Bruno « Navo » Muschio : Bref, le rap français et moi
Interview

Bruno « Navo » Muschio : Bref, le rap français et moi

Il se présente comme un « écriveur de trucs » ou « l’autre mec de Bref, celui qui n’est pas connu. » Marmite bouillonnante d’idées, ancien rappeur aux côtés de Kheiron dans les collectifs 7ème Sens et L’Arcane, Navo est aussi un ancien auditeur forcené de rap français. En voie de guérison.

Avec l’aide de Lucie. Photographie : Chroniques Automatiques.

Abcdr du Son : À quelle époque as-tu vraiment commencé à écrire ?

N : Au collège, j’étais dans un petit groupe de rap, d’ailleurs dedans il y avait Kheiron, qui est dans Bref. On rappait sur des faces B merdiques. Comme pour beaucoup de gens à la fin des années 1990, début des années 2000, c’est le rap qui est alors le moyen d’expression le plus simple, le plus accessible. C’est un peu ce que disait Akhenaton à l’époque : le rap, ça permet à des gens qui ne connaissaient rien au solfège de s’exprimer et de faire de la musique.

A : À ce moment-là, tu te retrouves entraîné dans un collectif ?

N : Ouais. Kheiron était un peu plus vaillant que moi à l’époque. Comme on écoutait du rap, il a dit : « bah on peut en faire ! » Il commençait à gratter des trucs, comme il en a fait j’en ai fait, et un pote nous a dit : « Moi aussi je veux en faire. » Du coup on a fait un groupe qui s’appelait 7ème Sens. Ensuite on a rencontré d’autres potes, et on a fait un crew : l’Arcane. Là, on arrive au lycée, on commence à essayer de faire des mixtapes flinguées, avec les pochettes photocopiées en noir et blanc. Le projet le plus « abouti » avant qu’on se quitte tels des rock stars, c’était L’Arcane, L’Union Fait la Force, où on avait vraiment essayé… La qualité technique ce n’était pas ça, il n’y avait pas de master, c’était de la débrouille. Mais on avait réussi à convaincre plein de gens qu’on admirait de poser avec nous, L’Arcane, donc on était très contents. Sortir cette mixtape, en faire 2000 exemplaires en CD et en cassette, aller à Urban, négocier… surtout qu’on était un peu des rappeurs bouffons. On n’avait pas le look, pas le style, pas la carrure. On n’était pas un gang, on était vraiment le rap conscient de l’époque. Conscient, dans le sens : mecs qui se prennent vachement au sérieux. On allait parler de la drogue, qu’il ne fallait pas en prendre [Rires]. Grosse influence d’IAM je pense.

A : Qu’est-ce que vous écoutiez ?

N : Moi j’écoutais IAM. À partir de 1993 et l’album Ombre est Lumière, IAM c’était vraiment ma vie. Et après tous ceux qui étaient un peu dans cette mouvance : « rap conscient ». J’écoutais quand même NTM, j’aimais beaucoup Ministère A.M.E.R. Mais je me retrouvais vraiment dans tout ce qui était IAM, Fabe…

A : IAM, déjà à cette époque, ils avaient plusieurs facettes. Toi, tu étais dans le côté « On n’est pas là pour se marrer » d’IAM, non ?

N : Ah ouais, carrément ! « Femme Seule », « Le Sachet Blanc », j’étais là : « ils ont trop raison ! » [Ultra-enthousiaste, NDLR]. Quand ils ont fait “Petit Frère”, j’étais subjugué.

« On n’avait pas le look, pas le style, pas la carrure. On n’était pas un gang, on était vraiment le rap conscient de l’époque. »

A: Qu’est ce qui t’a éloigné du rap ?

N : En m’éloignant du groupe, je me suis éloigné du rap, parce qu’avec un vrai projet, t’as toutes les personnalités qui se réveillent. Au début tu fais la fête, c’est cool, tout le monde est communiste. Et après tu vois ceux qui veulent pas se lever le matin, ceux qui n’ont pas fait leur part de taf, et ça crée des embrouilles. C’est censé être un loisir, et là il y a des gens qui veulent que ce soit sérieux… Tu as des meneurs et des suiveurs. On est tous égaux, d’accord, mais au bout de la dix-neuvième fois où le mec a rien branlé, tu l’engueules. Donc on s’est embrouillés, on s’est un peu tous quittés.

