomed. On se sent maudits.

Zaïko : Pour ajouter quelque chose, parce qu’on s’est aussi posés la question avec mes collègues, il y a aussi le fait que Lille est une ville très cosmopolite. Tu as notamment une génération d’étudiants étrangers, surtout africains, très portés sur les États-Unis, qui sont venus et font de la musique à Lille. Ils ont ramené une musique un peu plus actuelle. Du coup, toute la ville s’est un peu américanisée.

nld : Le fait qu’on soit une ville un peu dure, peut-être, ça joue dans le fait qu’on se tourne moins vers de la musique de fête. Quand tu vois ce qui marche le plus à Roubaix bon, ZKR, c’est pas de la musique de fête. ZKR c’est beaucoup de « 6 minutes poum poum tchak et je te dis à quel point ma vie elle pue. » Parce qu’en vrai, c’est grave bien, mais c’est dur.

A : C’est marrant parce qu’on disait un peu la même chose sur Marseille, et pourtant, une partie de la scène s’est tournée vers de la musique de fête, justement parce que, “marre de pleurer quoi”.

nld : Oui, c’est deux facettes contradictoires, mais de la même pièce. Et puis aussi à Marseille il y a plus de soleil… à Lille c’est six mois par an sous la pluie, trois mois sous ciel gris, et un mois de soleil si on a de la chance. Le temps ça influe sur les humains.

A : Toujours sur la scène lilloise, en fin d’année dernière, tu signes le premier son de la compilation Qultur Lilloise. Est-ce que tu peux en parler ?

nld : C’est L’Apache et un pote à lui, qui font le tour de la France pour essayer de faire une compilation dans tous les endroits. J’étais content de voir qu’il y avait quand même pas mal de monde sur le projet, parce que le rap dans le nord ça a été très… Vu d’un œil un peu moqueur pendant longtemps. Je me rappelle, 2016/2017 sur Twitter, ça disait « quelle est la pire ville de rap en France ? », les gens répondaient Lille, ça faisait mal. [rires] Maintenant on ne peut plus dire ça ! On peut dire qu’on n’aime pas le fait qu’on fasse les mecs de Memphis ou de Detroit, mais t’as plus le droit de dire qu’on est une mauvaise ville de rap. On est sur le point de devenir la troisième scène de rap en France. Je considère qu’on est devant Lyon, déjà.

A : Ce qui revient aussi souvent, c’est ton rapport à la police. D’ailleurs, j’aime bien, tu dis qu’ils te « capturent » comme les Pokémons [rire], pourquoi ?

nld : Ben parce qu’ils te capturent ! Ils t’attrapent, te mettent dans la voiture, ensuite t’es dans une cellule tu ne peux plus bouger – je ne dis pas qu’on le mérite pas, mais c’est ce que j’appelle être capturé. C’est le mot. « Arrestation » c’est un autre terme, non, en vrai ce qu’ils te font c’est qu’ils te capturent.

A : Pour la petite anecdote, à ton premier concert à Paris, tu es arrivé en retard à cause de la police…

nld : Oui on s’est fait stoppés au péage, on a perdu le permis. Mais pour le coup c’est juste la loi, ce n’est pas du tout les pires anecdotes que j’ai avec la police. Bon, ils ont fait les cowboy, ils étaient pas très sympas parce que ça,  ils ne peuvent pas s’en empêcher, mais j’ai vécu bien pire. Et même, mon rapport conflictuel avec la police vient surtout de la manière dont ils traitaient mes potes. J’ai vécu de la violence policière, en vrai, je me suis retrouvé avec des flics qui m’insultaient dans mon oreille alors qu’ils me plaquaient au sol devant des gens, ça m’a tiré la capuche sur la tête dans la voiture pour aller en gàv alors qu’il n’y avait aucune raison de le faire, mais le pire truc, c’est ce que mes potes ont subi. La majorité de ma haine de la police vient de leur violence, du racisme, de Nahel, du flic qui met une balle dans la tête à sa collègue et qui ne mange même pas de prison… Si tu as vécu dans des endroits où il y a beaucoup de police, tu es obligé de te rendre compte que ces mecs agissent mal. On est censés se sentir protégés par eux, mais tu ne ressens jamais ça. Quand je sors de chez moi et que je vois les keufs posés devant le métro, j’ai juste peur. On pourra me sortir tous les arguments du monde, la peur c’est un sentiment, si je la ressens, c’est que ça vient de quelque part. Et si moi je la ressens avec le prénom et la tête que j’ai, alors j’imagine pas mes potes originaires d’Afrique, ou fils d’immigrés.

