Interview

Madizm

Dix ans après ses débuts avec le label IV My People, Madizm a tout du producteur accompli : il vit de sa musique, gère les activités multiples de sa structure 707 TEAM, et son carnet d’adresses est bien rempli. Mais dans l’industrie du disque en 2007, tout ce qui brille n’est pas d’or. Entretien sans langue de bois, en direct de l’envers du décor.

Abcdr du son : Depuis notre première interview, en juillet 2003, tu as monté la structure 707 TEAM avec Secundo. Quelle en était la vocation ?

Madizm : J’en étais arrivé à un point où je tournais en rond et j’avais vraiment envie de faire sortir l’oiseau de sa cage. Avec Secundo, on ne s’est pas trop posé de question. Dès que ça a commencé à merder chez IV My People, on est parti sur la pointe des pieds et nous avons créé 707 sur les conseils d’un ancien de St Denis qui connaissait bien notre situation.

Il y avait une vocation administrative en premier lieu. Malgré la tonne de travail accumulée depuis 1998, notre statut ressemblait plus à celui d’un saltimbanque qu’autre chose. Pas de sécurité sociale parce que pas assez de cachets studios, pas de salaires à 90% du temps, pas souvent d’avances, tous les frais non remboursés (bouffes, disques, matos), des impôts qui te niquent ta race, etc. Le fait de créer une société te permet d’avoir un statut auprès des institutions mais aussi auprès de nos potentiels employeurs. Le côté administratif est très rébarbatif, mais ça vaut le coup. Au moins on a la possibilité de se rémunérer plus correctement qu’en étant simple employé de label indé. À l’époque ou je ne faisais que de la MPC, il était de bon augure de croire que les beatmakers comme moi ne sont bons qu’à taper sur des boutons. Il faut croire que non…

La troisième vocation, elle est thérapeutique. Avec mon collègue, on a été des quasi-esclaves pendant 5 ans. Pour quoi au final ? Des queues de cerises. Attention, je ne suis pas à plaindre non plus, j’ai réussi à survivre sans trop de problème. Mais c’est plus grâce à mon instinct de survie que grâce aux gens avec qui j’ai collaboré. Quand j’ai commencé à faire le point en 2004, le tableau était très gris. Je ne rentrerai pas dans les détails, je le réserve pour un film ou un bouquin si je fais banqueroute. Mais en gros, 4MP c’était plus une agence de voyage genre F.R.A.M…

Comme je l’ai dit plus haut, je ne suis pas à plaindre. J’ai fait mes classes. Pour se faire connaître, il faut travailler avec des gens connus. 4MP aura été le meilleur ascenseur que j’ai trouvé pour m’éviter de prendre l’escalier. Mais je ne le conseillerai à personne. Le temps qu’on a gagné à se faire connaître, on l’a perdu quand il s’agissait d’être intelligent et de prendre ses précautions. On a avancé à l’aveuglette comme on dit, puis on s’est pris en main quand on a vu et entendu des choses qui ne nous plaisaient pas, que les bénéfices n’étaient pas correctement et justement répartis. Question de priorité je suppose, on était le seul label de Paris sans studio… Plein de petits détails qui, accumulés, nous ont fait quitter le bateau. On ne peut pas nous taxer d’avoir quitté le navire alors qu’il coulait… On est parti alors que 4MP était en pleine forme, sans effet d’annonce, sans heurts… L’histoire nous a prouvé qu’on n’a pas eu tort.

707 nous a permis de nous renouveler. Pas forcément en tant que beatmaker, parce qu’on n’a pas vraiment été prolifique, mais surtout par rapport à d’autres domaines d’activités. Pour être plus précis, on bosse dans le publishing, la téléphonie, les medias multi-plateformes, la publicité, les génériques T.V. ou encore le scoring et l’illustration sonore en tout genre. Ça fait pompeux, ça fait prétentieux, mais ça nourrit son homme et c’est très enrichissant. De plus, ça nous permet d’alléger notre conscience vis-à-vis des directions musicales que l’on doit prendre. En gros, je suis moins dépendant de la vente de mes beats, donc je peux être plus féroce dans mes choix de travail. Preuve en est : je n’ai rien vendu ces six derniers mois en France. Et je m’en porte bien. Et ça va continuer… Je viens d’enregistrer 707 TEAM au registre des sociétés à Philadelphie. J’ai un représentant mandaté qui travaille pour nous toute l’année. Il a déjà vendu 7 ou 8 prods cette année. Ça démarre plutôt bien (Reef, Raekwon, Des Devious, Remy Ma pour ne citer qu’eux) et je pense pouvoir sortir un album US genre que des rappeurs indé avec des prods 707 (Undo, Jee2Tuluz et moi). Je vais aller enregistrer un peu à New York le mois prochain, mais je vais également faire venir certain gars ici, histoire de tripper un peu.

A : Quels projets ont été réalisés sous cette bannière ?

M : On peut vraiment dire qu’on a commencé 707 TEAM avec la production de la totalité de l’album de Kool Shen, qui a vendu presque 300 000 unités à ce jour. Ensuite, on a réalisé l’album de Disiz, qui n’a pas fait les scores escomptés mais qui a reçu un très bon accueil presse, T.V., radio et qui a même été gratifié d’une Victoire de la Musique… On s’en fout, mais ça fait toujours plaisir. Et puis on a continué à placer des prods au compte-goutte, notamment sur Lino, la F.F., Mac Tyer ou plus récemment Youssoupha.

