Les sens de Dinos
Interview

Les sens de Dinos

Après trois années passées dans l’ombre, le jeune rappeur Dinos présente son premier album Imany. Un disque dense et personnel, où le quartier, la foi, et la quête d’euros se croisent inlassablement. Rencontre avec un garçon aux multiples visages.

Photographie : Brice Bossavie

Tout vient à point à qui sait attendre. Cette phrase, Dinos a bien dû la retourner dans tous les sens dans sa tête ces trois dernières années. Avant de mieux la dompter : érigé au rang de jeune rookie prometteur au sein de la nouvelle vague Rap Contenders des années 2010, tout aurait dû aller vite pour celui que l’on appelle Jules dans son quartier natal de la Courneuve. Car malgré un buzz éclair, une signature chez Def Jam France, et un premier morceau phare – Namek – les éléments semblent s’être en effet plus amusés à se retourner contre lui qu’à l’accompagner sur la route du succès. Des « maux nécessaires » comme il en parle aujourd’hui qui auront eu un effet cathartique sur la musique de Dinos : libéré des tendances, affranchi des attentes, Imany est un disque pur, sincère, et sans compromis qui en livre beaucoup sur son auteur durant dix-sept titres. Une bonne raison d’aller discuter avec Dinos du monde qui l’entoure et qui le façonne.


A : Tu as pris du temps pour sortir ce disque, et tu disais récemment en interview que le format album était important pour toi. Est-ce que tu t’es mis la pression pour concevoir ce disque ?

D : Au début je me mettais la pression, mais maintenant qu’il est fini ce n’est plus le cas. Je suis confiant, je n’ai pas de stress. Et même quand je finissais l’album je n’y pensais plus. Comme je le dis tout le temps, c’est Dieu et le stream, rien d’autre. [Sourire] Mais c’est vrai que j’ai mis un point d’honneur à vraiment faire un album et pas autre chose. Aujourd’hui tu as beaucoup d’artistes qui te disent qu’ils sortent un album mais au final te balancent une playlist qui part dans tous les sens. Quand Drake a sorti son dernier disque, il l’a nommé en tant que tel : une playlist. Moi j’avais envie de faire quelque chose qui soit un minimum cohérent, quelque chose avec un coeur. Un album.

A :  Quelle est la différence entre un album et une playlist pour toi ?

D : La cohérence, en termes d’instrus, de visuels… C’est la raison pour laquelle j’ai bossé avec deux producteurs qui ont tout supervisé. Ils ont fait le coeur du disque, et quelques autres producteurs sont venus s’occuper des poumons. J’avais une vision globale puis Richie Beats et Still Nas offraient un deuxième regard. Ils entendaient les morceaux passer et comme ils me connaissaient bien, ils savaient ce que je voulais et on se mettait d’accord.

 

A : Le disque est quand même long. Comment fait-on pour être cohérent avec dix-sept titres ?

D : On met trois ans. [Rires] Le choix à la base était tellement large qu’on avait la possibilité d’avoir des problèmes de riche. Le but c’était que tout se suive, qu’il y ait une atmosphère tout au long de l’album. Sur tous les morceaux que je faisais j’avais une direction et je savais ce que je voulais faire émotionnellement parlant. Ce que j’aime c’est le côté émotionnel de la musique, toucher les gens, et c’est exactement ce que j’ai essayé de faire avec des titres comme “Helsinki”, “Les pleurs du mal”, ou “Magenta”. Mais en même temps je n’avais pas envie de faire un album pesant, où il n’y a que des morceaux comme ça. Il faut aussi réussir à mettre des morceaux qui enjaillent, avec des choses différentes, tout en réussissant à mixer tout ça sans qu’il n’y ait de différence de ton. C’est comme ça qu’on fait un disque cohérent selon moi.

A : Au moment de l’annonce de l’album fin 2017, tu as prononcé une phrase qui revient sur le disque : “Je suis le quartier, mais pas la rue”. C’est à dire ? Tu revendiques tes origines, mais uniquement sur certains aspects ?

D : Je ne suis pas un revendicateur. Je ne me réveille pas en me disant “putain il faut que j’écrive un texte sur ma ville”, ça m’importe peu. Je dis juste ce que je pense : je suis un gentil, mais je reste un mec du quartier, donc si je dois te baiser ta mère je vais le faire. C’est le quartier, et c’est l’état d’esprit qu’il m’a donné. Par contre je ne suis pas la rue dans le sens où je n’ai jamais vendu, jamais fait de conneries, même si des potes autour de moi en ont faites. Je n’ai pas de casier judiciaire, je suis resté clean, et c’est ça que je défends : j’ai eu la chance d’avoir des parents qui m’ont cassé les couilles quand j’étais petit. Ca me saoulait étant plus jeune, mais tu les remercie quand tu grandis. Aujourd’hui je me dis : heureusement qu’ils étaient après moi.

