Freddie Gibbs en huit titres
Interview

Freddie Gibbs en huit titres

Une salle de concert vide, deux chaises et un dictaphone. On est revenus sur les cinq dernières années de Freddie Gibbs, en piochant dans sa discographie. Tranches de vie où il est notamment question de Bun B, de bandit repenti, d’E-40 et de Rick James.

et Photographie : Draft Dodgers

Mercredi 24 septembre 2014. On a rendez-vous avec Freddie Gibbs à 17h au bar de La Bellevilloise. Après deux coups dans l’eau, on n’imaginait pas le rater une nouvelle fois. Gangsta Gibbs a un agenda toujours bien chargé. Il enchaîne les projets comme il enchaîne les concerts. Une ville par soir, The Lord Fredrick Tour traverse l’Europe et s’étire jusqu’en Lituanie. La veille, il était à Lyon, au Transbo, une soirée qu’on nous décrit comme « intense » et prolongée jusqu’au petit matin par une séance studio dans la capitale des gaules. N’imaginez pas un couplet éclair avec l’équipée de l’Animalerie : le chef de file de Gary enregistrait un morceau pour le prochain Grand Theft Auto (GTA pour les intimes) – un projet annexe sur lequel il porte également un regard de directeur artistique.

Son programme de ministre incluait donc un court passage à Paris ce soir. Pas le temps de faire un selfie sous la Tour Eiffel. Freddie Gibbs est un professionnel en mission. Sauf que son programme à flux tendu a oublié de prendre en compte la réalité des embouteillages parisiens. Une bonne heure et demie de retard donc. Mais tant pis, on en profite pour descendre quelques verres au bar. Après tout, l’Abcdr c’est aussi une histoire de comptoir de bar. Au moment même où l’addition commence à prendre du volume, notre tueur silencieux débarque avec le flegme imperturbable de celui qui a vécu. « Sérieux dans nos affaires » dirait un monument passé. La Bellevilloise est alors complètement vide, c’est le calme avant la tempête. Les traits tirés mais l’œil toujours déterminé, Gibbs suit ses obligations sans broncher. Il répond à nos questions sans oublier de tirer sur un joint jamais vraiment éteint.


Freddie Gibbs « Midwest Malcolm »

Gibbs : Ce morceau, « Midwest Malcolm », c’est un de mes préférés. J’aime bien la rythmique de ce titre et toute l’histoire qui va avec. À cette époque, je commençais à me faire connaitre et à me réaliser en tant que MC. Ce morceau, c’était aussi une forme d’introduction vers un autre de mes projets : Cold day in Hell [NDLR : mixtape sortie en 2011 sur Corporate Thugz, le label de Young Jeezy].

A : Cette époque, c’était aussi celle de tes relations plutôt compliquées avec Interscope. Comment tu perçois tout ça aujourd’hui ?

G : C’était de bonnes années malgré tout. J’étais chez Interscope mais je vendais toujours de la drogue, je dépensais de la thune dans des conneries. Aujourd’hui, je n’ai plus à faire tout ça. Ma vie ressemble à autre chose, je fais de l’argent, je paie même des impôts ! [rires] Je vis comme un vrai citoyen. Je suis à 100% concentré sur ma musique et sur mes concerts. Je ne suis plus là à me dire que je risque de me faire tirer dessus ou d’aller en taule pour un bon moment. [NDLR : Si le quotidien de Gibbs est probablement plus paisible aujourd’hui, ce calme reste assez relatif. Une dizaine de jours après cette interview, il s’est fait tirer dessus en sortant d’un concert dans un magasin de disques – Rough Trade à Brooklyn. Il en est sorti indemne.]

Freddie Gibbs x Bun B « Rock Bottom »

A : Ce morceau aborde un thème qui est récurrent dans ta discographie : le côté col bleu moyen. Quels souvenirs tu gardes de ce titre ? 

G : J’étais bien fauché quand j’ai écrit ce morceau. Et c’est ce que je dis sur ce titre : je vivais des moments vraiment difficiles, mes potes aussi. Le genre d’instants où tu ne sais pas trop ce que tu dois faire. Quand tu es au pied du mur, tu dois te démerder pour remonter la pente. C’est ce que j’ai voulu dire sur « Rock Bottom ». Dédicace à Bun B, il a posé un couplet sur ce morceau. Et c’est son couplet qui a fait que le morceau est vraiment abouti.

