404Billy, correction automatique
Interview

404Billy, correction automatique

Fort du succès d’estime de Hostile, premier projet monochrome, et de ses premières parties pour Damso, 404Billy revient avec Process, nouveau disque entre prise de confiance et recherche artistique.

et Photographie : Brice Bossavie et Miaous Barksdale (Photo Blaz Pit)

« Dans mon monde, plus de couleurs, le noir est l’nouveau orange ». Avec ce trait d’esprit placé sur « 404 », titre qui ouvrait Hostile, 404Billy résumait de manière (paradoxalement) brillante son univers.  Sans être radicalement obscure comme peut l’être celle de certains membres du 667 – Freeze Corleone en première ligne -, la musique de 404Billy est sombre, portée par des pensées noires et des instrumentaux funestes. Une ligne directrice ferme, affirmée à partir de « Le Kid est mort », en 2017. Sur des violons étirées et étriquées et la rythmique appuyée de DST, 404Billy annonçait la couleur – ou son absence, précisément : « Mes djinns sont mes ghostwriters, me poursuivent pour droit d’auteur », crachait-il, la hargne dans la voix.

La suite a été dans la même veine : plusieurs clips tout en nuances de gris, puis Hostile, sorti en avril 2018. Une première sortie compacte, cohérente, condensée en dix titres, à l’époque des albums fleuves. Et derrière les invectives et autres références à la faucheuse, quelques cicatrices mal dissimulées (« J’ai connu mon père au parlu, il n’est pas souvent réapparu »). Un ton et une attitude affirmés qui ont piqué la curiosité de Damso. Le Bruxellois a invité 404Billy et son équipe à assurer l’ouverture de son Lithopédion Tour. L’expérience a été une première reconnaissance, mais surtout un apprentissage suffisamment concluant pour que 404Billy prenne en assurance. Non pas qu’il en ait jusque là manqué ; mais ses ambitions sont maintenant plus hautes.

Preuve en est avec Process, nouveau projet sorti ce 15 mars, dans lequel le rappeur de Villiers-le-Bel explore des nouvelles directions, construit mieux ses morceaux. « Sombre fan » est empli d’autodérision, « Espèce » le voit chercher dans des flows et une diction plus sèche, « Rouler » et « Rageux » développent des ambiances plus mélodieuses. Un ensemble davantage hétérogène, mais qui tient par cet esprit misanthrope d’un garçon devenu adulte trop tôt. La musique de 404Billy est encore perfectible, corrigible. Il le sait, même si, lors de notre entretien, il assume sa part de prétention en assurant viser à être le meilleur. À être aussi meilleur tout court, dans sa carrière comme dans sa propre vie.


Abcdr du Son : Il y a une évolution marquée entre Hostile et Process. Musicalement déjà : on est passé de ces mélodies funestes à des choses plus pêchues. C’était une volonté dès le départ ou c’est arrivé au fil de l’enregistrement de ce projet ?

404Billy : Avec Hostile, je me suis dit qu’il fallait que j’arrive avec un projet où je rappe. Et je savais que le sombre, c’est ce qui m’allait le mieux. Pas forcément du rap boom bap, mais sombre. Il fallait que je prouve que je sais rapper. Je ne pouvais pas venir et sauter des étapes. Maintenant, je ne veux pas habituer les gens à se dire que je fais tout le temps la même chose, à rester dans ma zone de confort. Process, le nom colle à l’idée du projet. Je dois me découvrir aussi, et voir où je peux aller. Mais toujours en faisant des trucs que j’aime.

A : L’idée de faire tes gammes, c’était un défi pour toi-même ou un message au public ?

404 : Je pense que c’était les deux. C’est pour ça que dans Hostile il n’y a aucun feat. Je devais montrer que je pouvais faire un truc structuré, où j’arrive à tenir dix tracks seul, sans qu’on soit lassé de m’écouter. Mais aussi montrer aux gens que je sais kicker et que je peux aller plus loin. Je m’ouvre un peu plus, je découvre des nouveaux trucs. Et j’espère que dans l’album suivant je pourrai encore aller dans des nouvelles directions.

