KillASon, affaire de famille
Interview

KillASon, affaire de famille

Rencontre avec la famille Supanova. Celle de KillASon, 22 ans, rappeur, beatmaker, champion de battles de danse, et patron de label avec ses parents.

Photographie : Gregory Brandel

Il arrive parfois que l’on puisse être surpris de la tournure que peut prendre une interview. On pensait s’installer pour discuter quinze minutes tout au plus. Sauf qu’en arrivant sur place, on découvre une histoire qui nous fascine. Une clique qui nous captive.

Juin 2017, sur le Sakifo Musik Festival à La Réunion, Marcus AKA KillASon est sur sa centième date de concerts. À ses côtés, il y a sa manageuse Julie et son ingénieur du son Yvan. Jusqu’ici, rien de très original. Mais dans le cas de KillA, artiste rodé à la scène depuis qu’il est né, cette aventure se vit en famille. Il est avec sa mère, chorégraphe et interprète de renom dans la danse contemporaine et son beau-père, musicien et percussionniste émérite avec qui le petit Marcus a sillonné l’Afrique. On les regarde balancer dans un mouvement fusionnel et joyeux. On se dit que cette histoire doit être racontée. Synchronisation des agendas sur l’un des passages éclairs de Julie et Yvan, basés à Poitiers. Rendez-vous pris le 4 novembre, le jour du concert de Run The Jewels au Pitchfork Music Festival. Un groupe que la famille Supanova se doit absolument d’aller voir jouer.


A : KillASon, quand on s’est rencontrés à La Réunion, j’ai découvert que vous étiez un trio…

Yvan : On est quatre même. Il y a Charlotte Corre qui bosse avec nous sur notre label Supanova.

Julie : Marcus a eu la chance de baigner dans le mouvement, la danse et la musique depuis sa naissance. Mais on lui a laissé une certaine liberté. On ne lui a pas dit « tu seras danseur, musicien ou chanteur.» C’est lui qui a pris ses décisions. Après la sortie de son premier EP The Rize en 2016, il est venu me voir : « Écoute maman, j’ai travaillé pour la musique avec Yvan et j’aimerais beaucoup que tu deviennes ma manageuse.» Sur le coup, je n’étais pas certaine de pouvoir le faire parce que ce n’était pas mon métier. Mais l’idée de coacher un artiste me plaisait bien.

Y : Julie fait ça depuis toujours en même temps. Elle est chorégraphe et se retrouve avec au moins une dizaine de personnes à driver sur chaque création. Elle est chef d’entreprise et c’est elle qui fait vivre la famille. Même si j’ai ma carrière aussi. Devenir manageuse c’était juste changer de nom.

KillASon : On me demande souvent : « Comment est-ce que tu fais ? Ce n’est pas trop compliqué de travailler avec tes parents ? » Non, on travaille pour notre intérêt commun, notre famille. Là, ça fait vraiment deux ans que je suis dans la musique, on est encore à la genèse de mon projet. Il y a aussi les projets électro d’Yvan. On va voir comment on se développe.

A : Tu dis que tu fais de « l’energy music » KillASon. Pourquoi ? 

KillASon : Parce que je veux mettre des sourires sur le visages de gens. C’est important et je m’en aperçois un peu plus chaque jour. Au début, je me cherchais : « Est-ce qu’il faut aller vers quelque chose de plus sombre ? Plus sérieux ? » Non, j’aime les punchlines qui font marrer, la danse et la joie.

A : KillASon, c’est d’ailleurs une référence à la danse et à ton groupe le Wanted Posse.

K : Oui. Dans ce groupe, on porte tous le suffixe « Son ». C’est un moyen de ralliement au collectif. Le « KillA » c’est un hommage à mon mentor, Deadson Killa. Quand j’ai été sacré Wanted, ça me paraissait logique de choisir ce nom. J’ai rencontré les Wanted à l’âge de 8 ans et j’ai rejoint le crew à 17 ans. Je ne suis pas prêt d’en sortir. Je suis « Wanted for Life ! »

A : En parlant de danse, peux-tu me raconter ton parcours Julie ? 

J : J’ai fait des études d’éducation physique et sportive option danse contemporaine à Paris. Après ma licence, j’ai passé des auditions avec Decouflé et Jean-François Duroure, un ancien danseur de Pina Bausch. J’ai été prise aux deux. Ensuite, il y a eu beaucoup de rencontres. J’ai fait la promo du Voguing. À l’époque Madonna n’était pas encore arrivée avec son titre « Vogue ». C’était Malcolm Mc Laren qui en faisait la promotion. J’ai travaillé avec des chanteurs : Yannick Noah, Lara Fabian, Angélique Kidjo…fait plein de télés. J’ai beaucoup tourné et côtoyé énormément de chorégraphes contemporains en France et en Afrique. J’aurais pu faire carrière en étant danseuse et interprète. Mais j’ai fait le choix de devenir chorégraphe parce que j’avais vraiment des choses à dire. J’ai toujours eu envie de parler de la femme. Ça peut sembler commun mais on a tellement de choses à donner. On crée la vie et ce n’est pas rien. C’est difficile d’être une femme, artiste, noire.