A : En parlant de Bun B, dans une interview récente, tu disais que dans ton top 5 des meilleurs albums, il y avait au moins un disque de UGK. Bun B, c’est une vraie référence pour toi ?

G : Absolument. Bun B, c’est un O.G. à mes yeux. Un vrai. Quand je vois son parcours depuis le début, tout ce qu’il a pu réaliser dans l’industrie, comment il a géré sa carrière…. Oui, c’est une vraie référence. Et pas uniquement en tant que rappeur : plus largement en tant que noir américain. Je vais m’arrêter là mais je pourrais te parler de Bun B pendant des heures ! [rires]

Freddie Gibbs ft. Mikkey Halsted « Field Nigga Blues »

A : Ce titre est dans un autre registre, beaucoup plus jazzy. Quelle méthode est-ce que tu suis pour choisir tes beats ?

G : C’est No I.D. qui a produit ce morceau. Et c’est lui qui m’a dit que je devais absolument rapper là-dessus. Je suis un grand fan de No I.D., du coup, quand il m’a dit ça, je l’ai écouté. Tout simplement. Sinon, je choisis toujours les beats sur lesquels je veux poser. En sachant que je pense être le rappeur le plus polyvalent du moment. Je peux rapper sur un paquet de beats très différents.

Freddie Gibbs ft. Alley Boy « Rob Me a Nigga »

A : Alley Boy pose un couplet sur ce titre produit par Big K.R.I.T. Tu partages pas mal de points en commun avec Big K.R.I.T. – notamment le fait de venir de relativement petites villes. Mais vous avez tous les deux creusé votre propre sillon et aujourd’hui vous êtes devenus des rappeurs relativement visibles.

G : Big K.R.I.T. c’est quelqu’un que j’aime vraiment bien. Parmi tous les morceaux que j’ai pu faire, je considère « Rob me a Nigga » comme un des meilleurs. C’est en tout cas un de mes préférés avec un de mes meilleurs couplets. Je joue ce titre dans tous mes concerts, parfois a cappella pour que le public comprenne bien les paroles. Qu’il comprenne bien par quoi je suis passé et d’où je viens. J’ai été un bandit, j’ai volé par le passé, beaucoup volé… [rires] Je me suis sorti de tout ça aujourd’hui, mais je considère que ce morceau reflète bien cette époque de ma vie. Et il explique bien ce que j’ai fait et pourquoi je l’ai fait. J’avais la dalle. Tout simplement.

Freddie Gibbs « Money Clothes Hoes (MCH) »

A : On parlait de ton côté rappeur tout-terrain tout à l’heure. Ce morceau symbolise assez bien ton goût pour les gros samples de R’n’B.

G : Oui, généralement j’aime bien apporter une certaine diversité dans les ambiances de mes disques. J’aime parfois chanter sur mes refrains, rentrer pleinement dans la mélodie d’un morceau. C’est ce que j’ai voulu faire sur ce titre. Aujourd’hui, j’ai l’impression d’aller encore plus loin dans cette démarche. Et c’est quelque chose que tu vas ressentir sur mon prochain disque. J’écoute énormément de musique, dans des genres très variés. C’est la même chose pour le rap : je suis très loin d’écouter un seul type de rap. Du coup, assez logiquement, quand je fais de la musique, j’essaie moi aussi ne pas rester bloqué sur un seul style. Avoir une palette d’influences musicales assez large, c’est quelque chose d’essentiel à mes yeux.

A: Qu’est-ce que tu écoutais ces derniers temps ? Tous genres musicaux confondus.

G : En ce moment, j’écoute beaucoup de reggae, pas mal de Peter Tosh. Et énormément de Miles Davis. J’essaie aussi de prendre un peu de recul et de perspective. Il faut que tu saches d’où tu viens, musicalement, avant de savoir où tu veux aller. Je lis beaucoup ces derniers temps. J’ai terminé il y a quelques jours l’autobiographie de Rick James. J’ai appris un paquet de trucs sur lui en lisant ce bouquin. Notamment qu’il était impliqué dans tous les aspects de sa musique, dans la composition, dans les paroles, dans la production. Il avait beaucoup appris en traînant avec les grands de la Motown, des mecs comme Smokey Robinson [NDLR : leader du trio The Miracles devenu Vice-Président de Tamla Motown]. Me replonger dans cette époque, dans l’histoire de grands musiciens comme Rick James, c’est forcément enrichissant. Et ça m’a donné envie d’incorporer certains éléments de sa musique dans la mienne.

