Buck 65 : « le public qui m’écoute a beaucoup changé »
Interview

Buck 65 : « le public qui m’écoute a beaucoup changé »

Constamment en
tournée Buck 65 s’invite aux Eurockéennes de Belfort l’occasion d’un
concert. Plus que de venir faire la promo de son dernier album, « Talkin’
Honky Blues », c’est l’occasion pour lui de se faire plaisir avec ses
musiciens. Cette envie, communicative, se retrouve aussi lorsqu’il évoque
sa musique, même lors d’une brève entrevue…

Abcdr : Sur la promo du festival, dans les magazines et un peu partout, on peut lire que tu as sorti deux albums : Square et Talkin’ Honky Blues. Bien que Warner ait réédité tous tes précédents albums. Cela ne te gêne pas que l’on ait une fausse image de ta musique et que l’on ne connaisse de toi que tes dernières sorties, même si tu en sors depuis dix ans (avec les Sebutones) et que Vertex et Language arts sont d’excellents disques par exemple ? 

Buck 65 : Ce que j’ai fait par le passé est important. Je pense aussi que c’est intéressant car ma musique a beaucoup changée. Et justement parce qu’elle a beaucoup changée, je pense que ce qui est important est ce que je fais aujourd’hui. Je pense que pour les personnes qui ont suivi chaque étape de mon parcours il était important de suivre cette évolution. Mais si tu prends quelqu’un qui ne m’a découvert que récemment et que tu lui fais écouter mon premier album, il y a des chances pour qu’il ne l’aime pas. La musique passée va devenir importante pour les gens curieux qui s’intéressent au passé. J’aime aussi l’idée de laisser les gens faire l’effort de chercher des disques. S’ils les veulent vraiment, ils auront du boulot pour les trouver. Je suis moi-même un gros collectionneur de disques. Si on met tout en œuvre pour rendre quelque chose disponible, d’une certaine manière on tue cette chose…
Très peu de gens ont entendu Vertex [NDLR : sorti sur propre son label, 4 Ways to Rock]. Je n’ai pas eu beaucoup de chances avec cet opus par rapport à la maisons de disques. Quelques fois j’aimerais que plus de gens aient écouté cet album, parce que j’en suis très fier. Mais j’accepte le fait que cela appartienne au passé et que si les gens veulent vraiment l’entendre, ils feront l’effort.

A : Ton style a beaucoup évolué, depuis tes albums avec Sixtoo et les Sebutones, à chaque album il y a de nouveaux éléments, comme sur le dernier, Talkin’ Honky Blues, où il y a des instruments. L’évolution et le changement sont nécessaires pour toi ?

B : Il y a deux choses que je voudrais aborder par rapport à cela. Tout d’abord pour l’album des Sebutones et sur Man overboard il y avait déjà des instruments live. Mais la chose importante dans mon évolution est que j’ai toujours voulu écrire (composer) de la musique, et pas uniquement des textes. Et la seule manière d’arriver à cela est de passer par les instruments. Pour cela il faut apprendre le piano ou la guitare. C’est une évolution pour moi en tant que musicien. Mais je sais que beaucoup de gens sont réticents par rapport à cela. Ils veulent du Hip-Hop dans un cadre Hip-Hop. Ils ne veulent pas quitter le monde du Hip-Hop. Penser ainsi c’est vraiment etre très étroit d’esprit.
Il y a tout un tas de musiques incroyables et il serait stupide de ne pas tenir compte des autres musiques qui nous entourent comme Miles Davis, Brian Wilson, Black Sabbath ou Motorhead… Je dois apprendre le plus possible en écoutant de la musique. Pour moi c’est une étape logique avant de faire ta propre musique. Le Hip-Hop est à part en cela. C’est presque comme si ce n’était pas de la musique. C’est un peu ‘l’anti-musique’. C’est un très bon moyen pour beaucoup de gens qui veulent commencer à faire de la musique. Tu sais, il n’y a besoin d’aucune connaissance sur la musique pour faire du Hip-Hop. C’est une bonne façon d’apprendre. Finalement, tu vois l’importance de créer ta propre musique… Même sur le dernier album (Talkin’ Honky Blues, album avec des instruments), le sample était toujours important pour moi, et même avec des instruments live j’utilise toujours mon sampler pour faire l’album. Pour moi cette évolution est due au fait que je veux composer des chansons, et pas uniquement des textes.

