La décontraction incisive de Moïse The Dude
Interview

La décontraction incisive de Moïse The Dude

Avec l’album OG sorti début octobre, la discographie de Moïse The Dude s’épaissit encore un peu, et présente une diversité certaine. L’occasion d’échanger autour de celle-ci, mais aussi de thèmes plus larges : géographie, cinéma, ou politique.

Photos : Mathilde Polak Touchard

Après avoir fait ses armes au sein du Bhale Bacce Crew, Moïse The Dude s’est présenté au rap en peignoir, mal coiffé, mal rasé, cool mais parfois mal luné aussi. C’était en 2013, avec l’EP The Dude vol.1, reprise musicale du film The Big Lebowski des frères Coen. Derrière le personnage, Moïse offrait un rap lent, laid back pourrait-on dire et directement inspiré du son texan, une de ses lubies. Depuis, la proposition artistique a connu quelques évolutions, elle s’est affinée, s’est faite plus subtile. Si l’identité du Dude est la même sur OG, sa dernière sortie en date, son rap se fait plus incisif, voire politique. Les changements qu’il instille dans son rap de projet en projet sont le fruit de constats d’artiste mais naissent aussi dans la réalité d’un homme qui prend de la bouteille. Entretien avec un mec lambda, plein d’idées, de références et d’envie, faussement fainéant.


 

Abcdr : Tu t’es fait connaître du public rap avec The Dude vol.1 en 2013, qui était un EP conceptuel autour du film The Big Lebowski. Ton nom de scène pouvait alors paraître  être celui d’un personnage artistique à un instant T, or tu te fais toujours appeler Moïse The Dude en 2019, quel sens a ce pseudonyme ?

Moïse The Dude : Lorsque j’étais dans le collectif Bhale Bacce, mon nom de scène était Moïse, mon troisième prénom. Je trouvais ce nom original et marrant. Avant de sortir des projets solos, je me suis dit à un moment que j’ajouterais bien « The Dude », chose que je n’ai pas faite parce que je ne communiquais pas sur ma personne. Nous étions dans une logique de groupe, on était identifiés comme un collectif et ça n’aurait rien changé que je modifie mon nom. J’ai fini par le faire suite à la remarque d’un pote qui, me voyant avachi sur son canapé m’a dit que je ressemblais au Big Lebowski. Ça concordait avec mon envie d’ajouter « The Dude », qui était liée à Devin The Dude à la base. Je suis donc parti là-dessus et l’idée de mon premier EP était d’arriver avec un personnage pour avoir quelque chose à raconter. La question que je me suis posée a alors été : si le Big Lebowski faisait du rap, il rapperait quoi ? Ça collait pas mal avec ma vie de mec à la cool. Puis par la suite j’ai conservé ce The Dude parce que ça reste avant tout une référence à Devin, je ne me voyais pas l’enlever, je trouve que ça me va bien, le Dude, le mec lambda.

A : Qu’est-ce que Devin The Dude a en plus pour toi, que représente-t-il ?

M : Déjà, il est à mi-chemin entre le rap et le chant. C’est-à-dire qu’il sait rapper, il peut être hyper technique s’il veut, mais c’est fluide, cool, très mélodieux, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Je trouve que c’est vraiment son point fort. Ce que j’aime aussi c’est qu’il creuse un sillon qui est le même depuis des années, et malgré ça il y a des petites variations, des évolutions. Sur ses derniers albums il va vers le reggae, il ne reste pas cantonné à ce qu’il sait faire, je trouve qu’il se bonifie avec le temps. Ce mec fait ce qu’il veut faire, il est au fond de sa cambrousse texane et en même temps il a featé avec tous les plus gros rappeurs de la planète. Il a ce syndrome du rappeur préféré de ton rappeur préféré et il s’en bat les couilles, il a l’air heureux.

A : Le Texas, justement, est une région à laquelle tu as dédié un titre sur Dudelife, « Lonestar ». De tes voyages aux États-Unis, c’est celui qui t’a le plus marqué ?