L’histoire de Rick James est proche de celle que peuvent connaître pas mal de bandits aujourd’hui. C’était un arnaqueur et un maquereau, il a commencé en vendant de la drogue pour financer sa carrière de musicien. À ce titre, son histoire est proche de la mienne : utiliser l’argent du banditisme pour payer tes premiers enregistrements en studio et réaliser tes premiers projets. En savoir plus sur l’histoire de mes prédécesseurs, ça m’amène aussi à réfléchir, à essayer de ne pas tomber dans les mêmes pièges qu’eux. Et à devenir meilleur en tant qu’artiste mais aussi en tant que businessman.

Freddie Gibbs ft. Jay Rock « Certified Live »

A : Sur ce projet, tu as voulu mettre en avant ton équipe. Je sais que tu voyages beaucoup mais que tu restes aussi très lié à ta ville de naissance (Gary, dans l’Indiana.)

G : Oui, j’ai bossé avec pas mal de gars sur ESGN. Mon pote G-Wiz, Hit Screwface, D-Edge… ils viennent de la rue, de mon coin et ils apportent chacun un style. Je vais aussi commencer à bosser avec un mec qui s’appelle Ugly Frank. Il fait aussi partie de l’équipe ESGN. [NDLR : Bobby Frank a sorti il y a quelques mois un bon sept titres intitulé Bobby Hill EP.]

A : Jay Rock pose un couplet sur ce morceau…

G : Il est sur ce morceau mais aussi sur pas mal d’autres. Je bosse, j’essaie de faire avancer tous ces projets et on verra bien où ça nous mène. Le prochain gros truc à venir ce sera le projet de Big Kill. Il faut le suivre de près, tu l’as peut-être déjà entendu sur certains titres [NDLR : il est notamment sur « D.O.A. »]. C’est lui là, à côté de nous. [NDLR : Big Kill est à côté, il écoute d’une oreille et semble très concentré à rouler un joint. Jusqu’ici, il joue surtout les porteurs d’herbe.]

Freddie Gibbs « Pussy got slap »

A : Tu peux nous parler un peu de la relation que tu peux avoir avec DJ Fresh ? Et avec la Californie, puisque ça fait des années que tu vis là-bas ?

G : Je vis en Californie depuis une dizaine d’années maintenant. Du coup, je connais pas mal de monde à Los Angeles et sur la côte californienne. C’est une bonne chose pour moi de bosser avec les gros gars du coin. Honnêtement, bosser avec un mec comme E-40 c’est un rêve qui est devenu réalité. E-40 c’est un de mes rappeurs préférés. C’est un des parrains du game. On a grandi en écoutant sa musique.

Freddie Gibbs « Thuggin »

A : J’ai choisi ce morceau mais, plus globalement, tu peux nous parler de la façon dont vous avez bossé ensemble avec Madlib ?

G : Avant même de se rencontrer, on avait pas mal d’amis en communs avec Madlib. Mais honnêtement, je ne savais pas vraiment qui il était avant et ce qu’il faisait. À un moment donné, on s’est posé ensemble, j’ai pleinement plongé dans son univers et on a fait ce disque que je considère comme un classique. L’histoire de cet album c’est celle de deux mecs qui ont des parcours de vie différents, se réunissent et sortent un album qui défonce.

A : Tu prépares déjà ton prochain album, Eastside Slim ?

G : J’ai déjà quelques titres oui. L’album va s’appeler Lifestyles of the Insane. Je vais sortir quelques nouveaux morceaux dans les semaines qui viennent. Je vais en faire certains au concert ce soir. Ça va être costaud, tu verras.

A : J’ai entendu que tu bossais aussi sur le prochain GTA ?

G : Oui, j’ai enregistré quelques morceaux avec Curren$y, j’ai aussi fait un morceau plus reggae. Je suis toujours sur la route, je ne m’arrête jamais de bosser. [rires]

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1 commentaire

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  • Rémi,

    Un de mes rappeurs préférés de ces dernières années, incroyable de polyvalence, et je suis content qu’il parle de Rob Me A Nigga ici, un couplet au sommet !