Chronique

Oxmo Puccino
Le cactus de Sibérie

Delabel - 2004

Avec Oxmo, les albums se suivent et la qualité ne fait jamais défaut. Opéra Puccino en 1998, considéré par beaucoup comme un classique, restera comme le point d’orgue discographique de l’époque Time Bomb, tandis que L’amour est mort (2001) nous offrait la délectation d’un charme diffus, quoique plus hermétique. Avec une précision métronomique, Oxmo Puccino revient donc au bout de trois ans pour dévoiler son nouveau projet dont le titre semblait annoncer à lui seul un programme alléchant. En dépit des doutes qui le saisissent (« J’écris sans cesse, chaque jour je dis j’arrête« ), Monsieur Ox Pucci reste donc la force tranquille du rap français, les tourments n’ayant jamais raison de son talent. Restait à savoir vers où l’évolution souvent inattendue du bonhomme allait nous conduire. Retour aux sources et à un flow plus véloce ? Virage en direction de la variété et des textes chantonnés ? Impossible de trancher, la nuance et le paradoxe restant le maître mot de ce cactus dont « les aiguilles se transforment en pétales« .

Les expérimentations vocales auxquelles Oxmo s’était essayé avec L’amour est mort n’avaient en tout cas pas convaincu tout le monde semble-t-il, et celui-ci a visiblement souffert de l’accueil mitigé et du halo d’incompréhension qui a entouré cet opus à sa sortie. Avec Le Cactus de Sibérie, il a donc décidé d’abandonner les conceptualisations trop poussées, les titres de morceaux alambiqués et les interludes façon discussions entre potes. Place à une construction plus fluide, plus homogène. Ce qu’on perd en charme et en subtilité, on le gagne indéniablement en efficacité et en puissance : 55 minutes pour un univers oscillant habilement entre sagesse, désillusion et énergie, jusqu’à ‘Warriorz’ comme ultime explosion où Oxmo et ses acolytes lâchent tout ce qu’ils leur restent. Ce n’est certainement pas le meilleur morceau de l’album, notamment en raison d’un Célèbre Bauza peu inspiré et d’un Mam’s Maniolo aussi incisif qu’agaçant, mais il a le mérite de conclure avec fracas un album où différents styles se côtoient autour d’une progression bien construite. C’est d’ailleurs une des grandes qualités de cet album de se révéler cohérent sans que cela ne soit aucunement signe de monotonie.

Pour autant, comme si Oxmo cherchait à s’attarder sur « L’amour est mort », il ponctue les pistes de ce Cactus de Sibérie de multiples références à son prédécesseur : reprise de l’interlude musicale qui terminait ‘Boule de neige 2001’ pour servir d’instru à ‘L’amour est mort, mets…’ (qui enfonce lui-même le clou dans la lignée du deuxième album), interpellation de l’auditeur à propos du ‘pèze’ (« vous n’avez pas compris ‘Le laid’, vous comprendrez ‘Le pèze‘ »…), quand ce ne sont pas des phrases samplées qui viennent faire office de réminiscence… D’autre fois, les clins d’oeils sont plus implicites, tel que le leitmotiv « arrivé sur terre par erreur » dans un morceau qui entre en résonance avec « ce monde n’est pas le mien, même si je m’en sors bien » du poignant ‘J’ai mal au mic’.

Le premier album semblait un peu oublié au milieu de tout ça. La présence de K.Reen sur ‘Nous aurions pu’ fait néanmoins revivre de fort belle manière les coups d’éclats de ‘Mensongeur’ et surtout du ‘Jour où tu partiras’, prouvant au passage qu’un refrain R’n’B dans le rap n’est pas forcément synonyme de niaiserie pour ados (c’était pourtant une gageure !). La sensibilité d’Oxmo dans le domaine sentimental s’affine ainsi au fur et à mesure des albums, et ‘Laisse-moi fleurter’ confirmera l’impact toujours positif de ces morceaux pleins de tendresse puccinienne. Plus globalement, cet album peut donc tout simplement être considéré comme la synthèse rapologique d’un Oxmo que l’on sent redevenu plus serein (« Le temps n’a pas déformé mes propos, ils mûrissent« ). De manière anecdotique, le choix des couleurs pour la pochette dresse aussi un pont entre les deux albums précédents, l’aspect monochrome renvoyant directement à « L’amour est mort » tandis que le boîtier rouge intégrale de l’édition limitée renoue avec les teintes chaleureuses d’Opéra Puccino. (On notera au passage que l’édition limitée porte bien son nom, comme c’est souvent le cas, étant donné la pauvreté des bonus consistant en 3 clips, une série de photos et un court reportage « 24 heures avec Oxmo » n’ayant qu’un faible intérêt).

