Chronique

Lil Wayne
Tha Carter IV

Young Money - 2011

Trois ans se sont écoulés entre Tha Carter III et ce nouvel opus de Lil Wayne ; et dans ce laps de temps le rappeur a suivi, ou subi, une évolution inattendue. Il a multiplié les parenthèses musicales (Rebirth, We Are Young Money, I Am not a Human Being) et a, semble-t-il, définitivement abandonné le rythme surnaturel de mixtapes auquel il nous avait habitués. Les huit mois passés à Rikers Island sont une explication commode, mais insuffisante à cette baisse de régime. De toute évidence, le lutin turbulent a fini par se calmer. Ses derniers projets étaient au mieux sympathiques, au pire décevants. Le retour à la série des Carter était censé rehausser le niveau à la hauteur des meilleurs albums de Weezy, un pari de taille.

En tant que rappeur, Lil Wayne n’a plus rien à prouver. Son imposante discographie parle pour lui. Au fil des succès commerciaux, il est parvenu au statut d’icône incontestée qu’il s’égosillait à réclamer. L’ascension était fascinante, le règne pacifique l’est moins. Lil Wayne semble avoir besoin de se mettre en danger pour sortir son meilleur jeu. C’est sans doute cette envie de briser la routine qui l’a poussé à s’aventurer dans des contrées rock, avec le résultat que l’on sait. Sur Tha Carter IV, la prise de risque est nulle : c’est un album de facture classique, un album de cadre du rap. Le fils de Birdman est dans sa zone de confort, et il déroule, tranquillement. Beaucoup de morceaux sont génériques, dépourvus de la personnalité de Wayne. Lui qui a si souvent enterré les rappeurs qui l’invitaient sur leurs morceaux se laisse cette fois imposer la marche à suivre. « John » et « She Will », qui sont par ailleurs d’excellent titres, auraient davantage leur place sur les albums de Rick Ross et de Drake. Ce mimétisme est surprenant, sinon troublant, de la part de celui qui avait l’habitude d’instaurer les tendances et non de s’y conformer. Lil Wayne n’a plus la volonté, ou peut-être la force, de montrer la voie. Ses prestigieux invités se rassemblent pour chanter ses louanges, et le maître des lieux ne daigne même pas se montrer ; son absence de l’interlude et de l’outro déçoit. Au milieu des prestations de haute volée (à l’exception de l’infâme couplet de Shyne), c’est la place laissée vide qui retient l’attention.

Lil Wayne n’est plus aussi généreux en couplets que par le passé. Et il n’est plus infaillible. À l’écoute de certaines rimes peu inspirées ou assenées avec moins de verve, le doute surgit : et si le Martien avait épuisé le filon d’or enfoui dans son cerveau ? Lil Wayne aborde inlassablement les mêmes thèmes : sexe, drogue et richesse ; et on ne lui demande pas d’en changer. Mais par moments son génie créateur montre des signes de faiblesse ; ses métaphores sentent parfois le réchauffé ou bien sont trop absurdes pour ne pas être ridicules. Ses tentatives pour créer des images inédites ne réussissent pas toujours et il donne parfois l’impression de battre le briquet en vain pour faire jaillir l’étincelle. Son sens du jeu de mots et de la métaphore a fait sa réputation, mais il lutte pour être à la hauteur. Il cherche toujours à créer des visions improbables avec une formule fracassante, mais la ligne est parfois mince entre la fulgurance et le grand-guignolesque. En voulant se surpasser, il en fait trop, comme un sauteur qui mord la planche en tentant d’aller plus loin. L’abondance de phases qui se terminent par un mot détaché du reste, procédé surexploité par ses disciples Drake et Nicki Minaj, n’est pas non plus du plus bel effet : « Can’t desert the future, no Nevada » ou encore « I say you rappers sweet, tiramisu. » Lil Wayne semble être en pilote automatique, ce qui suffit à produire de très bon raps, mais la folie qui habitait ses couplets n’apparaît désormais que par intermittence. Bien sûr les cris de gargouille, les ricanements et les intonations torturées sont là, mais sans spontanéité, comme pour faire plaisir en répétant un tour usé.

Mais le principal défaut de cet album est d’être un blockbuster sans âme, dépourvu de véritable identité. Tha Carter IV échoue là où le précédent volume avait réussi : Tha Carter III avait déjà opéré un virage « généraliste ». On y trouvait du banger sous autotune avec « Lollipop », une démonstration de rap avec « A Milli », du Kanye West mêlé à du Cool & Dre ; l’hommage intimiste à la Nouvelle-Orléans y côtoyait des hymnes sexuels sans que cela paraisse indigeste. Tha Carter III était une mosaïque réussie de tout ce qui constitue l’identité de Lil Wayne. Le rappeur avait réussi le tour de force d’éviter l’éclatement en tirant à lui ces éléments épars pour en faire un tout cohérent. Il ne réitère pas l’exploit avec ce disque, qui est sans doute le moins bon de la série des Carter. Pour autant, est-ce que tout est à jeter ? Loin de là. Est-ce un mauvais album ? Même pas. L’album commence même plutôt bien, mais s’essouffle assez vite. « Megaman » accueille un Lil Wayne déchaîné, puis vient « 6 Foot 7 Foot », bel effort pour essayer de refaire « A Milli ». La suite alterne entre bons morceaux, titres passables et fautes de goût difficilement pardonnables. Après le titre peu convaincant avec John Legend et l’overdose de sucre provoquée par le bonbon « How to Love », le sympathique « President Carter » relève un peu la fin de l’album, malgré son instru aux airs de déjà-vu.

Tha Carter IV est un disque inégal, avec ses creux et ses sommets. Les déchets sont en réalité peu nombreux, mais les moments marquants aussi. À cause d’une direction artistique hasardeuse et d’un Weezy moins mordant, ce nouvel album ne parvient pas à se hisser au rang de ses prédécesseurs. Dwayne Carter a toujours le pouvoir de nous assommer avec des punchlines étranges, et il a encore en lui, sans doute, de quoi créer de grands albums, mais il faudrait peut-être un revers commercial pour l’ébranler et le sortir de sa trajectoire trop sure. Peine perdue : Tha Carter IV s’est écoulé à un million d’exemplaires la première semaine. Tout ce qu’il touche, Lil Wayne le transforme en or. Roi Midas blasé, désespéré par son don maudit, il lâche au détour d’un couplet : « I tried to fuck the world and couldn’t even get aroused. » Maintenant qu’il a le monde à ses pieds, Lil Wayne a besoin de se trouver un autre défi pour ranimer son envie de rapper et pour nous éblouir à nouveau.

Fermer les commentaires

Pas de commentaire

Laisser un commentaire

* Champs obligatoire

*