Mais le jour où nous avons rencontré un entrepreneur d’une trentaine d’années, anciennement ingénieur chez Apple devenu capital risqueur, le cap de 707 TEAM a changé. Un grand concours de circonstances nous a amenés à nous associer à une autres société en vue d’initier un projet multi-plateformes qui s’appelle Black Mamba. C’est ma principale activité en ce moment, mais cela ne se limite pas à des morceaux classiques. On explore plusieurs univers en même temps. On a également produit quelques Street CD pour Feuneu (anciennement Alcide H) et de Merlin parce qu’ils avaient à coeur de sortir des tracks qu’ils avaient en stock pour ne pas les voir mourir. Juste pour le fun, on a également créé de toutes pièces un groupe pour teenager avec un certain P. Obispo mais ça c’est fini en queue de boudin. Y’a pas mort d’homme. On voulait juste tester deux ou trois doutes qu’on avait sur le « pourquoi du comment » avec les passages radios, télés, etc. Cette expérience nous a permis de vérifier des sentiments qui se sont transformés en certitudes, notamment sur ce qu’il faut être prêt à faire pour vendre des disques en France, pour passer en radio, pour être invité sur quelques plateaux télés, pour être invité en soirée. Ca m’a permis d’acheter un peu de sapes, une montre ou deux et d’aller aux NRJ Awards pour pincer les fesses des danseuses brésiliennes. C’est déjà bien.

A : Quel bilan tires-tu de cette expérience à l’heure actuelle ? Ça correspond à ce que tu avais espéré ?

M : Le bilan est très positif. Nos comptes sont équilibrés. Je suis en règle avec les impôts. Ma femme attend un enfant. Tout va bien. Si ce n’est que le marché de la musique se barre un peu en sucette. Avec mon collègue, on avait imaginé que créer une société nous aiderait, et bien on n’avait pas tort. Et vu qu’on est deux, ça réduit les possibilités de conflits. L’Etat Français décourage beaucoup, mais on se bat. Notre avocat est notre meilleur ami.

« Comme une agence de voyage te vend du rêve, 4MP vendait du rêve. Ca n’a l’air de rien écrit comme ça, mais quand c’est toi l’âne, c’est toujours dur à vivre. »

A : Comment le projet Black Mamba s’est mis en place ?

M : Il est né de la rencontre de cinq personnes : un ancien du management, un ancien des maisons de disques, un capital-risqueur argentin et nous deux, les rigolos des studios. Un dîner dans un restaurant classe mais pas bourgeois. Quelques verres de vins, une passion pour les nouvelles technologies, le graphisme, l’humour noir, la musique et le risque. Évidemment il serait réducteur de ramener ce genre de projet à cinq personnes. Il y a au moins trois autres piliers avec Noe2 pour ce qui touche au graffiti, Sear pour ce qui touche à l’éditorial – gros boulot d’ailleurs – et une boîte de graphistes spécialisés pour la 3D. On a enclenché la v1.0 depuis juillet 2006. La v2.0 va faire très mal. On parle d’un univers qui se met, pas d’un disque à vendre ou d’un clip à promotionner. La cible est large, mais vise surtout les gamins, le but étant de les familiariser d’entrée avec des familles musicales et des personnages qui peuvent exister dans la vraie vie. Le tout enveloppé dans une dose d’humour décalé dont je suis très fan. Get Busy oblige…

On peut toujours questionner l’authenticité de ce genre de projet, mais pour nous il n’est pas question de crédibilité avec ce genre de truc. C’est un défouloir fait par des adultes pour des enfants. Même si il y a un fort potentiel d’appel sur les autres générations, le projet est un exploit technologique avant tout. La dimension artistique est secondaire. C’est surtout pour nous l’occasion de mettre en pratique dix ans d’expérience au service d’un projet qui nous dépasse déjà, tellement il implique de monde, puis également de faire gagner un peu d’argent à des rappeurs, rappeuses, chanteurs, chanteuses qui n’ont pas la faveur des spotlights. Certains acquièrent de l’expérience en studio et deviennent donc plus professionnels. La v2.0 du projet permettra sûrement aux gens de mieux comprendre qu’il ne faut pas s’inquiéter de Black Mamba, qu’il faut composer avec lui…

A : Il y a trois ans, tu m’avais dit : « Les musiques de films, c’est là où je veux finir » Depuis, tu as participé à la BO du film « Dans tes rêves ». Qu’as-tu appris de cette expérience ?

M : Pas grand-chose en vérité. Sauf que la musique est encore une fois négligée. Ce qui est de surcroît un problème quand tu fais un film ou la musique joue un rôle majeur. J’avais déjà fait l’expérience de cela avec Gérard Pirès, réalisateur du premier Taxi mais aussi de Double Zéro. Je sais, on fait ce qu’on peut… Merci.

Quoi qu’il en soit, je rencontre le mec dans ses bureaux alors que le film est déjà fini. De là je me dis, normal, ils font la zik’ en dernier. C’est une tradition française de négliger la musique (à part la « grande musique » mais c’est un autre débat). Ajouté à cela, le budget est souvent déjà bouclé et comme tout le monde a pioché dans la caisse, il ne reste plus rien pour le budget musique. Pirès me dit donc qu’on a deux semaines pour faire la musique du film entier. On n’était pas venu pour faire le score entier mais juste quatre ou cinq scènes, donc on a relevé le défi, sachant qu’un compositeur anglais avait gagné le droit de faire le score. Si je ne me trompe pas, il y avait 20.000 € de budget. Je vous renvoie à Google si vous voulez juger de ce que cela peut représenter par rapport au budget d’un film comme Double Zéro. En fin de compte, on a placé une scène au lieu de quatre, et bien sûr gratuitement. C’est souvent ça la musique…

Avec Dans tes rêves, le budget était quasi-identique alors que le budget global était autrement plus petit. La musique passait en dernier quand même. Vu qu’on voyait le réal’ en direct, on lui prenait la tête en lui ramenant le plus de matière possible pour qu’il enrichisse le score, mais comme il n’avait aucune expérience, on a presque dirigé l’histoire. Et comme le budget ne nous a pas permis de faire ce qu’on voulait niveau zicos et enregistrement, on a baissé les bras et décidé de tout faire à deux en un mois. On a limité la casse, mais ce n’est pas à la hauteur ni de que je voulais faire, ni de ce que l’on peut faire. Mais c’était une première expérience. Il en faut d’autre… Je suis actuellement en pourparler avec des boîtes de prods comme Orly Films (« Le Pharmacien de Nuit », avec Vincent Perez). J’espère obtenir un autre score dans l’année pour pouvoir enfin réaliser quelques fantasmes acoustiques.