A : Ton style est assez à part, d’un côté tu donnes l’impression d’avancer avec plein de nouveautés dans tes prods, comme les instruments sur le dernier album, et de l’autre dans ta façon de poser ou de faire des beats et dans certaines références ou par l’apport de scratches, tu renvois au ‘basiques’ du rap et de la culture Hip-Hop… c’est important pour toi de toujours avoir les deux « pieds » dans ces styles et de faire référence au passé ?

B : Oui ça l’est. Je pense que le passé dans la culture et la tradition Hip-Hop est une des choses les plus importantes qui soit, même par rapport à des personnes qui étaient là dans le passé. Je ne saurais pas expliquer pourquoi c’est si important pour moi… mais c’est vraiment important pour moi de construire des morceaux comme ils l’étaient aux débuts du break-beat. Mais si tu écoutes les autres sons Hip-Hop, plus personne ne fait ça. C’est très rare. Les trois pères fondateurs de la musique Hip-Hop étaient des DJs, alors pour moi c’est comme un rituel religieux. Ce sont eux qui détiennent le secret.
C’est très important pour moi… Je ne sais pas pourquoi c’est si important à mes yeux car peu de gens ont l’air de s’en préoccuper. Je le fais pour moi-même et pour le peu de gens que ça intéresse. Je trouve que beaucoup de jeunes gens qui s’intéressent aujourd’hui ou depuis peu de temps au Hiphop n’aiment pas ma musique. Ils sont plus fans de Jay-Z, Ludacris, Eminem ou même Def Jux ou bien Atmosphere… et ils ne comprennent pas ma musique. Je fais du Hiphop depuis plus longtemps que ces gens, alors on ne peut pas attendre d’un môme de 18 ans qu’il comprenne ce qu’il se passait dans le Hip-Hop avant même qu’il naisse… J’étais là, j’ai commencé la musique en 1982, ça fait un bail. Je le répète, je ne sais pas pourquoi c’est si important pour moi, mais je sais que ça ne changera pas.

« Si les gens détestent ma musique parce qu’elle est devenue plus ‘intelligente’, peu importe.  »

A : Par rapport à cela, on peut dire que ton public a évolué. Il y a cinq ans, tu étais surtout connu par le public ‘underground’ grâce à des CD-R, aujourd’hui tu sembles être la coqueluche des médias alternatifs et branchés, comment perçois-tu cela ?

