Chronique

Sexion d'assaut
Le Renouveau

Wati-B - 2008

Téobaldo : nom masculin non féministe. Droïde mi-homme mi-PC domicilié 22 heures sur 24 boulevard du forum de l’Abcdrduson. Héritier qui s’ignore de feu le ‘IEUV, Téobaldo a créé avec son compère le madré Spleenter un blog polymonomaniaque. Stand de tir no future sur écran plat ? Sanibroyeur cliniquement approuvé pour purs produits d’une société de surconsommation ? C’est selon. Les deux colocataires y font régulièrement  « blaaa ! » sur quelques MC en vogue – d’où peut-être le nom du recueil de poèmes : le Blavog. Derrière l’hyène, l’hygiène. C’est à la curiosité, à l’enthousiasme et à la téovertu de rendre hommage que cette chronique doit le jour.

Créé au début des années 2000, Sexion d’Assaut est un collectif parisien. Huit MC le composent – un neuvième, R-Mak, est parti depuis sous d’autres cieux. Par ordre alphabétique : Adams Diallo, Balistick, Black Mesrimes, Doomams, JR Okrom, Lefa, Maître Gims et Maska. Cinq d’entre eux – Adams, JR Okrom, Lefa, Maître Gims et Maska – forment le 3ème Prototype. Le label s’appelle Wati-B et le producteur Dawala d’Intouchable. Le manager répond au sympathique vocable de Jiba Jiba et au téléphone, ce qui n’est pas rien dans le milieu. Le street-CD, Le renouveau. Les invités ? Black Mesrimes, Doomams, Kizito, R-Mak et l’intouchable Dry.

Ça c’est pour la partie informative et rationnelle.

« Je crains le feu et quand je m’enflamme enlève le « l » et ça donne « femme », enlève le « f » et ça donne « l’âme », inverse les lettres et ça fait mal… » Professeurs de français, cramponnez-vous. Ce disque est peut-être l’occasion d’actualiser les exemples datés des figures de style enseignées. Vous vouliez de l’anacoluthe et de l’antanaclase version XXIème siècle ? Jetez une oreille à la fin du premier couplet d’Adams sur ‘Enième tentative’, celui qui se termine par « Nique l’industrie, les mecs du style Justin, les mecs d’Justice durcissent cinq minutes pour dix sous. Nique leur justice, leurs principes partent en chute libre, les parents subissent, leur estime fait le parachutiste. » French Busdriver ou Nikkfurie peul ? A l’écrit, ce n’est rien. A l’oreille, c’est l’étouffe. Presser ‘Repeat’ et des oranges autant de fois que nécessaire.

Certes les « malgré que » répétés ad lib sur un refrain ont de quoi laisser perplexes les linguistes, mais… Vous vouliez un festival de stichomythies et de paronomases ? Checkez ‘Le monde à l’envers’ (« Un rappeur qui devient muet, un vieillard qui vient de muer« , etc.), ou ‘On va vous apprendre’ (« C’est pour le Mali, le Galsen et la Guinée. On remplace le son, y’a trop de merdes à l’heure qu’il est. On t’casse le dos, si t’as trop d’mal, va voir l’kiné. On t’ramène du lourd, qu’ça soit en litres ou en kilos« ). Vous vouliez une interview d’Hatem Ben Arfa ghostwritée par Paulo Coelho et rehaussée par un colossal travail sur l’intonation et la respiration ? « Je suis pas à plaindre ni à envier, celui qui se plaint n’est pas entier car ses épreuves l’ont dominé. En fait tout le monde est comme il est. La richesse est dans notre cœur et l’argent est inventé, peut-être trouves-tu un charme à vouloir te lamenter » (Maska sur ‘Arrête de te plaindre’).

Et puis il y a l’Usain Bolt local, ci-devant le bien prénommé Maître Gims. Somme à lui tout seul de feu le Saïan, des X-Men et du trop méconnu Marshall’ombre de La Doxa. Lorsqu’il se tait, le micro pend. Et au fond de la pièce, celui qui fut auteur fin 2006 du maxi Ceux qui dorment les yeux ouverts danse les lunettes fermées, mental ragga, beat ou pas beat – donc vraie musique intérieure… Lunettes noires d’Edwin Moses, gospel lingala sur les refrains (‘Loin’), mains qui se frottent avant de poser. Quelque chose du port altier de Prakazrel Pras et de la distance chaloupée de Wyclef Jean. Le Miloslav Mecir du printemps 1987 et la frappe casse-transversales du Stephen Keshi de l’automne 1991. Flow bionique mi-ironique, mi-onirique, ‘Parce que souvent’ : « Je suis bloqué dans un rêve, on me l’a mise à l’envers. Les pieds scotchés sur le plafond, quand je lève la tête je ne vois que le sol ». Un constat, une taille, une injonction. « Te fous pas dans la merde, enlève-moi cette crête » menace-t-il, un rien hâbleur, dans le clip d’‘Antitektonik’. « Rebeus, Renois, s’aider c’est le dicton, mais le contraire le dit-on ? On s’auto-bute, creuse des tombes, faut se détendre (…) J’suis là-d’dans depuis tout l’temps » poursuit-il, martial, dans celui d’’Histoire pire que vraie’… Il y a lui et il y a les autres ? L’écrire serait injuste. Tous médaillés, chacun dans son style, tant il est vrai que tous envoient le bois. Adams flingue, Lefa flingue, l’invité Black M flingue – le sourire de Mona Lisa aux lèvres, en sus -, ça flingue dans tous les sens. En vrai, l’énumération des grands numéros de ce disque nuirait à la fraîcheur de sa découverte. Et tant pis si les thèmes ne sont pas tous novateurs – « Qu’est-ce que je pourrais dire qui n’a pas encore été dit ? » prophétisait à ce propos Lino dès 1998 -, les angles et le ton détonnent et désanglent. Il importe seulement de savoir que Maître Gims et sa clique font partie de ces rares MCs à plume et langue agiles qui donnent périodiquement envie d’actualiser l’antique rubrique Lyrics de l’Abcdrduson. Juste pour l’amour du verbe.