A : 707 TEAM édite également des artistes. Quels conseils donnes-tu aux jeunes artistes – rappeurs ou producteurs – que tu rencontres ?

M : De ne pas se faire d’idée sur ce métier et de garder un métier de rechange. Au mieux, certains ont la présence d’esprit de considérer la musique comme un hobby, ou comme une seconde activité. Je leur dis de garder leur travail s’ils en ont un. Je leur explique que l’industrie du disque fonctionne avec des codes, comme n’importe quel autre secteur d’activité, et qu’il faut les expérimenter pour les connaître. Que tu apprends de tes échecs pour créer un possible succès. Que ton avocat doit te connaître et que tu dois connaître ton avocat. De ne pas trop regarder la télé, ça fait tourner la tête, mais d’écouter le plus de musique possible – surtout la vieille pour mettre le train sur de bons rails. De t’inspirer des plus grands pour te motiver, mais d’apprendre à se faire petit quand c’est nécessaire. De ne pas être pressé d’être payé dans ce métier parce que personne n’honore ses dettes en temps et en heure. Que ceux qui te disent que tu déchires tout te mentent peut-être, que ceux qui disent que tu n’as pas ce qu’il faut pour faire ce métier veulent peut-être t’exploiter à moindre coût. Que ce qui marche pour Pierre ne marche pas forcément pour Paul et que Jacques est aussi riche que Pierre mais que personne ne le sait (j’ai contre attaqué avec une métaphore digne de Montesquieu là). Je leur apprends à pondérer les événements aussi, parce que les artistes sont des êtres sensibles qui s’emportent vite. J’ai une hyène avec moi quand je leur parle. C’est très convaincant une hyène. Dupontel me l’a appris.

A : Quels sont les projets de 707 TEAM pour les mois à venir ?

M : En ce moment je suis train de ficeler l’album de Black Mamba qui sortira chez U.L.M./Universal en 2007. On met également le turbo sur notre album U.S. Je vais sûrement faire un deal à New York avec Babygrande pour le distribuer là-bas, vu que c’est du 100% ricain niveau casting. Ils ont fait un travail décent avec Hi-Tek. Et je connais bien le créateur de cette compagnie. Je suis en train de réfléchir à l’adaptation du même projet en greffant des artistes français dessus, mais je risque d’avoir des problèmes pour signer ce genre de projet multi-artistes. Je vais sûrement le sortir via 707 TEAM et basta parce que je ne me sens pas aller convaincre un D.A. que mon album est le prochain « Raï&B Fever« . Tous les projets ne sont pas faits pour vendre un maximum de disques à un maximum de gens et c’est le cas pour celui-ci. Là, c’est une histoire de plaisir personnel, de boucles obscures, de breakbeats. Pour le plaisir, comme dirait Herbert Léonard, et pour m’auto satisfaire de mettre sur le marché des morceaux que je peux écouter dans mon iPod. Et puis aussi faire plaisir aux quelques bougres qui sont encore accrocs aux samples découpés et aux ambiances un peu décalées. Il en reste deux ou trois je crois, mais ils sont cools, ils m’envoient des emails de soutien.

Sinon, je n’ai rien sur le feu niveau Rap français. Ah si, je suis en train de faire un LP 100% synthé sur la demande expresse de Lord Kossity. Douze tracks pour les voitures tunées et pour les Twingos aussi. J’ai appelé mes potes Roland et Yamaha à la rescousse et c’est pas dégueu’. Sinon je suis très concentré sur la télévision aussi, surtout depuis que TF1 vient d’ouvrir Music One [NDR : Label dont le premier artiste signé s’appelle… Tony Parker]. J’essaye tant bien que mal de faire mon boulot d’éditeur en impliquant 707 dans un maximum de projets même si les rétributions sont maigres. Les miettes d’un gros gâteau sont souvent plus profitables que les parts d’un petit cake. Tiens, encore un adage pour ma collec’.

Je vais bientôt être papa et Secundo vient de l’être donc on est pas mal occupé avec ça aussi ! Ah si, je vais ouvrir un restaurant dans Paris. Pas un truc à la Justin, je ne suis pas Puffy. Un petit coin à 40 tables avec un cuistot qui déchire tout niveau sauce. Je ferai parvenir l’adresse bientôt…

Petit bonus : je suis en train de produire un rappeur de Brooklyn qui s’appelle Des Devious. Totalement inconnu au bataillon, il a décidé de faire un album avec 707 TEAM. Les guests seront des MC’s de la grosse Pomme et de Philly, mais il y aura quelques petites surprises quand même…

« Quand on me demande un beat « à la Dre », je demande des lyrics « à la Biggie ». Comme ça y a plus personne ! »

A : Tu postes régulièrement sous notre forum, et de manière assez étonnante depuis quelques semaines. Récemment, tu as écrit : « Au bout de 8 ans de pérégrination, je jette l’éponge. Je vais maintenant m’atteler à NIQUER le marché français ». Ta résolution pour 2007, c’est donc : « 100% cynique, 100% opportuniste » ?

M : Non, c’est le décalage de l’écriture… Il ne faut pas toujours prendre au premier degré ce que je dis. Ceux qui me connaissent en personne te le diront. Par contre, il y a TOUJOURS un bout de vérité caché dans mes conneries. En l’occurrence dans ton exemple, la vérité concerne le fait que je jette l’éponge. C’est un peu exagéré comme propos, je ne suis personne pour dire ça, mais c’était juste pour illustrer le fait que je lâche l’affaire avec les artistes français en général, à quelques exceptions près. J’ai essayé de me lancer dans la production de « rappeur français » en signant Nubi, mais ça s’est barré en sucette vite fait et ça m’a fait arrêter de douter sur le fait de produire ou non des artistes. Non merci. Le rap est un monde de fou dans le sens pathologique du terme. Aujourd’hui j’ai les moyens et les outils de productions, mais je ne sais toujours pas qui produire ! Quel dilemme…!