A : Que faisaient tes parents justement ?

D : Ma mère me prenait la tête pour que je ne sorte pas. Quand j’étais petit, les 4000 à La Courneuve c’était un peu dangereux, donc il y avait des endroits où je n’avais pas le droit d’aller, elle me mettait des pressions. Du coup j’essayais de vite rentrer à la maison et quand je faisais des trucs dehors j’essayais de le faire sans qu’ils ne le sachent. Mais mes parents étaient quand même après moi, ils savaient que l’environnement dans lequel j’étais aurait pu être néfaste pour moi, et ça m’a évidemment servi. Quand j’avais quatorze-quinze ans, j’étais d’ailleurs plus la rue que le quartier : même si je ne faisais rien j’étais un mec d’en bas et je trainais avec des gens qui aujourd’hui sont soit morts, soit en prison. Donc oui j’ai eu de la chance d’avoir des parents qui m’ont fait chier pour que je reste sur les rails.

« Comme je le dis tout le temps, c’est Dieu et le stream, rien d’autre.  »

A : Et en grandissant à seize, dix-sept ans ? Tu as réussi à ne pas vriller grâce à ton environnement familial ?

D : Justement c’est à cet âge-là que j’ai commencé à lire, regarder des choses différentes. J’ai un père qui lisait beaucoup donc j’avais plein de bouquins chez moi. J’ai découvert L’Alchimiste de Paulo Coelho à quatorze ans, j’ai embrayé sur d’autres livres, je me suis pris des films sur le rap comme Boyz N The Hood, Menace II Society, New Jack City…. Je ne trainais quasiment même plus au quartier, sauf en été où on allait en bas se poser. En fait j’ai arrêté de traîner en bas de la maison avant tout le monde : j’allais en studio, j’allais sur Paris, je lisais, je portais des chemises au quartier et ça se moquait de moi. [Sourire]

A : Tu étais l’intello de la bande ?

D : Un peu oui. J’étais un type d’élève super relou à l’école : l’élève qui fout la merde avec toi en classe, qui rigole tout le temps, mais qui a quand même des bonnes notes au moment où la prof rend les copies. [Rires] Genre tu te dis : mais à quel moment il a travaillé ?! C’était moi cet élève. J’avais juste déjà changé, et je savais déjà que je voulais faire quelque chose d’autre de la vie que j’avais.

A : Il y a d’ailleurs une thématique qui revient constamment dans l’album, c’est celle de la pauvreté. Tu as vraiment vécu difficilement étant jeune ?

D : Je n’étais pas pauvre, mais on se serrait la ceinture. C’était dur mais je ne me plains pas, parce que j’ai réalisé qu’il y avait bien pire que moi. C’est la première fois que je suis retourné au Cameroun en étant adulte que j’ai compris ça : j’avais l’âge de comprendre les choses et je suis allé chez un mec qui habitait dans un genre de bidonville du Cameroun. Je rentre chez lui, et sa chambre était faite de goudron. Il dormait à même le sol. C’est à ce moment là que je me suis dis : mais ce sont eux les mecs de la rue, ce sont eux les cailleras. Quand j’ai vu ça je me suis dis que je n’allais plus me plaindre parce que ces mecs n’ont même pas de tremplin, ils n’ont rien qui leur permet de s’en sortir ou d’avoir des perspectives. Ils grandissent dans un environnement qui leur fait croire qu’il faut qu’ils viennent en France pour faire des études et avoir un taf, et une fois qu’ils sont sur place, ils se rendent compte que c’est la merde et que ce pays là ne veut même pas d’eux. Donc je vois ça et je me dis : j’ai eu l’eau chaude chez moi, des spaghettis bolognaise dans le placard, une Playstation. Je n’ai vraiment pas à me plaindre. Quand je parle de la pauvreté dans mes textes, c’est finalement plus lié à des souvenirs et surtout à une rage de vouloir que mes enfants grandissent dans des meilleures conditions que moi.

A : Tu te privais de certaines choses quand tu étais plus jeune ?

D : Ce n’était pas des choses graves mais des choses qui marquent quand tu es enfant. Tu vois le goûter à quatre heures, quand tu as du Lidl et qu’il y a un petit à côté de toi qui a du Lu ? Tu as envie de lui baiser sa mère. [Rires] Quand on était petits on n’avait pas de Prince parce qu’à côté de ça ma mère devait payer des factures, elle se serrait la ceinture. C’est cette différence par cette image-là qui est intéressante. Mais je n’ai jamais manqué de quoi que ce soit : même quand c’était dur, il n’y a aucun moment où j’ai dormi le ventre vide, je n’ai pas le droit de te dire ça parce que ce n’est pas vrai. Si je te disais ça, ma mère me giflerait direct. [Sourire]

A : Le quartier est un personnage à part entière d’Imany mais on sent aussi que tu as envie de le quitter. Comment tu l’expliques ?