A : « RVRE », le morceau avec Damso, ça a été un déclic pour ça ?

404 : Oui, dans le sens où je me suis dit: « si je peux poser avec des disques de diamant, je peux faire des trucs ! Des trucs de ouf ! » Je ne peux pas me reposer sur des acquis. Je sais rapper sur des prods un peu freestyle, mais je dois faire des vrais morceaux, des vrais titres. Je pense que c’est ce que les gens attendent de moi maintenant. Ça allait aussi avec ce que j’écoutais dans le moment. Process est homogène, mais aucun son ne se ressemble.

A : C’est vrai que sur Hostile, il y avait plus ce sentiment de fil conducteur, de teintes unies, ce qui est moins le cas sur Process.

404 : Voilà. Je sais que ça va déplaire à certaines personnes qui avaient kiffé Hostile. D’autres qui attendent une évolution seront contents.

A : Ça te permettra d’écrire « Sombre fan 2 ».

404 : [rires] Voilà, exactement.

A : « Sombre fan » est intéressant, d’ailleurs : c’est peut-être une des premières fois où tu thématises ta musique. D’où est venue l’idée de ce morceau ?

404 : La prod de Junior Alaprod tournait en studio – et moi, je n’écris pas chez moi, mais en cabine, derrière le micro. Et j’ai commencé à raconter l’histoire d’un mec bizarre. Mais ça partait dans un délire, il fallait que je ramène ça dans un esprit plus drôle, d’où ce truc de sortie de concert. Ce n’est pas quelque chose que je referai tout le temps, c’est aussi pour ça qu’il est en bonus. Je ne savais pas où le foutre dans le projet. C’était un kif du moment. Mais je kiffe comment je l’ai écrit : il est visuel.

A : J’avais précisément l’impression de lire une suite de commentaires YouTube.

404 : [rires] Exactement ! Même dedans je m’autocritique aussi.

A : C’est un des premiers morceaux où tu utilises un ressort qu’on n’entend pas forcément dans ta musique : l’humour.

404 : Parce que m’autocritiquer, j’ai trouvé ça drôle. Je suis conscient de ce que les gens me disent. Quand tu n’es pas dans le déni, les gens ne peuvent rien contre toi. Un mec m’a dit une fois « t’as pas un physique de rappeur » [rires]. En vrai, dans la vie je suis un grand con : j’aime vanner. Et quand je suis grave sérieux dans mes sons, mes potes de 404 me vannent aussi. Dans la musique, j’essaie de faire ressortir quelque chose de plus… profond. Mais dans la vie de tous les jours je ne suis pas en mode « la faucheuse ».

A : Tu as beaucoup enregistré pour ce projet ? Tu as dû écrémer ?

404 : Ouais j’ai beaucoup trop de sons dans mon disque dur. J’ai beaucoup plus enregistré que pour Hostile, j’ai voulu tester des choses.

A : On a un peu l’impression que c’est un banc d’essai, Process.

404 : Un gros déclic pour Process, ça a été l’album ? de xxxtentacion. En l’écoutant, je me suis dit qu’on n’avait pas à se mettre de barrière, qu’on pouvait tout faire. Lui va loin, de « Moonlight » à un truc où il kicke avec Joey Bada$$, en passant au métal – je ne pense pas que je ferai ça un jour. Mais là, je kicke avec Blaz Pit sur « 404Freestyle », et je chante un peu à la Trippie Redd ensuite. Les projets comme ça, ça m’inspire. Je ne veux pas qu’on me cerne, qu’on me mette dans une case. Je veux être moi, Billy. Ce qui marche ou pas, on verra. Le prochain projet, l’album, sera plus pro, plus prise de tête. J’essaierai d’autres trucs.

A : Qu’est-ce que ça veut dire plus pro ?

