Chronique

Oxmo Puccino
Lipopette Bar

Blue Note Records/ Capitol Music - 2006

« Tu n’as aucune chance, alors saisis là ! » : c’est sans doute ce que s’est dit Oxmo Puccino lorsque ont germé en lui les prémices de ce qui deviendra le projet « Lipopette bar ». Marier jazz et rap en français ? Le pari est tentant et, somme toute, jusqu’ici relativement peu tenté. D’autant qu’Oxmo a à chaque fois le chic pour les intros qui choquent. « Même le ciel faillit pleurer puis il resta gris ; c’était en pleine semaine, y’avait quelques copains, deux ou trois oiseaux » écrivit-il ainsi naguère pour évoquer un enterrement… Point chez lui de clapotis de pacotille, chacun de ses albums s’ouvre sur un clap apte à claquer moult clapets. « Opera Puccino », « L’amour est mort » et « Le cactus de Sibérie » débutaient ainsi par trois versions toujours plus perchées du même prêche rêche, chiche sermon arraché aux flammes aqueuses de « Mississipi burning » – fameux fleuve calciné au-dessus duquel les siècles et les Noirs furent souvent suspendus.

« Il y a des jours que l’on attend plus que d’autres, comme ce jour où l’on marche vers le trône » : avec son titre en forme de juron amputé, tel qu’il s’en échappe parfois de la bouche d’un patient atteint d’Alzheimer, « Lipopette bar » ne déroge pas à ce tic tactique de l’entrée tentante autant qu’hantée. Accrochés à leurs instruments, les Jazzbastards – Vincent Taurelle aux pianos et claviers, Vincent Taeger à la batterie et aux percussions, Ludovic Bruni aux guitares et Marcello Giuliani à la basse, aux contrebasses et à la guitare – accompagnent le nouveau venu du label à la note bleue. A quarante ans d’intervalle, la musique de ce ‘Perdre et gagner’ initial exhume celle de l’Ennio Morricone du « Clan des Siciliens ». Mieux : elle la fume.

Il y a quelque chose de Gérard Depardieu chez Ox’, bien qu’il ne karaoque pas encore sur du Michel Delpech. Même physique Douillet, même capacité à chanter ou à chuchoter sans jamais donner l’impression de forcer sa voix. Là où ses pairs s’assument essayistes, avec une humilité plus ou moins tonitruante, l’homme qui « même les yeux bandés » écrit pourtant « d’une main » s’affirme chaque album un peu plus comme un romancier, avec tout ce que cela comporte de part de vrai. « Lipopette bar » est un conte musical en douze actes pour adultes à l’haleine de vair, et la curiosité d’Oxmo fait plaisir à écouter. Rester dans son créneau d’avant, et refaire cent fois le même album ? « La vie ne vaut que ce que l’on en fait » susurre-t-il, sibyllin.

L’entend-on dire « je » ? Oui mais peu, et presque toujours dans la peau d’un autre. Depuis toujours ses « mots s’emboîtent, les gens s’y voient comme dans une flaque d’eau ; ça leur renvoie un triste reflet », mais est-ce sa faute ? Il y a chez Oxmo comme une volonté de se coltiner le tordu et de laisser le plus facile aux autres. Laisser accroire qu’il parle souvent d’autre chose alors que c’est pourtant « dès le début de ce texte qu’il fallait calculer ».

Alors OK, « Lipopette bar » souffre parfois de trop s’en remettre au col de cygne de l’alambic. Reste une démarche courageuse, à saluer. Et une prise de conscience tardive, par contraste : l’exceptionnelle densité du « Cactus de Sibérie ». Question : l’éventuel prochain opus livrera-t-il les clefs de celui-ci ? Avoir toujours un album d’avance : tel est peut-être la force d’Oxmo et, partant, sa plus touchante faiblesse.

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