Chronique

Les Sages Poètes de la Rue
Après l’orage

BMG - 2002

Longévité et régularité. Deux mots rarement lus dans les biographies d’artistes rap, musique à l’évolution permanente et aux carrières souvent brèves. A l’évocation des Sages Poètes de la Rue, ces mots sont pourtant les premiers à venir à l’esprit. Fort de deux albums majeurs, Qu’est-ce qui fait marcher les Sages (1995) et Jusqu’à l’amour (1998), le trio de Boulogne Billancourt mène sa barque depuis plus d’une décennie, avec un rap léger sans mièvrerie, créatif et entraînant. Trois ans après le solo de Zoxea et en attendant celui de Dany Dan, Après l’orage marque le retour d’un groupe souvent cantonné au succès d’estime et prêt à la conquête d’un plus large auditoire.

L’album débute avec le titre éponyme, ‘Après l’orage’, et tout fan du trio ne pouvait rêver de meilleure ouverture, au risque d’être déçu par la suite. Avec sa flûte virevoltante et son refrain surprenant, ce premier titre donne l’impression que le temps n’a pas d’emprise sur les trois MC, toujours positifs et véloces au micro : « Interdit bancaire et pire encore, le fisc rapplique. Tu t’en es sorti, comme quoi des fois le Christ réplique. Regarde mon ciel, y a plus de nuage. Donc dis-toi qu’un homme sage, ça marche toujours après l’orage, frangin« . C’est avec un plaisir évident que l’on retrouve les sages Po’ et leur univers plein de trouvailles textuelles et musicales. Leur complicité fonctionne à merveille dans ‘Oublie moi’, dialogue rappé entre Dan et Melopheelo essayant de se refiler des plans foireux. Brillants narrateurs d’histoire, les Sages Po’ endossent également le costume de patrons de boîte de nuit dans ‘Les gangsters boivent à l’œil’, sur un sample funky de Madonna.

Complètement décomplexés, les « Boulogne Billancoureurs » se font plaisir, au gré d’influences diverses et bien exploitées, comme ‘Dis-moi la vérité’ et ses intonations reggae, ou le je-veux-être-un-tube ‘Tout le monde fait Oh’, produit par le versatile Timbaton (aka Akhenaland). Mais avec le recul, à cause de cet éclectisme affiché et la présence de thèmes bien précis, l’album semble manquer d’unité et de personnalité, à la différence de leurs précédents travaux.

Erreur de tracklisting ou coup de fatigue des « Silisages », la construction de l’album est inégale. Après une première partie plutôt réjouissante, l’album s’essouffle à mi-parcours. Autour de l’équipe IV my people (Kool Shen et Nisay en guest, Sec Undo à la prod), ‘Thugs’ est dans l’absolu un morceau réussi, mais les Sages Po’ ne devraient avoir besoin de veiller à leur street credibility avec des rimes inutiles comme « on n’est pas des thugs, mais t’inquiètes pas nous aussi on a des guns ». D’autre part, certains velléité dancefloors viennent freiner l’inspiration du groupe : Les instrus sans âme de ‘Masters’ et ‘J’fais péter’ plombent les prestations pourtant honnêtes des Sages Po.

Alors que l’on commence à douter de cet album après ce passage à vide, les derniers morceaux viennent relever le niveau. Les bon vieux samples font leur retour, et l’atmosphère se fait plus amère. ‘Comment tu veux que j’taffe’ (avec Safir) dévoile une partie des désillusions d’un trio qui a placé le 92 sur la carte rapologique française. Puis arrive le chef d’œuvre : ‘No one to care’. Le sample de 24 Carats Black complété par des instruments fonctionne à merveille, et le crescendo du refrain torturé exprime pleinement tout le trouble amoureux qui se dégage du morceau. A l’heure où il est « tendance » de rapper avec les sourcils froncés, les Sages Po concluent ce troisième album avec ‘Leçon de vie’, titre-hommage aux gens « qui aident les autres, qui aiment les autres » : « Je me sens petit devant mes potes qui se trouent les poches, achètent de la bouffe aux mioches issues des quartiers louches et moches. Les sortent de la métropole, comme un jour d’école. Faut les voir quand ils rentrent, ils chantent comme des rouges gorges« .

L’immense capital sympathie dont jouissent les Sages Poètes de la Rue ne doit pas faire oublier les lacunes d’Après l’orage. En condensant leur créativité en 13 titres, ni plus ni moins, le trio perd en partie sa spontanéité et sa fraîcheur. Comme certains old timers, on sent que les Sages Po ont envie d’accrocher un public plus jeune et pas forcément au fait de leurs chefs d’œuvre passés, au risque de diluer tout ce qui les différencie des autres artistes. Question de point de vue sans doute, on peut aussi dire que la variété des thèmes et l’éclectisme des instrus donne du relief et une densité certaine à Après l’orage. Le cru 2002 des Sages Poètes de la Rue n’est donc pas le plus consistant, mais leur rap reste suffisamment enjoué et inspiré pour emporter l’adhésion.

Fermer les commentaires

Pas de commentaire

Laisser un commentaire

* Champs obligatoire

*