404 : [il réfléchit] Je veux qu’il ait un impact. Si tu te dis que t’es fort, ton premier album doit être un classique. À ton échelle. Ça doit inspirer les gens. Ça doit se sentir que t’as pris un autre niveau. Process, c’est un projet parfait pour introduire un album ensuite. Parce que c’est déjà plus pro que Hostile, les morceaux sont mieux structurés, il y a des humeurs différentes.

A : T’as encore le sentiment d’être en mutation ?

404 : Grave. C’est un peu ça, « process ». Je suis dans le processus. Ce n’est pas Billy forme finale. Hostile j’étais en Kaïo-ken [NDLR : technique de combat dans le manga Dragon Ball]. Process j’suis en Super Saiyan. Et le prochain, on verra.

A : En Beerus [NDLR : personnage de Dragon Ball Super].

404 : [rires] Voilà. En dieu de la destruction.

« L’obscurité m’a toujours attiré. Le noir, c’est un truc plus personnel. Tu es dans ton monde, dans ta bulle, tu crées ton truc. Tu es seul. »

A : Les clips pré-Hostile et ceux d’Hostile avaient cette esthétique marquée par le noir et blanc. Là, les clips sont en couleurs. Est-ce que tu considères ce changement visuel comme un accompagnement de nouvelles directions sur Process ?

404Billy : Exactement. Le noir et blanc, c’était vraiment un concept pour Hostile. Je me suis dit que c’était bien pour ce projet. Mais j’ai été vite limité. Même au niveau du style vestimentaire ! Je me suis dit qu’il fallait arrêter. « RVRE », c’était le bon moment pour ça, ça m’a permis de me faire connaître de plus de gens. C’était un nouveau palier, donc c’était le moment ou jamais de ramener de la couleur. Et c’est vrai que les sons dans Process sont un peu différents d’Hostile, quand même. C’est moins sombre. Et donc le noir et blanc n’allait pas coller avec tous les morceaux.

A : « RVRE », ça a débloqué des choses dans la direction que tu prenais pour Process ?

404 : Le truc que je me suis surtout dit, avec « RVRE », c’est qu’il y en a peu qui aurait fait ça. Le son va être écouté grâce à la notoriété de Damso, mais moi je rappe sale, sur un truc un peu new-yorkais. Pour moi, c’était la fin de la boucle. Même en invitant Damso, je suis là pour l’artistique, pas pour faire du buzz. Je rappe parce que j’aime ça. Si je dois faire un son hardcore avec un gros featuring, je vais le faire. Je me suis prouvé que je pouvais le faire.

A : Il y a eu d’autres titres de Process où tu as eu le sentiment que tu t’es prouvé des choses ?

404 : Oui, un titre qui s’appelle « Preuve », où je crie carrément, j’ai kiffé. Je n’aurais pas osé avant. J’avais des difficultés avant avec l’Auto-Tune. Et certaines personnes me disaient « ce n’est pas pour toi ».

A : Pourtant tu en as utilisé sur « Azerty ».

404 : Oui, mais ce n’était pas poussé. Et justement les gens me disaient « arrête, ce n’est pas pour toi ». Mais ça m’a poussé à travailler, et j’ai réussi à faire des morceaux dont je suis fier comme « Preuve » et « Rouler ».

A : Ce sont des morceaux d’ailleurs où tu te livres un peu, de manière éparse. Plus que sur Hostile.

404 : C’était voulu. J’ai commencé ce projet par « Réel » et « Vécu ». Je me suis dit au départ que j’allais faire un projet personnel, avec des choses plus mélancoliques. Mais finalement je préfère garder ça sur l’album, parce que j’ai des choses à raconter. J’aime bien quand les gens m’écoutent et se disent « il peut faire ça ».

A : Si tu as envie de parler plus de toi, pourquoi prendre des détours avec cette écriture brute, sauvage ?

404 : Déjà, moi, à la base, je n’aime pas les trucs à l’eau de rose, ou les morceaux où on se plaint. Après, c’est aussi ma vie qui fait que j’ai vu des choses hardcore. J’ai toujours aimé les choses sombres : les films, les sons. J’écoutais beaucoup de rap new-yorkais aussi. Quand c’est sombre, je kiffe. C’est ce qui me crée des émotions.

