Kaaris : « Les compromis, ça n’existe pas »
Interview

Kaaris : « Les compromis, ça n’existe pas »

« Kaaris, Kaaris. » « Oh Clique ! ». « Sevran ». Les gimmicks de Kaaris sont déjà célèbres, sa verve déjà célébrée. Pourtant, si son personnage fascine, le voile sur sa personnalité n’a pas encore été levé. Tentative de décryptage d’un vrai phénomène.

et Photographie : Draft Dodgers

AZ a eu son « Life’s a Bitch », Kaaris a eu son « Kalash ». Ce genre de morceau inattendu où l’outsider réussit à voler la vedette à la talentueuse tête d’affiche. Même si Kaaris avait déjà un sérieux parcours avant de rencontrer Booba, « Kalash » et, dans une moindre mesure « Criminelle League », ont joué un rôle d’accélérateur sans précédent dans la carrière du rappeur de Sevran. Sauf que ce serait trop facile de résumer la nouvelle exposition de Kaaris à sa seule accointance avec B20. Il suffit d’écouter le principal intéressé pour comprendre que c’est surtout le partenariat avec Therapy qui a été un véritable détonateur. Forts d’une alchimie déjà prouvée sur Z.E.R.O et confirmée lors des premiers extraits d’Or Noir, les deux compères sont aussi concernés l’un que l’autre par la sortie du premier album de Kaaris. C’est donc à Bondy, dans le studio de son désormais beatmaker attitré, que l’on rencontre le MC, affable et à la parole généreuse. Le résultat est une discussion fleuve avec un rappeur qui a décidé de « prendre tout ce qu’il y avait à prendre. »

Abcdr du Son : Tu as explosé récemment mais tu rappes depuis plusieurs années. Tu avais notamment commencé avec le collectif Niroshima. Est-ce que tu peux revenir sur ces débuts ?

Kaaris : Mon parcours est vraiment atypique. J’ai connu le collectif Niroshima en 2000 à l’époque où je faisais des freestyles sur Paname. Il y avait parfois des rondes avec des mecs qui se réunissaient et faisaient des freestyles… Un peu comme ce qu’ils font aujourd’hui avec les clashs, les Contenders où je ne sais pas quoi [NDLR : Rap Contenders]. C’était ce genre de trucs, ça se passait sur Châtelet et on freestylait. J’avais un pote qui aimait bien ce que je faisais et qui connaissait quelqu’un qui connaissait Niro de Niroshima, 2 Bal 2 Neg’ … Les mecs ont écouté et aimaient bien ce que je faisais même si c’était encore très brouillon, je ne connaissais pas bien les mesures… Mais on m’a donné ma chance. À l’époque, je ne prenais pas du tout le rap au sérieux. Je pense que j’étais comme certains jeunes aujourd’hui, c’est-à-dire que je ne considérais même pas le rap comme une musique. Je pensais qu’à partir du moment où tu traînais en bas des tours, tu pouvais faire du rap.

A : Avant de les rencontrer, tu écoutais des gens comme Niro ou les 2 Bal 2 Neg’ ?

K : Bien sûr ! Les 2 Bal 2 Neg’ ont sorti de gros classiques. Forcément, quand je me suis retrouvé face à eux, je n’étais pas impressionné mais j’étais très content d’être là. Ils faisaient partie des mecs qui faisaient du bruit et on disait même que, sur scène, ils étaient en concurrence avec NTM à l’époque ! En sachant que NTM était quand même LE groupe du live. 2 Bal 2 Neg’, c’était vraiment un groupe important que j’étais heureux de côtoyer.

A : Même si tu as fait beaucoup de featurings dans le passé, on a l’impression que tu as moins envie de te mélanger aujourd’hui et que ton identité est très marquée. Quels sont les disques de rap français qui ont pu t’influencer ou au moins te donner envie de prendre le micro quand tu étais plus jeune ?

K : Bien sûr qu’il y a des groupes de rap qui m’ont influencé mais si je commence à les citer, je vais te donner la même liste que tout le monde et ça ne va pas être intéressant. En revanche, c’est vrai que je n’ai pas collaboré avec beaucoup d’artistes ces derniers temps. En même temps, je n’ai pas fait beaucoup de projets. Les feats, ça n’est pas quelque chose de mécanique non plus. Il faut que l’artiste que je contacte ait envie de faire un morceau avec moi. Aujourd’hui, ça n’est pas à l’ordre du jour de multiplier les featurings et je voulais vraiment me concentrer sur moi et mon album. Ceci dit, je ne suis absolument pas fermé aux collaborations. C’est un bon exercice pour un rappeur : tu rencontres un artiste que tu apprécies et tu as envie d’être meilleur que lui. Il y a une rencontre, il y a quelque chose qui se passe et je suis toujours chaud pour ça. C’est juste que ça n’était pas ce qu’on voulait faire. La priorité, c’était l’album et il fallait que je fasse un maximum de titres. J’ai rappé du début jusqu’à la fin.

