Chronique

Booba
Futur

Tallac Records - 2012

La concurrence toujours à la traîne, l’argent qui n’en finit plus de pleuvoir, le succès ininterrompu et une solitude encore plus renforcée par la disparition de Bram’s, voilà de quoi il est essentiellement question dans Futur, sixième album solo de Booba. Ces quatre thématiques sont abordées dès le morceau d’ouverture, sobrement intitulé « G5 (Intro) », qui résume fugacement le disque en l’espace de huit lignes (« Ils me donnent des coups que je ne sens pas, sur les champs de bataille dans mes veines coule du champagne, dans ma tête plein de billets font les cent pas, on ne fait que me prêter de l’amour que je ne rends pas » puis « Contre vents et marées, de quelques frères malheureusement je suis séparé, évitons les sujets qui fâchent, l’important c’est pas la chute mais l’atterrissage »). Les quinze autres morceaux composant le projet ne sont rien d’autre qu’une imposante variante autour de ces sujets. Cette propension à tourner en rond, qui flirte parfois dangereusement avec le remplissage, rend le disque étonnamment intrigant.

Pour l’auditeur qui suivait déjà le MC boulonnais quand celui-ci faisait équipe avec Ali sous la bannière Lunatic, Futur marque un tournant critique. Pour la première fois, l’absence d’une véritable direction artistique se fait cruellement sentir. Pire, on se retrouve parfois face à quelques surprenantes fautes de goût qui laisseraient presque penser que Booba n’a plus l’oreille aussi alerte que dans le passé. Tout d’abord, il y a cette embarrassante habitude d’avoir régulièrement recours à l’autotune. Si Future – le rappeur – a récemment réinventé d’une manière inattendue un outil que même T-Pain n’osait plus utiliser, Booba semble lui encore prisonnier de l’emploi qu’on en faisait en 2008. L’exemple le plus criant est « 1.8.7 », la collaboration tant attendue avec le croque-mitaine Rick Ross. Là où l’auditeur lambda était en droit de s’attendre à une déflagration sonore propice à déchaîner les fosses en concert, Booba se contente de livrer un morceau paresseux et fait rapper Rozay sur des sonorités qui ne semblent déjà plus l’intéresser, sans exploiter au maximum le caractère grandiloquent du personnage. Abusif, le refrain autotuné crée un trop grand décalage avec le reste du morceau que les considérations ethniques de Booba (« Paraît que j’suis juif, j’t’enfonce une grosse bite ashkénaze ») ne permettent pas de résorber.

Cette paresse pèse sur un disque qui voit trop souvent le rappeur en pilotage automatique, poussant ainsi l’auditeur à regretter qu’une autre oreille que la sienne n’ait pas été autorisée à émettre un avis sur le disque avant sa sortie. Dans Futur, Booba se permet des facilités inédites et balaye d’un revers toute exigence d’exactitude. Peu importe qu’il ait pris Astérix pour Obélix, il fallait bien trouver une rime avec « à tes risques » sur « Maki Sall Music ». Peu importe la confusion entre le personnage de Val Kilmer et celui de Robert de Niro dans Heat sur « Caramel ». Peu importe qu’il faille se forcer pour se convaincre qu’il mentionne bien le nom de Charles Pasqua et non pas celui d’un hypothétique Gérard Pasqua sur « Kalash ». A ce titre, « Maître Yoda » est probablement la piste la plus symptomatique de ce manque d’inspiration. Dedans, on y trouve une pique gratuite à un confrère rappeur (ici, c’est au tour de Don Choa d’encaisser), une phase sur l’esclavage, un hommage à Bram’s, un clin d’œil à son avocat, des références à Star Wars et à Tony Montana et une auto-citation renvoyant à un de ses anciens morceaux. La routine.