A : Ça explique la récurrence du motif de la nuit dans tes morceaux ? C’est un moment du temps où tu te retrouves ?

404 : Oui, je préfère la nuit. Je bosse souvent au studio la nuit, dors la journée et retourne bosser la nuit. Même pour trouver l’inspi : je demande à l’ingé d’éteindre les lumières en cabine. Même dans ma chambre, j’ai toujours eu les volets fermés. L’obscurité m’a toujours attiré. Le noir, c’est un truc plus personnel. Tu es dans ton monde, dans ta bulle, tu crées ton truc. Tu es seul.

A : Ça te met en confiance.

404 : Exactement. C’est comme en concert : quand l’artiste arrive, on éteint les lumières.

A : Il y a aussi un sentiment de solitude qui se dégage de beaucoup de tes morceaux. Ça s’exprime comment cette solitude chez toi ?

404 : En vrai je ne suis pas seul, j’ai une famille, mes enfants… Des frères, 404, j’ai de la chance, ce sont des gens qui me ressemblent… Mais oui je me sens seul même quand il y a du monde. Je me sens différent. Depuis que je suis petit : je n’avais pas beaucoup d’amis, parce qu’on a vécu des choses compliquées avec ma mère, on a vécu à la rue. Même quand j’habitais encore chez elle, elle ne savait pas si j’étais à la maison ou dehors, tant qu’elle ne montait pas dans ma chambre. J’étais isolé. J’ai toujours été solitaire. J’avais même écrit un son comme ça quand j’étais petit, qui s’appelait « Solitaire », le deuxième son que j’ai écrit dans ma vie. Après, je pense que ce n’est pas plus mal, c’est ce qui permet d’écrire comme j’écris.

A : Tu as embrassé cette solitude, c’est ça ?

404 : Oui, je ne la rejette pas. Je ne cherche pas des amis, la compagnie. Je kiffe mes gars, mais même en étant avec eux, je me sens… différent. Je n’ai jamais été dans la masse.

A : Tu parlais d’un de ces premiers textes, écrits plus jeune. Tu avais quel âge ?

404 : Je devais avoir 16 ou 17 ans. J’écrivais quand j’étais petit, de la merde. Après, j’ai été dans des choses plus personnelles. Je faisais des conneries, donc ma mère m’enlevais tout. J’avais caché un poste dans ma chambre, j’écoutais la radio. Et en entendant un son un jour, je me suis dit « moi aussi je vais écrire un truc ! » J’écrivais sans instru ! C’est comme ça que j’ai commencé à écrire. Et à cet âge, vers 16 ans, j’avais déjà une fille. Je n’étais déjà pas comme les autres gars de mon âge. Je parlais déjà du fait d’avoir un enfant. [Il réfléchit] En fait, je n’ai pas trop changé de thèmes ! Peut-être que si le succès vient, je verrai les choses autrement. Mais si je te retrouve le texte, je suis sûr qu’il y a des similitudes.

A : Tu parles en effet souvent de ta paternité depuis le départ. Est-ce que cette paternité précoce a changé ta manière d’envisager le fait de faire de la musique ?

404 : Ça a déjà changé ma manière de voir la vie ! Je n’avais plus ma place en bas du bâtiment. Je me disais « qu’est-ce que je fous là ? J’ai une fille, je peux pas être là avec les autres ». Et au niveau artistique, ça donne forcément des choses à raconter, tu as une autre vision. Je serais sûrement encore plus fougueux si je n’avais pas d’enfants. J’aurais clashé tout le monde, j’aurais fait n’importe quoi [sourire]. Mais là j’ai des choses plus profondes à raconter, que je garde pour l’album.

A : Ça a changé ta relation avec ton entourage ?

