Chronique

UGK
Underground Kingz

Jive Records - 2007

Six ans qu’on attendait ça. Un nouvel album des Underground Kingz est toujours un évènement mais quand l’attente se fait aussi longue, cela devient incontournable. Ces derniers temps, on n’a jamais autant vu Bun B sur les albums qui comptent avec des apparitions aussi éclectiques qu’efficaces. Son comparse Pimp C est, quand à lui, devenu indispensable à n’importe quelle sortie sudiste depuis sa sortie de prison. En ces temps où le hip-hop made in South est souvent stigmatisé en une paire de braillards gesticulant dans un stripclub accompagnés d’une ligne épileptique de charley et de trois notes de synthé, le véritable retour des anciens apporte un souffle rafraîchissant. Car le Sud a lui aussi son lot de classiques et de légendes. Entre Scarface, Outkast ou 8ball & Mjg, un club très fermé d’artistes s’est créé à la longévité, la créativité et l’assise imparables. UGK a sa carte de membre.

Leur première cassette tourne en 1988 en direct des quartiers ouest de Port Arthur, Texas. Le Sud profond sur bandes magnétiques. Au moment de l’émergence du gangsta rap de Ice Cube et NWA, de Scarface et ses Geto Boyz, les Underground Kingz développent un son percutant, laid back, très chaloupé, emprunt des influences musicales de leur région : soul, blues ou rock. Une originalité purement texane. Le premier album Too Hard to Swallow sort en 1992 avec le très remarqué ‘Pocket Full of Stones’ qu’on retrouvera sur la B.O. de Menace II Society. Ils signent là le fameux contrat de cinq albums chez Jive. Les même Jive qui ont ralenti considérablement la sortie du Hell Hath No Fury des Clipse. Mais c’est une autre histoire. En 94, le son des UGK est dans toutes les caisses rabaissées de Houston à Atlanta. Super Tight est un classique indémodable du rap sudiste avec des titres comme ‘Front, Back, Side to Side’ qui sera repris par T.I. et les deux compères sur King en 2006.

L’underground est acquis à la cause de ses rois mais le groupe peine à atteindre le top des charts. Ce qu’ils feront avec le très réussi Ridin Dirty sorti en 1996, LA référence du groupe à ce jour, plaçant UGK comme un groupe incontournable. Et là, c’est le drame. Jive entre en scène et rate le lancement du prochain album après une attente de 5 ans. La piste était pourtant préparée à l’extrême avec les apparitions de Bun B et Pimp C sur le tube de Jay-Z ‘Big Pimpin’ et sur celui des Three Six Mafia ‘Sippin’ on Some Sizzurp’ en 2000. Dirty money sort plus d’un an après, l’effet est raté, autant de bruit qu’un pet de nonne bien que le disque soit de qualité. L’histoire prend alors un virage plus sombre. L’entrée en prison de Pimp C en 2002 a eu deux effets assez contradictoires. Le premier est bien sûr la séparation du groupe qui n’a pu continuer sur sa lancée et avoir le statut qu’il méritait. A l’inverse, le deuxième permet à tout le Texas de crier « Free Pimp C ! » derrière le meneur respecté qu’est Bun B alors que Houston devenait la capitale des ventes américaines. UGK n’a jamais été aussi présent. Bun B est sur tous les bons coups, de toutes les fêtes, profitant de l’émergence radicale du hip-hop texan entre Chamillionaire et Mike Jones pour préparer son arrivée en solo chez le mastodonte texan Rap-A-Lot Records. Sortie en 2005, Trill est une réussite. Pimp C sort alors de prison en fin d’année et réalise un solo plutôt moyen pour Rap-A-Lot quelques mois plus tard. Le groupe commence à enregistrer dès la sortie de Pimp C. Annoncé pour l’été 2006, l’album sera repoussé encore et encore pour sortir finalement chez Jive le 7 août 2007. Le buzz est en place, le son des UGK n’a jamais été aussi attendu.