A : Tu as sorti un premier projet en 2007, 43ème Bima, alors que tu rappais déjà depuis quelques années. Dans quelles circonstances as-tu sorti ce projet ?

K : Très simplement. Je me suis retrouvé chez un beatmaker qui connaissait une famille qui était dans le textile, qui appréciait la musique mais qui ne savait pas trop comment intégrer ce milieu. Je me retrouve dans le studio de cette personne qui apprécie ce que je fais et qui me dit qu’il va sortir mon CD. Sauf qu’à ce moment, tout le monde croit qu’on va sortir le CD et qu’on va péter le score dans la foulée. Parce qu’on ne connaissait rien. Une fois que le CD sort et que tu te rends compte qu’il n’y a pas que la fabrication du disque et le studio qui comptent, tu revois un peu tes ambitions à la baisse. On s’est rendu compte que, dans l’équipe, personne ne connaissait rien. Forcément, ça a créé une tension entre nous et chacun a suivi sa route. Rien de bien méchant et je reste fier de CD. Peut-être que les gens vont le redécouvrir et se rendre compte que j’ai toujours rappé de la même manière. On pense que j’ai adopté un nouveau style depuis « Kalash » voire « Criminelle League » alors que j’étais déjà comme ça. Après 43ème Bima, j’avais sorti un morceau qui s’appelait « Une armée de soucis »… Ça a toujours été le rap de Kaaris. Peut-être que je me suis amélioré depuis grâce aux rencontres que j’ai faites mais j’ai toujours eu cette base.

A : On a aussi l’impression que ton rap a évolué avec les sonorités du moment. Tu es un de ceux qui font de la vraie trap music en France. Comment est-ce que tu es tombé dedans ?

K : C’est vrai qu’on parle de trap music alors que, finalement, ça ressemble à ce qu’on appelait le dirty south il y a quelques années… En plus lent peut-être et avec un nouveau style de flow, plus saccadé. C’est quelque chose que j’ai commencé à travailler depuis un moment mais on s’est vraiment amélioré avec Therapy. Therapy écoute beaucoup de trap, Zaz [NDLR : beatmaker qui travaille avec Kaaris] écoute beaucoup de trap… On a progressé ensemble. C’était quelque chose que je faisais déjà sauf qu’on a ralenti le beat… Et que, généralement, les Français ont un problème quand le beat est ralenti. Mais ils vont apprendre. De toute façon, on ne va leur donner que ça. Sauf s’ils veulent continuer à écouter le passé mais ça c’est leur problème.

A : On parlait de tes influences. Est-ce que tu as été davantage nourri par le rap américain, notamment celui venant du sud des Etats-Unis ?

K : On est tous influencé par le rap américain. Même les groupes de rap français historiques comme IAM et NTM ont été influencés par le rap américain. Sauf qu’IAM a été influencé sur le plan musical mais, sur le plan vestimentaire, ils ont toujours ressemblé à des mecs de la Poste [Rire]. Après, c’est vrai que j’ai écouté du rap new-yorkais pendant longtemps et lorsque le sud est arrivé et a pris le dessus, je m’y suis mis. Aujourd’hui, il y a aussi le rap de Chicago, il y a un vivier incroyable, plein de truc se passent… C’est une culture de fou !

A : Z.E.R.O est sorti dans le courant de l’année 2011, un projet majoritairement produit par Therapy. Comment est-ce que vous vous êtes trouvés ?

K : Je te parlais de mon parcours et j’ai rencontré beaucoup de gens. Comme on dit chez nous, chacun son mektoub. J’ai toujours mené ma vie tranquillement mais, sur le plan musical, j’ai eu une longue traversée du désert. La musique est devenue une passion, voire même une obsession puisque je me levais tous les matins pour ça. Chaque rencontre m’a apporté quelque chose. Evidemment, ma plus belle rencontre musicale, même si ça dépasse la musique aujourd’hui, c’est Therapy. En sachant qu’il était déjà loin quand je l’ai rencontré.

Medi Med, le DJ de Booba, m’a appelé pour me proposer de faire Autopsie 4. Comme on s’est bien entendu, il a eu envie de me présenter à Therapy et Chris Macari. Quand je suis arrivé au studio, Therapy avait déjà écouté quelques-uns de mes sons mais il n’avait pas encore de structure. À la base, c’est un beatmaker qui passe sa vie dans sa cave à faire des instrus. Quand je suis arrivé, il s’est dit qu’il y avait peut-être quelque chose à faire avec moi et qu’il m’appellerait sûrement le jour où il aurait sa structure. Pendant ce temps, j’ai continué ma route avec Z.E.R.O et on s’est retrouvé quelques mois après. Même si Z.E.R.O n’a pas explosé et fait plus de bruit que ça, il s’est passé quelque chose qu’on a eu envie d’exploiter. En tout cas, c’était une étape marquante. C’est comme si j’avais avancé d’un pas chaque année pendant treize années de rap et que j’avais fait un bond de sept lieues après ma rencontre avec Therapy.