404 : Oui, ça a dévié. J’avais déjà des responsabilités. Peut-être que sans ma fille j’aurais fini comme mes potes : en prison. Ils ont des enfants aujourd’hui, en ayant des problèmes avec la justice. Je ne regrette pas d’avoir eu un enfant à 16 ans. Si c’était à refaire, je le referais. Ça m’a épargné.

A : Tu as quel âge aujourd’hui ?

404 : J’ai 24.

A : Donc si je calcule bien, tes premiers textes remontent à 2011. Tu commences déjà à enregistrer à cette époque ?

404 : Ouais, j’allais au studio, dans la chambre d’un mec de ma ville, Villiers-le-Bel. On lui donnait dix balles et il nous enregistrait un son. C’était tout pété : je suis venu, j’ai posé one shot, je ne savais pas comment ça se passait le stud’ ! Tout le monde me disait « arrête, c’est nul ». Mais je suis têtu : j’ai continué. Après, les gens m’ont dit « t’es bon ».

A : Pourquoi tu as persévéré ? Leur prouver qu’ils avaient tort ?

404 : Pour moi, dans ma tête, je suis le meilleur. Je sais que j’ai le potentiel d’être le meilleur rappeur. Depuis que je suis petit. Et pourtant je n’étais pas prêt. Mais pour moi, c’est normal. Faire des feats avec des grands noms, c’est normal. J’ai donné pour ça, j’ai bossé. C’est comme l’Auto-Tune : on me disait « ce n’est pas pour toi, tu arriveras pas à faire des sons chantés ». J’en fais aujourd’hui car je sais que j’en suis capable. Avec de l’entrainement, tout est possible.

A : Tu parlais de Villiers-le-Bel, ville marquée historiquement, dans le rap, par Ärsenik et leur entourage. Est-ce que, en se lançant dans le rap, avec ce patrimoine historique et géographique, tu y as pensé ? Ou tu t’en foutais ?

404 : Surtout quand t’es petit et que tu commences à rapper, forcément ! On te dit « il faut que tu fasses un feat avec Lino ! » Mais en ne connaissant pas la personne, non, tu fais ton truc. Certaines personnes se sont dit « nous, comme on vient du 9.5., faut qu’on fasse du Ärsenik, faut qu’on fasse comme Secteur Ä à l’ancienne ». Mais ce n’est plus la mode ! Nous, on était petits, on écoutait, mais après j’ai aussi beaucoup écouté de rap cainri. Toujours grand respect pour eux, mais on va représenter le 9.5., et faire en sorte aussi que ça continue. Je trouve que le relai a été mal donné chez nous. Pour moi, ce n’est pas normal que ce soit un mec de Belgique qui m’a fait entrer dans le game. Normalement, ça aurait dû être les gars du Secteur Ä ! Je ne sais pas ce qu’il s’est passé.

A : Il y a quand même un trou temporel entre la fin du Secteur Ä et ton émergence.

404 : Oui, mais regarde dans le 93 : NTM pose avec Sofiane. Ça se relaie chez eux. Si demain, je suis une tête d’affiche, c’est à moi de donner la force à un petit du 9.5. Après, je ne sais pas ce qu’il s’est passé chez eux. Mais pour moi, le 9.5 devrait toujours être sur la carte ! Là, il faut tout recommencer. Il y a des gens : Key Largo, qui a signé chez Def Jam, Haristone – on jouait au foot en plus avant [sourire] -, Youv Dee… On n’a pas tous les même délires, mais si on peut s’aider… Moi, Key Largo, quand il y a un truc, je partage. Il y a un truc à faire.

« Dans ma tête c’est un compte à rebours : « Il faut que je me dépêche, ça se trouve je meurs demain ». »

A : Il y a un motif, une valeur qui revient souvent dans tes textes, c’est celle de l’intégrité, en tant qu’artiste et en tant que personne. A quel point cette question est importante pour toi ?