A : À ce moment-là, tu n’écris que des textes de rap ?

N : Je n’écris quasiment que du rap. Mais en parallèle, on commence à écrire des conneries avec Kheiron. Du rap rigolo, pareil, influence d’IAM qui montrait qu’on pouvait aussi faire des trucs marrants, comme il y en a eu beaucoup dans leur deuxième album. On faisait des trucs à coté, des pièces de théâtre avec Kheiron, dans un théâtre municipal à Stains. On s’est mis à faire de l’improvisation avec des potes comme les frères Ido, Yacine Belhousse qui a fait le Jamel Comedy Club.
Il y avait un peu ces deux parties-là : l’écriture humoristique et l’écriture rap qui coïncident. Et quand le rap s’en va, il reste toujours les conneries. Kheiron, lui, veut se lancer dans le stand-up. Il voit Seinfeld, et il se dit : « putain, c’est ça que je veux faire. » Du coup, il commence le Jamel Comedy Club, il rencontre Kader Aoun, il commence à faire des trucs… et au bout d’un moment, à force que je lui dise : « tu devrais faire ça », « dis plutôt ça« , il me dit : « vas-y viens, t’es mon co-auteur. » On est en 2008, je me retrouve au Jamel Comedy Club 3. Un mois ou deux avant l’émission, les gens qui sont pris font des scènes ouvertes, ils font leurs passages pour améliorer le sketch qu’ils font à la télé. Comme moi j’ai une position d’auteur, je suis super détendu, eux ils ont la boule au ventre.
À ce moment-là, moi je taffe dans un truc qui a rien à voir, je suis responsable informatique pour des notaires. Un vrai taf alimentaire pur. Fin 2008, je lâche tout, je demande la fameuse nouvelle rupture conventionnelle, qui a permis de lancer beaucoup de carrières ! [Rires] Début 2009 je me lance et je me dis : « je vais écrire le spectacle de Kheiron, et on verra où ça me mène. »

A : C’est là que tu comprends que t’as envie d’être plus en retrait et pas forcément sur le devant de la scène ?

N : Ouais… en fait je me suis jamais trop posé la question. Quand j’écris un truc, j’aime bien que ça existe. Mais je n’ai jamais trop placé mon égo dans le fait que ce soit moi où quelqu’un d’autre qui le dise. Quand Kheiron faisait une vanne et que les gens rigolaient, c’était bon, ma vanne était marrante. Je n’avais pas forcément besoin de la dire… Après je monte quand même des fois sur scène pour faire du stand-up, je fais des sketchs avec Kyan, je ne suis pas non plus complètement caché, genre j’ai peur du monde.

A : Dans Bref, il y a un certain nombre de références à Fuzati ou à Orelsan dans ce côté réalisme un peu lose.

N : Totalement. D’ailleurs on s’est rencontrés avec Orelsan, on s’aime bien notamment parce qu’on fait la même chose. Quand j’ai pris le premier album d’Orelsan et que je l’ai écouté, je me suis dit : « mais, c’est l’arc narratif de la première saison de Bref ! » Si tu regardes bien, il se passe les mêmes choses, et il y a beaucoup de parallèles… Le héros de Bref, c’est un loser mais il est marrant à regarder. Un peu comme Orelsan, il est un peu dépassé, il court après les meufs mais il n’y arrive pas, et ça va jusqu’au suicide social, quand il est en soirée et qu’il se met à insulter tout le monde…

A : Quand t’écoutes ses deux albums, tu te dis, quelque part, « j’aurais pu faire ça ? »

N : L’album d’Orelsan, il est sorti un peu avant Bref, donc il fait partie de nos influences, vu que c’est un truc qu’on écoutait avec Kyan. Après, à quel point ça nous a influencés, c’est difficile à dire… Mais on s’est reconnus dedans et quand on a voulu faire un truc qui nous ressemblait on a fait Bref… D’ailleurs Orelsan est dans le livre Bref. Et quand tu écoutes des trucs comme les Casseurs Flowters, un morceau comme ”Prends des pièces” ça ressemble à des épisodes de Bref.

A : J’ai vu sur Twitter que tu demandais quel était le plus âgé des deux frères d’Ärsenik.

N : Ouais alors tu sais ?

