Chronique

Hi-Fi
Rien à perdre, Rien à prouver

45 Scientific - 2003

« Mon crew bouleverse et violente comme un film de John Woo, plus de phases que d’balles qui fusent dans un film de John Wayne, hou ! » C’est ainsi que démarrait ‘Pendez-les, bandez-les, descendez-les’, qu’Hi-fi enregistra en 1996 avec Hill-G et Cassidy sous le nom de X-Men, titre qui devait par la suite devenir un morceau de référence du rap français.

Sept ans après, Hi-fi livre son premier album, fidèle à cette phrase qui l’avait rendu célèbre dans le microcosme hip-hop de France. Petit retour en arrière sur sept années de tribulations discographiques diverses. Premiers titres au sein de Time Bomb, les excellents ‘J’attaque du Mike’, ‘J’attaque du Mix’ avec les X-Men, ainsi que ‘Time Bomb explose’, ce dernier avec tout le collectif de MC’s du Time Bomb de la grande époque. Suivit l’explosion, avec ‘Pendez-les, bandez-les, descendez-les’. Puis la séparation d’avec les X-Men (Ill et Cass) qui continuèrent leur route de leur côté. ‘Si t’es cap d’y aller’ (1998, sur la compilation « Sad Hill » de Kheops) avait marqué un virage dans la carrière de Hi-Fi, le confirmant comme un artiste à part entière après son expérience au sein des X-Men. Il poursuivit plus discrètement sa carrière avec une série de maxis « L’élévation/Réhabilitation », mais surtout le fantastique et néanmoins plus discret « Satisfaction/Le Retour du boogie », avec son acolyte Lesly.

Lorsque Booba (autre rescapé de Time Bomb) sort de prison, la structure 45 Scientific est mise en place sous la forme d’un label indépendant n’ayant de comptes à rendre à personne. Géraldo produit le premier album de Lunatic et c’est une nouvelle ère du rap français qui commence. C’est naturellement que vient par la suite la signature de Hi-fi, et enfin, le premier album. Ambiance annoncée dès le premier coup de grosse caisse, grosse basse, c’est bien Hi-fi, et c’est chez 45 Scientific.

Tous les morceaux se construisent en suivant un même patron : beat bien carré sans fioritures, des basses rondes (‘Paname est indécente’), sourdes fondues dans les samples (‘Mon son est ghetto’), ou discrètes noyées dans des cadences plus rapides de notes d’orgues et autres paillettes sonores (‘Incontrôlable’). Et les samples projettent le tout dans l’obscurité, avec des attaques de violon répétitives (‘Rien à perdre rien à prouver’). Construit sur un sample de Charles Mingus ‘Tu fais quoi ce soir’ (produit par Hi-Fi himself) se démarque un peu du reste de l’album de par son côté relativement plus expérimental, avec ce mélange de construction classique et de sons plus actuels (qu’on retrouve avec le sample de guitare de ‘Mr L’agent’, ou encore l’hypnotique ‘Je suis’). Musicalement, ce sont des variations d’un même thème, plusieurs morceaux mais une cohérence implacable, des guitares funky et petites percussions de ‘Rattes Ghetto’ à l’instru aérien et très réussi du ‘Code de la rue’, en passant par un ‘Drame quotidien’ qui est indéniablement une des réussites de l’album sur un son au beat lourd teinté de clochettes mélodieuses auxquelles on reconnaît sans peine la patte du général.

Hi-Fi pose ses longs textes via ses phases inspirées et son flow cru. Les thèmes, comme chaque composante de cet album, restent cantonnés à un territoire bien déterminé. Pas de science fiction ou de clowneries ici. Beaucoup de lignes sur les femmes par contre, notamment sur le bon ‘Rattes ghetto’, et son beat groovy ainsi que sur le très réussi ‘Incontrôlable’. La vie de rue, Paris, avec ‘Paname est indécente’, ‘Drame quotidien’, ‘Le code de la rue’ qui reprend cette phase célèbre d’Ali sur ‘Le crime paie’ (« Hostile », 1997). Le flow de Hi-fi s’est upgradé. D’avantage tourné vers une approche consciente, et donc moins d’égotrips impulsifs. Il perd parfois cependant l’énergie brute mitraillette qui caractérisait les vers de ses premières prestations. Mais ça reste dépouillé et sans artifice. Et pour aller dans ce sens on n’aura droit qu’à peu de featurings, et des plutôt discrets hormis celui de Ali sur ‘Le code de la rue’, ainsi que la trop courte apparition de Lesly sur ‘Tout ce que les négros veulent’. Hi-fi et Géraldo se partagent les productions (à l’exception de ‘Je suis’ produit par Fred Dudouet). Huit des titres sont produits par Hi-fi, dont un co-produit par Géraldo. Hi-Fi produit d’ailleurs l’un des meilleurs instrumentaux de l’album (‘Moi et mes proches’), tout en nuances dans une ambiance en suspension parfaitement cohérente avec le reste de l’album. Tout concorde en somme, des invités aux producteurs, aux ambiances, on reste dans une sobriété qui n’est pas sans rappeler le « Mauvais Œil » de Lunatic, dans un genre néanmoins différent.

Le temps de la maturité nécessaire pour un album était sans doute arrivé. On ne pourra aucunement reprocher à Hi-fi un album bâclé, fait à la va vite. La production est soignée de A à Z, très professionnelle, les titres sont concis, les textes millimétrés, pas d’extravagances ou de concepts gadgets, rien de superficiel ne vient perturber ce qui semble avoir été la ligne de conduite de la réalisation de ce projet, à savoir, le travail. Et il se ressent jusque dans le design très soigné de la couverture et du livret.

On peut néanmoins regretter parfois l’énergie pure qu’avait le Hi-fi moins réfléchi des débuts, qui ne s’embarrassait pas d’autant de calcul, et se permettait alors certains écarts peut-être plus faciles mais qui évitait certaines lourdeurs comme ce choix par exemple de ce titre pas très convaincant : « Rien à perdre, rien à prouver ». On peut en effet se demander si quelqu’un qui n’aurait rien eu à prouver se serait donné le mal de faire un premier LP. Et si l’ambiance opaque et monochrome rappelle le « Mauvais Œil » de Lunatic, elle ne réitère cependant pas un coup d’éclat à son égal.

Autre regret, l’album ne contient pas de morceau hymne. Sont présents de très bons titres comme ‘Drame quotidien’, ‘Le code de la rue’ avec une bonne prestation d’Ali, ou encore ‘Incontrôlable’. Il s’agit sans doute d’un choix artistique visant à maintenir une ambiance homogène et crue. Du coup il nous faut arriver à ‘Tout ce que les négros veulent’ pour retrouver le Hi-fi au flow mitrailleur de ‘Si t’es cap d’y aller’. Un peu d’Hi-fi, beaucoup d’effet, trop d’phases à capter en une seule écoute. Disque minutieusement réalisé, chaque rime calculée pour qu’mon skeud se vende, espérons que notre bougre connaisse ses tables de multiplication sur le bout des doigts. C’est en tout cas là un opus au-dessus de la moyenne des sorties et qui marquera le début on l’espère d’une carrière discographique bien remplie.

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