A : KillASon a d’ailleurs ce titre « Illumina » qui parle de toi Julie.

J : C’est vraiment un bel hommage à mon combat. Le fait d’être une rebelle, une amazone qui ne lâche rien. À 18 ans, j’ai quitté la Bretagne pour Paris. Ça n’a pas été facile mais j’ai monté mes pièces et ma compagnie. Entre temps, j’ai rencontré Yvan sur un stage de danse à Bordeaux qui est devenu le compositeur fidèle de ma compagnie. Il jouait d’un instrument que je n’avais jamais entendu, le bolon. « Mais qui est ce petit bonhomme ? » Ça m’a tout de suite pris parce que je suis une artiste qui aime la basse. En plus il me plaisait bien !

Y : Parenthèse de musicien, le bolon c’est l’ancêtre de la kora. Pour la faire simple, c’est une contrebasse à trois cordes en peau de chèvre. C’est un instrument daté dans les cultures orales vers la fin du 12e siècle. Il accompagnait les guerriers mandingues en première ligne. Ils jouaient des rythmes lents quand ils approchaient du combat. Avec la musique qui accélérait, on savait que le bataille allait commencer.
Si Julie aime les basses et le bolon, c’est parce qu’elle vient du Bénin. Dans la zone sub-saharienne : du Sénégal, Mali, Burkina…ce sont les sons aigus qui drivent la musique. Traditionnellement dans son pays, les basses sont les solistes. Julie est née en France mais on ne quitte pas une culture en passant une frontière. KillA a donc eu la chance d’être satellisé sur tous ces plans là. Surtout que dans la famille de Julie, il y a cette notion d’héritage musical que je n’ai pas connu. Ça a toujours été très présent dans leur quotidien. La grand-mère de KillA chante sur STW1. Si je mets de la house à son grand-père de 85 ans, il se lève pour danser. Chez nous, il n’y avait pas de musique. Si j’entendais des chants grégoriens le dimanche c’est que mon père faisait les comptes. Il fallait absolument sortir de la maison parce que ça allait chauffer. On n’avait jamais de thune même si on n’était pas malheureux.

A : Yvan, comment est né ton intérêt pour l’histoire de la musique africaine ? 

Y:  La musique est apparue dans ma vie grâce au voyage et à l’histoire de France. Je suis un irlando-breton, j’ai grandi en banlieue de Paris et ça a plutôt été une aubaine contrairement à cette image que l’on peut donner. Si je suis allé en Afrique, ce n’est pas un hasard. À l’école il y avait toutes les nationalités. Je suis hyper militant là-dessus. Aujourd’hui pour me définir, je dirais qu’il y a la danse, l’Afrique, la musique électronique et les percussions. Même s’il n’y a pas de tambours ou de musiques ethniques sur mon nouvel EP Caryotype [NDLR : sortie en prévue en mars 2018 sous le nom « D »]. En 2008, j’ai fait un album qui s’appelle No Black, No White, Just Voodoo. Cette musique n’était pas tendance mais j’ai tourné huit ans grâce à mon réseau des scènes nationales et mon statut de compositeur pour la danse. En ce moment, il y a beaucoup de productions de DJs avec des chants africains. Avec ce projet, j’avais la prétention d’aller un peu plus loin que de poser un beat électro sur des cantatrices maliennes. Les rythmes en Afrique et les gammes utilisées sont tellement profonds.

« j’ai toujours voulu devenir une super star. Je n’ai pas de problème à le dire et ça ne m’empêche pas de respecter mes aînés. »

A : Tu as étudié la musique en Afrique ? 

Y : J’ai un diplôme d’État et un certificat d’aptitude de musique traditionnelle africaine. Je peux donc enseigner en conservatoire. Mais je ne suis pas allé faire des stages de djembe dans une école au Mali. J’ai eu la chance de rencontrer un ethno-musicologue. Il m’a expliqué comment enregistrer la musique dans les villages et l’étudier par rapport sa diaspora. J’ai appris les rythmes comme ça, en étudiant le trajet des ethnies depuis le treizième siècle en Afrique de l’Ouest.

