Chronique

Zuukou Mayzie
Primera Temporada

667 / Jeune à Jamais - 2020

L’été touche à sa fin et le soleil brille intensément, très intensément. La lumière va à toute allure sur ce qui est encore la planète bleue, plus pour longtemps. C’est la fin d’une ère, le grand dérèglement physique, le chamboulement climatique, la pluie ultime. Du ciel tombent des copeaux de soleil, des pluies acides, des chauves-souris difformes et des avions. La vie à la surface terrestre ne sera plus jamais la même, les cartes sont rebattues une dernière fois, et que chacun se démène pour survivre. À bord d’un bimoteur Cessna-310, Aaliyah disparaît. Aux portes du désert libyen, quelques vaisseaux sortis du futur se posent brutalement. Sous l’impact de deux avions de ligne Boeing 767, l’humanité s’effondre avec deux tours. Au cœur du Rohan, les bombardiers Supermarine Spitfire se délestent… La loi d’attraction gravitationnelle se rappelle à tous, y compris à Zuukou Mayzie, qui quelque part à un moment donné se voit balancé des airs lui aussi, pour tomber autre part à un autre moment, avant que l’hiver arrive mais déjà après que l’été a cessé d’être. Il chute sur un point du globe pour survivre à cette nouvelle époque, la première saison du monde, sa Primera Temporada à lui. Arbalète sur le dos, lunettes tridimensionnelles sur le nez, NERF multicolore à la main et glock nine à la ceinture, le jeune Mayzie court de vaisseaux abandonnés en complexes pétroliers à la recherche de bulles lumineuses.

Le choc est brutal pour lui comme pour tous. Avant ce jour, le Z était un bel enfant distrait, aux préoccupations mineures. Il évoluait dans un monde pastel, une nursery réconfortante où il était dorloté. Traité aux petits soins toute sa vie, plus occupé à penser aux filles et à ses jouets qu’à la survie en milieu hostile, le “Pretty boy” va avoir du fil à retordre. Avant Primera Temporada, son milieu était Disneyland… Avant les guerres et les deux tours, c’était J.M.U.A.Z : paysages bucoliques et atmosphère onirique. De ces temps, Zuukou n’a désormais le droit qu’à des réminiscences. L’enfant rêveur a muté en adolescent armé, il ne se demande plus si on met les céréales avant le lin mais s’il vaut mieux pop un xanax ou un alprazolam pour tenir jusqu’au soir. La Primera Temporada n’est pas une balade, c’est une avancée trouble et périlleuse. Finie la douceur utopique, place à la noirceur dystopique. Avant, c’était aux méchants, aux fufus et aux siths de venir perturber l’équilibre rose-bleu et obscurcir l’environnement. Désormais, c’est au 667 BG d’illuminer comme il peut un monde qui ne lui veut pas du bien.

Au fil de cette first season, il traverse des lieux désertiques ou malfamés et Zuukou doit trouver les oasis de plénitude lui-même. Fini le monde parallèle et sans douleur d’Olivier Rameau, bienvenue dans l’ère post apocalyptique de Jeremiah, il faut créer seul la couleur, la douceur, au prix de courage et de violence. Cet album est moins régressif que son prédécesseur. Il y a des productions lumineuses comme “Caliente” signée Pe$o, ou “Veste Patta” par Off The Wall, mais elles ne sont plus la norme et sonnent comme des souvenirs d’un monde idéal et perdu. Zuukou Mayzie n’est plus un générateur de sons réconfortants… Maintenant, il “comprend Thanos, rafale comme les Chicanos” avec Osirus Jack et se projette sur un instrumental de Rolla avec “que des corps à la fin comme dans les films de Tarantino.” Complètement mad comme Max dans Mad Max, le Z pense cybercriminalité, armes, guerre, puces RFID sur “Cybertruck” et la production anxiogène de Zak. Avec Freeze Corleone il sort le katana et les flingues-laser, et met simultanément en place les techniques d’attaques du Mordor, de Qui-Gonn Jinn et du Wing Chun, synthétisant alors le monde où il doit trouver sa place… En tombant du vaisseau, Zuuk’Mayz’ est parti en quête de l’anneau en pleine guerre des étoiles. Formé aux art martiaux traditionnels il esquive les tirs et bien qu’il ait son petit arsenal, sa course n’est pas des plus efficaces, il se dandine, trottine, sautille et perd du temps. Ce monde lui est définitivement hostile, et trouver des alliés n’est pas chose aisée. Alors à plusieurs reprises durant cette Primera Temporada, c’est à Dieu que Zuukou s’en remet : “J’mourrai dans l’Din, inchAllah”, “à quel étage s’trouve le paradis ?”“sur le Bon Dieu j’ai tout misé…” 667, les deux pieds sur terre et toujours une marche plus haut que 666, “juste un peu moins con, j’trouve ça beaucoup plus bénef !”

Après la première saison, le Z a certainement franchi un palier, faisant évoluer une formule qui fonctionnait pourtant bien jusqu’alors. Il est sorti de ce qui aurait rapidement pu devenir une zone de confort en sautant de l’engin en plein vol, et c’est sur ses deux pieds qu’il est tombé, mêlant au mieux toutes sortes d’inspirations puisées dans des univers fictifs et quelques pensées intimes. Et si dans un premier temps, Primera Temporada figurait à la catégorie “compilations” des plateformes d’écoute, cela a rapidement changé, pour rejoindre J.M.U.A.Z au rayon des albums, une place qui lui sied bien mieux ! Ce doute qui a visiblement traversé Zuukou n’est que partiellement justifié, mais il traduit aussi les questionnements de notre temps sur ce qu’est une oeuvre musicale, sur les supports et les vecteurs qui la présentent et la diffusent. Ce n’est pas une découverte, depuis The Life of Pablo de Kanye West l’album n’est plus un tout figé, il peut se construire, se déconstruire, se reconstruire à tout moment. Depuis septembre 2019, les morceaux de cet opus ont été diffusés au compte-gouttes dans un ordre qui n’est d’ailleurs pas celui de la tracklist finale. Pour autant, Zuukou Mayzie n’avait pas besoin de réfléchir très longtemps pour savoir que Primera Temporada est un album. Un très bon album.

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1 commentaire

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  • Clement SABATIER,

    Excellent article, très imagé et très bien écrit. Bravo