A : Il y a une interview faite par Streetlive qui date de 2010 dans laquelle tu disais avancer tout doucement tout en sachant que tu exploserais à un moment. Tu étais sûr que ça allait marcher ?

K : Je crois même que cette interview datait de 2009… Mais, non, je n’étais sûr de rien et si j’ai dit ça c’est parce qu’il faut croire en soi, quoi qu’il arrive. Si tu n’es pas sûr de toi, qui va être sûr pour toi ? Je me devais d’afficher cette image mais il aurait pu ne rien se passer derrière, je ne suis pas devin. Tout ce que je pouvais faire, c’était continuer à pousser et je pense que c’est ce que j’avais voulu expliquer. Et je ne cherchais même pas à ralentir le truc pour dire « là je prends mon temps, c’est volontaire… ». Non, ça s’est passé comme ça, c’est mon mektoub.

A : Est-ce que ça n’est pas une espèce d’avantage d’exploser plus tard ? Tu as déjà une certaine expérience dans le milieu de la musique …

K : C’est une vraie question que tu me poses parce que les gens pensent que je fais partie de la nouvelle génération… Je ne connais pas le vécu des autres mais il y a une chose dont je suis certain : si j’ai mis plus de temps à me faire remarquer c’est aussi parce que j’ai fait des choses. Et j’ai rencontré des gens. J’ai rencontré toutes les couleurs, toutes les cultures et toutes les religions. J’ai travaillé avec des feujs, des musulmans, des chrétiens, des blancs, des noirs, des rebeus… On a tous quelque chose à se reprocher et personne n’est meilleur que l’autre [Sourire]. J’ai rencontré tout le monde. Si j’insiste là-dessus, c’est pour dire que j’ai vu du pays pendant ces années et ça m’a forgé. Aujourd’hui, je ne me fie plus aux apparences et j’essaie de connaître la personne avant de porter un jugement. Et j’essaie d’être calme ! Avant, j’étais toujours speed, je démarrais au quart de tour alors qu’aujourd’hui j’essaie d’analyser la situation.

Musicalement parlant, je n’ai jamais arrêté d’écrire. Même quand j’étais au bled pendant une pige, j’écrivais et je remplissais des tonnes de cahiers. Je suis Ivoirien et, bizarrement, l’armée peut sortir et tirer dans les rues… On va rester dans la rue. Alors que s’il se met à pleuvoir, on va tous se réfugier à l’intérieur. On a plus peur de la pluie que des balles [Sourire]. Quand il pleuvait, j’allais à l’intérieur et je n’arrêtais pas d’écrire. Il y avait une radio qui passait des sons cainris et j’écrivais par-dessus les morceaux. Je n’ai jamais arrêté de me prendre la tête.

A : Tous ces textes que tu as écris pendant des années, tu penses les ressortir ?

K : Pour la majorité, je ne sais même pas où ils sont [Rire]. On dit que c’est en forgeant qu’on devient forgeron et c’est vrai. Plus tu écris et plus tu vas devenir bon. Même si tu ne vas pas garder tes textes, tu progresses et, par la suite, tu vas avoir une facilité à sortir certaines choses. Des fois, tu écris une punchline que tu trouves un peu pétée et les gens vont la trouver dingue. Ce sont souvent mes textes les plus simples qui provoquent ce genre de réactions.

A : Contrairement à quelqu’un qui aurait explosé à dix-neuf ans grâce à un titre, tu as eu une vie avant le rap…

K : [Il coupe] Si j’avais explosé il y a dix ans, je serai peut-être has-been aujourd’hui. Peut-être que je sortirais des morceaux que personne ne calculerait… Si ça s’est passé aujourd’hui, c’est que ça devait se passer aujourd’hui. Peut-être que ça va durer deux ans et que ça s’arrêtera… Pour l’instant, je prends ce qu’il y a à prendre.

A : Justement, est-ce que tu penses que c’est important que tu aies eu cette vie à côté, que tu n’aies pas été uniquement un rappeur ?

