Chronique

Kid Cudi
Indicud

G.O.O.D. Music - 2013

Au cours des différentes interviews entourant la promotion d’Indicud, Kid Cudi a fréquemment mentionné 2001 comme une inspiration, espérant probablement que ce nouvel opus ait le même impact sur sa carrière qu’en avait eu l’album six fois disque de platine sur celle de Dr. Dre. En produisant l’intégralité des dix-huit titres (seul « Red eye » est co-produit avec Hit-Boy), en conviant des personnalités aussi différentes que Too $hort, Michael Bolton, A$AP Rocky, RZA ou Kendrick Lamar ou en faisant la part belle à son pote King Chip (présent sur trois morceaux) comme l’avait fait Dre en son temps avec Hitman, Scott Mescudi cherche en effet à s’imposer comme un chef d’orchestre mature, éloigné de l’étiquette de machine à refrains que certains ont pu lui donner. Ce farouche besoin de reconnaissance mâtiné à un vrai sentiment de revanche sur la vie transparaît tout le long d’un disque souvent bancal mais parvenant malgré tout à tutoyer les sommets de très près par moments.

Citer 2001 en exemple et faire le choix d’une pochette rappelant curieusement celle de la compilation Dr. Dre Presents the Aftermath sortie en 1996, c’est donner en quelque sorte le bâton pour se faire battre. Musicalement, Indicud ne partage pas l’hétérogénéité de la compilation maudite de Dr. Dre, persévérant au contraire dans les tonalités lunaires voire caverneuses (« Unfuckwittable ») que Kid Cudi avait déjà approchées lors de ses précédentes sorties. Cette fois, exit les maîtres Emile, Kanye West ou No I.D derrière les machines puisque Cudi, plus que jamais, cherche à marquer le disque de son empreinte. En lisant entre les lignes, on comprend qu’il s’agissait là d’un véritable besoin de s’affranchir des influences habituelles. Cette omniprésence est à la fois une qualité essentielle du disque via l’indéniable cohérence qu’elle impose et en même temps son défaut principal tant on a le sentiment qu’il n’avait pas encore complètement les épaules pour tout assurer. Entre deux bonnes idées (la guitare stridente sur « Unfuckwittable », l’espace laissé à RZA sur « Beez »), on se heurte parfois à des pistes faisant davantage figure de démos que de morceaux réellement aboutis. C’est particulièrement frappant sur « Afterwards » où l’association de King Chip et de Michael Bolton surprend mais peine terriblement à trouver une harmonie.

Au cours de sa jeune carrière, Cudi a enchaîné les succès, qu’ils soient personnels (« Day ‘N’ Nite »), ou collaboratifs (« Memories » de David Guetta), lui conférant rapidement le statut de star et d’artiste bankable. Malgré cela, Cudi évite ici courageusement la facilité et, loin d’être une succession de tubes calibrés pour les radios, Indicud s’apparente à une thérapie à ciel ouvert. Alors que les déboires de millionnaire chantés par Drake ressemblent plus à une esthétique qu’au reflet d’un profond mal-être, les textes de Scott Mescudi s’approchent parfois de la confession. Sans réellement identifier ses démons (Parle-t-il des problèmes de drogue et d’alcool relayés dans la presse à scandale ? De déceptions amoureuses ? D’amitiés brisées ?), Indicud décrit plus que jamais le parcours d’un artiste volontairement isolé (« I don’t need, I don’t need nobody » clame t-il sur « Solo Dolo Part II ») dont le narcissisme frôle parfois la schizophrénie (« Talking to myself in the mirror, take one to know one, can we talk ? Just loony to loony »). Malheureusement, sur dix-huit pistes, cette attitude de branleur incompris aussi fièrement revendiquée finit par lasser l’auditeur qui sort lessivé d’un disque aussi désespéré.

Cudi peut narrer son désenchantement autant qu’il le souhaite, il demeure paradoxalement plus à l’aise sur les morceaux lumineux. Ainsi, il retrouve sa splendeur sur des pistes comme « Immortal » ou « Brothers », morceau qu’il habite littéralement et dont les touches d’espoir tranchent radicalement avec le reste de l’album. Trop souvent durant le disque, Kid Cudi s’évertue à livrer de longs couplets introspectifs qui ne font que partiellement mouche, mettant alors en évidence ses limites d’écriture. C’est au contraire lorsqu’il lorgne vers des morceaux plus catchy et souriants qu’il réussit son coup. A ce titre, « Cold blooded » est probablement la réussite la plus éclatante du disque, tant il y fait avec brio la démonstration combinée de ses qualités de chanteur et de rappeur. C’est finalement sur ce titre, où la volonté de tuer le père Kanye West est criante (« The lost black sheep of G.O.O.D. Music, Only good for a hook, huh ? ») qu’il ressort enfin vainqueur du combat entrepris quinze titres plus tôt.

En même temps qu’il confirme que Kid Cudi est un artiste talentueux regorgeant de bonnes idées, Indicud ne parvient pas à convaincre totalement, paralysé par ce désir tenace de tout contrôler. Si on comprend que le disque était probablement nécessaire à ce moment précis de sa carrière, on se surprend à souhaiter que Cudi, à la manière de ce qu’avait effectué Sébastien Tellier en 2008 avec Guy-Manuel de Homem-Christo, mette son ego entre parenthèses et sa personnalité au service d’un producteur plus mature. Hypothèse alléchante mais objectivement peu probable tant Scott Mescudi semble encore avoir un tas de défis personnels à relever.

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