M : J’ai particulièrement aimé Houston, puisque c’est là-bas que j’étais. C’était mon premier voyage aux États-Unis, en 2008 donc forcément c’est marquant. Je n’ai jamais trop voyagé avant et comme j’avais un pote qui vivait là-bas, c’était l’occasion rêvée d’y aller. Ce qui m’a plu à Houston c’est qu’en y étant à ce moment-là, pendant ce qui était un peu l’âge d’or du rap texan avec les gros albums de Devin, de Slim Thug, de Paul Wall, tu comprends pourquoi cette musique est ce qu’elle est. De la même façon que lorsque tu es à New York tu comprends pourquoi le rap new-yorkais est ce qu’il est. Il y a une question d’environnement, et quand tu es au Texas tu saisis pourquoi les rythmes sont plus lents, tu comprends le screwed & chopped… C’est ça qui m’a marqué, c’est que tout faisait sens : le décor allait avec la musique.

A : Puisque tu parles d’environnement et de musique, tu as grandi du côté de Chartres, dans ces espaces de la France très aménagés par l’homme mais très vides aussi… Est-ce que ça a nourri ta musique, selon toi ?

M : Oui, je pense. L’Eure-et-Loire, c’est tout plat, il n’y a que des champs de blé, pas un dénivelé, c’est assez déprimant. Je la kiffe cette région parce que j’y ai grandi, c’est mon ADN. Mais ça a influencé mon son je pense, le côté mélancolique de ma musique peut venir de là. Chartres ce n’est pas très grand, il n’y a rien à faire, et je crois que la mélancolie de certaines de mes chansons est liée à ce décor, et à la province.

A : Tu as eu à plusieurs reprises dans ta discographie un automatisme d’écriture qui consiste à faire partir ta narration d’un objet précis, une bière ou une voiture par exemple. Autour de ces objets très concrets, physiques, s’élabore une sorte de mythologie, un univers mental. Tu as conscience de ça, est-ce voulu ?

M : C’est très juste, j’écris comme ça. Au départ je le faisais de manière instinctive mais maintenant j’en ai plus conscience. J’aime planter un décor précis. Je cite un arbre par exemple, un palmier et il pose une ambiance, ou alors je cite un objet et je déroule à partir de ça. Ce qui est cool c’est qu’effectivement après je peux développer une sorte de mythologie, tu évoques la Merco, elle est de retour dans ce nouveau projet par exemple, et elle est parfois présente dans des clips sans que je la cite explicitement. Pour ceux qui suivent ce que je fais ça fait des petits clins d’œil, des trucs qui se répondent et donnent lieu à une histoire globale qui peut être assez cool je pense. Ça me vient naturellement comme façon de procéder, et je prends moi-même plaisir à me plonger dans ces histoires-là et à me placer au milieu de tout ça.

A : Ton premier EP était très conceptuel, tout comme Bohemian Club avec Seno l’était, et même Keudar en un sens. As-tu une affection particulière pour les disques ainsi pensés, comme des pièces à part entière, très conceptualisées ?

M : Oui, je les aime beaucoup et là encore c’est presque malgré moi mais j’ai besoin que mes chansons s’inscrivent dans une sorte de concept. Il va être plus ou moins poussé, plus ou moins marqué, mais c’est ma manière de fonctionner, tout simplement. Je suis aussi entouré de gens qui aiment les concepts donc j’y suis poussé mais j’aurais du mal à faire dix titres qui se suivent sans n’avoir rien en commun, sans un fil rouge. Je pense que ça n’aurait pas la même saveur, j’aime bien les concepts.

A : Ça explique aussi que tes projets sont assez différents les uns des autres, et qu’un auditeur peut apprécier untel et beaucoup moins le suivant…

M : Carrément. Je n’aime pas faire deux fois le même projet. Même si ça reste du Moïse The Dude j’essaie de faire muter la proposition et clairement il y a des projets qui vont plaire à certains et pas à d’autres. Je pense que ceux qui kiffent tous mes projets depuis le début ne sont pas si nombreux parce que c’est vrai qu’il y a des choses très… [Il cherche ses mots] Pas si différentes, mais je ne suis pas dans une recette en tous cas. Je ne peux pas faire autrement.

« Pour moi, un O.G est un mec qui va faire son truc librement en restant fidèle à lui-même. »

A : Nous évoquions Bohemian Club, c’est la dernière sortie de Seno. Comment s’est passée l’élaboration de cet EP et que t’a-t-il apporté ?

