Rick Ross, le crocodile endormi
Arrêt sur image

Rick Ross, le crocodile endormi

J’ai passé l’été avec une image en tête. Après enquête, cette obsession me mène à un gros monsieur du rap qui chute lourdement. Analyse d’une trajectoire et d’une bouteille de rosé.

L’été se termine et il reste une image. Un flash éblouissant. Un tableau subliminal à la composition claire. Pendant ces heures à errer sur la plage, à voguer dans le vague de l’écume, ce cliché revenait inlassablement devant mes yeux. Il s’imposait comme une évidence, un résumé de l’instant.  Après une courte enquête, j’ai trouvé l’origine de ce moment rare, le point de départ de toute cette gamberge. « Dog Food », dernier clip quelconque de Rick Ross, tout comme le morceau qu’il illustre. Rien de bien méchant, juste une énième redite de la formule qui l’a rendu célèbre, un « B.M.F. » 2015. Encore. Le même qu’il nous sert chaque année, inlassablement, sans aucun remords, comme si la planète entière était touchée par Alzheimer et que l’épidémie Teflon Don allait prendre pour la toute première fois.

Mais cette fois-ci, on peut reconnaître une valeur ajoutée. A la place d’un ersatz fadasse, Rozay nous replace la recette exacte, sortant Lex Luger de sa tanière pour un faux parfait à la snare prêt. Un vrai, en somme. Je ne sais même pas comment ce bon vieux Lex se laisse encore emporter dans ce tourbillon d’amnésique, lui qui était pourtant promis à un avenir radieux, bien avant la nouvelle vague des Metro Boomin et consorts. Mais le sujet est sûrement ailleurs. Oublions le son, voyons le visuel.

Le clip commence comme tous les autres, même grandiloquence baroque, même scène de monologue en voiture, même décor exotique. Mais tout sonne faux avec un arrière goût de carton mâché. Comme si on passait d’un penthouse au Hilton à un mobil-home au camping des Flots Bleus, comme si on se faufilait derrière le décor du blockbuster sans être vraiment invité. Toutes les ficelles sont plus épaisses mais on a l’impression d’être les seuls à le remarquer. On se retrouve face au film de vacances de l’oncle Ricky au montage fantaisiste, avec uniquement les scènes avant et après les moments importants. Comme si tout ce qui avait auparavant un sens était éludé, raturé. La caméra tourne seulement quand il ne se passe rien. Un nouveau concept d’art contemporain, peut-être. Peu convaincant.

Plutôt qu’un clip, on se retrouve dans une publicité géante pour Luc Bélaire et son rosé mousseux de la côte d’azur, la beauferie de Saint Trop’ exportée dans une imagerie de gangster américain à la petite semaine. C’est grossier, tapageur, sans imagination et d’un goût plus qu’approximatif. Et que dire alors de la présence féminine, pourtant le centre de l’imagerie rap quoiqu’on en dise. Ici rien, pas l’ombre d’une fesse, pas la pointe d’un sein, pas le début d’une courbe. Enfin si, justement, tout ça mais dans une tentative ratée de rendre quelques parties glamour avec des rushs de club ringard, des cowgirls bêlantes en casquette Bélaire. Merci Luc. Un bel hommage à Christian Audigier mais une bien pauvre manière de vendre du rosé mousseux. En tout cas, le sujet n’est toujours pas là. Cherchons encore.

Puis vient cette image, comme par enchantement, l’éclair de génie inattendu. Un hôtel digne d’une résidence secondaire de narco, une piscine infinie, une bouteille de ce putain de rosé mousseux et… une main posée délicatement, une tête à moitié immergée, les yeux plissés. Le crocodile endormi. Une mise en scène spontanée pour illustrer une trajectoire. La force du visuel qui condense tout. Et si l’entière situation de Rick Ross se trouvait dans cette capture de la 38ème seconde. Et si toute la paranoïa grandissante, la solitude désemparée transpiraient à grosses gouttes de cette unique espace temps. Le sujet.

Le boss de Maybach Music est dans un passage vide. Deux albums en moins d’un an, deux échecs. Pas qu’ils soient réellement mauvais mais ils ne permettent pas de le maintenir à son niveau, son statut de figure reconnaissable du rap américain. Alors qu’il se rêvait en réincarnation de Biggie au sein d’une possible reconstruction du label Bad Boy, Puff Daddy lui a mis à l’envers (grande spécialité du personnage) en lui produisant un album minimum, lui dérobant au passage ses meilleurs singles et même son poulain. Puff est devenu le mentor de Meek Mill en réussissant un glissement de terrain tranquille, laissant Ricky sur la touche. L’actualité de Meek Mill est brûlante entre un album réussi, une histoire d’amour sous les feux et un beef avec la plus grande star actuelle. Et tout le monde se fout de savoir ce qu’en pense Rick Ross, le mec qui l’a signé, qui l’a emporté plus loin. Il est relégué au rang de simple invité à la fête, même plus à la table des officiels, plutôt à celle des cousins embarrassants.

I’m sippin’ Bélaire, I’m tryna drown me.
So fuck the rap game, they tried to down me.

Rick Ross n’est plus là. Il s’est mis au vert, il perd du poids. Et comme lui, MMG pique du nez. Gunplay vient de sortir un album très attendu. En 2012. On a oublié que Fat Trel, Stalley ou même Rockie Fresh faisaient partie du label. Il est possible que même eux ne s’en rappellent plus. Le nouveau partenaire privilégié serait un dénommé Whole Slab. Sûrement le dealer-garde du corps. La déprime est au max. Le chef est absent, tout est laissé en jachère. Les derniers faits d’armes de Rozay sont judiciaires et transcrivent un isolement, un retranchement, un abandon. Tout le monde lui demande des comptes, des réponses, de la matière. Les promoteurs, les artistes, le juge, 50 Cent et même le jardinier. La trahison est partout. La déception est ultime. A part le petit rosé mousseux de ce bon vieux Luc. Autant plonger dans les marais des Everglades, se laisser porter par la vase et le courant. Autant entrer en léthargie comme un crocodile endormi.

L’image prend tout son sens. Reste à savoir quelle est la prochaine seconde. La plongée pure et totale vers le fond, la dérive, le naufrage. Ou juste faire le mort, ressembler à un tronc d’arbre pour la prochaine proie. Et alors bondir, agripper, tourner, serrer la mâchoire, noyer son adversaire. Revenir comme si rien n’était, être juste le fruit d’une stratégie de survie ancestrale. L’histoire de Rick Ross est en suspens, tout se décide à la prochaine seconde. Au prochain mouvement du crocodile.

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4 commentaires

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  • clou,

    La tape Black Dollar est de bonne facture, je pense qu’il en a encore sous le coude. A noter que 2chainz traverse actuellement un désert similaire.

  • Jay,

    Super article, très bonne plume

  • ACIES,

    J’estime avoir lu un article de qualité ! bravo à vous

  • Virgile,

    Excellent article, très bien construit, qui décrit exactement ce que je pense de Rick Ross (avec des infos en plus que j’avais loupé.) Merci.