Chronique

BlakRoc

V2 - 2009

Akron, Ohio. Le fief de l’industrie pneumatique américaine, creusé de vaste artères taillées pour l’automobile reine, ne se distingue certainement pas par sa topographie. Mais la ville mérite d’être célébrée. Lebron James, l’Elu des Cavs, y a passé ses premiers dunks. La banlieue de Cleveland a également donné naissance au duo rock Black Keys, au carrefour baroque du blues et du punk. Ses deux membres, purs produits Wasp du nord-est des Etats-Unis, ont l’œil torve et le col amidonné. Le guitariste Dan Auerbach est même affublé d’une barbe et d’une crinière christiques. A priori, rien ne prédisposait ces deux échalas dégingandés, dont la dégaine pittoresque est plus proche du stéréotype amish que de l’uniforme hip-hop, à faire du rap. Pourtant, quand ils reçoivent un coup fil un peu cavalier – « I wanna fuck wit’ you all » – de Damon Dash, l’ancien patron de Roc-a-Fella, ils n’hésitent pas longtemps avant d’accepter. Ils ont bien raison : l’alchimie bluesy, produite par l’enchevêtrement des inspirations rock et rap, opère.

Le binôme de bluesmen punks et « Dame » Dash, un peu désœuvré depuis son divorce avec Jay-Z, se mettent d’accord sur un deal simple : eux se chargent de la musique, lui des rappeurs. Mos Def, Raekwon, Q-Tip, Rza, Mos Def, Billy Danze, Ludacris ou le fantôme d’Ol’Dirty Bastard sont immédiatement convoqués. Onze invités au total. Pour onze morceaux. Enregistrés en onze jours, dans le studio enfumé de Joel Hamilton à Brooklyn. Le tout s’appellera BlakRoc, en hommage à un obscur groupe de soul de Memphis qui n’a plus donné signe de vie depuis les années 1970.

Il y avait de quoi être méfiant. La sortie du projet, le lendemain de Thanksgiving, l’épiphanie du consumérisme américain,  a été orchestrée par un plan marketing savamment organisé. A telle enseigne que le constructeur Chevrolet a conçu une Camaro spécialement pour l’occasion. Et puis les cross-over rap/rock se sont souvent soldés par des déconvenues depuis la rencontre du troisième type entre Aerosmith et Run DMC en 1986. Les collaborations  successives, parties d’un bon sentiment, n’ont souvent débouché que sur de purs exercices de styles, plus proches du roulement de mécaniques, chacun cherchant à impressionner la partie adverse, que de l’entreprise musicale.

La mécanique BlakRoc fonctionne en grande partie grâce à la modestie des égos en présence. « Ce qui est incroyable, c’est que, aussi grands et talentueux soient les Black Keys, ils ont eu l’intelligence de se mettre en retrait, en raison de la nature des invités qu’ils avaient. (…) Et ce que vous entendez quand Mos Def ouvre la bouche, c’est son enthousiasme pour ce que les Black Keys ont joué avant », raconte Joel Hamilton. De fait, chacun met son savoir-faire au service de l’autre. Le duo guitare-batterie a taillé des instrumentaux sur mesure aux rappeurs en ralentissant un chouïa son tempo pour ménager un espace suffisant aux MCs. De même, le flow des invités s’accorde naturellement à la musique déglinguée des Black Keys. Même la présence de Jim Jones ne paraît pas incongrue au milieu des riffs cradingues et de la batterie lourde de Patrick Carney. Mos Def, dont la voix nasale de vieux chanteur de country se coule dans ce blues rural, n’a quant à lui jamais autant paru dans son élément. Seul NOE, l’épigone de Jay-Z crée par Damon Dash, paraît un peu hors-sujet. La modestie du projet se lit également dans sa durée, 36 minutes.

Inversement, si chacun échappe au piège de la surenchère tapageuse, ni les Blacks Keys, ni les MCs ne font de concession à leur musique. L’ambiance musicale de BlakRoc s’inscrit dans la continuité d’Attack & Release, le précédent album du binôme d’Akron. De leur côté, les rappeurs assument leur flow, sans avoir la prétention de chantonner. Etrangement, la combinaison des rockers et des rappeurs du nord-est industriel des Etats-Unis exhale un parfum très sudiste, permettant aux deux parties de retrouver dans le blues leur ancêtre commun. Les musiciens du projet BlakRoc incarnent les deux versants de la scène musicale américaine, qui se réconcilie dans la moiteur des bords du Mississipi, l’odeur de poussière chaude et les volutes de fumée âcre.

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