K : C’est super important ce que tu viens de me dire. Je ne vais pas parler de star system à notre niveau mais quand on commence à te reconnaître un peu dans la rue, tu as des mecs qui vont péter des câbles alors qu’ils n’ont même pas sorti un seul tube. Les mecs deviennent fous, se mettent des tatouages partout… Bon, on peut se faire des tatouages et, moi-même, j’en ai un mais il n’est pas lié au rap. En tout cas, cette première vie fait en sorte que je garde les pieds sur terre. J’ai tellement galéré… Il y a cinq ou six ans, je voyais les mecs qui avaient des Planète Rap et je les enviais. Là, j’ai un Planète Rap dans quelques jours, c’est bien mais j’ai tellement galéré que c’est normal d’en avoir un. Tout ce qui est en train de se passer, c’est normal. Quelqu’un qui galère et qui va lire l’interview va me prendre pour un ouf mais je te jure, c’est normal. C’est le minimum. Je vais prendre encore plus.

« En Côte d’Ivoire, on a plus peur de la pluie que des balles. »

A : Il y a un travail visuel très soigné sur chacun de tes clips avec une vraie identité. On reconnait tout de suite le « personnage » Kaaris.

K : Tu sais ce qui est mieux dans tout ça ? Quand tu ne fais pas exprès. La caméra s’allume et je fais ce que j’ai à faire. Je ne cherche pas à ressembler à quelqu’un d’autre ou à bouger d’une certaine manière… Je fais mon truc. Après, on s’inspire tous de quelque chose et je peux avoir des idées en regardant d’autres vidéos mais je fais ce que j’aime. Ma seule direction, ce sont mes goûts et mon envie. Je ne cherche pas à faire autre chose.

En tout cas, c’est sûr que Chris Macari a été une rencontre importante. Même si j’avais fait quelques bons clips avant de le rencontrer. Après, Chris, c’est un autre niveau et, si tu veux faire un bon truc, il faut bosser avec les meilleurs. Ceci dit, il y a d’autres gens qui sont bons et je ne suis pas marié avec Chris. Aujourd’hui, on travaille ensemble parce qu’il est bon, qu’il a toujours répondu présent et que c’est la famille mais si quelqu’un d’autre nous propose quelque chose et que Chris n’est pas disponible, on bossera avec lui. En tout cas, j’ai senti que je passais un cap quand j’ai travaillé avec lui. Notre premier clip c’était « Le légiste » … et c’était quelque chose ! En plus, c’est toujours étonnant de voir Chris travailler : il tient la caméra avec une main, des fois il ne te filme même pas et tu ne comprends pas comment il a fait pour en arriver à ce résultat, il a toujours plein d’idées… On fait du bon boulot ensemble.

A : Tu as sorti plusieurs extraits avant l’album.

K : On a misé sur ce genre d’attaque, une frappe tous les trois-quatre mois avant un pilonnage avant la sortie de l’album.

A : Est-ce que tu as été surpris de l’impact de « Zoo » ?

K : Je me suis rendu compte de son impact quand je me suis retrouvé à Toulon en train de marcher sur la plage et que des petits de dix-sept ans sont venus me parler comme s’ils avaient vu un fantôme. D’ailleurs, c’est bizarre mais dès que les petits viennent me parler, ils sortent tous de prison et ont fait les trucs les plus dingues de la planète. Tous les petits que je rencontre se disent criminels [Rire] ! En tout cas, je les ai vus arriver, ils connaissaient le morceau « Zoo » et c’est là que j’ai compris que quelque chose se passait, même s’il y avait eu « Kalash » avant. Je sais que le couplet que j’ai fait sur « Kalash » a plu aux gens mais c’est vrai qu’il fallait frapper fort après et, surtout, il ne fallait pas attendre. En tout cas, on a été étonné par le résultat, comme tout le monde, mais on savait qu’il y avait un truc quand même. On ne savait juste pas si les gens allaient le comprendre. On se posait beaucoup de questions : il n’y a pas beaucoup de paroles, il y a beaucoup d’échos, on n’a pas beaucoup entendu ça en France… Finalement, les gens l’ont compris.

A : Ce morceau a dépassé le cadre du rap et a même été parodié par Willaxxx. Comment est-ce que tu as pris ça ?

K : Je n’ai pas trouvé la parodie spécialement drôle mais c’était logique. Le morceau a pris une telle ampleur qu’il y a forcément des mecs à côté qui vont essayer de se raccrocher au navire ou de la parodier. La plupart du temps, les gens qui font ça sont avant tout des kiffeurs. Là, Willaxxx savait que le morceau était bon et c’est pour ça qu’il a fait son truc. Après, très honnêtement, je m’en fous.

A : Est-ce que tu vois toi aussi « Kalash » comme un détonateur ?