M : L’élaboration du projet est due à un featuring que nous avions fait sur mon deuxième EP solo, The Dude vol.2. Seno n’en avait déjà plus rien à foutre du rap et il était très méfiant par rapport à ça. On a discuté ensemble et une vraie connexion s’est créée, il a accepté de faire le morceau parce qu’il a senti que j’étais un bon gars. Sans avoir le même vécu du tout ni le même background, on a des valeurs similaires, et on s’est vraiment bien entendus, surtout qu’on avait pas mal de références culturelles communes. Faire ce morceau ensemble a été vraiment cool, on était tellement contents du résultat qu’on s’est dit : « faisons un petit EP, tranquille ! » C’était sans pression, juste pour le plaisir de faire du rap. On a tout enregistré chez lui avec son fils Marvin, anciennement Lil Thug. Ce n’était que du plaisir, aucune pression ni aucun objectif. Ça a permis à Seno de lâcher ses dernières bastos et de dire stop ensuite. Quant à ce que ça m’a apporté… Déjà c’est cool de voir Seno face au micro, parce qu’il ne se prend pas la tête et que tu ne lui dis pas « eh vas-y tu ne veux pas refaire une prise ? » parce qu’il s’en bat les couilles. Il arrive, il kicke, et c’est fini. Ça m’a aussi conforté dans le fait que je savais rapper ; je n’avais jamais fait de feat, Seno ne savait pas forcément à quoi s’en tenir, il a pris le risque de m’inviter chez lui et a pu voir que je n’étais pas mal pour kicker non plus. On ne perdait pas de temps face au micro, on était efficaces, ça l’a un peu rassuré et pour moi c’était cool.

A : Ton nouvel album s’appelle OG et en l’écoutant on devine ta définition en filigrane d’un « O.G ». Peux-tu la verbaliser ici ?

M : La première chose à laquelle on pense en entendant « O.G », surtout quand on écoute du rap, c’est original gangster. Je ne suis pas du tout un gangster et ce n’est qu’une toute petite partie de la définition. « O.G » pour moi c’est « original », et un O.G est un mec qui va faire son truc librement en restant fidèle à lui-même. Il y a une certaine idée d’originalité et d’authenticité derrière ça, et il y a aussi l’idée d’être quelqu’un qui se démerde, comme je le dis dans une phase : « pas de financement participatif, c’est ça aussi être un vrai O.G ! » Je taffe sur mes projets depuis une dizaine d’années et je les sors seul… Enfin c’est grâce à plein de gens, mais je ne demande pas de thunes, je bosse, je me démerde. C’est ça un O.G, c’est un mec qui se démerde au sens large du terme. Aussi, c’est quelqu’un qui ne raconte pas d’histoires ! Il y a beaucoup de storytelling dans ma musique mais ce sont des choses qui me ressemblent, je ne vais pas du jour au lendemain raconter que j’ai tiré sur machin et vendu ceci ou cela. Je suis un peu vieux maintenant, j’ai une espèce de recul sur ce qu’on pourrait appeler le game, je vois ça d’un œil lointain et j’ai un côté daron quelque part maintenant. C’est tout ça, OG.

A : Il y a d’ailleurs un morceau de l’album qui s’intitule comme ça aussi.

M : Sur le morceau « OG » j’y vais un peu en mode clash. C’est par rapport aux mecs qui s’inventent des vies, et aussi par rapport aux mecs qui fantasment sur ces vies, inventées ou non. Il y a une fascination pour le ghetto, moi-même j’ai été fasciné quand j’étais petit, mais il ne faut pas ! Il n’y a rien de fascinant ! Je suis un peu… pas gêné, mais un peu amusé disons, par ce que le rap est devenu : un énorme divertissement qui capitalise sur le ghetto. Il y a un mélange des genres un peu curieux, je ne le juge pas mais je m’interroge.

A : Pour en revenir à ce qu’est un O.G, as-tu des figures en tête qui incarnent ta vision de la chose ?

M : [Pensif] Ce n’est pas évident… Vu que ma définition englobe beaucoup de choses, ça peut aller de mon père à Tony Soprano ! [Rires]

A : Alors je vais te souffler un nom, puisqu’il revient à plusieurs reprises dans ta discographie : Gérard Depardieu. Que représente-t-il ?

