Chronique

DJ Shadow
The Outsider

Universal - 2006

‘Hate me now’. Retour en 1999. Passé le virage délicat du second opus (It was written), toujours difficile à négocier, Nasir Jones dévoile la suite d’une carrière solo débutée sur les chapeaux de roue. L’acte trois s’intitule I am… et subit de front le feu des critiques. L’ex-prodige, porté aux nues après Illmatic, goûte au retour de flammes. ‘Hate me now’, extrait de cet album, symbolise cette discorde, le lynchage en règle d’un ex-génie prisonnier de son image et crucifié par son propre public.

‘Hate me now’. Célébré régulièrement comme le Saint-Père par une foultitude d’aficionados depuis le séminal Endtroducing (1996), devenu le symbole vivant de tout un courant musical et idéologique, DJ Shadow aurait pu dérouler. Recycler jusqu’à plus soif ses compositions, resservir la même bidoche à un public hypnotisé par son image et prêt à remplir – avec le sourire – son tiroir-caisse. Après tout, la formule est suffisamment éprouvée pour être suivie une nouvelle fois aveuglément. The Outsider, suite du justement célébré The Private Press (2002), aurait pu être l’album de la continuité. Il est en réalité celui de la rupture. Brutale. Une rupture qui ressemble à un grand bras d’honneur adressé à un public prompt à enfermer son auteur dans un carcan. ‘Hate me now’.

Passés les avertissements bienveillants, rentrons au cœur du sillon. Livré sans boussole, The Outsider est un maelström d’émotions aux courants variés, une multiplication de (fausses) pistes flirtant parfois avec la sortie de route. Plus que jamais branché sur courant alternatif, il réunit un paquet d’inspirations, compositions et autres collaborations éparpillées depuis près de trois ans.

Alternant concentré de hyphy à la nitroglycérine (‘3 Freaks’, ‘Turf Dancing’, ‘Dats My Part’), punk-rock tendance Motörhead (‘Artifact’), blues (l’excellent ‘Broken Levee Blues’) ou guimauve pop chiante (‘Erase you’), ce joyeux bordel prend des allures de vraie-fausse compilation. Et aussi surprenant soit-il, ce patchwork est avant tout le digne reflet des influences extrêmement variées et parfois inattendues de notre DJ san franciscain. Incroyablement sucré et un rien amer, il désarçonne d’emblée. Moins présentable, moins accessible, ce petit ovni atteint au moins un de ses objectifs : décoller toutes ces étiquettes, même flatteuses, collées autour du bonhomme.

Évidemment, il était difficile de faire l’unanimité avec un plan de route aussi ambitieux. Admettons-le, il faut même parfois entamer une véritable ode à la patience pour adopter certaines inspirations (‘Erase you’ et ‘Keep Em Close’ notamment). Néanmoins, un certain nombre de pépites se révèlent au travers des écoutes, à commencer par l’harmonieux ‘This time’, exhumé d’un vieux studio californien et le déglingué et hautement jouissif ‘Turf Dancing’ de The Federation & Animaniaks. Sortons également du lot ‘Seein Thangs’ avec David Banner – un concentré de rap sudiste post-Katrina – et l’aérien ‘Triplicate/Something Happened That Day’.

Impossible d’afficher un pragmatisme absolu à l’heure d’accoucher d’un avis définitif et sans appel sur cet étonnant The Outsider. Libre à vous de déterminer s’il est proprement fascinant ou complètement insupportable. Après tout, la musique est avant tout une question de perspective et d’interprétation. Hate me now ?

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