Au complet en mode G-Unit, plus héritiers de Saké que de Sako, dédicaçant chaque couplet à « akhi (« frère » en arabe littéraire), le crew évoque un pêle-mêle de juxtapositions inédites ou oubliées. L’enchaînement de leurs prestations, c’est le petit Alien de Ridley Scott qui sort de la gueule du grand Alien de Ridley Scott, et ainsi de suite comme une vis sans fin. C’est Olympe Mountain en vadrouille dans le Kivu ou le Wu-Tang d’avant le cholestérol. C’est la Rumeur à la Star Ac, les Gourmets sans hélium ou Grems au bissap-Perrier. Ou ATK au taquet, dix ans après, forcément… Quasi anachroniques en 2008 (‘50/50’ et son couplet très ‘Dur d’y croire’ de Salif débité par Adams, ou le beat box d’’Arrête de te plaindre’), les prods ont ceci de méritoires qu’elles suscitent l’énergie (‘L’ogive nucléaire’) ou l’accompagnent (‘Glock’, ‘Eh dis-moi’), quand un discours de Jean-Marie Le Pen ne suffit pas à étendre la nappe (‘Enième tentative’ et son je-ne-sais-quoi d’’Et si chacun…’ de Koma). Venues des MPC de contributeurs multiples, elles sont regroupées sous la bannière Sexion d’Assaut, pour faire simple. Et même sur l’outro, pour dédicacer 4’38 de familles et de potos, les mots semblent appuyer eux-mêmes sur les touches d’un piano qui aurait été réaccordé au préalable par Andreas « l’homme est une étoile qui tourne » Werckmeister lui-même.

Deux bémols, peut-être. Le premier concerne l’efficacité moindre des sons découverts seuls sur CD, par opposition aux nombreux freestyles en rotation vidéo sur le Net. Le charisme, certain, s’entend certes, mais les MC souriants sont suffisamment rares pour ne pas mériter d’être vus d’abord sur écran – et sans doute sur scène… Le second bémol est gay. Rapport à la fixation de certains membres sur tout ce que la Terre compte d’hommes qui cherchent plus que tout dans la vie à élargir le cercle de leurs amis. Les plaisanteries sont faciles et connues. Recevoir un jour une longue lettre d’un copain d’enfance désormais trentenaire, hétéro juré-craché, faisant soudain son coming out et détaillant son cheminement personnel serait peut-être un début de parade, pour l’une des contradictions mineures mais constantes d’un disque majeur. Après tout, le nom 3ème Prototype ne renvoie-t-il pas aussi les nostalgiques du Top 50 au ‘Troisième sexe’ d’Indochine et à son refrain fameux (« Et on se prend la main, une fille au masculin, un garçon au féminin… ») ? Rayon intolérance, les parallèles sont pourtant nombreux entre l’ostracisme gay et l’ostracisme Rebeus/Renois. Quoique… « C’est quand même plus facile d’être noir que d’être homosexuel, soulignait l’humoriste Christophe Alévêque. Au moins quand t’es noir t’as pas à l’annoncer à ta mère. »

« Si je disposais de quatre heures pour abattre un arbre, disait Abraham Lincoln, je consacrerais les trois premières à affûter ma hache. » Forts d’une quasi-décennie à écumer les mixtapes, street-CDs, concerts, battles, open mic et freestyles 2.0, la Sexion d’Assaut, via son 3ème Prototype, a fait bien plus que calciner la meule. Si elle ne commet pas d’impair, l’arbre visé pourrait bientôt tomber. Premier album annoncé, L’écrasement de tête n’est pas encore sorti que déjà Le renouveau fait trembler les vertes cimes. « Les chroniques du 7.5 », en téléchargement libre depuis le 5 janvier 2009, confirment ce frisson. Ne reste plus qu’à souhaiter que l’entrain soit contagieux, en ce début de siècle volontiers nihiliste et cynique… « Un arbre qui tombe fait du bruit. Une forêt qui germe ne s’entend pas« , disait Gandhi. La nature était bien faite et pourtant l’homme l’a défaite. « J’sais que c’est la fin, j’ai vu les signes ! J’sais que c’est la merde en Palestine !… Arrête de te plaindre alors que c’est sur toi qu’on mise, arrête de te plaindre c’est à tout le monde qu’on l’a mise… » préfèrent chanter les auteurs du Renouveau. Puissent-ils poursuivre leur ascension en paix. Au-dessus d’eux, le soleil.

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