M : Depardieu c’est surtout pour le côté truculent à vrai dire, c’est physique un peu. Je ne sais pas combien il pèse mais je crois que je m’en approche dangereusement… C’est un gros machin avec une espèce d’autorité naturelle. Depardieu, tu sais que c’est un bon pépère mais en vrai tu ne vas pas trop l’emmerder, tu ne voudrais pas qu’il t’en colle une. Quand je le cite c’est une question de carrure, de corpulence. Après, il dit masse de conneries tout le temps, il faut faire le tri… Je ne vais pas aller lécher les bottes de Poutine. Mais Depardieu, son discours de liberté, « je vous emmerde je fais ce que je veux » il est sympa aussi.

A : À travers ta musique tu dégages une nonchalance parfois extrême. Est-ce une attitude de rappeur, ou un réel trait de caractère d’être un flemmard-traînard chez toi ?

M : [Rires] Je suis un peu un flemmard mais pas beaucoup plus que la moyenne des gens je pense. Il se trouve que depuis tout petit on me dit que je suis mou, que je suis lent, c’est un truc qui me poursuit et ce de manière plutôt péjorative. C’est clair que j’étais du genre à courir après le ballon en cours d’EPS, je n’en avais rien à foutre ! [Rires] Alors depuis ça me colle à la peau, quand bien même moi je ne me rends pas compte de ça, je veux dire moi quand je marche, je marche… Et je n’ai pas l’impression d’aller moins vite que les autres. Mais ça m’a peut-être défini en partie, parce qu’à force de t’entendre dire « t’es ci » « t’es ça », tu finis par t’y conformer. En tous cas c’est clair que je ne suis pas stressé en apparence, et j’ai tout du mec cool, il ne faut juste pas trop m’emmerder, comme tout le monde je pense. N’étant pas du genre à m’énerver pour rien, à me prendre la tête, j’ai développé une espèce de nonchalance oui, et il se trouve qu’en musique ça correspond à mes gros coups de cœur, à savoir la musique texane où tout est un peu plus lent. Ça collait bien, et je ne me vois pas rapper à cent à l’heure.

A : A côté de cette lenteur et de ta nonchalance, tu te montres particulièrement incisif sur ce nouvel album, notamment sur le plan politique.

M : [Il coupe] Oui !

A : Il y a quelque chose de beaucoup plus fort que par le passé, de moins détaché.

M : C’est totalement délibéré ! Cela s’explique par le fait que j’ai perdu mon job suite à un plan de licenciement. Je le vis bien, je ne suis pas en mode « c’est la merde! » ce n’est pas trop un problème et je suis plutôt content d’avoir du temps libre. Mais je suis sorti du monde de l’entreprise, un monde que j’exècre depuis longtemps, et ces événements personnels coïncident en plus avec un certain contexte social et politique : les gilets jaunes etc. On est dans une merde noire, les gens se font taper dessus, c’est n’importe quoi ! On a probablement le pire gouvernement de l’histoire, en tout cas le plus cynique et le plus égoïste, et je ne suis pas insensible à ça. Je n’ai pas vocation à faire de la musique engagée, mais plein de gens sont touchés par ça, j’y suis sensible donc j’ai injecté de ça dans mon album. C’est délibéré, ce n’est pas un accident.

A : J’ai eu par le passé la sensation que ça te rongeait, que ces choses voulaient remonter à la surface.

M : Carrément, je suis très attentif à ce qui se passe dans la société, je me pose énormément de questions, je réfléchis à plein de choses de cet ordre-là, donc de temps en temps ça ressort en musique.

«  Il faut être honnête : très peu de gens peuvent se satisfaire du succès qu’ils ont. »

A : En 2018, tu sortais Keudar, un projet qui m’avait un peu gêné de par des propos très crus, vulgaires peut-être ou en tout cas avec une approche des choses très naturaliste. C’était un exutoire ? Il m’avait troublé, vraiment.

M : Le côté vulgaire, je l’assume puisque j’ai tout écrit en conscience. J’ai pesé chaque mot, quasiment. Il y a une part d’exutoire oui, j’avais besoin d’écrire ce que j’ai écrit à ce moment-là, puisque ça part d’une rupture. Après, c’était mon mood d’alors, j’avais envie de me foutre un peu à poil. Je comprends que ça puisse être un peu désarçonnant… Mais c’est marrant parce que j’avais donné une interview pour Keudar qui n’est pas sortie, et le journaliste me disait qu’il avait aimé ça justement. Il trouvait que j’avais dit des trucs qu’on n’a pas le droit de dire normalement. Je n’ai pas réfléchi aussi loin à ce que je faisais, mais j’avais trouvé sa remarque pertinente et j’étais content qu’il l’ait perçu comme ça ! Comme quoi, on peut percevoir la chose de manières totalement opposées.