B : Je pense que le public qui m’écoute a beaucoup changé, varié. Quand j’ai fait Vertex, cela faisait dix ans que je faisais du Hip-Hop. Je pense que les gens qui ont aimé cet album et qui m’écoutent encore aujourd’hui sont des personnes qui ont à peu près mon âge, au-dessus de la trentaine, et qui ont eu des expériences similaires. Je n’ai aucun problème avec cela. Si les gens détestent ma musique parce qu’elle est devenue plus ‘intelligente’, peu importe. Si je suis en train d’apprendre à jouer du piano et que quelqu’un me déteste pour cela : je m’en fous ! J’en ai vraiment rien à faire.
Les gens se complaisent dans l’ignorance, quand ils ne veulent pas que tu apprennes, que tu évolues. C’est une vision particulièrement dangereuse et qui propre au Hip-Hop. Ça peut être mortel.
Si tu regardes les autres styles musicaux, comme le Punk, qui est né en même temps que le Hip-Hop, il a su –comme les autres styles- évoluer dans des tas de directions différentes.
Si tu es aussi lucide que possible, les deux seuls reproches que j’aurais à faire par rapport au Hiphop et aux artistes qui en font est qu’en vingt ans cette musique n’a quasi pas changé. C’est exactement la même chose. L’autre chose est que les artistes refuse de tourner et de faire des concerts. Ils veulent juste être payé sans faire le moindre concert. Ils sont vraiment motivés par l’argent et cela me donne l’impression, à moi comme à d’autres personnes, qu’ils n’en ont rien à faire de la musique. Le plus bel exemple est sans doute la retraite de Jay-Z. Il a dit qu’il voulait évoluer et grandir dans son business. Comme depuis ses débuts il parle de « Hustlin’, hustlin’, hustlin' »… Et je n’arrive pas à comprendre pourquoi le public est assez stupide pour ne pas voir que c’est une insulte. Le message est qu’il n’a jamais rien eu à faire de ses fans. Tout ce qui l’intéresse c’est de faire de l’argent. Et c’est la conception qui est partagée par la plupart des artistes Hip-Hop : « Get money, get money, get money… », devenir riche, devenir aussi riche qu’il est humainement possible. Et rien à foutre du reste. Qui se préoccupe de ses fans, en fait ? Les fans sont comme des putes pour les maquereaux. C’est la façon dont ils parlent tout le temps, et je trouve ça extrêmement offensant. C’est un tout. De nos jours on ne voit plus d’artistes Hip-Hop avoir du respect pour les pionniers de cette musique et pour moi c’est une chose absolument terrible. Je ne veux pas faire parti de ce monde là, pas du tout.

Si les gens ne trouvent plus d’intérêt à ma musique parce que mon optique est restée la même et qu’il y a eu des changements, que puis-je y faire ? Je sais que mes valeurs sont justes. Si les gens ne sont pas d’accord avec moi, je ne vais pas me battre avec eux. Il y a tout un tas de personnes qui vont dire que mes beats sonnent ‘wack’ parce que je n’utilise pas un synthé ‘cheap’. Fuck that ! La dernière fois où le Hip-Hop a donné quelque chose d’intéressant était dans les années 1990, à l’époque où ça ressemblait à de la musique, quelque chose d’organique. On pouvait entendre de véritables instruments, même s’ils étaient samplés. Ça sonnait comme de la vraie musique. Maintenant c’est ennuyeux et inécoutable. Ça ne fait aucun effet. Ça me fait rire quand des gens se prétendent artistes ou poètes et quand tu prêtes vraiment de l’attention aux textes et que tu compares ce qu’ils font à James Baldwin, si on parle d’auteurs noirs, ou encore à Bob Dylan… c’est une blague, ça n’a rien de comparable!

Je pense que les critiques ou les gens qui écrivent pour des magazines ont deux types de standards : un pour la musique et un autre pour le Hip-Hop. On ne les compare jamais et je pense que c’est une erreur parce que ça indique aux gens que c’est un style de musique qui se répète encore et encore et encore… Pour moi c’est juste chiant. Avant que l’on fasse cette interview j’étais en train d’écouter le groupe TV on the radio, un groupe qui a une philosophie de la musique : faire quelque chose qui n’a jamais été fait avant. S’ils font de la musique qui sonne comme quelque chose qu’ils ont déjà entendu auparavant, ils le détruisent. Je pense que tout le monde devrait avoir cette philosophie. Quel est l’intérêt de faire de la musique si c’est pour faire quelque chose qui a déjà été fait ? C’est aussi ma philosophie, j’essaie de l’appliquer au Hip-Hop en faisant des choses qu’aucun autre groupe n’avait fait avant. Lorsque j’ai commencé dans les années 1980, la règle numéro un dans le Hip-Hop était d’être original et de faire ses propres trucs. Tu ne copiais pas et tu ne prenais les idées des autres. C’est toujours ma règle d’or. Je sais que beaucoup de gens me détestent pour cela. Les gens ont beaucoup changé, leurs idées aussi.