Du coup, j’ai pu passer plus de temps aux Etats-Unis, histoire de développer mon délire là-bas. J’ai monté une espèce de « seconde base » avec un pote de Philadelphie. On a mis un an à démarrer le truc. En 2005, j’ai commencé à faire quelques sessions studio notamment avec Domingo – real headz know the deal. Je me rappellerai toujours de cette session avec Sean P. et son acolyte. Ils ont commencé à écouter mes beats en pleine session d’enregistrement. Y a eu un vent venu de Sibérie, un silence de mort parce que je fais très « p’tit blanc »… Et puis un gros « Yooooooooooo, where the fuck is that coming from ??« . Deux minutes après, Domingo nous demandait des CD’s. Ça nous a permis de rencontrer quelques têtes : des connues, des moins connues, des idoles d’enfance. J’ai également de très bonne relations avec Big Jay, le manager d’Alchemist, et ça devrait porter ses fruits dans le courant de l’année. Je bosse aussi avec Babygrande. J’avais commencé à bosser avec Purple City et Agallah, mais les trucs étaient trop freestyle. J’ai alors rencontré Vinnie Paz, Kingsyze et les gars de Army Of The Pharaohs. J’ai placé des prods sur le Outerspace sorti l’année dernière mais il y a beaucoup de trucs en cours avec cette équipe. C’est pas les meilleurs rappeurs du monde, mais je prend un plaisir dingue à bosser avec eux. Cela m’a d’ailleurs permis de rencontrer Des Devious avec qui j’ai de réelles affinités.

Tout ça pour dire que je ne suis plus très motivé pour travailler avec des artistes français, et c’est pas faute d’avoir essayer. Et le coup de « niquer le marché français« , c’était bien évidemment une vanne. Pour preuve, le marché français est déjà niqué : au moment où j’écris ces lignes, on a Kamini numéro 1 et Michael Youn numéro 2 des ventes de singles. Et je n’ai rien fait là…

A : À propos des vétérans du rap français, tu as dit récemment : « [IAM] est vraiment une exception, tous les gens de cette époque méritent le bûcher ». Kool Shen y compris ?

M : Encore une boutade… Je suis très sarcastique parfois. L’histoire avec Kool Shen, c’est qu’il a bien profité d’une situation dont j’ai profité aussi. Point. L’autre part de vérité dans mon propos c’est qu’en 2007, parmi tous les groupes et artistes dits « pionniers » en France, seul IAM a encore le niveau pour faire un bon disque. J’ai entendu quelques titres de leur prochain LP et j’ai été réconforté dans mon idée qu’IAM a survécu et peut encore fournir de la bonne musique.

Pour le reste, cite-moi une personne ou un groupe qui a survécu « décemment » à l’épreuve du temps ? Même moi qui travaillais avec Kool Shen, je n’écoutais pas ce qu’on sortait. Il peut te le dire lui-même. Je n’ai jamais été un grand fan. J’aimais le graffiti français, mais les rappeurs pas trop. J’ai écouté NTM jusqu’en 94. Après plus jamais. Et IV My People, j’ai lâché l’affaire après Zoxea. ‘Chacun Sa Voie’, c’est mon titre. Après, le reste, c’était pas vraiment ma came. Les gens qui ont fait la gloire d’une époque sont soit à la ramasse, soit reconverti. Il n’y a pas de honte à ça. Regarde Mark Wahlberg : tout pourri en rappeur, mortel en acteur. Faut pas avoir peur de switcher.

A : On devine derrière tes messages que, vraiment, tu n’en peux plus des rappeurs. Quels sont leurs pires défauts ?

M : Il ne faut pas exagérer non plus, je ne suis pas en campagne contre les rappeurs de France. Un mec comme Socrate, ça fait plaisir. Un mec comme Youssoupha, comme Sat, comme Booba, ça fait plaisir. Y aura toujours des mohicans… Mais beaucoup d’entre eux sont des enfants gâtés. Sans but, sans opinions acerbes, sans charisme, sans sérieux, trop portés sur le sexe et pas assez sur la musique, trop de drogues et d’alcools pour pas assez de lyrics, tout dans le blouson et rien dans le cahier.

Je regrette un peu l’époque des Zoxea, des Oxmo. Le gangstérisme a tout emporté sur son passage. Il reste bien des Abd Al Malik et compagnie, mais ce n’est pas trop ma sauce. Alors que faire ? S’en aller vers des cieux plus cléments. Là où quand je presse « play », on me dit quelque chose d’autre que « Ouais mais t’as pas un truc à la Timbaland ?« . J’ai trouvé une parade à ça d’ailleurs, mais je n’ai plus d’amis depuis que je la diffuse : quand on me demande un beat « à la Dre« , je demande des lyrics « à la Biggie« . Comme ça y a plus personne !

Le gangstérisme a fait des ravages… Et d’une façon assez étonnante. Comme une chape de plomb. Je ne suis pas le type de gars à te dire c’était mieux en 88. Non, ce n’était pas mieux et on est en 2007 donc ça sert à rien de ressasser le passé comme s’il allait revenir ou comme s’il fallait revenir en arrière. Quand je disais que je regrettais l’époque des Zoxea et compagnie, ce n’est pas pour revenir en arrière. C’est pour améliorer le présent. Revenir en arrière, c’est être conservateur. Je ne suis pas conservateur, je suis un progressiste modéré. Le progrès dans le Rap s’est soudainement arrêté quand il n’a plus été permis de parler d’autre chose que de putes, de shit, de tess’, de gun, de tass’, etc.