A : En même temps je te parle de ça mais à entendre ta discographie on comprend bien que tu n’as pas grand-chose à faire des petits pères la pudeur…

M : [Rires] C’est clair, mais je n’ai pas écrit Keudar avec une volonté de choquer. J’ai fait ce que j’avais envie de faire sans me dire que ça allait choquer les gens ni rien.

A : Tu parlais de mise à nu : tu arrives à te réécouter quand tu dévoiles ainsi des choses très intimes ?

M : Oui ! Keudar je peux le réécouter. Au-delà du fond il y a aussi la forme et le plaisir. Je considère que j’ai fait de bonnes chansons de rap et quand je les écoute il m’arrive de ricaner à certaines punchlines, à certaines formules. Je réécoute très rarement un projet une fois qu’il est sorti mais ça peut m’arriver si par exemple je suis avec quelqu’un qui veut l’écouter, et je ne suis pas gêné de ce que j’entends. Ça ne me met pas mal à l’aise.

A : Faisons une petite parenthèse autour de tes références culturelles. Elles sont assez variées mais tu as tes petites obsessions, dont Les Soprano. Si tu ne devais garder qu’une seule série télévisée, laquelle serait-ce ?

M : The Wire. C’est de la littérature. C’est sûrement la série la plus complète, elle te fait passer par tout un tas d’émotions. Elle ne répond à aucun code de la fiction, c’est la vie, tu regardes juste la vie. C’est incroyable.

A : Un seul film américain, qui ne soit pas The Big Lebowski ?

M : Heat ! J’adore Michael Mann, je trouve que c’est un des meilleurs réalisateurs de tous les temps. Dans Heat, il y a tout, et tout fonctionne. Le flic est attachant, le gangster l’est aussi, il y a plein de sous-intrigues. On sous-estime vachement les histoires d’amour et de couple chez Michael Mann. On pense toujours au film de gangster mais Heat c’est une histoire d’amour contrariée comme il y en a beaucoup chez Michael Mann et qui passent souvent au second plan de l’intrigue, alors qu’elles sont bien là. J’adore ce mec.

A : Et enfin, un film français ?

M : [Il prend son temps] On va dire Le Poulpe, de Guillaume Nicloux avec Jean Pierre Darroussin. J’aime beaucoup Jean Pierre Darroussin et c’est le seul rôle que je connaisse où il joue un mec vraiment badass, pour le coup un vrai O.G. C’est adapté d’une série de polars dont le principe est de suivre le personnage de Gabriel Lecouvreur a.k.a Le Poulpe, un mec dont on ne sait pas trop d’où il vient ni ce qu’il fait, il n’a pas de taf. C’est juste un mec. Et souvent il tombe sur des faits divers dans le journal et se dit « tiens il y a un truc à aller creuser par là ! » et hop il prend le train pour aller creuser le fait divers. Il se retrouve souvent embarqué dans des histoires pas possibles. Ce sont des polars un peu décalés et chaque histoire a été écrite par un écrivain différent qui doit respecter un cahier des charges. L’adaptation au cinéma est trop cool, le meilleur polar français ! Il n’a pas trop marché au cinéma, c’est assez dur de le trouver, mais il est trop bien.

A : Nous n’allons pas revenir sur tes références en rap américain que l’on sait nombreuses et que tu as déjà pu évoquer, mais parlons  dela pointe de mépris vis-à-vis de tes confrères français sur O.G.

M : C’est un peu le jeu de l’egotrip à la française. Le rappeur français passe son temps à cracher sur les autres rappeurs français, c’est classique, la base. Mais du mépris… Ouais… En fait j’écoutais beaucoup de rap français jusqu’à il y a quelques années mais maintenant je n’en écoute que très peu. Je commence à être vraiment rebuté par tout ce qu’il y a autour, tout le côté gossip, surtout autour des têtes d’affiche. Ça ne me donne pas envie d’écouter tellement il y a de gens qui racontent de la merde, on sort totalement de la musique et j’ai tendance à lâcher l’affaire.

