Chronique

Kohndo
Deux Pieds Sur Terre /Stick To Ground

Ascetic Music - 2006

EPMD – ‘You Gots To Chill’ (Strictly Business, 1988)

Trois années se sont écoulées depuis la sortie du premier album de Kohndo, Tout est écrit. Depuis, à l’exception d’une compilation-bilan (Blind Test) et de quelques apparitions (‘Qu’est-ce qu’on fout là ?’ sur le Street CRADibility de Rachid Wallas…), l’homme s’est fait discret sur disque, privilégiant la scène. C’est seulement courant 2006 qu’un nouveau maxi estampillé Kohndo a atteint les bacs. Il avait de quoi surprendre.

En effet, alors que Kohndo avait développé sur Tout est écrit une vibe soul/jazz posée, voilà que sur ces deux titres, ‘Dis-moi ce qu’elles veulent’ et ‘Deux Pieds Sur Terre / Stick To Ground’, respectivement produits par 20Syl et par lui-même, il se montrait nettement plus offensif. Accompagné de Slum Village et du bostonien Insight, l’ex-MC de La Cliqua montrait également son intention de partir à l’assaut du marché international.

Ces deux bons titres se retrouvent sur son second LP, Deux Pieds Sur Terre / Stick To Ground, mais ils constituent des exceptions.

Alors que trois producteurs (Jee2Tuluz, Stix, Ivon) se partageaient la conception de l’album précédent – à l’exception de ‘La Chute’, produit par Kohndo -, KOH a ici fait appel à une dizaine de beatmakers et livre lui-même quatre sons. Malgré cette plus grande diversité, la tonalité de Deux Pieds Sur Terre est dans la lignée de celle de Tout est écrit ; une nouvelle balade dans un univers empreint de jazz et de soul. Néanmoins ce second LP se fait, notamment par les rythmiques, globalement plus percutant que son prédécesseur : la mélancolie y est moins présente, au profit d’un plus grand dynamisme.

Bien qu’il s’accorde comme d’habitude quelques titres plus énergiques (‘L’Antidote’, ‘Microphoné sans holster’, ‘RER’), c’est cette impression d’harmonie cotonneuse et de calme qui marque tout de même l’esprit. Celle-ci est autant le fait des instrus que du style du MC lui-même. Maîtrisant toujours l’art de la technique microphonique, Kohndo ne cherche pas à placer une punchline inoubliable à chaque strophe ou à délivrer un couplet coup de poing par morceau. Son rap s’inscrit plus dans une vision à long terme, captivant par sa musicalité et sa fluidité plutôt que par son aspect « tranchant ». Adaptant son flow, sa voix et son ton (comparer ‘Hey Papi’ et ‘Bad Trip’ pour s’en convaincre) aux différents instrus et aux jeux de rythmiques, il offre, par exemple lors de son troisième couplet sur ‘So Much Trouble’, quelques passages magnifiques.

Présents mais trop rares sur Tout est écrit, les scratches occupent ici une place centrale. Inscrivant au même titre que certains samples (le ‘Save The Children’ de Marvin Gaye sur ‘Un Idéal’, le « Actions speak louder than words » de Chocolate Milk sur ‘Qui nous représente ?’ ou encore les premières secondes de ‘Hey Papi’ reprenant le début du ‘Get off my dick and tell yo bitch to come here’ d’Ice Cube) l’album dans une tradition musicale par un système de références, ils créent sans cesse une complicité entre le MC et son public. Si convoquer Nas, EPMD, M.O.P., Chuck D, Common ou encore Q-Tip sur un album de rap peut paraître affreusement banal et commun, les cuts de DJ Kosi prennent, dans ce disque incontestablement inscrit dans l’héritage hip-hop des années 90, une dimension d’hommage vraiment intéressante et efficace.

« Impressionniste plus que réaliste » : voilà comment se définissait Kohndo au cours de son couplet sur ‘Du sable sur les paupières’ de Hocus Pocus. Toujours adepte de fresques urbaines et humaines et d’une écriture basée sur les impressions sensorielles, il n’oublie pas non plus les egotrips qui firent la réputation de La Cliqua. Sur une bonne production de Jee2Tuluz (une batterie rebondissant sur un sample de cuivres et agrémentée sur le refrain d’une sirène rappelant à la fois le film Kill Bill et le titre ‘Murder Rap’ d’Above The Law), il lâche un texte revenchard et offensif (‘L’Antidote’) ou met en valeur ses qualités de MC sur l’un des meilleurs titres de Deux Pieds Sur Terre, le terrible ‘Microphoné sans holster’. Pourtant, si son environnement parisien reste une inépuisable source d’inspiration (‘RER’…), le MC prend le pari de se renouveler en abordant d’autres thématiques : outre quelques titres à connotation politique (‘Faut qu’on leur dise’ avec Enz, ‘Qui nous représente ?’, ‘So Much Trouble’), on trouve dans cet album un exercice de style (‘D’un mot à l’autre’), un texte sensible sur l’éloignement pour cause d’incarcération (‘D’un monde parallèle’) ou encore un morceau dans lequel Kohndo se met à la place d’un journal intime (‘Je serais là’).

Privilégiant à tous points de vue la musicalité à une époque où le « gros son » est la norme, Kohndo offre à l’auditeur une escapade sonore, un de ces moments suspendus chers à Sako. L’album s’achève sur le beau ‘Un Idéal’, marqué par un mélange de mélancolie et d’optimisme – une sorte d’écho à la phrase « Y‘a comme de la noblesse à vivre reclus dans les tèces » posée sur un titre de Tout est écrit, ‘Loin des Halls’. C’est à ce moment que revient en tête la formule « voyage à travers sillage musical« , prononcée par Kohndo quelques années auparavant et reprise par Dreyf en conclusion de son EP Son d’automne. Leitmotiv implicite de Deux Pieds Sur Terre / Stick To Ground, cette simple phase éclaire le voyage à plusieurs niveaux qui nous est proposé : une balade sonore, du classique ‘Je serais là’ bâti autour d’un piano jazzy et du break ‘Impeach The President’ au moderne ‘Hey Papi’, composition patate, risquée et hargneuse ; mais aussi une pérégrination au cœur des rues parisiennes, pour s’élever finalement « sur le toit du monde« .

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