Dans le monde du cinéma, les films de gangsters font partie de mes préférés. Les gangsters fascinent. Mais tout le cinéma ne se limite pas à des films de gangsters. NWA, Geto Boys, c’est dans mon Top Ten, mais à côté j’écoutais X-Clan ou Big Daddy Kane, des gens qui ne partagent pas la même philosophie. Ils ne feraient pas forcément de featurings ensemble, mais on s’en foutait des featurings quand on écoutait Rakim. Quand tu es bon, tu peux écrire trois couplets et un refrain facilement. Quand tu rames, tu appelles des renforts.

Le rap français est maintenant corps et âme dévoué au gangstérisme de salon. Il n’y a plus de place pour un Dany Dan. On me dit qu’il existe, qu’il sort un disque, mais où est-il dans les charts, pourquoi pas à côté de Booba ou de Kamini ? Pourquoi il ne peut pas gagner un peu d’argent lui aussi ? Est-il moins bon ? Y a-t-il un problème ? Peut-être.

Un exemple ? Tout le monde en France te dira qu’Oxmo était le meilleur – avec cette notion qu’il est déjà mort -, que niveau écriture, tu ne peux pas tester. Les rappeurs te le diront tous, un par un, les fans de rap aussi… Maintenant tu mates ses chiffres de ventes, et c’est Abyss. Alors on va me dire qu’il n’a pas fait l’album que ses fans voulaient de lui. Certes, mais si Diam’s arrive à vendre 600 000 disques, tu vas me dire qu’il n’y en pas 80 000 pour acheter du Oxmo alors que c’est « le meilleur du Monde » dixit ses propres fans ? Soit il y a 22 fans d’Oxmo, soit il y a un paquet d’hypocrites. Je penche pour la deuxième solution. Par contre, ils achètent du Sinik qui embrouille Booba qui embrouille Kore, etc., etc. parce que c’est plus dans l’ère du temps. Y a les ingrédients pour faire monter la sauce, ça monopolise le débat, ça fait diversion. Pendant ce temps-là, si tu ne tues pas quelqu’un dans tes chansons, si tu n’as pas fait de prison, si tu n’as pas traité ta meuf de grosse tass’, tu ne passeras pas le week-end… C’est triste pour la diversité.

Ce qui est marrant, c’est également la réaction du public. Même les auditeurs deviennent violents, Internet aidant. Tout le monde veut des « beefs« . Les mêmes gens fascinés par la moindre ligne qu’écrit Booba forment une masse très compacte et très solidaire quand il y bagarre ou autre : ils courent vite et loin. C’est donc une fascination pathologique. La qualité et le niveau des rappeurs ont donc fortement baissé avec le temps – ce qui n’est pas le cas des beatmakers. Je ne crois pas que l’on puisse contester ça. Aujourd’hui je n’écoute quasi-personne à part deux ou trois gars. C’est pratique pour organiser mon dossier « rap français » sur le bureau de mon ordi.

« Mc Do, Coca, sapes, films, tuning, strippeuses, même les albums sonnent comme du Young Jeezy ou du Rick Ross. Guerre en Irak ou pas, on est tous des bons clones de cainris, la mentalité en moins.  »

A : « À partir de 2007, je suis outre-Atlantique uniquement. » En quoi le travail de producteur est plus facile aux Etats-Unis qu’en France ?

M : Il y a un niveau global de connaissances qui est différent. Dans un pays où l’ignorance règne en maître, ça fait bizarre de dire ça, mais pourtant, il y a un truc sur lequel on ne peut pas tester les Américains, c’est sur la musique. Ils vivent avec. C’est intégré dans leur quotidien, dans leurs traditions. Ce n’est pas un loisir comme en France. C’est également une industrie qui brasse des milliards de dollars. Chez nous, c’est quelques millions au plus. Du coup, tu passes du statut de saltimbanque à celui de potentiel millionnaire. Même si peu de beatmakers deviennent millionnaires, beaucoup vivent très bien. Les banques t’accueillent autrement. Les institutions en général te traitent mieux. Les ingénieurs-son sont plus qualifiés bien que très fainéants. Les studios sont mieux équipés. Les rappeurs s’y connaissent vraiment et peuvent parler de mix en des termes bien précis, autres que « la caisse claire là, elle est un peu foncée« . C’est un autre monde dans tous les sens du terme. Les gens aiment vraiment la musique qui sort des enceintes, putain de merde !

En France, on dirait des fonctionnaires de la Poste en séance de studio. Ils passent leur temps aux chiottes, au téléphone mais pas trop à hocher la tête sur ce qu’ils écoutent. Ils analysent tellement qu’ils en oublient d’écouter la musique comme un tout. Aux States, le verdict de la basse et de la batterie est terrible. Les gens sont jugés sur la qualité de ces deux éléments. En France, tu peux faire ta carrière avec des kits de batterie en papier et des basses enregistrées au sous-sol. Pas aux USA. Le beat/basse est primordial. Même si c’est de l’infra basse, elle doit péter. Comme je ne suis pas mauvais niveau drums, j’ai tout de suite été catalogué « bon drummer ». J’ai été obligé d’affiner mon jeu de basse. Et niveau sample, je peux enfin me lâcher un peu. Ils n’ont pas peur de l’inconnu là-bas. Je peux tenter ce que je veux, tant qu’ils peuvent rapper dessus ça passe.

Les cainris sont plus souples niveau taf. Tu as une marge de manoeuvre beaucoup plus grande qu’en France. Maintenant, tu peux également rencontrer des problèmes identiques à ceux qu’on rencontre en France quand tu bosses avec des artistes mainstream. J’ai presque abandonné l’idée de bosser avec un artiste mainstream. On verra ce que le futur me réserve, mais je préfère faire quatre ou cinq tracks sur le prochain Ghostface que deux morceaux sur le prochain Jay-Z. C’est plus réaliste en plus. Mon challenge, c’est également d’arriver à faire choisir des beats qui me tiennent à coeur, avec des samples de soul latine, de librairies, de films européens, de manga japonais, etc.