A : Je crois que c’est Calbo le plus âgé. En tout cas, ils ne sont pas jumeaux.

N : Ouais, c’était les 2Bal qu’étaient jumeaux. Mais du coup, si c’est Calbo le plus vieux… C’était pour vérifier ma théorie que la plupart du temps le plus vieux est moins bon. [Éclats de rires] Je dis ça parce que je trouve que Calbo est moins bon que Lino, Faf Larage moins bon que Shurik’n… Je me posais la question à propos de Bigflo et Oli. Il faut que j’attende l’EP pour voir si Bigflo est le moins bon. Je ne lui souhaite pas !

« L’album d’Orelsan, on s’est reconnus dedans et quand on a voulu faire un truc qui nous ressemblait on a fait Bref. »

A : Justement, comment est-ce que Kyan en est venu à tourner dans le clip de « Monsieur tout le monde » ?

N : En fait Kyan était monté sur la scène du Zénith à un concert d’Orelsan. Il était venu faire du violon sur « La Petite Marchande de Porte-clefs » où Bigflo et Oli étaient en featuring. Ils se sont rencontrés là-bas et je sais que Kyan aimait bien ce qu’ils faisaient. Du coup, quand ils ont fait le morceau ”Monsieur Tout le Monde” ils ont envoyé un mail à Kyan en lui disant : « écoute, on a pensé à toi pour faire Mr. Tout le monde. » Et voilà, c’était parti.

A : Et le clip tourne très bien.

N : Ouais c’est cool ! Ils en sont à 700 000 vues là [Interview réalisée fin mars, NDLR]. C’est déjà beaucoup pour un morceau comme ça et pour un groupe qui n’est pas forcément connu en dehors des Rap Contenders. Bigflo & Oli je trouve ça super. J’ai entendu un peu leur EP chez Kyan, et ils ont tout le bon côté des anciens et toute la fraîcheur de maintenant.  Pour moi, ”Monsieur Tout le Monde” aurait très bien pu être un morceau d’IAM à l’époque où ils faisaient des grands morceaux. Même le clip ça aurait pu être un clip d’IAM. Eux je vais les suivre.

A : D’un point de vue écriture pure, qui sont les rappeurs qui t’ont profondément influencé ?

N : Akhenaton et Shurik’n c’est une évidence. Je dirais Fabe aussi, et le K-Fear de La Brigade. Je te citerais ces gens-là, pour la conscience qui s’en dégage. Quand t’écoutes « La Cosca »… Akhenaton il met vraiment des images en mots. Tu écoutes « Un cri court dans la nuit » par exemple, c’est un de ses plus beaux textes, t’es vraiment immergé dedans. Personne ne peut l’écouter sans imaginer la scène, tellement c’est décrit. Ce type d’écriture, ça m’a beaucoup influencé. Je citais Le K-Fear plutôt pour la technique, les rimes à rallonge…. J’ai commencé à tomber dans le rap avec Solaar et IAM. Ensuite, ça a continué avec tous ceux qui émergent en 98, donc Fabe, Fonky Family, Ärsenik, Oxmo Puccino aussi. Je me souviens de Sinik dans Néochrome 2, il avait fait une courte apparition bien puissante. Et après quand tu continues, il y a Orelsan, Fuzati…

A : Qu’est-ce qui te plaît chez Fuzati ?

N : Ce que j’aime c’est vraiment le côté écorché, le côté fauve. Quand je dis fauve, je pense à Base de la Brigade, ce côté hors temps… Fuzati, j’aime vraiment beaucoup, il y a une poésie dans ce qu’il fait, des trucs comme ”Livreur d’Amour”. Moi une de mes préférées c’est ”Poussière d’Enfants”, c’est comme s’il y avait plein de phases dedans, un truc joyeux, des espèces de chocs… le premier couplet je le trouve super fort.

A : Après sur le premier album, il y a quand même un ensemble qui n’est pas joyeux du tout !

N : Il me semble que le peu de fois où j’ai entendu Fuzati parler d’Orelsan, il disait qu’il n’aimait pas. Notamment parce qu’Orelsan rendait cool le fait d’être un loser. Et j’ai parlé avec Orelsan et lui il kiffe Fuzati. Je pense qu’il y a un problème, c’est qu’à partir du moment où tu le chantes, pour moi c’est la même démarche, si t’étais vraiment un mec triste et déprimé, tu te serais suicidé, t’aurais pas fait un album. C’est juste qu’Orelsan l’a fait plus joyeusement, mais j’ai eu l’impression qu’il y avait une espèce de course à la tristesse. C’est un peu dommage.

