Chronique

Nas
Untitled

Def Jam Recordings - 2008

A sa manière, le neuvième album de Nas illustre l’une des principales ambigüités de la culture hip-hop et, plus particulièrement, du rap : doit-il être considéré avant tout comme une musique ou alors comme un texte comportant un message ? En d’autres termes : être perçu en priorité sous un angle artistique ou socio-politique ? Le genre de questions qui, au-delà des débats journalistiques, divise jusqu’aux rappeurs et auditeurs eux-mêmes, avec à l’arrivée des camps bien distincts, un manichéisme forcené, des kilos d’étiquettes et beaucoup d’énergie gaspillée.

En intitulant son disque « Nigger », Nas, à l’évidence, s’est placé sur le terrain politique, sociologique et historique. Ce ne sont en effet pas des facteurs musicaux qui ont créé l’immense raz-de-marée polémique ayant fini par balayer le titre du projet, jugé scandaleux dans un pays dont l’histoire est férocement marquée par le fil rouge de l’esclavage et de la ségrégation raciale. Ce neuvième album a au final suscité assez peu de discussions d’ordre artistique, alors que son auteur reste l’un des plus talentueux rappeurs de tous les temps. Signe d’un disque musicalement peu enthousiasmant ou d’un coup marketing fabuleux ? 

Dans le numéro de septembre du magazine américain XXL, Nas paraît ne pas regretter cette orientation des débats, estimant que l’écoute musicale de son disque viendra plus tard, une fois que la tension sera quelque peu retombée. L’important aujourd’hui selon lui : créer le dialogue.

Toujours est-il que l’un ne peut aller absolument sans l’autre, et qu’un disque visant la polémique et présentant en couverture un Nas au dos lacéré de coups de fouet se doit de livrer un contenu nerveux et explosif. C’est en tout cas ce que peut logiquement supposer l’auditeur. Première surprise. Comme « Hip-hop is dead », ce nouvel album est globalement sombre, posé et même, par moments, mélancolique. Une atmosphère souvent cotonneuse qui, malgré quelques bons coups de sang (‘Sly Fox’, ‘Untitled’, ‘Hero’), prend le risque de plonger une partie des auditeurs dans un état léthargique. Ainsi, pour affirmer que nul ne peut arrêter l’homme noir (‘You can’t stop us now’), Nas – et Salaam Remi – fait rejouer le classique ‘Message from a black man’, mais sans tension, presque mollement, avec seulement quelques petites montées de cuivres à la fin du refrain. Cette sorte de langueur constitue à la fois l’écueil et la qualité de l’album.

« Quand vous voulez que les gens vous écoutent, vous ne pouvez  pas vous contenter de leur taper sur l’épaule. Il faut y aller à coups de marteau car c’est seulement comme ça que vous retiendrez leur attention », affirme, dans « Seven », le tueur John Doe. Nas a opté pour la manière douce. Sans trembler de stress et de colère comme le Kanye West post-Katrina ; sans exploser de… colère comme Ice Cube sur « AmeriKKKa’s most wanted » et « Death Certificate ». Sans colère, en fait. A des années-lumières des coups de gueule des hérauts de la cause que sont Chuck D, Paris ou KRS One, Nas a juste l’air d’être un peu contrarié.

Une fois la première réaction négative passée, il donne l’impression de créer un nouveau genre de rap : celui de la révolte intériorisée, un rap mature qui cherche à exposer un point de vue plutôt que de l’imposer par la force. Avec une tension qui passerait par une écriture dense et documentée, ponctuée de belles formules (« Pregnant teens gave birth to intelligent gangsters, their daddies’ faceless ») et mise en valeur par des beats sobres et discrets.

Seulement la constance n’a jamais été le point fort de l’enfant prodige de Queensbridge, et Nas est incapable de tenir sur tout un album avec la même atmosphère. Et encore moins capable de ranger son ego dans un tiroir pour ne pas vouloir tout ramener à lui. Résultat : ce qui aurait pu devenir le premier disque d’un nouveau genre devient un album étrange, au sein duquel se côtoient des passages en mode sous-Jay-Z (‘Breathe’), franchement mous-du-genou (‘We’re not alone’), de flambe grandiloquente ratée (‘Make the world go round’) et de grosses réussites dont la présence ici surprend (‘Hero’)… Comme si malgré une thématique fil rouge bien exploitée et un bon encadrement (Stic.man de Dead Prez, The Last Poets), Nas n’avait pas su maintenir une certaine cohérence dans ses choix d’instrumentaux, empêchant de se plonger totalement dans ce neuvième album, passant à côté du grand disque qu’il aurait pu être.

En cette année 2008 qui pourrait bien devenir « L’année Obama », Nas choisit avec un certain opportunisme d’exploiter la thématique de la place des noirs dans la société et l’histoire américaines – un sujet qui, s’il n’a pas été central dans son oeuvre, a néanmoins déjà été abordé par le rappeur. Entre coup marketing classique et sincérité, ses vraies motivations restent floues et le résultat donne un album de qualité, mais loin des ambitions affichées. Reste, en plus, la drôle d’impression de voir Nasir Jones se rêver aujourd’hui martyr de la cause noire comme hier il se rêva mafieux, fils de Dieu ou prophète visionnaire, et de vouloir porter une croix trop lourde pour lui.

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