Chronique

Mobb Deep
Blood Money

G-Unit / Interscope / Universal Records - 2006

Aux États-Unis, on appelle ça le momentum. La force d’une tendance, le laps de temps propice à la réussite. En signant avec G-Unit fin 2005, Mobb Deep espérait sans doute être au diapason de ce momentum. Après tout, 50 Cent et ses sbires sortaient d’une série de succès insolents – c’était cette époque lointaine où un Lloyd Banks pouvait vendre 433 000 albums en une semaine. Le dernier coup d’échec de Curtis Jackson avait alors été de recruter trois entités symboliques du rap new-yorkais : les mastodontes de MOP, l’ex-méga-star Ma$e et donc, Prodigy et Havoc, incarnations estampillées Queensbridge d’un rap armé jusqu’aux dents. Sortira quelques mois plus tard Blood Money, septième album du groupe et première césure officielle sur la courbe, alors pointée vers le sommet, de l’empire G-Unit.

On pourrait penser que le relatif insuccès de Blood Money est d’abord du à un problème d’image – grosso modo, le reality rap de Mobb Deep transformé par 50 Cent en fantasme grand public. Après tout, sur le disque, l’arrogance agressive qui a fait la marque de Mobb Deep paraît intacte (‘Put’em in their place’), Havoc a toujours le sens des instrumentaux livides (‘Stole Something’) et Prodigy livre même l’un de ses couplets les plus outrageants : dans ‘Pearly Gates’, c’est Dieu Lui-Même qui en prend pour son grade, Prodigy promettant d’aller mettre une raclée à son Fils dès qu’il franchira les portes du paradis – de quoi faire bondir Jimmy Iovine, big boss d’Interscope, qui censura le passage pour s’éviter les foudres des puritains.

Mais chaque tentative du groupe d’affirmer son force de frappe est désamorcée par l’impression persistante que Blood Money est avant tout sa journée d’intégration dans le camp G-Unit. A lui seul, 50 Cent n’occupe pas un, mais sept titres tandis que les seconds couteaux Tony Yayo, Lloyd Banks et Young Buck ont tous droit à leur invitation personnelle. Le genre de tutelle envisageable pour un rappeur débutant – d’ailleurs, des nouvelles de Hot Rod ? – mais un peu embarrassante pour un duo d’expérience qui figure parmi les images d’Épinal du rap new-yorkais.

La direction du projet n’arrange rien. Si Prodigy et Havoc ont prouvé par le passé qu’ils pouvaient faire dans la séduction je-m’en-foutiste sans maquiller leur violence froide, Blood Money baigne dans une aura de certitude mal placée, comme si on avait déjà remis au duo un disque de platine avant même qu’un seul titre soit enregistré. Résultat : avec une chaîne G-Unit autour du cou, Prodigy et Havoc semblent condamner à revivre éternellement la même soirée en club (‘Give it to me’), dans le même coin VIP (‘Have a party’) avec les mêmes groupies (‘Backstage pass’). Étonnants de nonchalance, ils livrent de vraies curiosités (‘Creep’, digne d’un numéro de cirque) et quand, deux titres avant la fin, Havoc se décide à dégainer le sample qui mettra tout le monde d’accord, il faut qu’il choisisse une boucle déjà exploitée – en mieux – par Alchemist deux ans plus tôt.

Trop sporadique dans ses temps forts, Blood Money ressemble au pari de trop pour un groupe vieillissant, encore convaincu de pouvoir décrocher les meilleures places du billboard alors que le rap est entrain de changer autour de lui. Reste que sans l’accueil tiédasse réservé à l’unique sortie G-Unit de Mobb Deep, Prodigy n’aurait peut-être jamais connu sa renaissance impressionnante – et nihiliste au possible – lors de ses échappées solo en 2007 et 2008. Et pour le groupe, immortalisé sur la pochette devant des liasses de billets, tout ne fut pas perdu pour autant : Blood Money s’est écoulé à plus de 500 000 exemplaires, le remix d »Outta Control’ avec 50 Cent est à ce jour leur plus gros succès commercial et au moins, ils peuvent se targuer que leur album G-Unit est bel et bien sorti. Là où ils sont, MOP et Ma$e ne peuvent pas en dire autant.

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