A : Et dans ceux qui tournent aujourd’hui ? Booba ?

N : Booba en fait, à l’époque, tout enfoncé dans mon rap conscient… [Il s’arrête] Quand on a voulu commencer à partir en tournée, on s’est mis avec des gars qui étaient animateurs dans les centres de jeunesse. Ils nous disaient : « vas-y nous on croit en vous, on s’en fout on prend un minibus et on y va. » Et eux étaient à fond dans Lunatic, c’était l’époque de la sortie de Mauvais œil. J’étais obligé de constater que c’était super puissant, mais à l’époque ça m’énervait quelque part ce genre de messages.

En fait tout ce qui était Mafia K’1 Fry, Rohff, Booba, j’avais l’impression que c’était des bons orateurs, des mecs super forts, mais c’était un peu l’antithèse de ce que portaient Solaar ou IAM. De ce que moi je portais philosophiquement… Mais malgré tout, tu es obligé de reconnaitre que Booba a apporté énormément. Aujourd’hui j’aime moins, je préfère un Seth Gueko, je trouve ça plus marrant d’avoir de la punchline avec un peu de second degré, de la punchline de gitan, plutôt qu’un truc lourdingue comme : « j’vais me faire sucer par des bitchs. »
Seth Gueko est vraiment fort. Il envoie tellement de punchlines à la mesure. Il est violent, mais plus festif. C’est un débat qu’on a à chaque fois avec Mouloud, parce que lui il adore Kaaris. Ouais, Kaaris c’est bien, je ne critique pas ce qu’il fait, mais c’est dur, le mec il peut te taper quoi ! [Rires] Seth Gueko il va te taper, mais ça va être marrant. Il y a un côté Tarantino chez Seth Gueko.

A : T’as parlé de Solaar tout à l’heure…

N : Solaar c’est le premier que j’ai vraiment écouté. Le premier qui m’a amené dans le rap, à l’époque de ”Caroline”. Je me souviens que le rap, à l’époque, j’étais super jeune, je n’avais pas compris que c’était un mouvement. Et qu’il y allait y avoir d’autres rappeurs. Quand j’ai entendu IAM, j’ai cru qu’ils copiaient Solaar ! [Rires] Après je me suis rendu compte que non, il allait y avoir plein de rappeurs et c’était tant mieux.

Solaar pour moi c’est le daron, le Alain Souchon du rap. Je trouve dommage qu’il ne soit plus là. En fait il y a une espèce d’effet dents de scie chez Solaar qui est pour moi incompréhensible. Comment est-ce que tu peux avoir sur un même album « Solaar pleure », « RMI » et « Hasta la Vista » ? J’ai jamais vraiment compris, cet effet « Coupe le cake » pour moi il a toujours été chez Solaar, dès qu’il veut faire des trucs un peu rigolo, à part au tout début, ça rate un peu. Alors qu’IAM, j’aime bien « Danse le MIA » et toutes les conneries qu’ils faisaient. Après c’était moins rigolo. Solaar je trouve qu’il a été difficile à suivre, Qui sème le vent c’était une tuerie, Prose Combat c’était une tuerie, et puis après il y a eu des embrouilles, des trucs tu ne comprends plus…
Il a fait Paradisiaque que j’ai beaucoup aimé. J’aimais bien le fait de faire des trucs avec Boom Bass et Zdar, et puis après il a eu une espèce de creux. Il a fait « Rabbi Muffin », je ne sais pas quoi. C’est bizarre, pour moi c’est un gars qui est beaucoup moins reconnu par les gens que des IAM ou des NTM, qui ont un coté, qui que tu sois, tu sais qu’il faut les respecter, que c’est un peu les Beatles ou les Rolling Stones du rap. Et Solaar il est… ouais, il a disparu mais quand il réapparaissait, c’était pour faire « Rabbi Muffin ». Pour moi c’est comme Doc Gynéco, lui aussi j’attends impatiemment son retour. Pour moi, Doc Gynéco, soit il revient, soit il fait un truc de merde et voilà.

A : Le premier Gynéco, c’est un truc que t’as écouté et aimé ?