En 2013, Booba évoque presque les personnages de vieux briscards régulièrement interprétés par Clint Eastwood au cinéma. Isolé et acariâtre, l’homme semble blasé et n’a plus vraiment de raison de se dépasser. A moins qu’on ne lui mette un jeune partenaire dans les pattes pour le pousser dans ses retranchements. C’est précisément ce qui se produit sur les quelques sommets de l’album qui, malgré leur rareté, devraient suffire à assurer une postérité au disque. « Kalash », morceau phare du projet, le voit faire équipe avec un Kaaris survolté. Tout en confirmant qu’il est une valeur sûre après la mixtape Z.E.R.O., le MC de Sevran entraîne Booba dans sa déraison. Entre références loufoques (« J’ai des gros bras, la chatte à Popeye ») et violence gratuite (le gilet fluo, l’orteil de Kaaris), les deux rappeurs partagent une véritable alchimie. Il en va de même sur « O.G » et « Rolex », des titres qui le voient respectivement collaborer avec les habitués Mala et Gato, tous deux garants d’une énergie bienvenue. A chaque fois qu’il est épaulé, l’auteur de Temps Mort est capable de fulgurances qui rappellent ses plus grandes heures (« J’ai du poulet yassa, de la me-ca dans le tupperware » sur « O.G »). Même « 2pac », autre grande réussite de l’album, n’est pas tout à fait une expérience solitaire tant Bram’s, auquel deux couplets sont dédiés, habite les quatre minutes du morceau. Comme si, malgré des années à œuvrer tout seul, Booba avait aujourd’hui besoin de retrouver les sensations du groupe pour retrouver pleinement ses moyens.

Fort d’une carrière de près de vingt ans, il semble presque convenu que Booba est tout seul sur le trône du rap français. On pourrait lui contester cette position, lui qui n’est probablement pas l’artiste le plus épatant du paysage rapologique et dont les ventes sont distancées par celles de la Sexion d’Assaut. Pourtant, Booba déchaîne les passions plus que n’importe quel autre de ses confrères et le souci, justement, réside dans le fait qu’il en est parfaitement conscient. A observer Booba sur le toit du rap alors qu’il est encore en activité, on ne peut s’empêcher de se demander s’il s’y amuse toujours autant. Le rappeur est en effet arrivé au bout du chemin qu’il avait emprunté en 2008 avec 0.9 et dont Lunatic était la concrétisation la plus éclatante. Au lieu de regarder dans le futur, peut-être pourrait-il se souvenir de ce qu’avait fait Michael Jordan en 1993. Une fois sa soif de conquête assouvie par les successions de titres remportés avec les Chicago Bulls, Michael Jordan s’était octroyé une incursion dans le base-ball pour mieux revenir par la suite. Au vu du plaisir qu’il a l’air de prendre avec le chant, Booba aurait presque intérêt à faire la même chose. A l’image d’un Michael Jordan qui avait dû se faire violence pour faire bonne figure dans un sport qu’il ne maîtrisait pas, Booba est un chanteur encore approximatif et tributaire de l’autotune. Pour autant, « Tombé pour elle » et « Jimmy » ne manquent pas de personnalité et confirment que le chant est devenue sa nouvelle marotte. Là où la plupart des rappeurs s’aventurant sur ce terrain ont régulièrement mis de l’eau dans leurs vins, Booba continue de servir son Jack pur. Il chantonne les mêmes vulgarités qu’il a l’habitude de rapper (« les niquer, tous les niquer, c’est ça l’idée » côtoie « fils de chiens » et « enfants de putes » sur « Tombé pour elle ») et raconte les mêmes histoires (celle de Jimmy fait fatalement penser à la sienne). Modifier la forme pour mieux rebondir ? C’est ce qui pourrait sauver Booba du combat de trop, et ses auditeurs de l’ennui.

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1 commentaire

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  • Icecreambeatz,

    Heureux de voir que je ne suis pas le seul à penser tout ça !!! Très bon article, merci Mehdi.