A : Par rapport à la discussion qu’on avait tout à l’heure, si les rappeurs ne prennent aucun risque en parlant de certains sujets, là où il y en a, c’est quand ils parlent de la police.

nlb : Ah ben bien sûr, on sait comment la justice fonctionne, on sait que si t’es un rappeur… Moi en vrai j’ai de la chance, la dernière fois que je me suis retrouvé face à un procureur, ils ne savaient pas que j’étais rappeur. Mon avocate a pu leur dire « oui, il fait de la musique, il va mieux dans sa vie… » S’ils avaient écouté la musique, je ne pense pas qu’ils s’en seraient servi pour alléger la peine. [rire]

A : Young Thug par exemple, son rap, ses paroles, ont plutôt été utilisées contre lui. L’avocate a dit que tu faisais du rap ?

nlb : Oui, mais en France on n’a pas complètement la même législation sur ça. C’est même complètement différent que nos voisins au Royaume-Uni, où là, si plein de mecs rappent sous cagoule, ce n’est pas pour rien. Le simple fait de rapper ce qu’ils rappent est illégal, même s’ils ne le font pas derrière. En France, à n’importe quel moment, si on sort des paroles qui pourraient m’incriminer dans un contexte judiciaire, mon avocate aurait juste à se lever et invoquer le droit de création et dire que c’est de la fiction. Je n’ai pas peur de ça. J’ai juste peur du moment où les auxiliaires de justice sauront que je suis rappeur, et le jour où ils m’auront en face d’eux, ils vont se dire: « ok lui, il fait que mal parler de nous dans sa musique, on va l’allumer. » Et ça… Tu ne peux pas contrôler ça. C’est deux personnes qui décident de ta condamnation, le procureur et le juge. Si les deux n’aiment pas les rappeurs, n’aiment pas que tu parles mal de la police, de l’ordre, il n’y a rien ni personne qui va les empêcher de te mettre la peine plafond. Si tu es un rappeur et que tu te fais choper par la justice, tu peux tomber sur quelqu’un qui veut t’allumer, juste parce qu’il n’aime pas ce que tu représentes. Pour le coup, c’est un vrai combat politique à ce niveau-là. Parce que c’est lutter contre des pratiques autoritaires.

A : Alors que la 17eme chambre, celle sur la liberté d’expression, est censée être protectrice. Mais bizarrement, cette protection marche un peu moins bien pour les rappeurs… Ce que tu dis, ça me rappelle le procès du rappeur Jo le Phéno, un rappeur du 20eme qui en 2017, a été condamné pour un son qui s’appelle « Bavure », en référence aux violences policières.

nlb : Si tu te sers d’une insulte qu’un rappeur a dite dans un son pour le faire condamner, alors qu’il essaye de mener un combat tout à fait légitime dans sa musique… ça tu vois, c’est un truc autoritaire. Après force à Jo le Phéno, il a raison de faire ce qu’il fait. Mais même si la loi est censée nous protéger, il n’y a rien qui empêchera quelqu’un qui a envie de niquer ta vie de le faire, s’il en a le pouvoir. Qui va venir vérifier ? La justice est surchargée. Je me suis fait arrêter et juger un an et demi après.

A : C’est ça que tu évoques, quand tu parles d’un « jugement en novembre 2023 » dans The Birdie Tape II ?

nlb : Oui. Des gens me disent parfois que je m’auto-poucave dans les sons, mais c’est faux, la justice sait ce que j’ai fait, j’ai été jugé. On laisse des anciens nazis écrire des livres, moi je suis un ancien dealer de dope, j’ai le droit de parler de ce que j’ai vécu !J’ai été condamné à six mois de prison avec sursis pour trafic de stupéfiant, j’ai eu de la chance, je m’en suis bien sorti. Si j’étais Noir, je serais allé en prison. C’est la vérité. De toutes façons si j’étais Noir j’aurais été déferré. Je ne serais même pas sorti de gàv. Ça aussi, tu vois, on est obligé de s’en rendre compte.

