Chronique

Klub des Loosers
Baise les gens

Record Makers - 2003

Découvert il y’a plus de deux ans de cela sur « l’Antre de la Folie » (la mixtape censée à l’époque révolutionner le rap français), le Klub des Loosers a depuis largement eu le temps de déchaîner les passions sur les principaux forums Hip-Hop français, où la partie essentielle de son auditoire, favorable ou non, se concentre : entre la branchouille trouvant le concept révolutionnaire et le puriste excédé par tant de dérision, les discussions sont donc allées bon train, faisant ainsi allègrement monter le buzz du groupe, nourri en parallèle par diverses apparitions sur tape et compilations.

Mais tout loosers qu’ils sont, Fuzati et Orgasmic ont eu la patience d’attendre avant de proposer une sortie étiquetée ‘Klub des Loosers’. Et même là, on peut dire que la prise de risque n’est pas énorme : 6 titres, dont deux plages instrumentales, trois titres rappés, parmi lesquels l’incontournable morceau titre ‘Baise les Gens’ de « Projet Chaos », et une outro, voilà un maxi taillé pour se familiariser avec l’univers du duo, fait de déceptions, d’envies de suicide et de misanthropie. Et pour bien plonger la tête la  première, un an et demi après « Projet Chaos », revoici ‘Baise les Gens’, peut être le morceau le plus marquant de cette vague jadis proclamée salvatrice du rap hexagonal. Le petit air de flûte et la contrebasse font toujours leur effet, tout comme les paroles de Fuzati, contant son dégoût du genre humain : « Pourquoi devrais-je regarder la télé est-ce qu elle me regarde elle? La vie n’est pas belle, sous son fond de teint il y’a des cicatrices, ses jambes ont des varices et je suis sur que son vagin accueillera ton pénis comme il accueille déjà des centaines de MST différentes. Désespéré à chaque fois qu’une femme enfante je réalise qu’en fait je n’aime pas beaucoup les gens ». Les ‘baiser’ vociférés par Jonathan Lambert en guise de refrain, les scratchs furieux d’Orgasmic, la prod sans faille de ce dernier associé à Para One, et voilà un titre qui mérite largement le titre de ‘classique du rap français’, en parvenant à associer une originalité très bien maîtrisée à un fond plus dense qu’il n’y parait au premier abord. Certes, on trouvera toujours quelqu’un pour rappeler que Fuzati rappe très mal, argument finalement très difficile, voire impossible à contredire, tant le MC a pris l’habitude de proposer un non-flow, à la rythmique quasi-absente, combiné à une voix qui sera difficilement supportable sur le long format si Fuzati reste en vie suffisamment longtemps pour s’y illustrer. Mais là il s’agit d’un maxi, donc nous n’aurons pas le temps de nous lasser, d’autant que les paroles parviennent en partie à masquer les lacunes sur le travail de forme.

Passons donc aux réels points d’interrogation de cette sortie : ‘Ca va s’arranger’ et ‘Poussières d’Enfants’, les deux inédits. Le premier présente un Fuzati plus pathétique que jamais, alignant les anecdotes aussi dramatiques les unes que les autres, pour arriver à un constat sombre et désespéré, comme à l’accoutumée non dénué d’humour : « Chérie, rappelle toi de cette journée où ta mère t’avait fait des nattes des nattes et toi toute fière qui voulais les montrer à ton frère mais ne le trouvais pas. Dissimulé au fond du jardin il essayait de te faire croire qu’il volait mais tu n’étais pas dupe et lui disait : ‘il y’a un truc, je vois la corde !’ (…) c’est quand même dommage qu’il ait quitté ce monde sans jamais avoir pu résoudre ses affreux problèmes de peau ». La prod fait uniquement intervenir un break de batterie et des nappes de synthés, pour un instru très atmosphérique au final, coupé au refrain par la phrase  »ça va s’arranger, allez », probablement tiré d’un film.

‘Poussières d’Enfants’ explore un autre thème cher à Fuzati, le mal-être de l’enfant. Celui-ci lui permet de faire étalage d’un humour noir des plus horribles: « J’ai pris des photos de cet hérisson écrasé sur la route, il est mort mais la vie grouille en lui, il est mort pourtant le soleil tente de réchauffer son corps, et les effluves qui en émanent sont les mêmes que celles que l’on sent près de la tombe de mamie lorsqu’on vient en arracher les herbes durant l’été (…) petit garçon, ce soir ta mère a mis ton assiette sur la table, toute la famille n’attend plus que toi alors pourquoi ne réponds-tu pas lorsque l’on t’appelle ? parce que tu es mort ? d’accord, ceci explique mieux le fait que depuis 6 ans tu ais 8 ans ». Le refrain est assuré par la chorale des enfants de Versailles (franchement, mêler des gamins à ça c’est pas cool) et leur lalalalala. La prod, là encore minimaliste, fait encore une fois mouche, confirmant définitivement le talent d’Orgasmic à la MPC : pas rassasié toutefois, le toxicologue clôt le maxi par une outro où il brille cette fois-ci derrière les platines, s’imposant comme un DJ assurément à suivre…

Si les deux inédits ne sont pas aussi aboutis que ‘Baise les Gens’, le Klub des Loosers signe là un très bon maxi, en conformité avec ce qu’on pouvait attendre d’eux. Fuzati impose et peaufine son style original, et on découvre réellement Orgasmic, resté jusque là quelque peu en retrait. L’avenir ? il se dit déjà que ‘Baise les Gens’ sera un maxi-testament, le duo ayant décidé de ne plus faire route
commune…peut-être serait-ce idéal pour achever ce qui a toutes les chances de devenir une légende, mais des rumeurs plus fiables font état d’un album qui sortira au courant de l’année. On espère que Fuzati saura s’entourer de guests talentueux, car l’entendre gémir tout au long d’un opus long format pourrait s’avérer fatiguant, et ainsi nous empêcher de goûter pleinement à ses sarcasmes…même si comme dit l’adage, ‘mieux vaut être seul que mal accompagné’, la diversité pourrait donc être salutaire pour Orgasmic et Fuzati, à condition bien sûr de ne pas les voir se séparer…pour une fois, gardons espoir, on ne change pas une équipe qui perd.

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