A : En 2006, tu as placé tes premières productions américaines « visibles », avec Outerspace, un groupe qui n’est vraiment connu que des initiés. Placer une prod sur un album US, c’est le parcours du combattant ?

M : Grave. En plus, il faut avoir un homme de confiance si tu n’es pas sur place. Ce qui est mon cas. De préférence au physique imposant, à l’élocution facile et avec des connaissances sur les escroqueries en tout genre. Et je ne plaisante pas quand je dis ça. Le problème se situe sur le fait de maintenir un contact constant avec l’artiste qui pose sur ta prod. Parfois, il disparaît. Comme Krumbsnatcha. Il a disparu comme ça. Y avait deux tracks en préparation, Premier qui donnait son aval ou non, et puis pouf, plus de Krumbsnatcha. Ça fait un an. C’est ça les States aussi. Les intermédiaires genre managers, producteurs et consort sont très arrogants, très hautains, très susceptibles, mais ça fait partie du jeu là-bas.

En revanche, tu as des gens comme Big Jay, le manager d’Alchemist, qui te font plaisir de faire de ce métier. Je l’ai rencontré à Brooklyn plusieurs fois et mon soss’ est proche de lui. Un gars comme Big Twin, c’est de la crème aussi. Séance de studio mémorable avec ce gars. C’est une usine à rapper ce type. Il te roule un joint avec 300 grammes de beuh dedans et il pose ses couplets en tirant des taffs. Et pas des petites taffs d’européen. Des taffs de crackosaure. Une bonne toux chronique de deux minutes et hop, un couplet de malade. Maintenant, un exemple du parcours du combattant : ça fait un an qu’on s’appelle mais jamais on arrive à bosser ensemble parce le manager ceci, Whoo Kid cela, etc. C’est frustrant mais bon, c’est la vie. Je cherche d’autres têtes et puis c’est tout.

Un avantage aux USA, c’est que tu peux t’arranger de différentes façons. Tu peux demander du cash. Tu peux te faire acheter ton track et perdre les droits dessus mais ils te compensent en liquide. Ils font beaucoup ça dans le Sud. À New York, c’est plus dur si l’artiste est en maison de disque. Tu as une garantie d’être payé, mais tu es moins payé que de main à main. Mais vendre de main à main n’est pas évident. Un mec comme Raekwon, il écoute 100 beats à la semaine. Pour le convaincre, il faut autre chose qu’un CD de beat. Sinon, globalement c’est moins dur qu’en France quand même. Surtout en ce moment.

A : J’ai l’impression – et tu ne t’en es jamais vraiment caché – qu’une grande partie de ton travail est purement alimentaire. Est-ce qu’artistiquement, tu réussis à t’épanouir dans le marché actuel ?

M : Non. Mais c’est pas grave, j’y arriverai un jour. Et si ce n’est pas le cas, tant que j’ai élevé des enfants qui me respectent et qui deviennent des adultes responsables, je serai content. M’épanouir au regard de ce qui marche aujourd’hui, c’est quasi-impossible, c’est du ressort du miracle. Donc je ne suis pas obsédé par cette histoire d’accomplissement. Peut-être qu’un jour, je serai D.A. chez Universal et si c’est le cas, je pourrai peut-être sortir un album dont je serai fier. Mais là c’est compromis. Il y a tellement de barrières à franchir que je ne sais pas si Diagana passerait la ligne d’arrivée. Tant que j’arrive à payer mes factures, je considère que je m’accomplis de toute façon…

A : Dans un monde parfait –  sans les errements de l’industrie du disque et les caprices des rappeurs – quels projets sortirais-tu ?

M : Un album de Saigon entièrement produit par 707 TEAM, un album avec MC Jean Gab’1 entièrement produit par 707 TEAM, le score et la B.O. du film Mesrine parce je ferai le meilleur score de l’histoire du scoring français (!), un album de reprise de morceau Soul du catalogue Stax, un album façon Fugees mais avec une chanteuse arabe et deux rappeurs cainfris – samples de Kora à volonté -, un album avec Femi Kuti inspiré des oeuvres de son père, un album hommage à James Brown par les rappeurs français – mais ça je vais le faire un jour si j’ai une liste qui tient la route. Je sais pas… Un album de Dany Dan tiens, puis un de Youssoupha. Al Peco aussi. Y a plein de trucs à faire si t’as un peu d’argent…

A : Tu sembles particulièrement dur envers le milieu du rap français. Quels reproches lui ferais-tu ?

M : D’arrêter d’être si Français. Guerre en Irak ou pas, tout le monde se conforme, de générations en générations. Mc Do, Coca, sapes, films, tuning, strippeuses, même les albums sonnent comme du Young Jeezy ou du Rick Ross. Guerre en Irak ou pas, on est tous des bons clones de cainris, la mentalité en moins. La musique n’a jamais été aussi similaire qu’en cette époque de TR808 aseptisée. Donc soit on fait comme les cainris jusqu’au bout, soit on arrête. Mais faire sans blanc c’est moche. Le but du Rap c’est de faire de l’argent ? Eh ben c’est parti alors. Tous à Saint Martin, tous en Mercedes, tous en avion première classe ! Moi j’ai pas de souci avec ça si c’est les règles. Mais que tout le monde soit au courant. Que ce soit dit et écrit pour éviter la confusion.

« Maintenant cette notion de « milieu », quand tu y réfléchis bien, elle ne s’applique pas au Rap Français. Plus maintenant en tout cas. Michael Youn, il est dans le milieu aussi ? »

A : Pour beaucoup de monde, justement, tu « incarnes » ce milieu, dans le sens où tu y es solidement installé depuis de nombreuses années. Au fond, tu n’as pas un peu une part de responsabilité si le rap est devenu ce qu’il est aujourd’hui ?