A : Quand on a des parents artistes, on n’a pas la pression avant de se lancer KillASon ? 

K : Non, j’ai juste foncé. À 17 ans, Yvan m’a offert mon premier ordi. Pas d’internet ou de jeux, il y avait juste de quoi faire du son. Il m’a appris la MAO et j’ai commencé à faire mes premières prods. J’avais déjà enregistré un morceau avec Yvan quand j’avais 14 ans mais c’était plus ou moins resté dans la phase du dream.

A : Il ressemblait à quoi ce premier son ? 

K : La production était vraiment cool mais ce n’était pas fou niveau contenu. Ça parlait de la force venue du continent mère. La première fois que je suis allé en Afrique, j’avais 7 ans. J’ai été scolarisé là-bas pendant deux ou trois mois au Cameroun. Je suis allé deux fois au Burkina ensuite. C’est clair que ça m’a permis de réaliser pas mal de choses.

Y : Il ne faut jamais confondre la visibilité que tu as dans le milieu artistique et ton talent. Quand je l’emmenais avec moi dans des villages au Burkina, apprendre avec mes maîtres. Que j’étais là pour étudier une guitare à deux cordes, ancêtre du blues ou du funk, enregistrée une fois par un pasteur en 1961. KillA se retrouvait face à des gens ultra-puissants qui ne sont pas sur Deezer ou à faire des selfies toutes les cinq minutes. Dans la famille, on remet constamment en question ce que l’on fait par rapport au globe terrestre. On a notre part à donner mais il faut rester humble. On apprend à KillASon à faire une carrière, pas à fantasmer d’être quelqu’un de connu. Et il fait ce truc que nous n’avons pas fait à son âge, il est président de sa société à 22 ans.

A : C’est toi le patron du label KillASon ?

K : Oui. J’ai toujours voulu être un petit chef ! On a monté cette société avec Yvan et Julie. On est un label, un éditeur et un producteur de spectacles. C’est une aventure très chronophage. Il y a beaucoup de paperasse, il faut réussir à trouver les bons partenaires. Ce n’est pas facile mais on est libres.

J : Quand Marcus était tout petit, je lui disais souvent : « Tu seras un grand leader, tu vas sauver le monde.» Et il me regardait avec de grands yeux.

K : De Fou !

J : Marcus nous a toujours surpris. Très jeune, il savait déjà où il voulait aller. Vers l’âge de 12 ou 13 ans, il dansait déjà avec le groupe Undercover. Un jour, il est arrivé « maman, là on prépare un concours de danse. Je crois qu’on va gagner. Il faut que tu ailles à la Mairie pour faire mon passeport. Je vais à Las Vegas.» Effectivement, ils ont gagné la finale France et sont allés représenter la France aux États-Unis.

Y : La recherche de Supanova aujourd’hui, c’est l’autonomie. Et KillA a des objectifs qui ne sont pas les mêmes que les nôtres. Si on m’avait dit à 22 ans : « je veux être dans le game money, tout péter » comme il est capable de le faire, j’aurais certainement répondu que ce n’est pas ça le but de la vie. Sauf que le monde a beaucoup changé.

K : Il y a vraiment deux parties. La musique c’est vital pour moi. Mais j’ai toujours voulu devenir une super star. Je n’ai pas de problème à le dire. Ça fait partie de ma personnalité. Ça ne m’empêche pas de respecter mes aînés. Quand on est vrai et intègre, il n’y a pas de problème. Après en soi, la finalité va beaucoup plus loin. Souvent je me rappelle de cette petite phrase que Julie me disait « tu sauveras le monde ». Sauf que dans ma tête, je suis là : « ok, on fait ça comment ? » Faire du biff c’est un moyen d’atteindre un objectif beaucoup plus grand mais qui est encore un peu flou.

Y : Pour ce qui est de faire de la thune, il y aussi cette réalité qui vous rattrape : on produit une musique qui coûte beaucoup plus d’argent. Quand j’allais chercher mes peaux de bêtes au village pour construire mon tambour, ce que je gagnais allait de paire avec ce que je dépensais. KillASon est dans l’ère du numérique. Si on achète un micro à 3000 euros pour enregistrer sa voix, il faut que cet argent rentre dans les caisses à un moment.

A : Pourquoi est-ce que vous n’avez pas signé en major ? 

J : Quand The Rize est sorti, on a été contactés par plusieurs majors mais on n’a pas réussi à trouver chaussure à notre pied. On savait que ça allait être dur d’être indépendants pendant au moins deux ou trois ans. On a un mécène qui nous aide, autrement ça serait vraiment très compliqué. Mais c’est notre choix, on veut se battre pour ça. Dans certaines majors c’était d’emblée « pourquoi tu chantes en anglais ? » Ça nous a bloqués.