404 : Si je ne suis plus intègre, je ne suis plus moi-même. Je vais commencer à écrire de la merde. Il faut toujours se remettre en question, ne pas oublier ses valeurs. Après, ça arrive à tout le monde de changer d’avis. Mais quand tu commences à faire des choses que tu ne voulais pas faire, tu te demandes : « je me suis trompé ? ou je change ? » Parfois ça arrive sans que tu t’en rendes compte. Car aujourd’hui, c’est ce qui fait, je pense, que des gens respectent ma démarche dans le rap. On arrive comme on est : bruts. Après, il faut faire la différence entre évoluer artistiquement par envie, ou pour l’argent. Si demain je vends 5 CDs et j’arrête le rap, ça voudra dire que je n’aimais pas, en fait. Je ne fais pas disque d’or, et j’arrête ? Il faut savoir pourquoi tu fais de la musique. Moi je sais. Je reste intègre, je sais où je vais.

A : Tu as un examen de conscience permanent que tu prends des décisions concernant ta musique et ta carrière ?

404 : Totalement. Quand je fais des choix, je me dis « est-ce que ça me ressemble. Est-ce que j’aurais fait ça il y a deux ans ? Si non, pourquoi je le fais aujourd’hui ? Est-ce que j’avais tort ? » Il y a toujours des remises en question. Surtout quand tu fais de l’artistique.

A : Quand Damso te propose de faire ses premières parties, tu réfléchis longtemps ?

404 : Non, je fonce direct [sourire]. On s’était déjà vus au moment d’enregistrer « RVRE », on parlait déjà depuis longtemps via Instagram. Pour moi, c’était normal d’y aller. Il y avait un feeling. Le gars fait ça pour me booster : pourquoi refuser ? C’est un bon test, une bonne expérience. Il n’y avait que du kif. Son entourage me disait : « tu n’es pas stressé ? » Non ! Je vais rapper devant dix mille personnes ! Je ne me suis pas posé de questions. D’où je viens : je n’avais rien à perdre. Combien de gens auraient voulu rapper à ma place ?

A : Surtout en ayant sorti juste des clips et un projet.

404 : Tu vois, ça va vite ! Mais je pense que je n’ai rien volé. Je suis resté moi-même, je suis vrai, brut. C’est ce que Damso a aimé. Et d’autres aussi, mais je ne peux pas en parler tout de suite. Des gars qui n’ont rien à gagner à collaborer avec moi, juste parce qu’ils ont kiffé ma musique. Comme quoi, il n’y a pas que des gratteurs dans le rap.

A : Quel bilan tu tires de cette tournée ?

404 : Ça nous a grandi, mon DJ [NDLR : Otto Bell], et Blaz Pit, mon pote et backeur. Je souhaite à tout le monde d’avoir des co-équipiers comme ça. On a vu comment ça se passait. J’ai observé Damso, comment il fonctionnait. Je me suis demandé quelle pression il pouvait avoir. vingt mille personnes viennent te voir : c’est du travail ! Quand je voyais tout le monde chanter ses sons, je me disais « il faut que je rentre chez moi et bosse des sons de fou ! » Je faisais ma première partie, et quand Damso était sur scène, on allait dans le public, on ne restait pas dans les loges. On voulait kiffer le concert comme eux.

A : La seule fois où je t’ai vu en concert, c’était à La Boule noire [NDLR : soirée HRZNS du 23 avril 2018]. Tu es passé de ça à des salles de dizaines de milliers de personnes qui reprennent des paroles en choeur. Ça a été un facteur dans ta manière de concevoir Process ?

404 : Exactement. Tu vois les morceaux qui marchent, ceux qui marchent moins. Les réactions aux punchlines aussi. Maintenant, au studio, il y a le facteur scène. Alors qu’avant on ne se posait ce genre de questions. J’ai hâte de faire mes propres concerts. Blaz me disait « t’imagines quand les gens vont réciter tes paroles ? » Parce qu’être en première partie, c’est frustrant : je voulais rester 1h30 sur scène !