Au chapitre des déceptions, on relèvera quand même une faiblesse chronique des productions. Pris comme un tout, l’ensemble s’avère pourtant plus qu’honorable et nous réserve même quelques excellentes surprises comme l’instru de ‘Toucher l’horizon’ par DJ Duke. L’énorme travail de la paire Alsoprodby-DJ Sek, qui s’en tire avec les honneurs pour ses six productions sans la moindre faute de goût, mérite également d’être souligné. Enfin, l’idée de mettre l’accent sur l’orchestration, avec l’utilisation récurrente de basse, guitare et saxo, apporte une touche mélodique très appréciable. Mais tout cela ne suffit malheureusement pas, et les plus pointilleux regretteront des rythmiques étrangement faibles, trop peu marquées pour espérer rehausser un peu plus l’impact des morceaux. D’autre part, l’identité sonore des trois derniers titres tranche avec l’ambiance générale du reste de l’album. La mise en retrait de l’aspect mélodique au profit de sonorités synthétiques froides et saccadées gâche quelque peu le plaisir final. Il reste à espérer que ce n’est pas annonciateur de la future évolution musicale d’Oxmo, d’autant qu’il a lui-même livré la faible instru de ‘Un flingue et des roses’ (sur lequel l’alchimie avec Kool Shen surprend et se laisse bien apprécier cependant). Comme lorsqu’il s’agit de rapper, c’est en tout cas dans des ambiances plus chaleureuses qu’il se révèle le plus talentueux (‘Laisse-moi fleurter’ et ‘Nous aurions pu’).

En ce qui concerne le flow, on a en revanche l’impression que le point d’équilibre entre les nombreux phrasés déployés auparavant est aujourd’hui atteint. Cela lui permet de s’adapter à l’ambiance sonore ou au thème de chaque morceau. Il persistera par exemple avec ‘Le pèze’ à parler d’argent dans une ambiance feutrée où sa voix grave se fait intimiste, comme pour démythifier les clichés autour du billet vert (« Je sais c’que c’est d’être à sec à la quête aux obsèques d’un pote« ). Dans un registre plus neutre servi par un flow ciselé, ‘Toucher l’horizon’ rappelle le non moins réussi ‘Derrière les projecteurs’, sorti l’année dernière sur la compilation « Fat Taf ». Enfin, le style tant décrié de ‘Ghetto du monde’ est réédité pour le refrain de ‘Mes fans’ notamment, mais le chant s’y fait toutefois plus léger. Pour autant, Oxmo ne s’en contente pas, et il ne manque pas de s’appuyer sur ses acquis pour renouveler sa gamme de styles : sur plusieurs morceaux, il assure ainsi au micro un débit soutenu, plus speed qu’avant, mais en conservant une diction toujours aussi nette (‘On danse pas’, ‘Blackdesperado’). Assurément, la prestance presque théâtrale d’Oxmo n’a pas disparue. Son aptitude à raconter des histoires non plus : ‘Parallèles’ se chargera de nous rappeler ses qualités quand il s’agit de planter un décor, d’esquisser les contours d’une situation, entre anecdotes et description du quotidien. Une plume qui ne faillit pas non plus lorsqu’il s’agit de manier la métaphore, ‘Le Cactus de Sibérie’ mettant d’entrée la barre très haut à ce niveau (« Les gens adorent les couleurs flamboyantes, pas ceux qui les portent… »).

A force d’éloges, on croirait presque que Puccino nous a offert le classique qu’on n’attendait plus. Pourtant, même si les indéniables qualités d’Oxmo sont bel et bien présentes sur la longueur, il faut se rendre à l’évidence et constater que peu de titres prendront finalement la succession des tueries qu’ont pu être ‘L’enfant seul’ ou ‘La loi du point final’. Même en faisant abstraction de la faiblesse de certaines productions, il manque à l’évidence une petite étincelle, le truc en plus propice à enthousiasmer les plus sceptiques. Malgré tout, le charisme envoûtant de monsieur Puccino fait qu’à partir du moment où sa voix se fait entendre, on met de côté nos critères habituels et on ne fait aucune résistance dans l’écoute. On se satisfera donc amplement de cet album qui figurera certainement en bonne place parmi les meilleures sorties de l’année 2004. De quoi reprendre en cœur le cri du Black Desperado : « Rap français, tiens bon ! Il te reste des rimes à vivre. »

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