K : « Kalash », ça a été un gros palier. Mehdi [NDLR : prénom de Therapy 2093] me disait « viens travailler avec moi, tu verras, on va faire un morceau de fou avec Kopp ». On le pressentait un peu [Sourire]. Il y avait déjà eu « Criminelle League » mais il n’avait pas été exposé de la même manière et n’avait pas eu le même impact. Au moment de « Criminelle League », les gens me découvraient vraiment. J’ai fait des morceaux avant et les afficionados qui suivent depuis 43ème Bima le savaient mais, sinon, j’étais encore un inconnu. Certaines personnes se sont même demandé pourquoi Booba faisait un feat avec moi. « Il sort d’où ce Kaaris ? » Plein de gens ne savaient pas. C’est quand ils ont écouté « Kalash » qu’ils ont fait le rapprochement avec les quelques morceaux sur lesquels ils m’avaient déjà entendu. Avant que « Kalash » sorte, il y a peut-être même des gens qui en regardant le tracklisting se demandaient pourquoi Booba faisait un feat avec ce type. « Pourquoi il fait ça ? » Il faut écouter avant de juger.

A : Finalement, tu as très peu de temps de parole sur « Kalash »…

K : J’ai fait un douze mesures. C’était voulu et on a essayé d’être le plus efficace possible. Comme pour « Zoo », je me posais beaucoup de questions et je me demandais si les gens allaient comprendre le couplet…

A : Quand tu écris ce douze mesures, ce ne sont que des choses récentes ou tu pioches dans un de tes cahiers ?

K : Non, ça n’était que des choses récentes. Il y a des morceaux que je mets du temps à écrire et il y a des choses que j’écris très vite. Celui-ci, je l’ai écrit extrêmement vite. Sur ce morceau, je rappais avec et contre Booba. Lorsque tu fais un feat, tu viens mais tu veux être meilleur que l’autre. Et c’est la même pour lui ! « On se connaît, il n’y a pas de problème entre nous mais sache que je ne vais pas te louper. » Il fallait que je sois au niveau sinon j’étais mort, comme ça a été le cas pour la plupart des rappeurs qui ont posé avec Booba. Je pense que lui aussi aime la compétition.
A : On parlait de ton écriture. Qu’est-ce qui peut t’inspirer ?

K : Je m’inspire de tout. Même toi, tu peux m’inspirer ! Sans t’en rendre compte, tu vas peut-être prononcer une phase que je vais trouver mortelle. Je regarde beaucoup de films, j’écoute beaucoup de musique et des choses super variées… J’ai une mémoire particulière. Quand je vais regarder un film, je ne vais me souvenir que d’une phrase. Je ne saurais pas te dire qui était l’acteur ou comment est-ce que le film s’appelait. Mais je me souviendrais de cette phrase.

A : Tu as parfois des références inattendues. Tu cites le couturier Yamamoto par exemple…

K : [Il coupe] Il est connu lui ! Après, c’est vrai que la jeunesse « je m’en bats les couilles » de dix-sept piges ne saura sûrement pas qui c’est. Par exemple, quand je tombe sur un film en noir et blanc, je ne vais pas zapper. Je vais regarder et je vais lui donner une chance. Je pense que les plus jeunes vont changer directement de chaîne et se mettre sur l’Ile de la Tentation… Je ne regarde pas ces conneries là [Sourire]. Je pense que ça dépend de la sensibilité de chacun.

A  Tu cites très régulièrement Sevran également…

K : C’est normal, c’est mon quartier. Il faut que je rappelle aux gens que je viens de là. Sevran est la ville la plus pauvre de Seine-Saint-Denis. Et la Seine Saint-Denis est le département le plus pauvre de France. Je ne dis pas que Sevran est la ville la plus pauvre de France mais elle fait forcément partie des plus pauvres… Il n’y a rien ! C’est pour ça que je la représente, pour que les gens sachent où c’est.

A : Je sais que tu l’appelles aussi « La Pharmacie ».

K : Ouais, c’est un truc qu’on utilise entre nous [Sourire]. Dans tous les quartiers, tu entendras des mecs dire que c’est chez eux qu’on bicrave le plus… Tout le monde fait ça. Tu vas voir un mec arriver avec du pilon, il va te dire que le pilon est meilleur chez lui ! Tu as toujours l’impression que le tien est meilleur que celui des autres [Sourire].

A : Mais ça peut avoir un double sens aussi puisque le maire de Sevran, Stéphane Gatignon, est connu pour sa volonté de légaliser le cannabis…

K : Ouais mais il est complètement fêlé lui [Sourire]. Il veut niquer le business des gens et dit n’importe quoi. Il se prend pour le Major Colvin dans The Wire, celui qui a créé Hamsterdam… On a vu ce que ça a donné d’ailleurs. [Rire]

A : The Wire, c’est une série dont tu es fan ?

K : J’ai découvert très tard mais je kiffe ouais. En fait, j’avais regardé le premier épisode il y a longtemps mais j’avais trouvé ça lent, les mecs étaient habillés bizarrement, je venais de finir The Shield… Je trouvais ça chelou. Un jour, Mehdi m’a dit « Regarde !« . Et, franchement, c’est un truc de fou, c’est incroyable. Même Omar, malgré ses fréquentations douteuses, tu le kiffes ! Attention, il a le droit de faire ce qu’il veut mais, généralement, c’est pas le genre de personnage auquel tu vas t’identifier. Ils ont réussi à tout bien faire dans cette série.