N : Ah ouais, c’est un classique ! J’écoutais Ministère A.M.E.R, Passi, Stomy, Les Tentations, Quelques balles de Plus Pour… Le calibre qu’il te Faut, avec tous les featurings et tout. Gynéco quand il est arrivé, il a vraiment apporté un truc, ce côté désinvolte. Pas forcément le personnage, mais désinvolte dans la carrière aussi : « mais moi je vais aller à Los Angeles avec un groupe et c’est un groupe qui va jouer » à une époque où si t’avais pas de sample, c’était bizarre. Ce côté « classez-moi dans la variet’, mais me faites pas chier » je trouve que c’était très, très fort. Après son personnage était tellement fascinant qu’il s’est fait « lalanniser » en allant chez Fogiel, le mec a eu sa marionnette chez Les Guignols, à un moment c’était devenu une espèce de bouffon pour le grand public. Pour moi ça a été une espèce de tournant : il fait Première consultation, ça tue, Liaisons Dangereuses ça tue.

A : Tu as le premier couplet de MC Jean Gab’1 aussi sur cet album.

N : MC Jean Gab’1, c’est du gangsta rap français, parce que si t’es un vrai gangster, t’as pas besoin de faire des trucs qui marchent avec des meufs qui chantent dans tes refrains. Il a ce côté : « j’en ai rien à foutre, je vous emmerde tous, je suis déjà blindé, je suis un gangster, qui est-ce qui va me clasher maintenant ? » J’aimais bien cette idée de ne pas faire une copie du gangsta rap américain. Mais d’avoir ce côté français avec cet argot. C’est pas à fond ma came Gab’1, mais je trouvais le personnage intéressant.

« C’est un défaut du rap en général, on passe plus de temps à dire qu’on déchire qu’à déchirer. »

A : Je lisais une interview de Kyan – sur LeRapEnFrance – où on lui demandait de citer ses références, et une de ses premières c’était un morceau d’Orelsan, « La peur de l’échec ». C’est un truc que tu citerais aujourd’hui ? 

N : Ce qui est fort en fait dans ”La peur de l’échec” c’est que c’est le dernier morceau. Donc si tu respectes la chronologie de l’album, le mec se contredit complètement. Tout le long de l’album il va dire : « ce que je dis c’est du premier degré, que les pédés qui me traitent d’homophobe aillent se faire enculer, c’est des putes…  » Et à la fin il dit : « je le pense pas, j’dis que j’aime pas les filles… » et c’est ce truc qui est très fort, d’accepter et de montrer la contradiction. Je pense que c’est la force de ce morceau, de dire « ok »… au moment où t’entends ça tu te dis « quand il a fait ses vannes, je me suis marré, et quand il dit que c’est de la merde, je suis d’accord parce que là il me met dans une autre ambiance. » Je pense que c’est tout le truc de ce morceau, qui colle bien ensuite avec Le Chant des Sirènes.

Pour moi Orelsan, c’est vraiment un des meilleurs à l’heure actuelle. Et Casseur Flowters je kiffe ! C’est du vrai bon rap mongol comme il en faudrait plus, en plus l’album concept est super efficace. On s’était vus en studio à l’époque, ils nous avaient fait écouter, ils n’avaient pas encore fait les interludes, et je disais : « j’attends de voir. » À chaque fois que quelqu’un m’a dit : « tu verras, ce sera un album concept, et on fera des interludes où on parle » j’me suis retrouvé à passer direct au morceau suivant. Là, c’est vachement bien foutu, c’est cohérent, drôle à écouter. J’avais un peu peur que Gringe n’ait pas d’intérêt à côté d’Orelsan et en fait ça marche très bien, il y a toujours un équilibre. C’est quand même compliqué, parce qu’il arrive comme le deuxième, et j’ai jamais entendu dire « ouais ça m’a saoulé, j’adore les couplets d’Orel et je déteste ceux de Gringe », ils ont évité l’effet La Garde.

A : Est-ce qu’il y a d’autres morceaux qui t’ont particulièrement marqué ? Plus que des artistes, des morceaux un peu phares que tu aurais aimé écrire ?

N : Oh il y en a plein ! Forcément je vais te dire des « Demain c’est Loin” ou ce genre de trucs, mais j’aurais aimé être un peu plus original… il y a ”La Cosca” d’Akhenaton et après, récemment, je trouve que Roi sans Carrosse d’Oxmo est super fort.