A : Ça me fait penser à Drakeo the Ruler. Dans cet album enregistré en prison, Thank You For Using GTL, il y a par exemple ce son appelé “Fictional” dans lequel il se défend de dire quoi que ce soit de vrai, tout en étant régulièrement coupé par la voix pré-enregistrée de GTL, l’opérateur qui permet – tout en les extorquant – aux prisonniers californiens de passer des appels…

nlb: Quand tu vois ce que les rappeurs en Angleterre ou aux États-Unis subissent, je trouve ça d’autant plus important qu’en France on continue de parler de la police et tout, parce qu’il ne faut surtout pas que ça nous arrive. Il faut qu’on garde à tout prix le droit de dire dans des morceaux, sur des putains de fichier mp3, qu’on n’aime pas la police. Parce qu’eux dans la vraie vie, ils vont nous taper, eux ils sont vraiment violents. Ils tuent vraiment des gens. Moi je n’ai tué personne, je dis juste que je ne les aime pas. Et je pense que c’est important que des gamins qui m’écoutent entendent ce que j’ai à dire, parce que je ne dis pas juste « nique la police » juste comme ça, je ne suis pas anti-police par posture. Je réfléchis à des alternatives. Je ne crois pas à une société sans service d’ordre, parce que sinon, les faibles meurent. Le problème c’est qu’on a une police au service d’un État bourgeois, des riches, et qui ne va jamais faire subir aux personnes dominantes dans la société ce qu’ils font subir à des gens d’en bas. C’est évident, quand tu vois que des auteurs d’évasions fiscales énormes ne vont pas en prison une seule journée… L’argent que j’ai volé entre guillemets à l’État français en faisant des choses illégales ne représente même pas un centième de ce que Bernard Arnault ou Balkany volent aux gens qui cotisent tous les ans. « Les riches font de l’évasion fiscale ? Bah, c’est pas très grave, ils ont le droit… Par contre les pauvres qui vendent de la drogue, faut les tabasser et les mettre dix ans en prison. » C’est important qu’on lutte contre ça. Et encore une fois, j’ai conscience que ce que j’ai vécu, ce n’est rien par rapport au harcèlement, et aux violences vécues par les habitants racisés des quartiers de Paris, Marseille, Lille… Je reste quand même un grand privilégié de ce point de vue. J’ai vraiment vécu ces scènes, où t’es posé avec tes potes, et ils contrôlent que les racisés. Ils viennent discuter avec toi pour dire « mais ça se voit que t’es un gentil toi, pourquoi tu restes avec eux ». Alors que mes potes sont des gentils ! Ils étaient juste là, posés, il y en a un qui travaille dans un centre aéré, qu’est-ce que tu racontes, c’est moi qui ai un casier ici, eux ils se font harceler par leurs parents pour ramener des bonnes notes… ça n’a pas de sens.

A : Tu es engagé, mais assez fataliste aussi.

nlb : Oui, de toute façon je pense que le réchauffement climatique est inéluctable donc à partir de là… Je pense qu’en 2060 on n’aura plus de pétrole, et on va tous s’arracher la gueule dans la rue pour pouvoir bouffer. J’ai 25 ans, donc la retraite bon… Si le monde tient encore quarante ans, c’est déjà beau.

A : C’est aussi un autre trait de ta musique : son côté angoissé, qui ressort pas mal d’un son comme « Eau », où tu rappes, plus doucement, « je comprends pas d’où vient toute cette eau ».

nlb : C’est un son un peu à part oui. Basiquement la métaphore c’est moi qui me réveille en pleurant. Je pleure beaucoup, je suis quelqu’un de très sensible. Les images de Gaza me font pleurer, un appel de mon père un peu ému me fait pleurer… Bref, « Eau », c’est cet espèce de sentiment… Je suis triste, et triste depuis tellement longtemps, que je ne sais même plus pourquoi je suis triste. Et qu’au final… Est-ce que c’est pas devenu ma vie normale, d’être triste. ça fait plus de 50% de cette vie que je passe triste, que je considère être en dépression. Juste… oui, je ne comprends pas d’où vient toute cette eau. Au bout d’un moment, il y a tellement de choses qui t’ont rendu triste avec le temps… Ta vie te rend triste, la société te rend triste… C’est doomed. Il n’y a pas trop d’espoir.

A : …

nlb : Après c’est qu’on a le temps de penser à tout ça. On a le temps de se rendre compte que nos pays menacent l’équilibre du monde, que le climat se réchauffe, que dans quarante ans des millions de personnes devront partir de chez eux, alors que les gens se plaignent déjà de l’immigration… J’ai juste l’impression d’être réaliste, de regarder les trucs en face. On va sérieusement vers la destruction de l’humanité. Et ça sera de notre faute. Enfin, pas la nôtre, mais celle des gars qu’on a mis en haut pour nous diriger.