A : Il y a des gens parmi les plus jeunes qui peuvent faire des raccourcis : ils t’ont vu rapper avec Booba, rapper sur du Therapy qui travaillait déjà avec Booba, dans des clips de Chris Macari qui est le réalisateur attitré de Booba… Est-ce que tu n’as pas peur d’être vu comme le petit de Booba ?

K : Je n’aime pas cette expression et je l’ai déjà dit dans une autre interview. Je ne suis pas le petit de Booba et je pense que même Booba ne me considère pas comme son petit. Il ne pense pas comme ça. Il sait très bien que, dans une cité, tout le monde est grand maintenant. Maintenant, c’est clair que les gens me perçoivent comme affilié à Booba. Je suis arrivé via « Criminelle League » et « Kalash », le mec m’a donné un coup de main qu’il n’a jamais donné à personne. Même pour les mecs avec qui il rappait avant, je ne pense pas qu’il ait fait autant…

« Si tu veux du hardcore, viens nous écouter. »

A : Je pense qu’il avait déjà donné des coups de pouces similaires mais ça n’a jamais eu le même impact.

K : Ouais, tu as peut-être raison là-dessus, il y a aussi de ça. En tout cas, il a toujours parlé de moi en interview et ça contribue à augmenter le buzz, ça fait plaisir. Je pense que ça a été très simple et qu’il s’est dit la chose suivante : « j’aime bien ce que fait cet artiste. Pourquoi est-ce qu’il n’est pas dans les mixtapes et les compilations qui se font ? » Parce qu’il y a eu énormément de compilations qui se sont faites et on ne m’a jamais appelé. Pourtant, j’avais déjà fait le feat avec Despo et même Z.E.R.O si ma mémoire est bonne. Du coup, il a cherché à me donner de l’exposition. Mais, même en se disant ça, je pense qu’il se dit aussi que je vais devenir un concurrent… Mais il aime ça, la compétition. Ceux qui disent que je suis son petit se trompent complètement. De toute façon, ça se voit. Tu regardes mes vidéos, tu ne peux pas dire que je suis un petit.

A : On parlait de ton exposition grandissante et on peut t’entendre dans le générique de Clique, l’émission de Mouloud Achour. Quelque part, tu rentres dans la culture populaire avec de genre de collaborations.

K : Ouais, par la petite porte mais j’y rentre tout doucement, je rentre le petit doigt, je rentre mon gland, je rentre quelque chose quoi [Rire]. Mouloud, je l’ai rencontré lors d’un de mes concerts à la Machine du Moulin Rouge. Il a apprécié ce que je faisais, je l’aime bien, il est fun, il est jeune, il est cool… Tranquille. Il m’a proposé d’apparaître sur le générique de son émission, on a vu avec Mehdi que c’était un bon truc. En plus, ça fait rire les gens qui me connaissent et qui regardent l’émission, ça fait plaisir. Si plus de personnes peuvent entendre mon « Ohhh Clique » fétiche grâce à ça, ça fait plaisir. En plus, c’est un gimmick que j’ai depuis 43ème Bima. Je me souviens, à l’époque, un DJ m’avait dit qu’il ne fallait surtout pas que je fasse ça, qu’il fallait le retirer du morceau… C’était un fou celui-là.

A : Je ne sais pas si c’est voulu mais il y a parfois des mots presque anodins que tu vas prononcer et qui vont vraiment marquer les esprits. C’est le cas quand tu dis « Sevran » sur « Kalash » par exemple. C’est presque devenu un gimmick que les gens ont envie de dire alors qu’ils n’ont rien à voir avec la ville.

K : On a fait une quinzaine de dates et je me suis retrouvé dans des coins de la France où les mecs passaient devant moi dans la rue et disaient « Sevran ! » [Rire] J’étais à Metz et j’entends un mec qui me crie ça… « Qu’est-ce qui se passe ? » Après, c’est bien moi qui le dit dans mes morceaux mais ça n’était même pas mon idée de le mettre en avant. Je crois que c’est Mehdi ou Kopp qui ont voulu qu’on l’entende aussi bien.

A : Or Noir sort le 21 octobre. Quelles attentes as-tu vis-à-vis de ce premier album ?

K : Franchement, j’ai envie que l’album soit apprécié à hauteur du travail fourni. Et je ne parle pas uniquement du travail effectué sur Or Noir mais du travail effectué depuis mes débuts. Je pense que cet album est un aboutissement, le résultat de toutes ces années dans le rap. Comme tout artiste, j’ai envie de faire un bon score… On verra ce que ça va donner, on ne connait pas l’avenir.

