Chronique

DJ Mehdi
(The story of) Espion

Delabel - 2002

Prolifique et brillant, DJ Mehdi s’est affirmé au sein d’Ideal J et au fil de ses nombreuses collaborations comme un producteur majeur, aux influences diverses et au style reconnaissable à la moindre caisse claire. A 24 ans seulement, il est un concepteur musical incontournable, et l’étendue de ses capacités méritaient pleinement d’être exprimées sur un album solo, sans la « contrainte » d’un MC. Après une première ébauche, Espion, le EP, en 2000, c’est avec l’appui de Delabel que DJ Mehdi présente (The story of) Espion, album bâti comme un disque fantôme dont on aurait retrouvé les bandes au fond d’un studio…

Pour ceux qui ont suivi le producteur dans ses travaux avec Assassin, Fabe, la Mafia k’1 Fry ou Rocé, les deux premiers titres de l’album restent familiers. On retrouve dans ‘Be blessed, be back’ et surtout dans ‘North Star’ tout ce qui caractérise le « style Mehdi » : envolées symphoniques, notes de guitares électriques saccadées, 16 hi hats par mesure, contretemps de caisse claire, basse sourde, sonorités électroniques…Comme d’habitude, c’est terrible. Mais Mehdi choisit de nous accueillir en terrain connu pour mieux nous surprendre par la suite.

Les autres plages instrumentales de l’album tranchent résolument avec ses productions habituelles. Il développe en effet dans ‘I spy’, ‘Aneis’ et ‘Breakaway’ des instrumentaux très fouillées, aux sonorités multiples, proches de l’electro. Techniquement irréprochables et remarquablement construites, ces instrus laissent pourtant un sentiment mitigé : dans sa volonté d’élargir le spectre musicale et de donner une touche dansante aux morceaux (voir pour ça le refrain un peu niais de ‘Breakaway’), DJ Mehdi en devient trop démonstratif et perd en intensité ce qu’il gagne en efficacité. On se prend alors à regretter que les quelques interludes cachés en fin de morceau tout au long de l’album –comme sur l’album de Karlito– ne durent que le temps de quelques mesures… Les titres précités sont loin d’être mauvais, mais on peut leur préférer nettement un morceau du calibre de ‘Along the Way’, qui ne fera peut-être jamais danser les aficionados de la French Touch, mais dont les fourmillements d’instruments (guitare, contrebasse, flûte, synthétiseur) et la qualité dans la construction laissent rêveur.

DJ Mehdi avait largement les épaules pour assumer à lui seul tout un album, mais il a préféré inviter quelques artistes d’horizons divers, et pas forcément à la hauteur de son talent : l’excellente instru électrisante de ‘About me’ vient sauver la collaboration surprenante en demi-teinte de Lil’ Dap (Group Home) et Rim-K. Karlito pose sur un bonus track aux intonations ragga entraînant mais moins inspiré que ses prestations dans « Contenu sous pression ». Planqué à la fin de ‘I spy’, AKH lâche tranquillement ses 22 mesures sans forcer. Quant à Vinia Mojica, elle confirme qu’elle est décidément incapable de rater ses featurings, sur un ‘Anything is possible’ reposant et léger, conclu en beauté par le retour à un beat typiquement « Mehdiesque ». La gente féminine tire finalement son épingle du jeu dans (The story of) Espion, puisque Diam’s se voit offrir peut-être la plus belle composition de cet album, ‘Partir’. « Percu, guitare, piano, contrebasse« …L’instru languissante est une réussite, et la relative maladresse de Diam’s sur cette production inhabituelle en devient presque touchante.

En fin de compte, c’est avec énormément de prudence que (The story of) Espion doit être jugé. En ayant une exigence à la hauteur de son talent, on peut trouver que la première escapade en solitaire de DJ Mehdi donne l’impression d’avoir été trop réfléchie, trop planifiée. « Il suffit de peu de choses« …murmure Diam’s dans ‘Partir’, et le producteur aurait peut-être dû suivre son conseil, car la densité de certains morceaux étouffent parfois l’émotion et la force de ses compositions. Ceci dit, c’est avec humilité et respect que ces bémols sont lancés, car l’album ne souffre d’aucune faute de goût vraiment marquante, et reste très agréable à écouter. DJ Mehdi franchit une nouvelle étape dans ses compositions, confirmant qu’il est vraiment une chance pour le rap français, et même au-delà …

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