A : Par contre tu cites Kekra avec éloge sur ton album.

M : Ah ouais, j’aime beaucoup Kekra ! Dans les nouveaux rappeurs c’est un de ceux que j’aime bien. J’ai mis du temps mais je me suis laissé avoir. Après, le rap français… [Soupir] C’est un bon panier de crabes, je ne suis pas dedans et ça me va très bien.

A : Tu as récemment fait un morceau avec LK de L’Hotel Moscou, et tu sembles affilié à un collectif du nom d’Épicerie Gang. De quoi s’agit-il ?

M : « Épicerie Gang » au départ c’est une appellation qui est beaucoup utilisée par Endé du groupe La Prune. Ils utilisent vachement le hashtag #epiceriegang. J’ai été amené à rencontrer ces mecs-là, on s’entend bien et on aimerait faire des trucs ensemble à terme. On est un bon petit groupe de trois, quatre rappeurs et idéalement on voudrait faire un petit truc collectif, donc la bannière Épicerie Gang je me l’approprie de temps en temps, ou on me la colle pour signifier que je suis dans ce délire-là. Et ça me va très bien.

A : Ce sont des connexions qui naissent sur internet ?

M : Oui, internet c’est super pratique pour ça. On est tous dans la même sphère, et à notre échelle on ne va pas se tirer dans les pattes. On a plutôt tout intérêt à traînasser ensemble, à faire des trucs et éventuellement à mutualiser les publics. En plus humainement ça colle, LK je m’entends bien avec lui, les mecs de La Prune aussi, et c’est ce qui compte avant tout. Si je n’avais rien à leur dire, je ne traînerais pas avec eux. Et pour en revenir à internet, oui ça a aidé ! On se regardait tous de loin, on lisait les interviews les uns des autres… Puis un jour tu passes le pas d’aller dire bonjour à l’autre, puis celui de le voir en vrai quand tu peux, et ça se fait comme ça. C’est cool.

A : Dans un morceau tu avais dit qu’après quelques lattes, tu oubliais que ton succès ne sera jamais qu’un succès d’estime. C’était un regret que tu exprimais, ou un simple constat ?

M : Les deux… Il faut être honnête : très peu de gens peuvent se satisfaire du succès qu’ils ont. Soyons lucides… « J’ai cinquante fans, ça me suffit, c’est cool, au moins ils me sont fidèles et me comprennent. » D’accord… Mais si tu en avais cinq mille aussi fidèles et qui te comprenaient, tu serais content. Donc à un moment donné il faut être honnête, moi je suis très content de voir que des gens m’écoutent régulièrement et comprennent ce que je raconte, mais je serais encore plus content s’ils étaient plus nombreux. Après la question est de savoir si je me bouge assez le cul pour ça, c’est un autre problème. Il y a donc un mélange de satisfaction et de frustration.

A : Puisque tu te demandes si tu t’es assez « bougé le cul », concluons sur ta production depuis 2013 : sept sorties. Ce n’est pas rien, surtout pour un indépendant. Qu’est-ce qui te motive ?

M : C’est clair que derrière la nonchalance il y a du « bougeage de cul » à fond, ne serait-ce que pour produire de la musique, puis la diffuser et en faire la promotion autant que possible. La motivation ? Déjà j’ai envie d’écrire chansons, et c’est presque malgré moi. C’est pareil pour les gens qui dessinent, pour les gens qui font de l’image… Quand tu as l’esprit créatif, tu as envie ! Même si c’est mauvais… En fait ce n’est pas la question, tu es poussé, tu as envie de le faire. Donc ça c’est dans mes gènes, je ne sais pas trop pourquoi. Et après, et c’est toute l’ambivalence du truc, mais quand je sors quelque chose je suis frustré de ne pas avoir assez de retours, sauf que les retours aussi petits soient-ils me nourrissent et me donnent envie de recommencer. Ça fait partie du moteur. Finalement plein de choses me motivent, et je recommence. Et c’est un vrai plaisir de faire mes albums, l’écriture, le choix des prods, l’enregistrement, le mixage, c’est un gros kif, surtout que je le fais avec des proches. Le plus dur c’est après la création, mais les choses se tassent, et j’ai envie de recommencer invariablement. C’est un jour sans fin ! [Rires]

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