A : Tu penses aux ventes, au fait qu’il est plus difficile de vendre des disques aujourd’hui ?

K : Déjà qu’il est plus difficile de vendre des disques aujourd’hui, c’est encore plus le cas quand il s’agit d’un artiste comme moi. Je ne fais pas de la musique pour les petits… Même si les petits me connaissent à cause de leurs grands frères. Quand je me fais accoster dans la rue, les grands me reconnaissent mais les petits me prennent pour quelqu’un d’autre, pas pour un rappeur dont ils vont acheter le disque. J’ai l’impression de faire de la musique alternative par rapport aux autres. Même si ça reste toujours du rap, il n’y a pas de soupe, pas de banane… Je pense que je vais faire le score que je mérite et j’espère qu’il sera bon. En tout cas, on a travaillé pour.

A : Est-ce que tu es d’accord pour dire qu’il y a un vrai travail d’équipe avec Therapy et que Or Noir est presque un album réalisé à deux ?

K : Oui, on peut totalement dire ça. Il a produit tous les instrus, il a réalisé l’album et il y a même deux ou trois titres sur lesquels il m’a donné la mélodie. Il a une sacrée oreille et, quand il fait l’instru, il a déjà une mélodie qu’il veut entendre. Sur certains titres, il m’a conseillé de faire le refrain d’une certaine manière. Après, j’ai écrit toutes les paroles, j’ai ramené tous les flows, le kickage c’est moi… Mais bien sûr que c’est un travail d’équipe. J’arrive, il fait ses instrus, il me demande si ça me va, on teste le truc… Il y a une alchimie, il y a quelque chose qui se passe et je pense que les gens le ressentent.

Parfois, j’ai aussi envie de prendre un instru et il va me dire « non, celui-là, tu ne peux pas le prendre. On va trouver meilleur que ça ». Alors que c’est vraiment sur ce beat que j’ai envie de rapper. C’est ce qui s’est passé pour « L’Hôte funeste ». Immédiatement, j’ai dit que je voulais l’instru. « Mais non, personne ne prend cet instru ! ». Moi, je la prends. Au final, je pense que c’est un des meilleurs morceaux de Z.E.R.O.

C’est le premier CD que Therapy produit entièrement et c’est mon premier album. On fait le premier ensemble, jusqu’à ce que Dieu nous sépare.

A : Est-ce que Booba est intervenu sur la direction artistique de l’album ?

K : Bien sûr, sur les premiers titres notamment. Il venait, on faisait une écoute et il me donnait quelques indications : « là, peut-être que tu devrais faire un refrain sur quatre mesures, là un refrain sur huit mesures, ce morceau a l’air d’un hit et il faudrait plus le mettre en avant ». Jusqu’à aujourd’hui, Mehdi parle encore avec lui de l’album. On va dire qu’il aime bien ce que je fais. Ceci dit, je pense que ce sont des conseils qu’il a dû donner à d’autres artistes avec qui il a travaillé dans le passé. Il aime bien faire ça, donner des conseils. Après, libre à toi de les écouter.

A : Tu as décidé de n’inviter aucun rappeur sur Or Noir. Pourquoi ?

K : J’ai décidé de centrer l’album sur moi. C’est un peu égoïste vis-à-vis des rappeurs qui sont moins connus et qui auraient voulu que je les appelle, voire même vis-à-vis du public qui voulait peut-être me voir rapper avec d’autres gens… Mais j’en avais besoin. Il fallait que ce soit mon CD. J’aurais pu inviter des artistes et j’espère que si je les avais appelé, ils auraient dit oui mais c’était un vrai choix de n’inviter personne sur Or Noir. On n’entend que moi sur ce disque et ça suffit.

A : Il y a beaucoup de rappeurs français qui disent n’écouter que du rap américain. Est-ce que c’est ton cas ?

K : On dit tous ça [Sourire]. J’écoute du rap français mais c’est surtout pour voir le niveau. Bien sûr qu’il y a des mecs qui rappent bien mais j’essaye toujours de faire mieux. Bien sûr qu’il y a des albums de rap français que j’ai écoutés, comme tout le monde, mais je n’ai même pas envie de citer de noms. Je n’aime pas ça.

A : Une séance de studio entre Therapy et toi, ça ressemble à quoi ?

K : Je suis dans la cabine, torse nu, les pecs bien gonflés, Therapy est de l’autre côté… et il kiffe sur moi [Rire]. Non, je suis dans le studio en train de rapper et il écoute. Avant de faire les refrains, je finis mes couplets. Je reviens, on fait une écoute, on regarde quel couplet conserver. Je retourne dans la cabine faire le refrain, je reviens, on fait une grosse écoute, ça bounce… On fait comme tout le monde.