A : Qu’est ce qui t’a marqué du coup sur Roi sans Carrosse ?

N : Ce côté « Je chante » d’Oxmo. Pour moi c’est la première fois où tu ne te dis pas : « c’est quoi ce rappeur qui chante ?!« . Comme s’il avait trouvé sa tessiture. Je dis ça, j’adore Vincent Delerm, j’aime beaucoup Miossec, j’aimais bien à une certaine époque des gens comme Benabar ou Renaud. Ce qui était fort chez eux c’est qu’ils connaissaient leurs limites, et ils avaient réussi à créer des variations qui faisaient que leurs morceaux étaient totalement acceptables. Tu te disais pas : « C’est bizarre comment il chante ! » et pour moi, il y a ça aussi dans Roi sans Carrosse. Il y a aussi un truc premier degré assumé qui rend le tout fort et touchant. Après, si je devais en prendre qu’un dans Roi sans Carrosse, ce serait « Paname ». À mon sens, si tu dois sortir un morceau pour dire : « mais les rappeurs c’est des poètes ! » c’est ce morceau que tu prends, tu le poses et tu le lis, c’est un poème, un vrai, avec les images et des choses très fortes…

A : Est-ce que ”Lecture Aléatoire” de Médine, qui est une espèce d’hommage…

N : Ouais je le trouve cool. Ceci dit Médine j’ai jamais vraiment trop écouté, même si je le trouve très fort. Eklips avait fait ça aussi avant en imitant les rappeurs, je trouve ça symboliquement fort… Le rap français, maintenant c’est assez ancré pour que ce soit possible de faire quelque chose comme Rockcollection de Voulzy. J’attends le moment où il y aura des reprises de rap, parce que c’est le seul truc qui n’est pas arrivé, et je sais pas pourquoi ! Je pense que la nouvelle génération, les mecs comme Bigflo & Oli ou 1995, ils vont se dire à un moment : « pourquoi on ne fait pas une reprise de « Demain c’est Loin » ? »

A : Est-ce qu’il y en a un dernier groupe que je n’ai pas cité ?

N : Oui, l’album KLR du Saïan Supa Crew était super fort. On aurait pu parler de Fabe aussi, surtout Détournement de son… Pour moi c’était vraiment le rap conscient, je trouve que Détournement de son, c’est son apogée, j’aimais bien son côté impertinent, même si au final il passait plus de temps à dire qu’il était impertinent qu’à l’être. C’est un défaut du rap en général, on passe plus de temps à dire qu’on déchire qu’à déchirer. Et puis Nakk aussi, à l’époque où il arrivait, il posait un morceau dans une compil’ il repartait, et tout le monde se prenait la tête. Des trucs comme ”La Tour 20” et « On s’ reverra là-haut » avec les 10… Gros tueur. Je me souviens de son couplet : « Quand vais-je monter aux cieux ? Aucune idée, poisseux, comme un Kennedy, je bois ce verre de Heineken et me dis que je peux mourir soir-ce. »

A : T’as quelque chose à ajouter ?

N : J’ai écrit un morceau dans l’album d’Émilie Simon ! Le morceau s’intitule « Des Larmes ». Ma démarche pour écrire ce morceau, elle était très simple. J’avais ce côté : « je ne fais pas de solfège, mais si sur cette grille je mets des notes, ça fait quand même des mélodies. Peut-être que je peux aussi écrire des textes de chanson française ! » J’ai essayé de faire des morceaux, c’était un peu merdique. Mais les paroles étaient un peu plus réussies que les mélodies. J’ai croisé Émilie Simon à plusieurs reprises, et au bout d’un moment je lui ai dit : « il y a une chanson qui pourrait peut-être te plaire« . J’ai essayé de lui faire avec ma mélodie, de lui chanter. Elle a dit : « je vais te prendre le texte, la mélodie tu vas me laisser faire. » Tant mieux d’ailleurs. Je suis content parce que parmi les choses que j’aimerais vraiment faire, ce serait d’écrire des chansons pour des chanteurs, donc ça me fait une petite carte de visite. Maintenant je peux dire : « écoute ce morceau, Émilie Simon m’a fait confiance. » Et ça c’est classe.

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