Chronique

Ludacris
The Red Light District

Def Jam Recordings - 2004

Si le monde du rap était comparable à la NBA, Ludacris serait de ceux qui finissent toujours en tête des votes pour le All-Star Game. Sa popularité lui assurerait des contrats juteux avec les sponsors, on lui ferait tourner un film avec Bugs Bunny, et en fin de carrière, les télévisions s’arracheraient ses services pour qu’il devienne commentateur. En réalité, il est de ces rappeurs dont chaque album s’arrache à la sortie, on lui fait tourner des séries B body-buildées (2 fast 2 furious en 2003), et sa popularité lui assure – aussi – des contrats juteux avec les sponsors. Ancien animateur radio à Atlanta, Luda est devenu très vite un phénomène national en devenant la première signature de Def Jam South. Avec son premier succès, le libidineux ‘What’s your fantasy’, il est entré dans le club très fermé des rappeurs plébiscités du public et respectés par leurs pairs, comme en témoignait sa présence sur le remix de ‘Made you look’, avec Nas et Jadakiss. Chef de file d’un crew en demi-teinte (Disturbing Tha Peace), homme aux milles featurings, Ludacris est surtout un MC de haute voltige, dont la gouaille éclabousse chaque titre de son dernier album, The red light district.

Depuis plusieurs années, Luda cultive une image de rappeur cartoonesque. On le voit souvent représenté en caricature de lui-même, le bras énorme ou la tête posé sur une corps de bébé. Dans la vidéo de ‘Stand up’, extrait de « Chicken n’beer », sorti en 2003, on le voyait provoquer un tremblement de terre en tapant d’un pied gigantesque sur un dancefloor. Cette exagération perpétuelle se ressent à l’écoute de ses albums. Vocalement, Ludacris est un pur produit du sud. Il bringuebale son accent sur chaque mesure, fait bondir ses intonations, et utilise son aisance innée pour jouer de sa voix. Dés l’intro, sa musicalité naturelle lui permet d’insuffler une dynamique à une production pourtant rudimentaire de Timbaland. Plus loin, dans ‘Blueberry yum yum’, sorti de la station orbitale d’Organized Noize, sa voix se fait nasillarde et insidieuse. Puis dans ‘Pass out’, il alterne entre saccades et glissements pour faire part de ses préoccupations premières : bomber le torse, multiplier les conquêtes, et faire la fête royalement. Braggin’, boastin’, bustin’. « I’m so far ahead it’s only RIGHT for you to hate on me man« , lance-t-il, en paraphant le dernier mot avec sa signature vocale, cet accent coulant et caoutchouteux.

Hormis les institutions Timbo et ONP, le casting se veut moins spectaculaire que sur d’autres projets à gros budget. Ludacris a fait appel à des proches (Icedrake, frère de Shawnna), quelques noms côtés (Needlz et DJ Green Lantern, bluffant), et pas mal de producteurs régionaux (DJ Toomp d’Atlanta et KLC, ancien producteur-maison de No Limit Records). Mais The red light district reste un album de professionnels. Les lignes de basses sont limpides, les rythmiques claires, les arrangements méticuleux. Trop, peut-être. Entre les refrains mélodieux (‘Child of the night’, un sommet) et les détours géographiques (le G-Funk de ‘Spur of the moment’), on aimerait entendre plus de coups de folie, comme dans l’incroyable ‘The potion’, véritable danse tribale orchestrée de main de maître par (surprise !) Timbaland. Par ailleurs, l’influence du sud se ressent sur chaque titre. Même quand le sample est familier, comme dans l’austin poweresque ‘Number one spot’, la saveur reste géorgienne : on retrouve toujours ces charleys épileptiques, ces tempos lents enrobés de basses sourdes ou ces refrains virils (‘Get back’). La moiteur d’Atlanta transpire de ‘Two miles an hour’, la tradition sonore du sud – basse, nappes stridentes et TR-808 – se ressent dans ‘Who not me’, puis ‘Hopeless’ conclue l’album sur une note bluesy, avec la complicité rugueuse du floridien Trick Daddy.

A l’heure où le Dirty South ne cesse de prendre en otage les ondes, les clubs et les charts, Ludacris s’impose encore et toujours comme l’un des piliers du hip-hop de la Sun Belt. Voilà un artiste complet, un auteur-interprète avisé qui a su donner un élan universel à la saveur régionale de sa musique. Sans être un album inoubliable, la faute à un tracklisting cousu de fil blanc – délires extra-large, grosse artillerie dancefloor et passages plus personnels – The red light district est néanmoins un disque très abouti, dont les réguliers morceaux de bravoure (‘Number one spot’, ‘The potion’, ‘Hopeless’) cimentent la réussite.

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