On écoute aussi beaucoup de sons, on se fait découvrir des trucs. D’ailleurs, ça m’arrive de lui faire découvrir plus de sons, j’ai plus de puissance que lui [Sourire]. C’est toujours une fierté quand j’arrive avec quelque chose qu’il ne connait pas. Therapy n’a pas fait de solfège, c’est un autodidacte donc il a été obligé d’être curieux et de connaitre un maximum de choses. Je ne dis pas qu’il connait forcément plus de choses qu’un mec qui est allé à l’école, chacun son parcours. Mais il a un truc que les autres n’ont pas.

A : Quels sont les derniers morceaux qui t’ont fait kiffer ?

K : « It’s over » de Chief Keef. J’ai beaucoup aimé Finally Rich mais je trouve qu’il fait des trucs un peu chelous ces derniers temps. Je pense qu’il met un peu trop de sirop dans son Sprite là [Sourire]. C’est vrai que la scène de Chicago m’intéresse mais il n’y a pas que ça. J’écoute beaucoup Freddie Gibbs aussi… Il y a tellement de kickeurs. L’équipe Maybach Music, même Young Money… Mais là, ça n’est même plus comparable, c’est pas la même puissance. Si tu regardes bien, j’ai parfois plus de clics sur mes videos YouTube que certains sons de Chief Keef. Aux États-Unis, Chief Keef est encore petit… alors que les gros sont très très loins. Nous, on écoute ceux qui sont cachés mais il y aussi des mecs incontournables. Lil’Wayne reviendra toujours avec de nouvelles tueries.

A : « Libérez Lil’ Boosie ». C’est une référence franchement pas commune en France.

K : Il y a peut-être deux mille personnes en France qui connaissent Lil’ Boosie mais ces deux mille personnes ont su que je faisais partie de leur cercle très fermé [Sourire]. Je le connais donc je le cite. J’aime bien son histoire, j’aime bien sa musique. Après, je ne kiffe pas Lil’Boosie parce qu’il est incarcéré hein ! C’est vraiment l’artistique qui prime.

A : Booba a sorti un morceau avec Young Chop. Tu pourrais avoir envie de bosser avec de gros producteurs américains ?

K : Il a pris une prod de Young Chop, c’est bien mais, franchement, je préfère les instrus de Therapy. Young Chop, c’est le producteur qui commence à monter là-bas mais on ne sait pas encore combien de temps il va durer. Il y en a eu d’autres avant lui qu’on a oubliés depuis. De toute façon, je ne suis pas à ce niveau-là pour le moment. Booba fait des morceaux avec Rick Ross, je n’en suis pas là. Je travaille avec Therapy et ça me suffit. Et franchement, les instrus de Therapy sont amplement suffisants. Ceci dit, Young Chop, c’est du lourd et personne ne peut le nier. Encore faut-il le connaître… Booba a balancé le morceau et il y a plein de personnes qui l’ont écouté parce que c’est un morceau de Booba, sans savoir qui produit quoi.

A : On a parlé de tes gimmicks sonores mais tu en as un qui est visuel également et que tu fais dans tous tes clips. Il y a une signification à ça ?

K : C’est la force. Je ne peux même pas te dire d’où ça vient. C’est le feeling, ça tombe tout seul. D’ailleurs, j’ai vu Anelka et Teddy Tamgho qui l’ont repris. C’est bien, ça fait plaisir et ça veut dire qu’ils m’ont écouté. Quand les gens voient Anelka faire ça, il y en a plein qui ne vont même pas savoir que ça vient de moi… Mais c’est pas grave, Anelka sait, c’est tout ce qui compte [Sourire]. Je ne l’ai jamais rencontré mais c’est un footballeur qui a une carrière incroyable. C’est le Cantona noir. J’aimerais bien le rencontrer un jour. Même s’il ne me connait pas, il sait que je l’ai vu. Et, maintenant, je sais qu’il m’a vu.

A : Tous mes extraits de l’album sont des morceaux durs. Est-ce qu’il faut s’attendre à avoir des morceaux moins hardcores dans l’album ?

K : C’est sale poto [Sourire]. Franchement, c’est sale. Il n’y a pas de bal musette. C’est sale du début la fin, pas de compromis. Les compromis, ça n’existe pas. J’ai mes idées et mes propres limites mais je dis ce que j’ai envie de dire. L’album est hardcore. Si tu veux du hardcore, viens nous écouter. Sinon, tu vas voir les autres. Même s’il y a des morceaux plus mélodieux, ça reste toujours dans le domaine du Parental Advisory, PG 18 [Rire].

A : Est-ce qu’il y a quelque chose que tu souhaiterais ajouter ?

K : Je suis content que vous soyez venus et l’interview s’est bien passée. J’espère que ce sera ce que j’ai réellement dit qui sera retranscrit… Sinon, je vous retrouverai [Sourire].

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