Y :  Après on a été bien reçus et il y a des équipes avec lesquelles on avait vraiment envie de travailler. Mais ce qui nous intéressait c’était de la coproduction, un contrat de licence. On ne voulait pas être pieds et mains liés. Surtout que KillASon est encore étudiant. Une major a des deadlines et c’est difficile de les repousser s’il a des partiels par exemple. Et puis quid d’un changement de direction, le nouveau directeur n’aime pas KillASon, le projet n’est plus développé.

K :  Là où je pensais qu’on en aurait besoin, on s’en sort bien tout seuls. Je travaille avec plusieurs marques qui me contactent en direct. Pour les clips, on arrive à trouver d’autres solutions. Heureusement qu’on n’a pas signé. On n’était pas nécessairement contre mais on est super contents de notre parcours. Et qui sait, ma musique deviendra peut-être la nouvelle tendance ? Ça peut péter dans 5 ans, 6 ou 3 mois ? C’est ça la force de la musique, tu ne peux jamais vraiment savoir. Autant rester dans son truc plutôt que d’essayer de copier les autres.

Y : Si tu copies quelqu’un c’est que tu es déjà en retard. Et si tout le monde avait la recette pour faire des tubes, tout le monde ferait des tubes. Prenons Miriam Makeba, pour ma culture. Elle a fait un morceau sans refrain et ça été un carton mondial. Un titre peut marcher sans avoir les critères attendus.

« Le hip-hop reste ma fondation. »

A : Vous parlez de ces étapes à passer, le million sur YouTube, etc ? 

K : Constamment. Comme je fais des études de marketing, ça me parle énormément. Tout ce qui est communication, image, million, comment vendre quelque chose…

Y: Je ne m’en fiche pas mais c’est vrai que ça me parle moins donc je leur laisse le soin de regarder.

J : Chacun son truc. Je ne suis pas née avec les réseaux sociaux mais Marcus si ! C’est normal qu’il soit au fait de ces choses là. De mon côté, je regarde les autres artistes. J’écoute beaucoup la radio. Et j’essaie de comprendre ce qui marche. Il faut faire attention à ça.

Y : Mon boulot c’est de faire en sorte que demain, il puisse avoir un son aussi puissant qu’un Etienne de Crécy s’il fait un Bercy. La French touch, c’est l’une des grandes forces de la musique française à l’échelle mondiale. Tout comme le rap. Il faut savoir tirer profit de son héritage, de sa culture et de son environnement. On parlait de la carrière de Julie tout à l’heure. C’est la seule qui est arrivée en danse contemporaine avec un corps d’athlète sur des musiques techno de Jeff Mills en 95. C’est le genre de travail que nous faisons. KillASon ne sera jamais là où on l’attend.

K : Et je pense que l’appellation « rap électro » ou « hip-hop électro » c’est ce qui définit bien ma musique. Techniquement, si je suis un peu grossier : dans l’électro tu peux passer le côté pop, rock, un peu plus reggae que je peux amener et le hip-hop ça reste ma fondation. Le rap ça ne bougera pas. Aussi bien dans la rythmique que dans le flow ou les punchlines.

A : KillASon, tu arrives avec ton troisième EP « STW2». Qu’est-ce ce nom « STW» veut dire pour toi ?

K : C’est pour le dyptique « Strange The World », « rendre le monde étrange ». On a d’ailleurs choisi de réunir sur vinyle les deux volets de STW. Avec ce projet, je voulais vraiment  m’affirmer en tant que chanteur. Dans notre famille, on est assez pragmatiques. On ne dit jamais qu’on est ci ou ça avant d’avoir travaillé un minimum. Pour me présenter en tant que rappeur, il a fallu que je sorte The Rize. Maintenant, j’essaie de me considérer comme un artiste-chanteur. Je n’ai pas encore une technique extraordinaire. Mais je prends des cours de chant. Je ne peux pas arriver sur scène et rapper les passages où je devrais chanter. Il faut pouvoir assurer !

A : Faire de la musique en famille, ça doit être une sacré aventure ! 

Y : Oui et je crois que dans cette famille, on ne sait pas faire autre chose que d’exprimer ce que l’on a à dire…

J : Et vraiment, j’espère que ça va payer. Que l’on va récolter les fruits parce qu’on bosse vraiment comme des malades…

K : C’est vrai. Mais ça va finir par arriver. Je suis à fond sur les énergies, j’essaie de rester positif. C’est comme ça que tu attires les bonnes personnes. Que les étoiles s’alignent pour toi. Mais il y a quand même une règle : il faut travailler.

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