Vu que l’attente a été longue, les morceaux sont nombreux. Les deux comparses développent leur univers sur deux CD bien remplis. On se pose la question alors du nombre de double-albums réussis dans l’histoire du hip-hop. Et on les compte sur les doigts d’une main. En général qui dit double-album dit longueurs, morceaux dispensables, remplissage et ratés. La conclusion est toujours : « Merde, s’ils avaient fait un simple avec les meilleurs tracks, on aurait un classique ». Donc c’est forcément un peu anxieux qu’on aborde ce Underground Kingz« . A tort. Tous les ingrédients sont réunis pour en faire un indispensable : un son parfait, des refrains exacts, la technique et la facilité de Bun B, le style et le bagout de Pimp C. Ce dernier réalise d’ailleurs la plus grosse partie des productions, empruntes de soul 70’s, de funk poisseuse et de rhythm & blues. Les refrains restent en tête comme si on les connaissait par coeur après une première écoute. Ils paraissent naturels, essentiels, voir automatiques. Reprennant Willie Hutch, Gladys Knight & The Pips ou Lonnie Liston Smith, l’ambiance est symptomatique du Sud, très live avec beaucoup d’instrumentations, de choeurs et de variations. Le plus marquant est le lien entre le son d’hier et d’aujourd’hui. Beaucoup de références soul donc mais aussi oldschool avec, par exemple, l’hommage au ‘Life is…’ de Too $hort, quasi vingt ans après, avec $hort Dog en personne, l’apparition du très bon Willie D sur le vengeur ‘Quit Hatin the South’ et Scarface sur trois productions, tous deux membres originels des Geto Boys. Mais aussi le possecut complètement improbable avec Big Daddy Kane et Kool G Rap produit par Marley Marl et les vocalises vibrantes de Charlie Wilson des Gap Band. Face à ces réminiscences, les artistes parmi les plus intéressants du moment sont présents. Les toujours géniaux Outkast assurent avec romantisme mais réalisme sur ‘Int’l Players Anthem’. Rick Ross débarque sur un ‘Cocaine’ plus vrai que nature. Le nerveux et très bon Z-Ro appuie toute la rage des ghettos de Houston de sa voix grave et détachée sur le puissant ‘Trill N**** don’t die’. A remarquer aussi les interventions du grimeur hors pair from UK Dizzee Razcal et du lyriciste Talib Kweli ainsi que les maîtres du beat que sont Jazzy Pha, Three 6 Mafia, The Runners, Swizz Beatz et même Lil Jon. Et d’autres. Tous utilisés à bon escient. Malgré leurs différences, tous ces invités ne cassent pas l’esprit homogène du résultat et en enrichissent le contenu. Aucune barrière entre les styles, le hip-hop est quasiment représenté dans son entier, oeuvrant dans la même direction. On ne sait plus où donner de la tête.

L’album en devient étourdissant, accumulation d’harmonies réussies, d’hymnes naturels, d’airs sifflotés le matin en travaillant. Les envolées enivrantes de guitares funky, de claviers électriques et de basses suaves embarquent les flows toujours justes des deux amis d’enfance. Bien sûr, certains morceaux peuvent devenir dispensables mais l’homogénéité de l’ensemble ne donne jamais envie de les skipper même quand il s’agit de la énieme version du même morceau comme ‘Like Dat’ ou ‘Int’l Players Anthem’. Si la musicalité est vraiment impressionnante, le discours la complète totalement. Bun B et Pimp C sont des anciens, leurs lyrics se bonnifient avec l’âge entre nostalgie et regard détaché, voir spirituel sur ‘Heaven’ ou ‘Living this Life’. Ils parlent de respect, d’intégrité avec humilité et honneur. Les mêmes thèmes que d’habitude entre les pimps, les hoes et les muscle cars mais avec un certain recul. Un regard tout simplement moderne et adulte sur leur environnement, la Rue et le Sud. La Soul et le Blues. Bun B et Pimp C. Le mélange est parfait.

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