« Je ne veux pas faire de la musique sur le fait de devenir riche pour des gens riches, je veux faire de la musique pour tout le monde, y compris pour les gens pauvres.  »

A : C’est pour ça que tu joues aujourd’hui sur scène avec des musiciens ?

B : Ouais ! Exactement. Je pourrais facilement refaire l’album Vertex encore et encore et encore… je peux le faire très facilement, mais ce serait très ennuyant pour moi. Tu sais si je suis fan d’un musicien je n’ai pas envie de l’entendre faire le même album. Je veux l’entendre faire des choses différentes dont il est capable. Autrement je peux toujours écouter ses précédents albums. J’espère simplement que les gens font de même pour moi. Tout ce que je veux faire c’est un album, Hip-Hop, que les gens pourront toujours écouter dans cent ans sans se dire que ça sonne vieux, mais que ça sonne comme de la bonne musique. Je veux aussi faire un album Hip-Hop qui te plaise et qui puisse plaire à tes parents et à tes grands-parents, mais aussi à un enfant de cinq ans. L’important est que tout le monde puisse l’aimer. Dans les films, si tu vois une personne de plus de soixante ans écouter du Hip-Hop, tout le monde rigole comme si c’était quelque chose de marrant. Pourquoi ? Pourquoi la musique Hip-Hop devrait toujours être embarrassante ? Tout simplement parce que l’idée, même si personne ne le dit, c’est que c’est une musique de gosses, d’adolescents. Je ne veux pas seulement faire de la musique pour les adolescents, mais pour tout le monde , quelque soit leur culture. Je ne veux pas faire de la musique sur le fait de devenir riche pour des gens riches, je veux faire de la musique pour tout le monde, y compris pour les gens pauvres. Comment puis-je être dans le faux ? C’est juste ce que je veux accomplir. Je voudrais entendre un album Hip-Hop que l’on pourrait comparer au Beach Boys et Miles Davis ou Nirvana et des tas de grands albums aussi. Je ne pense pas y être encore parvenu et je ne pense pas y arriver un jour, mais c’est ce que j’essaie de faire. Même si les gens n’aiment pas ma musique, j’espère au moins qu’ils reconnaîtront que j’essaie. Le seul fait de faire quelque chose de différent est essentiel à mes yeux.

A : Concernant tes textes, tu as un style d’écriture très particulier, très lié et très abstrait à la fois, comme de l’écriture automatique… Comment abordes-tu tes textes ?

B : Il y a certainement un aspect technique par rapport à mon écriture parce que si tu écoutes vraiment attentivement mes textes actuels, il y a des rimes techniques avec plusieurs syllabes. Mais une remarque que l’on fait souvent par rapport au Hip-Hop c’est que l’on ne comprend pas tout ce qui est dit. Cela vient du fait que beaucoup de MCs accordent davantage d’importance au style par rapport au contenu. Pour moi le contenu prime avant tout.
J’ai confiance en moi et dans les personnes qui ont des choses intelligentes à dire. Je veux le dire de façon très claire, que les gens puissent comprendre. Je peux rapper très vite et faire des choses plus techniques, mais pour moi c’est vraiment important d’être compris. Je vois bien l’importance des deux aspects, mais l’essentiel à mon sens, est d’être compris le mieux possible. Je sais aussi que des gens m’écoutent en France ou en Italie maintenant, et que l’anglais étant la langue dominante, il est plus facile de comprendre mes textes si je les rappe clairement. Je suis conscient de cela quand j’écris. C’est aussi pour cela que j’ai mis les textes dans mon dernier album. C’est pour que les gens qui ne sont pas anglais puissent comprendre les textes sans trop se compliquer la tâche en les écoutant, et puisse faire attention à tout.

Fermer les commentaires

Pas de commentaire

Laisser un commentaire

* Champs obligatoire

*