M : On peut le dire. Je n’ai pas aidé si c’est ça que tu veux entendre. Mais en même temps, je n’ai jamais eu le pouvoir de décision. Je ne l’ai toujours pas d’ailleurs. Du simple fait que je fournissais les instrus pour beaucoup de gens, j’aurais pu être plus virulent et signifier mon désaccord, mais toute personne familière avec ce « milieu » te dira que ton égo part en fumé quand tu es dans ma position. Quand tu bosses avec des gens qui ont des certitudes confirmées pas des années d’expérience, tu ne peux rien faire. J’ai quand même lutté pendant un moment. Tous les morceaux que je faisais au début de 4MP étaient à mon avis de bonnes pierres à l’édifice. Je samplais du Al Green, du Galt Mc Dermot, du Mandrill, du Millie Jackson, du Nilovic, du Chick Corea, même du Parliament sur ‘Morenas’ de Kossity. Quand vas-tu réécouter du Parliament derrière un artiste Dancehall ? Pas demain la veille, comme disait ma grand-mère.

Après, avec l’arrivée des 50 Cent et compagnie, ça s’est barré en couille. Moi aussi je me suis barré en couille. Je n’avais plus envie de faire de musique du tout, et quand j’en faisais c’était à contrecoeur, par obligation. À partir du moment où les gens ne choisissaient plus les musiques en fonction de leurs sentiments personnels mais en fonction de la soirée MTV de la veille, c’était mort. Pourtant, à l’époque, les gars voyaient Cypress Hill, tout le monde kiffait, mais personne n’a été en studio essayer de refaire du Muggs et du B-Real (pas facile d’ailleurs). Mais là on fait une compétition de duplication. C’est à celui qui arrivera à relever le défi de faire un prod à la untel sans qu’on dise « On dirait Untel« . Super jeu qui m’a vite saoulé. Voilà pourquoi j’avais perdu le goût de faire de la musique aussi. Ajouté à quelques problèmes personnels, j’ai un peu lâché prise puis j’ai repris goût très vite en partant en vacances quelque temps, puis en allant aux USA.

J’essaye de me racheter une conscience en me disant que j’ai fait de mon mieux. Je me dégoûte un peu quand je regarde les gens comme Primo ou Diamond, mais je me réjouis quand je me compare à mes confrères français. J’ai quand même un ou deux bons morceaux à mon actif. Mon nom est apparu sur quelques deux millions de disques quand même, donc évidemment y a des merdes. Mais y a de quoi faire un bonne mixtape quand même. Faut pas pousser !

« À partir du moment où les gens ne choisissaient plus les musiques en fonction de leurs sentiments personnels mais en fonction de la soirée MTV de la veille, c’était mort. »

A : Le sample est aujourd’hui une denrée rare sur les albums de rap. De ton point de vue, en quoi la situation a changé entre 1998 et aujourd’hui ?

M : Tout. Ou presque… Première chose qui a changé : avant, les rappeurs choisissaient leurs instrus en fonction de leurs oreilles, maintenant ils choisissent en fonction des ventes et des passages radios. Chaque morceau doit être un « reminder » d’un morceau existant sans pour autant que le commun des auditeurs crie au scandale. En résumé, avant t’entendais « J’veux un truc dur, plutôt sombre avec un beat qui cogne« , maintenant c’est « Fais-moi un truc à la Young Jeezy ou comme le dernier Scott Torche » – en France il se mue en Scott Torche, question de prononciation sûrement… C’est très pitoyable de voir à quel point tout le monde se calque sur le moule d’un rappeur U.S. pour reproduire le même effet, mais « à leur sauce« . J’ai vu un nombre incroyable de mecs qui avaient du talent se perdre dans les beats qu’ils choisissaient parce qu’ils écoutaient trop les conseils de leurs potes…

Le problème du « sample ou pas » dépend en fait des goûts (du moment) de l’artiste. S’il écoute Fat Joe et Lil’ Wayne, il veut du 100% synthé, s’il écoute Jay et Kanye, il tolère le sample, et s’il écoute Mobb Deep, il veut du « Kioubi ». Rien à voir avec ‘Boulbi’, le « Kioubi » est antérieur. Il trouve ses racines dans le Queens, mais s’est transformé en passant la mer. On se retrouve avec un ramassis de trucs glauques avec des kits de batteries faits maison et des synthés qui sonnent faux. Du Kioubi quoi… Y a pas de règle en France. Chacun a sa planète. Le seul vecteur commun, c’est celui de ressembler à un ricain sans trop y ressembler. Quoique depuis que la TR-808 fonctionne un peu, les mecs vont avoir du mal à cacher leurs inspirations.

A : Tu as la réputation d’être un chercheur de samples invétérés, pourtant il y avait sur le solo de Kool Shen des samples assez connus – notamment la boucle de Saint-Tropez entendue sur le « HNIC » de Prodigy. Dans ce cas-là, as-tu répondu à une demande précise du rappeur ?

M : Non… C’est le désespoir qui m’a fait sampler Saint-Tropez. J’avais fait plus de 70 sons pour l’album de Kool Shen et j’avais en stock plus de 100 beats. Je savais pertinemment que parmi ces beats se trouvaient les sons qu’ils lui manquaient pour son album. Mais apparemment, il avait en tête de me maintenir occupé alors je suis resté en studio des nuits entières pour faire des nouveaux sons, des remixes… Des fois, j’avais l’impression qu’il ne voulait pas que je rentre chez moi, je ne sais pas ! Toujours est-il que pour accélérer le processus, je me suis mis à prendre des disques où je savais que la boucle pouvait le charmer. J’ai le Saint-Tropez depuis 96. J’étais tellement obsédé par certains bacs de ma collec’ que j’avais oublié que je possédais ce bijou. C’est en le réécoutant que je me suis mis à le découper un peu et à plaquer un breakbeat qui traînait dans le coin. Cette boucle fait partie de ces tracks que j’ai fait avant que la version U.S. ne sorte, mais comme on sortait les disques à la vitesse des tortues de Galapagos, la version U.S. était connue en premier. Les gens croyaient que je mentais à l’époque, mais quand Kanye West est arrivé, j’ai jamais autant entendu la phrase « t’as entendu le track d’untel avec ton sample, là« . Ça démoralise, surtout quand tu as fait des pieds et des poings pour faire comprendre au gars qu’il serait bien qu’il rappe sur cet instru.