A : Raison de plus pour les insulter en musique.

nlb : Raison de plus ! Alors là, tous les jours. Eux ils vont aller sur Mars pendant que nous ici on se mangera les raz-de-marée. [rires]

A : Un dernier thème, tu parles aussi beaucoup de ta judéité, est-ce que ça a aussi joué sur ta vision du monde, ta musique ?

nlb : Du côté de ma mère, on n’a pas de traces avant la Shoah. Je suis très attaché à ma judéité, même si elle n’est que supposée, au fond. C’est très important de m’être converti officiellement, d’avoir cette preuve de ma judéité, qui a sûrement disparu pendant la Shoah. J’ai toujours assumé le fait d’être proche de la religion juive, et j’ai vécu l’antisémitisme. Sans le rendre dramatique hein. Surtout que ma mère, elle s’en fout…

A : C’est quoi qui t’as fait t’y intéresser ?

nlb : J’ai toujours été intéressé par l’histoire, c’est ma seconde passion. Je me cultive plus historiquement que musicalement d’ailleurs. Le XXème siècle, c’était très important de le connaître. Il y a toutes les clés pour comprendre pourquoi c’est comme ça maintenant. À une période de ma vie, je me baladais avec une étoile de David autour du cou, je me prenais de sales regards – je ne le ferais plus maintenant, de manière évidente. C’est important de dire ouvertement que je suis juif, parce qu’on a tendance à penser que tous les Juifs sont pro-Israël, qu’ils sont pour la destruction du peuple palestinien… Moi je suis pour la solution à deux États. Et je sais qu’il y a énormément d’auditeurs de rap qui sont antisémites, parce que les discours ne sont pas clairs. J’en veux à Freeze Corleone. J’aime beaucoup sa musique, mais je lui en veux, parce qu’il a des phases avec un fond intelligent, mais avec une partie du public mal informé, et je vois des trucs très graves qui sont dits sur nos peuples… On peut détester Israël, les mecs de Tsahal, mais on ne peut pas dire que Hitler a raté le boulot ! Faut avoir une forme de limite. Donc c’est important pour moi que les gens comprennent que je critique la police, la colonisation, que je suis pour la lutte des classes et que je suis juif, tout simplement.

A : C’est grave de devoir en arriver là…

nlb : Oui c’est grave ! Mais c’est pour ça que c’est important que j’en parle, que je réagisse à l’antisémitisme quand j’en vois. Que les gens comprennent que nobodylikesbirdie est juif et non, il n’y a pas de banquier dans ma famille, non il n’y a pas de journaliste, non on ne contrôle pas le monde. Parce que ça va très loin. Je travaille en colonies de vacances, un gamin un jour m’a dit « ah oui tu es juif donc tu vas avoir à 21 ans un chèque de 100 000 euros ! » Et ça me brise le cœur de voir des Juifs défendre Israël. De me dire que des survivants de la Shoah puissent défendre ça… Après, ce n’est pas une raison pour demander aux Juifs par principe de se désolidariser d’Israël – moi je ne demande à aucun de mes potes musulmans de se désolidariser de Ben Laden, j’estime qu’à partir du moment où ils sont humains, évidemment qu’ils ne sont pas d’accord avec ça ! Il y a même un jour j’ai mentionné Shone, le manager de Freeze, pour lui dire. Il répondait à un gars qui lui disait « tous les juifs ne sont pas comme ça », et Shone lui avait répondu : « je suis curieux de savoir l’avis de personnes de confession juive, parce que j’ai toujours l’avis d’un seul camp. » Je lui ai donc dit : “moi je suis juif et je dis fuck Israël”, il m’a dit : « t’es un bon gars ça a le mérite d’être clair » et tout, force à lui ! Mais ça n’enlève pas ce qui a pu être dit, et entretenu de bizarre. J’ai grave écouté Projet Blue Beam, j’ai grave écouté les sons avec « ràf de la Shoah », parce que je comprends, quand tu s/o les Indiens d’Amérique derrière. Je suis d’accord que c’est un des trucs les plus effroyables qui soit jamais arrivé, et qu’on en parle jamais. Donc je comprends « ràf de la Shoah », par rapport au fait qu’on n’enseigne pas les autres horreurs de l’humanité, les quatre cents ans d’esclavage. Mais ce n’est pas à nous les Juifs qu’il faut le reprocher ! On n’a jamais demandé ça. En vrai, on est tous des minorités, on a tous été victimes des mêmes mécanismes. On est des peuples qui avons vécu des choses horribles, dans des contextes différents. Les gens nous détestent toujours, il faut toujours être conscient de ça. Je suis désolé j’ai débité de fou, parce que c’est un des sujets les plus importants de ma vie.

A : Tu veux rajouter un dernier truc ?

nlb : Oui. Faites de la bonne musique, et œuvrez pour la paix.

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