Chronique

G-Unit
Return of the Body Snatchers vol. 1

G-Unit - 2008

Si même 50 Cent se met à faire de la musique bénévole, c’est que quelque chose va vraiment mal dans l’industrie du disque. Il faut dire qu’à la sortie de « Curtis », son troisième album, le rappeur bulldozer a semblé un peu court. On le croyait immunisé contre l’échec, mais après quatre années d’une domination commerciale presque sans égale, Curtis Jackson a fini lui aussi par subir le revers des ventes de CD faiblardes à l’ère du MP3. La stratégie était pourtant limpide : continuer à confectionner son gangsta rap body-buildé, séduire l’auditoire féminin à coup de refrains chantonnés à la limite de la fausse note et entretenir quelques embrouilles pour alimenter les médias. Opposé à Kanye West le jour de sa sortie, 50 Cent a endossé de bonne grâce le rôle du perdant. « Curtis » n’était pourtant ni un échec commercial, ni une débâcle artistique – si si, réécoutez-le – mais comme tout bon méchant qui se respecte, Fifty devait se prendre une bonne raclée. Le public la demandait.

Malin, le rappeur a encore une fois fait preuve d’une intelligence que la plupart de ses détracteurs se bornent à sous-évaluer. Plutôt que de sortir un deuxième album G-Unit – annoncé pour Noël 2007 dans l’indifférence générale – Curtis Jackson l’a joué lucide. Sans doute inspiré par la récente renaissance de Prodigy, redevenu incontournable grâce à une productivité maladive, il  a compris que YouTube avait désormais plus d’importance que MTV et a lancé thisis50.com, plateforme multimédia à sa gloire. Au programme : auto-promo, réseau social et bizutage de rappeurs. « Return of the Body Snatchers » est ainsi le premier produit web 2.0 de G-Unit Records, dont tous les employés auraient été réaffectés exclusivement à la gestion du site. Spontanée, sans ambition commerciale, ciblée pour le noyau des fans, cette mixtape gratuite fait presque oublier que cinq années sont passées depuis l’époque où Fifty a imprimé dans sa tête un mémo tout simple : Get rich or die tryin’.

Comme d’habitude, l’homme des neuf balles et pas une égratignure reste un personnage fort en gueule autant qu’un rappeur efficace. Pour s’en convaincre, il suffit de l’entendre pousser une gueulante contre l’une de ses conquêtes au milieu de ‘Be good to me’ : 50 Cent est un spectacle à lui tout seul (« Go on, kill yourself ! Go on to the bathroom, open the cabinet and eat the pills !! »). Le morceau sample un titre d’Al Green et partage avec les autres instrumentaux de la mixtape une ambiance d’opulence crade et d’enregistrements à l’arrache. Inédits ou reprises (notamment ‘Paper Chaser’ de Playaz Circle et ‘Diamond girl’ de Ryan Leslie), les titres sont robustes et offensifs, chargés de soul et de provoc’. Pas de doute, 50 Cent a retrouvé son mojo, et quand Fifty pète le feu, c’est toute l’infanterie G-Unit qui reprend des couleurs : Tony Yayo au poste de l’homme de main bas du front, Lloyd Banks en tombeur de ces dames et DJ Whoo Kid dans le rôle du fidèle pousse-bouton, option « coup de feu » ou « hurlement de femme ».

De ce projet éphémère surgit une évidence : ce qui rend 50 Cent aussi attachant qu’haïssable, c’est son refus obstiné de n’être autre chose qu’une crapule gonflée à bloc, pleine aux as et dure à la tâche, même avec un pactole plein à craquer sous le coude. Là où un Jay-Z s’est transformé en figure de proue respectable, 50 Cent ne s’embarrasse d’aucune ambition artistique ni d’une quelconque envie de changer d’image. On peut trouver ça déplorable – pas sûr qu’il gagne de nouveaux fans avec cette mixtape – mais en cette période où le vivier de têtes d’affiche hip-hop se mue en peau de chagrin, ça fait un bien fou de voir Curtis nous déballer son sac de clichés. Finalement, 2003 n’est peut-être pas si loin.

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