Chronique

Bams
De ce monde…

Junkadelic - 2005

Depuis le mésestimé Vivre ou mourir, son premier album en 1999, Bams s’était faite discrète sur la scène rapologique. On la vit seulement réapparaître le temps d’une poignée de morceaux, en particulier sur la compilation The World according to RZA en 2003. Un quasi-silence microphonique que Bams a su mettre à profit pour investir son temps et son énergie dans un nouveau domaine, après avoir déjà tutoyé l’excellence en athlétisme et gagné une certaine reconnaissance dans le rap. Elle participa ainsi activement à la création de Respect magazine, un journal singulier inscrit sous le signe de la diversité et de l’universalisme, tout en évitant de verser dans l’optimisme béat ou l’opportunisme sordide. De quoi nourrir son esprit, et renouveler une inspiration tarie par un premier opus intime et cathartique.

La voici donc de nouveau derrière le micro avec De ce monde…, un album riche et varié dont la sobriété de l’artwork tranche avec la profusion d’ambiances et d’influences. Réalisé en collaboration étroite avec Junkaz Lou – même si celui-ci ne signe que quatre productions au final – ce disque est avant tout porté par le métissage des sons et une multiplicité d’instruments. A partir d’une base faite de beats percutants et de passages scratchés, Bams s’autorise toutes les folies en matière de musique et d’intonations. Entre percussions africaines, mélodies savoureuses et instruments classiques (violons, flûtes…) elle se distingue avant tout par sa liberté d’interprétation, qui donne parfois des résultats surprenants. On assiste à une sorte de métamorphose de Bams au niveau du style, avec le passage depuis « Vivre ou mourir » d’un flow rigide et appliqué à des étirements vocaux lancinants, des passages plus ou moins chantés et un sourire presque omniprésent dans la voix. En contrepartie de ces évolutions positives, il faut tout de même supporter certaines inclinaisons déroutantes, comme lorsque Bams pousse sa voix jusqu’à dérailler par instant ou qu’elle se met à arborer un ton candide et faussement ingénu qui se révèle vite pénible, comme dans l’intro.

Autant dire que Bams se lâche complètement avec cet album, laissant libre cours à ses envies animées de positivité, alternées avec quelques coups de gueule à l’égard de la police (‘Boulice’), l’intolérance et l’injustice (‘Fbbr’, ‘Nazime’). Des mouvements d’humeur certes communs et récurrents dans le rap, mais c’est en fait dans les notes d’espérances et les accents coquins qu’il faut chercher les vraies satisfactions de ce disque. Déjà encline à se dévoiler dans son premier album, Bams poursuit ici son introspection sous un jour moins grave et plus ludique avec ‘Pas cool’, ‘Darling’ et ‘De ce monde’ – trois réussites étonnantes dans des styles différents. Fidèle à son approche multiculturelle de la vie, elle multiplie l’usage des langues en agrémentant ses textes d’exclamations en anglais, ou en partageant le titre ‘Keine Angst’ avec la germano-américaine Angie pour un doux mélange d’allemand, d’anglais et de français.

Angie est d’ailleurs loin d’être la seule invitée de l’album. Celui-ci compte en effet une multiplicité de producteurs et de musiciens. La plupart ne se sont d’ailleurs pas contentés d’une contribution épisodique et interviennent sur plusieurs morceaux. Le titre réalisé pour la compilation de RZA est remis au goût du jour, D.Taz se substituant à U-God en featuring. Le prince Shaolin propose une instru réactive et très rythmée sur laquelle Bams impressionne par son aisance et ses variations de styles. L’apparition du rappeur Dgiz, issu de la clique Junkadelik, laisse en revanche sceptique, sur un morceau déjà moins convaincant que les autres (‘Murs Murs’). En revanche, les voix douces et chaleureuses des Nubians, qui se chargent des chœurs sur ‘Body Lache’, et la rage toujours sans faille de Casey sur ‘Y a-t-il’ sont des collaborations finement choisies qui ne font qu’élever le niveau de l’album. Sur ‘Y a-t-il’, Ekoué est également de la partie mais se contente du minimum syndical en continuant de se laisser aller à l’insulte et à une facilité qu’on lui connaît trop souvent ces derniers temps (« Tous les flics sont pourris jusqu’au trou du cul« ). Enfin, en récitant un poème sur fond de contrebasse, Souleymane Diamanka et John Banzaï sont les invités insolites du disque : Bams s’éclipse le temps de cette sorte d’interlude, et même si la voix et le texte des deux protagonistes se révèlent envoûtants, on peut regretter que cette pause casse quelque peu la dynamique d’ensemble de l’album.

En fin de compte, De ce monde… constitue donc une belle surprise. D’abord, parce qu’on n’osait trop espérer un retour de Bams sur long format après ces années d’absences. Ensuite parce que celle-ci en a profité pour élargir son horizon et nous faire partager un esprit profondément humain, généreux et altruiste – le talent à échelle humaine. En voulant creuser le sillon de l’éclectisme, ce disque s’avère toutefois légèrement décousu par moment, et Bams manque peut-être encore un peu de charisme pour en assurer la cohésion. Quelques baisses de régimes se font également sentir sur un album aussi long et ambitieux que celui-ci, mais l’essentiel est ailleurs : Bams parvient à nous faire partager son univers, à décloisonner nos imaginaires.

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