A : On parle beaucoup d’évolutions depuis tout à l’heure. Tu as une phrase sur « Vécu » où tu dis : « ce que je deviens me fait du bien »

404 : Je me dis que je peux faire des bonnes choses, sans forcément décevoir ma mère, mes soeurs. Mon entourage est fier de moi, pour ce que je fais. Ça me fait du bien. Je n’étais pas destiné à faire ça. Je suis fier de ce que je suis en train de devenir.

A : Et en même temps, tu évoques beaucoup la mort aussi, comme un personnage en toile de fond. Tu penses beaucoup à la mort ?

404 : J’y pense vraiment trop. Dans ma tête c’est un compte à rebours. « Il faut que je me dépêche, ça se trouve je meurs demain ». Il y a eu une année où il y a eu quatre morts dans ma ville, tués par balle, pour des raisons différentes. Ça a été un électro choc. Tu peux mourir comme ça, pour une vieille histoire. J’esquive un max maintenant, plutôt que de se prendre la tête.

A : Ça t’effraie ?

404 : Oui. J’y pense beaucoup à ce stade de ma vie. Quand j’aurai accompli ce que je veux accomplir, que mes enfants seront bien, que j’aurai réussi à marquer les gens. Là, je n’aurais plus peur. Mais là ouais j’ai peur, je me dis « ce n’est pas maintenant que je dois tailler ».

A : Est-ce que tu essaies de transmettre aussi ton goût de la musique à tes enfants ?

404 : Ma fille c’est plus compliqué, je ne sais pas si elle va écouter ce que j’écoute. Mon fils, j’attend qu’il grandisse. Je commence à lui mettre des sons, et il bouge la tête. Mais il ne sait pas, il bouge pareil sur Mylène Farmer ou Lil Baby [sourire]. Mais j’aimerais bien lui transmettre oui. Et l’intéresser à ce que je fais.

A : Tu penses à l’héritage artistique que tu vas leur laisser ?

404 : Oui, j’y pense avec ce qui est arrivé récemment. Les premières parties, le gros feat… Ils l’entendront dans leur vie, que j’ai fait ces choses. Mais je me vois plus loin, marquer le truc, pour qu’ils puissent dire « c’est mon daron », que je sois là ou pas. C’est le but même. Les premières personnes que je dois rendre fières, c’est eux.

A : Tu évoquais l’absence de ton père dans « 404 », sur Hostile. Là, tu fais un clin d’oeil refrain de « Mon papa à moi est un gangster » de Stomy Bugsy pour parler de lui, également. Tu es toujours en contact avec lui ?

404 : On s’est vus il n’y pas longtemps oui [sourire]. Il habite au Havre. Mais ma relation avec mon père est bizarre. On ne s’est pas beaucoup fréquentés, c’est récent, en fait. On a plus une relation de potes que de père à fils.

A : Vous parlez de ta musique ?

404 : Il n’y a aucune gêne avec ça. Juste je n’aime pas écouter les sons devant lui. Il m’envoie des messages : «  »Espèce », t’es un tueur, j’ai kiffé ! » Il est fier, c’est bien. Après, est-ce qu’il m’écoute parce qu’il kiffe, ou parce que je suis son fils ? Ça, je sais pas. Lui, c’est un gars à l’ancienne, il n’écoute personne d’aujourd’hui. Donc qu’il me dise que « Espèce » c’est lourd, ça me choque un peu. Mais c’est bon délire. Moi, je veux être plus proche de mes enfants que je l’ai été avec mon père. Mais j’aimerais bien qu’il y ait ce délire là si mon fils fait de la musique.

A: Et ta mère ?

404 : Elle veut venir me voir aux concerts, mais je refuse [rires]. Impossible ! Il y a une grosse pudeur avec ma mère. J’ai même du mal à lui dire « je t’aime ». Je ne veux pas la voir écouter mes sons. Des fois elle me dit « j’ai vu ton clip » ou « j’ai vu ton interview« … ne me parle pas de ça ! [sourire]. En plus elle regarde et partage tout ! Mais je ne peux pas parler aussi librement de ça avec elle.

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