Le Saint-Tropez, je l’avais ramené à Busta Flex en 98. Pas assez bien pour les gens à cette époque. Retour de Saint-Tropez en 2005 après que Prodigy ait sorti sa version, le track sort sur un album de rap français. C’est ça la vie aussi. L’irrationnel. Après, l’histoire du sample de Rocca, c’est une coïncidence. J’ai entendu le track après. En grand fan de Roy Budd, ça ne m’a pas dérangé. Le seul track vraiment dur à trouver c’est ‘Un ange dans le ciel’. Akon l’a samplé après moi. Pour une fois que je gagne la course… C’est un sample de rock. Mais comme le refrain m’est insupportable, je n’ai jamais pu écouter ma version…

A : Comment travailles-tu avec Secundo ? Comment sont réparties les tâches (côté musique et côté business) ?

M : Les gens qui nous connaissent te le diront : je suis celui avec qui tu parles musique et Undo, c’est celui avec qui tu parles bizness. Maintenant, c’est une image d’Epinal qu’on véhicule pour simplifier les choses. Mais en réalité, Undo s’occupe autant de la musique que moi du bizness. On fait des réunions pour se tenir au courant de ce que chacun a fait, de ce que chacun doit faire. J’ai également des domaines de prédilection, pareil pour lui. Les drums, les samples, les claviers c’est plutôt moi. Lui va faire les instruments live (bassistes, guitaristes, etc.) ou le chant. On passe autant de temps en studio l’un et l’autre, mais pas forcément à faire les mêmes choses.

Et puis, il parle plus avec les gens que moi. Il est plus sociable… Y a des jours où je n’ai pas envie de parler et il ne vaut mieux pas que je m’occupe de quoi que ce soit ces jours-là. Et puis, on n’est pas que deux en fait. On a deux autres associés avec qui l’on investit d’autres secteurs d’activités parce que la musique ne rapporte plus autant qu’avant : on parle de revenus divisés par dix minimum. Là où tu gagnais 20 000 euros à l’année en royalties, tu peux vite tomber à 2000 euros en 2007 !

A : Qu’est-ce qui permet à votre « couple » de durer, près de 10 ans après vos débuts ?

Le fait d’aller dans des directions communes. Ça paraît con à dire, mais ça change tout. On ne traîne pas tous les jours ensemble. On ne part pas en vacances ensemble, on ne va pas au cinéma ensemble, etc. Quand on se voit, on a des trucs à se dire. Je n’ai pas l’impression de l’avoir trop vu ou trop fréquenté. On a tous les deux nos vies respectives. On ne partage pas les femmes avec qui on couche, peut-être que ça joue aussi. D’autre part, lui et moi avons éprouvé notre confiance envers l’autre. Il sait qu’il peut compter sur moi, moi pareil… Mais pas comme certains le disent, genre « la famille« … C’est plus profond. Et ce n’est pas de l’homosexualité ! On se respecte vraiment et on cherche à obtenir les mêmes choses en appliquant un principe bien connu : la synergie.

A : Pendant les dernières années, on a assisté à l’éclosion de grosses entités de production en France : Kore & Skalp, Tefa & Masta, etc. Quel regard portes-tu sur leur succès : ça t’inspire ? ça t’inquiète ?

M : Que dire pour ne pas blesser qui que ce soit… Je m’en fous royalement, cela ne m’inspire pas et cela ne m’inquiète pas. Je ne cherche pas à montrer ma tête dans les vidéos, je ne veux pas rapper, je ne veux pas clasher de rappeur connu. Mon but, c’est juste de me faire plaisir et de faire plaisir à mes enfants. J’aurais pu être dans un bureau ou à l’usine, mais j’ai choisi mon chemin de croix. Ma seule gloire, c’est quand je vais à New York, que je suis en studio avec les gars qui ont bercé mon adolescence et qui me disent « You got what it takes bro‘ ». Là, je suis heureux… Un p’tit blunt, un p’tit jus de fruit, le soir avec ma femme dans un bon resto. Assez d’argent pour faire ce que tu veux mais pas trop histoire de rester sur Terre, je suis content. Pour ce qui est du succès des autres, je m’en fous grave. Faut pas vivre en regardant chez le voisin et en comparant la taille du jardin. La seule chose qui me dérange un peu, c’est le monopole de certains « groupes de gens » qui produisent le même « type de gens » et qui tendent à uniformiser le petit monde du rap français. Comprenne qui pourra.

A : Pour finir, quelles sont les choses qui t’enthousiasment encore côté rap ?

M : Que ça recommence sur de nouvelles bases. Mais ce n’est pas possible… Je suis encore motivé, mais pas trop par le rap français en général. Il y a quelques artistes français qui me motivent, une dizaine, mais pas plus. Je suis toujours très avide auditeur de Rap US même si je réécoute de plus en plus les classiques parce que les bons albums se font rares. Mais un truc comme Hell Hath No Fury, ça me fout la patate. J’ai toujours autant d’affection pour les new-yorkais, mais j’écoute un Young Buck en boucle. Il rappe bien ce Yankee. Sinon c’est vrai que côté rap, je ne suis plus aussi motivé qu’avant. Quand tu vois la face cachée des choses, parfois tu déchantes.

Voilà, c’est fini…

On s’en refait une dans cinq ans histoire de parler du bon vieux temps. One.

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