Chronique

Killah Priest
Heavy Mental

Geffen - 1998

« Heavy Mental » est le deuxième album grande portée d’un membre de la Wu-Tang Family, « Silent weapons for quiet wars » de Killarmy étant le premier, sorti 6 mois plus tôt. Dès 1995, le génial Gza avait prévenu les foules, annonçant la venue imminente de son disciple, Killah Priest, ou le prophète annonçant la venue du messie. Et il n’en fut pas autrement.

Killah Priest avait d’ailleurs prophétisé tout seul sa venue, concluant en solo le mythique « Liquid Swords » de Gza avec un magistral ‘B.I.B.L.E.’ morceau d’anthologie sans appel, purement Wu-Tang, mais purement Killah Priest aussi. Et il y a un décalage à remarquer. En effet, « Heavy Mental » en bon Wu-chef d’oeuvre débute avec une citation de film. Mais pas de Kung-fu ici, l’entrée est strictement théologico-mythologique : « j’irai parmi les hommes, et j’essayerai de répondre aux questions qui brûlent dans leur cœur, les questions que je me suis posé toute ma vie… »

« Tes bras sont trop courts pour te battre avec Dieu… ». Premier titre (premier single), ‘One step’ produit par True Master, le ton est donné, le pas est fait, on passe au next level. Sur les traces de ‘B.I.B.L.E’, mysticisme et références bibliques sont là, et Killah Priest maintient le contact avec notre âme. Pas de piste interlude dans le disque, mais des transitions soigneusement travaillées entre les morceaux, à base de samples de péplum, qui renforcent encore plus la cohérence du tout. ‘Blessed are those’ laisse le temps à Killah Priest de se poser, d’instaurer ce dense climat spirituel qui ne fera que se développer en profondeur tout au long de l’album.

On a à peine le temps de se stabiliser à un pallier qu’on plonge déjà vers un autre cap, franchit déjà une autre marche, on sombre plus profondément dans ‘From then till now’, produit par Y-Kim de Royal Fam, instru parfait pour un Killah Priest au sommet de son art. Le genre de morceau qu’on écoute la nuit, les yeux dans le vague, l’esprit nulle part. Il nous faut l’arrivée guerrière, mais toujours avec cette dimension mystique, de ‘Cross my heart’ pour nous ramener à la réalité. Réalité altérée, featuring Inspectah Deck et le maître Gza, sous la direction d’un True Master très en forme. Bref, les joyaux s’enchaînent. Et on n’a pas le temps de souffler… mais on respire… pour le moment.

4th Disciple vient prendre la relève à la production avec ‘Fake Mc’s’, petit rappel à l’ordre sur l’industrie du rap. Bon morceau, Killah Priest maintient l’ambiance. Pour reprendre ses prédications de plus belle sur un messianique ‘It’s Over’, toujours soutenu par 4th Disciple qui produira la majorité des titres (10 en tout). Priest part en croisade galactique sur ‘Crusaids’, skit priestien au possible, avant de retrouver Sunz of Man (moins Prodigal Sunn) et Father Lord (ex-Beggaz, RIP) le temps d’un ‘Tai chi’ cosmique. ‘Heavy Mental’, le sommet de l’album, Killah Priest en transe, nos tympans en sang. Petite anecdote, lors d’un concert de Sunz of Man (groupe de Killah Priest), le Prêtre Tueur est parti dans un freestyle fiévreux de 10 minutes sur l’instru de ‘Heavy Mental’, et Prodigal Sunn (autre membre de Sunz of Man) au bord de la scène le regardait bouche-bée…

Et pour bien marquer le coup, il invite un Ol’ Dirty Bastard des grands jours sur ‘If you don’t know’, sorte de suite de ‘U don’t know’ dans l’album d’Ol’ Dirty (« Return to the 36 chambers ») où le duo Priest/Ol’Dirty avait déjà sévi. Mais arrivés à ‘Atoms to Adam’, on commence à fatiguer un peu, même si le morceau, planant, dans le genre de ‘From then til now’ tombe à point. Le disque est homogène, la construction élaborée, les instrus efficaces servent toujours à merveille le flow de Priest, mais « Heavy Mental » est, comme son nom l’indique, un album lourd à digérer, qui ne souffre aucune trêve, Priest délivrant ses textes et ses ambiances sans laisser une seconde de repos à l’auditeur. Le disque est oppressant. Ça a toutefois l’avantage d’en faire un disque plaisamment réécoutable avec le temps, même quatre ans après.

Sur ‘High Explosives’ (produit par Arabian Knight) et ‘Wisdom’ (prod par 4th Disciple), Priest continue à dispenser ses métaphores, étayées de références bibliques, Moïse, David, Judas, plus imagées que réellement conscientes, évoquant son amour de la sagesse : « tu m’apporteras la paix quand je serais vieux ». Ces titres sont bons tout en se répétant quand même un peu. Mais on a à peine le temps de penser à autre chose, que Priest, sentant son auditoire distrait, récupère son attention en puissance, déclenchant le grand ‘B.I.B.L.E.’ (Basic Instructions Before Leaving Earth) à peine remixé, qui ne produit évidemment plus l’effet qu’il avait eu 3 ans auparavant, mais qui ramène l’auditeur à fond dans le disque, et qui reste malgré tout un des meilleurs titres du cet opus.

Au vu de la densité du disque, il faut plusieurs écoutes pour apprécier les titres de la fin de l’album, comme ‘Mystic city’, constat alarmant de la société, toujours via métaphores, ce qui n’altère en rien la conscience des propos de Priest. ‘Information’ confirme une fois de plus les dons d’écriture et de conception de Priest, sa facilité à faire des liens entre l’apocalypse et la réalité de tous les jours. Mais Priest ne se pose aucune barrière. Il est juif, il croit en Jésus et en Allah, tout est dit, il est au-delà.

Le disque s’achève sur un beat tonitruant dans l’esprit de ‘Cross my heart’, où Priest nous rappelle qu’il est le ‘Professional’. Un bon morceau pour conclure son premier album, notamment le sample de film final. Bon morceau, mais un peu inutile. C’est ce qui rend le disque lourd, chargé, surchargé, au contenu plein, il ne s’agit pas ici de faire la fête ou la nouba, Killah Priest parle à nos sens spirituels. Mais à la limite on ne s’en plaindra pas, en cette époque où la soupe inonde les ondes. A noter, la bonne prestation de 4th Disciple en tant que producteur de son deuxième long format (après le premier album de Killarmy).

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