D : Le quartier ce n’est pas un endroit où l’on rêve d’être à la base. Il ne faut pas oublier que ce sont des dortoirs qui datent de l’époque du baby boom et de l’immigration, au final on y reste par accoutumance et on finit par s’y attacher. C’est d’ailleurs Youssoupha qui dénonçait un peu ça en disant dans un morceau que certains mecs ne faisaient que parler de leur département comme si leurs daronnes travaillaient à la préfecture. Je le rejoins un peu là dessus. C’est bien le quartier, ça m’a permis de devenir qui je suis aujourd’hui, mais à un moment donné il faut en sortir, c’est la suite logique. Tu viens d’en bas, tu ne vas pas rester au quartier toute ta vie. C’est inutile. Surtout, il faut en sortir soi-même, mais il faut aussi sortir les siens du quartier. Elle est là la finalité.

A : Tu n’es pas du genre à célébrer ton quartier ?

D : Sur ma pochette d’album c’est mon quartier, il y a tout dessus. Je lui donne l’amour dont il a besoin et qu’il mérite. Mais si j’y reste toute ma vie ce sera un échec parce que mes enfants grandiront comme moi j’ai grandi. Après je ne dis pas que mes enfants vont grandir comme des nantis à faire de l’équitation, attention. [Sourire] Mais j’aimerais juste qu’ils grandissent dans un meilleur cadre.

A : Sur le dernier morceau du disque, tu dis que Dieu t’as rendu service en te “donnant ce que tu ne voulais pas”. À quoi est-ce que tu fais référence ?

D : Au chemin parcouru pour terminer l’album, tous ces problèmes avec les labels, toutes ces difficultés que j’ai eu dans la conception du disque… C’était ce que je ne voulais pas mais au final ça m’a plus rendu service qu’autre chose parce que ça m’a aidé à grandir. Si j’avais sorti cet album dans la facilité je ne serais probablement pas celui que je suis aujourd’hui et j’appréhenderais les choses de manière différente. Aujourd’hui, ma manière de voir les choses a été influencée par ces trois années de labeur, et si ces années là s’étaient passées de manière plus facile je penserais peut être que la vie est simple. Mais non, c’est dur la vie ma gueule ! [Sourire] Et puis dans cette phrase je sous-entends aussi des choses plus en lien avec ma vie personnelle dont je ne parle pas forcément explicitement.

A : Tu as vraiment eu des difficultés ces trois dernières années avec cet album, les labels…?

D : Oui carrément. Après au final ce sont plus des aubaines qu’autre chose, je vois vraiment ça comme des maux nécessaires. Ça m’a permis de grandir, de mieux comprendre la musique, d’être plus sur mes gardes. En vrai ça peut te faire du bien de souffrir. Parfois quand tu es petit et que tu fais trop de bêtises, tu te prends une grande gifle dans ta tête et ça te remet bien les idées en place. Tu comprends qu’en fait tu peux te faire niquer ta race à tout moment. Ça aide à rester humble et c’est exactement ce que la vie m’a montré.

« Ne pas savoir si certaines choses sont dûes au hasard ou au destin, c’est passionnant et ça me donne envie de croire et mieux comprendre le monde qui m’entoure.  »

A : Imany signifie “foi” en Swahili, tu parles de Dieu, du Diable, et du fait de croire tout au long du disque. Comment expliques-tu le fait que la religion soit aussi présente sur ton album ?

D : Ce n’est pas la religion qui est présente sur ce disque mais la spiritualité. Ce sont deux choses distinctes. Je suis quelqu’un de très spirituel, je cherche à comprendre certaines choses, donc c’était sûr que j’allais parler de foi. Mais ce n’est pas la religion en elle même qui est présente, à aucun moment je ne parle de sourates, de versets bibliques…

A : Tu cites quand même L’Ecclésiaste à la fin d’un morceau…

D : C’est vrai. Après j’ai une éducation chrétienne de par ma famille. Mais je peux te sortir des choses du Coran aussi. Et puis même, cette phrase, “Celui qui fait le mal n’est pas puni dans l’immédiat, c’est pourquoi l’homme fait tant de mauvaises choses”, elle dépasse la religion. C’est une punchline de malade. Ça parle vraiment de l’homme et ça dépasse la religion. Juste après je dis aussi “Parfois pour punir l’homme, Dieu lui donne ce qu’il veut” et c’est un proverbe arabe. Donc tu as un mélange de plein de choses.

A : Qu’est-ce qui te parle dans la spiritualité ?

D : Le fait que ça t’accompagne au quotidien je pense. Tu vas prendre ton métro, tu le rates, il se passe un truc de fou dans le métro, et tu ne sais pas si c’est du hasard, de la probabilité, ou si c’était ta bonne étoile. C’est passionnant de ne pas savoir et c’est ça qui me donne envie de croire et de mieux comprendre le monde qui m’entoure. Tu n’es jamais sûr à 100%, alors que la foi c’est quelque chose dont tu es sûr. Et moi j’ai la foi et je suis sûr. Je crois par exemple en Imany, j’ai mis de l’amour dedans, donc il n’y a aucune raison d’être stressé, je m’en bats les couilles de faire une grosse première semaine ou pas. Je sais juste que le disque va sortir et que ça va être bien.

A : Durant les trois années de conception du disque, tu n’as justement pas un peu perdu cette foi à certain moment ?

D : À aucun moment je n’ai pas eu la foi. Il y a des moments où tu pètes un câble parce que ça te casse les couilles, ça n’avance pas comme tu voudrais, mais à partir du moment où tu as la foi en quelque chose ça ne peut pas partir. Elle peut descendre mais tu vas tout faire pour qu’elle remonte. Ali dans Mauvais œil disait : “Ta foi baisse à chaque fois que tu doutes et sans elle tu es comme un ange sans ailes” et je trouve ça extrêmement beau. À chaque fois que ta foi baisse, tu as du mal à voler, mais tu continues quand même. C’est aussi simple que ça.

 

A : Pour parler de ta musique, on dit souvent qu’elle est authentique, et c’est encore plus flagrant sur Imany. C’est quelque chose de fondamental pour toi ?

D : Je ne suis pas quelqu’un qui s’invente des vies, je suis moi. Tout ce que je dis dans l’album c’est moi sous mes multiples facettes. C’est juste Jules en fait. D’ailleurs, si je pouvais je ne m’appellerais plus Dinos mais Jules : quand je croise des gens dans la rue et qu’ils connaissent bien ma musique, souvent ils m’appellent Jules et pas Dinos, et je trouve ça hyper bien. Ca montre qu’il y a une vraie proximité avec les gens qui m’écoutent.

A : On peut faire de l’argent en restant complètement authentique, vrai, avec soi-même ?

D : Pourquoi je serai là si ce n’était pas le cas ? [Sourire] Il y a une citation de Nietzsche qui dit : “Ce qu’on fait par amour s’accomplit toujours par-delà le bien et le mal ». Si tu es doué pour quelque chose, si tu as un talent de base et que tu le travailles avec passion, ça va marcher, c’est tout. Après il faut être rationnel, tout n’est pas possible : je ne vais par exemple jamais devenir footballeur. Mais si je te dis que j’ai envie d’être écrivain et que je me mets à lire énormément de livres, étudier, et que je le fais avec amour, bien sûr que c’est possible. Il y a des gens qui passent le Bac à 80 ans frère. Et ils ont des mentions !

A : Mais tu peux parfois te retrouver à devoir faire des compromis pour accéder au succès, non ?

D : Aujourd’hui c’est différent, les règles du jeu ont changé. Avec le stream, l’expansion du rap, ce ne sont plus les même codes qu’avant. XXXTentacion sort un morceau d’une minute trente et ça devient un single. “Gucci Gang” c’est un tube et il n’y a qu’un seul couplet. Il n’y a plus de formats propres à la musique, tu as des morceaux qui deviennent des tubes sans que ça soit prévu. Bien évidemment il y a toujours des indicateurs mais il n’y a plus de règles précises pour atteindre le succès. C’est cette disparition des compromis qui m’excite personnellement et qui me touche.

A : Sur ton premier EP en 2012 tu disais : “Je ne suis pas un rappeur, je suis Dinos Punchlinovic”. Aujourd’hui tu dis que tu es le quartier mais pas la rue. C’est important pour toi de toujours te mettre un peu à part du rap français ?

D : Je trouve ça hautain de se proclamer “rappeur différent” par rapport aux autres. Quand tu es différent, tu es différent dans la vie de tous les jours aussi. C’est juste ça. Ce n’est pas comme si je creusais la différence en me disant qu’il fallait à tout prix que je sois différent des autres. “Les autres mangent avec la fourchette dans la main droite, je vais manger avec la main gauche !” [Rires] Non je m’en bats les couilles. C’est juste que je suis différent et que je dis ce que je pense. C’est tout.

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